Samedi dernier, une violente manifestation1 des supporters du CSKA Sofia devant la Fédération de Football Bulgare mettait en exergue la situation très difficile économiquement du club historique du championnat bulgare. A cette occasion, les supporters bulgares étaient soutenus par des supporters du Partizan Belgrade et du Steaua Bucarest venus en amis. Cette solidarité balkanique montre bien que le problème préoccupe au-delà des frontières de la Bulgarie et touche de nombreux clubs dans la région. De Bucarest à Sofia, en passant par Belgrade et Sarajevo, la Balkans Académie vous propose de faire un point sur la situation avec des experts du coin.

 

Le CSKA Sofia, un géant au futur très incertain

Commençons par le CSKA, qui a fait les gros titres de la presse ces derniers jours. Pour évoquer ce club, j’ai fait appel à Radoslav Stoikov de Sportal.bg. Il nous décrit une situation terrible pour le grand club de Sofia : « Les problèmes du CSKA sont immenses. Le club a d’énormes dettes et du coup n’a pas obtenu la licence de l’UEFA. Hristo Stoichkov a essayé de récupérer les actions du propriétaire « Titan AS » mais s’est retracté par la suite à cause des dettes énormes. Hier, un nouveau club – CSKA 1923 a été formé. Il essayera de s’allier avec un autre club de première division pour obtenir une licence, mais rien est clair ; les avocats réfléchissent à la meilleure solution. Ce week-end, des fans du CSKA ont attaqué le bâtiment de la Fédération avec des pierres et y ont mis le feu. 17 d’entre eux ont été arrêtés. Les supporters accusent la fédération de ne pas aider le club, mais ce sont les propriétaires du club qui sont responsables de cette situation ! Presque 10 joueurs ont quitté le club en tant que joueurs libres. Stoichkov a été recruté en tant qu’entraîneur mais maintenant il ne veut plus du poste. Aujourd’hui, aucun coach n’était sur le terrain à l’entraînement.»

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Si le CSKA est aujourd’hui l’exemple mis en avant, Radoslav estime que la situation est globale dans le football bulgare : « Beaucoup de clubs ont des soucis financiers, mais pas autant que le CSKA. C’est pourquoi la fédé a réduit le championnat de 16 à 14 équipes pour la saison prochaine. Et l’on évoque même la possibilité de passer à 12 par la suite. La saison passée, un club historique en Bulgarie comme l’Etar (Veliko Tarnovo), ancien champion et premier club de Krassimir Balakov et Trifon Ivanov, n’a pas terminé le championnat à cause d’un manque d’argent. Pirin (Blagoevgrad), le club où a été formé Dimitar Berbatov, a été exclu du championnat il y a quelques années et aujourd’hui survit tant bien que mal dans des divisions inférieures. »

Selon lui, les institutions essayent d’aider les clubs à cause des enjeux financiers : « La fédération fait de son mieux pour aider les clubs. De même que le gouvernement. Si demain le CSKA ne joue pas en première division, ce sera une grosse perte d’argent pour les diffusions télé. En 2008, le CSKA aurait déjà dû être exclu de D1 mais la fédération a aidé l’équipe à rester en D1. »

Le Rapid Bucarest, un club historique au bord de la faillite

Passons la frontière pour se retrouver en Roumanie. Notre guide se nomme Emanuel Rosu (son Twitter) et ne dresse pas un panorama plus angélique dans le football roumain : « Le Rapid Bucarest est devenu insolvable, tout comme l’U Cluj. Les joueurs n’ont pas été payés pendant des mois et le propriétaire George Copos a complètement perdu le contrôle de la situation. Comme vous pouvez l’imaginer, les fans sont devenus fous, ont protesté et lui ont demandé de vendre le club. Mais Copos est connu pour son avarice donc c’est très compliqué de négocier avec lui. Même si par le passé il a reçu des offres pour vendre le club, il a toujours changé d’opinion à la dernière seconde. Aujourd’hui, deux businessmen veulent acheter le club et Copos a promis de vendre, mais les choses sont en stand-by encore une fois ! Franchement, je ne sais pas ce qu’il va arriver. Le Rapid est empêtré avec Copos. »

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Si la situation du Rapid est dramatique, les problèmes salariaux2 sont endémiques en Roumanie et touchent tous les clubs selon Emanuel : « Le CFR ne les a pas payés pendant des mois, tout comme le Steaua et le Pandurii. Gigi Becali a expliqué que sa philosophie ne lui permettait pas de payer les joueurs tous les mois, donc il injecte cela comme des vitamines dans leurs comptes en banque tous les 3 mois. Le proprio du CFR, Paszkany, était tellement irrité par les résultats de l’équipe la saison passée qu’il ne les a payés pendant des mois. La réalité est très dure par ici. Le Dinamo, un autre grand club, était proche de la banqueroute et les joueurs non-payés pendant des mois mais les choses semblent avoir changées avec l’arrivée de Negoita en tant qu’actionnaire majoritaire. Il a promis qu’il n’y aurait pas de retards avec les salaires mais il n’offre plus de gros contrats non plus. »

Pour Emanuel, le manque de stratégie des clubs est en cause et il tacle le Steaua Bucarest : « Les clubs qui ont une vraie stratégie, une vision avec des mecs intelligents en charge survivront. Ceux qui continuent à jeter de l’argent par les fenêtres finiront par être lourdement affectés. Le football de 2013 ne peut plus être féodal, il doit évoluer. Par exemple, les responsables du Steaua considèrent le marketing et le merchandising comme des trucs emmerdants et ont laissé les groupes Ultras gérer ce « problème ». Une réelle stratégie dans ce secteur amènerait des millions par an au Steaua, mais ils ne le voient que comme un problème qu’ils ne peuvent pas  traiter. Pour les matchs contre l’Ajax et Chelsea à Bucarest, les magasins ont fait énormément d’argent, il y avait d’immenses queues à chaque point de vente. Mais le club ne touche absolument RIEN de tout cela, ils ont juste tout laissé aux leaders ultras. »

 

En Ex-Yougoslavie, les mêmes problématiques avec l’Etoile Rouge de Belgrade en étendard

Runar Nordvik, de BalkanFabrikken et spécialiste du football dans les Balkans, nous offre un éclairage sur la situation de l’Etoile Rouge de Belgrade : « Les finances de l’Etoile Rouge sont dans un état terrible. Selon diverses sources et déclarations par les présidents ou directeurs du club, la dette totale du club est située entre 40M€ et 50M€. Ils sont techniquement en banqueroute et le sont depuis longtemps, mais continuent d’exister parce que la « loi naturelle » économique ne semble pas compter pour les clubs de football – surtout pour ceux qui ont histoire et grandeur comme l’Etoile Rouge. Conséquemment, les joueurs ne sont pas payés en temps et en heure ou pas du tout (en ce moment, les joueurs n’ont pas été payés depuis 5-6 mois laissant des joueurs comme le milieu Srdjan Mijaijlovic libre de partir). Les raisons de ce bordel sont multiples mais principalement liées à deux choses: 1) le club ne reçoit pas tout l’argent des transferts quand ils parviennent à faire de grosses ventes (Vidic, Bisevac, etc.) – l’argent finissant dans les poches d’agents, d’autres propriétaires de joueurs et de leaders corrompus du club. 2) les transferts sont très mal gérés parce que les joueurs signent généralement avec de grosses primes à la signature et d’excellents salaires mais quittent souvent le club en fin de contrat. Cela a créé l’énorme déficit actuel malgré quelques beaux transferts à l’étranger. Les venues d’étrangers (spécialement Sud-Américains) se sont également révélées désastreuses économiquement. Est-ce qu’il y a un moyen de sortir de cela ? Non. Il n’y a pas de possibilité que le club résolve ses dettes seul. Certains ont laissé entendre que des investisseurs étrangers (comme le sponsor du club Gazprom) pourraient acheter le club et régler tous les problèmes financiers, mais cela semble seulement du bavardage. Il est impossible que quelqu’un puisse gagner de l’argent en investissant dans le football serbe aujourd’hui donc je ne vois personne venir aider. Il a été aussi question que le gouvernement aide l’ER ainsi que d’autres clubs, mais cela ne semble pas réaliste puisque l’Etat serbe est tout autant endetté que ces clubs. Je pense que l’Etoile Rouge va continuer ainsi, comme ils l’ont fait ces 10-15 dernières années, avec des mesures à court terme pour régler les problèmes qui apparaissent à cause de la situation financière, mais en continuant de couler de plus en plus. »

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Runar fait un parallèle entre les situations vécues par l’Etoile Rouge et celle du CSKA Sofia : « Il y a au moins un point commun entre le CSKA Sofia et l’Etoile Rouge car ce sont deux grands clubs qui ont du mal à se faire à la vie après le communisme. Essayer de rester un grand club européen dans un championnat/pays où il n’y a pas de structure financière pour réussir s’est montré désastreux pour les deux. Mais il semblerait que le CSKA ait accepté la défaite et essaye de gérer cela de manière honnête. »

Selon Runar, ces problèmes économiques semblent communs à toute l’ex-Yougoslavie : « Oui, même si l’Etoile Rouge est le pire élève, cela reste la situation de la plupart des clubs dans l’ex-Yougoslavie. Tous les clubs majeurs en Bosnie sont dans un état financier terrible (Zeljeznicar, FK Sarajevo, NK Celik, Sloboda Tuzla, Borac Banja Luka). C’est la même chose en Croatie où l’Hadjuk Split a 13,5M€ de dettes. Le Dinamo Zagreb et le RNK Split sont les seuls clubs que je connaisse dont on peut dire qu’ils sont bien gérés dans le championnat croate. Quasiment tous les autres ont d’importantes dettes. En Serbie, il n’y a pas de club de Jelen Super Liga qui n’est pas techniquement en banqueroute, le Partizan, Vojvodina, OFK et les autres sont quasiment dans le même état que l’Etoile Rouge ! En Slovénie, le NK Koper vient juste de faire les démarches pour être reconnu en banqueroute, suivant l’exemple de beaucoup d’autres clubs slovènes ces dernières années. Au moins, ils ont la décence de le faire, pas comme les clubs bosniens, croates ou serbes… »

Selon Runar, les instances dirigeantes n’ont pas grande latitude pour changer quoi que ce soit : « Ils ne peuvent pas faire grand-chose. S’ils devaient être stricts avec ces clubs, il n’y aurait plus de championnat du tout. Donc il n’y a pour l’instant que quelques sanctions mineures (interdiction de transferts, pas de licences pour l’Europe, etc.) mais ces mesures ne traitent pas des vrais problèmes. La fédé et le gouvernement ne peuvent pas proposer d’aide et ne semblent pas assez concernés pour fournir des punitions suffisantes. »

 

Un futur en pointillé pour tous les clubs des Balkans ?

Après ces panoramas sombres, Emanuel semble pessimiste sur le futur des clubs des Balkans avec leurs propriétaires parieurs : « Les clubs ne sont pas développés dans un système global, ils n’ont pas une stratégie et une perspective au-delà du moment présent. Cela fait très mal, mais les personnes responsables dans ces clubs devraient raisonner sur le long terme plutôt que de penser à gagner à court terme. Les proprios de business ont été clairement touchés par la crise économique, donc les jeux financiers ne peuvent pas continuer. Gérer leur club était un plaisir comme jouer à la roulette pour eux, ils ne peuvent plus s’arrêter. Le football créé une dépendance agréable. Ou du moins elle l’était, quand il y avait plus d’argent dans les comptes en banque de ces propriétaires de clubs. »

Pour Radoslav, la situation est encore pire dans les Balkans car elle est ancrée territorialement: « Les problèmes financiers sont globaux, mais dans les Balkans, ils sont plus graves car c’est une région qui traditionnellement souffre financièrement – même sous l’ère communiste.» Runar va aussi dans ce sens: « Ce qui est typique pour les clubs des Balkans est le nombre de clubs qui souffrent. Dans cette région du monde, voir un club en situation de banqueroute est une situation normale en 2013 alors qu’autre part ces clubs restent des exceptions. »

Pour tous les trois, les propositions de Platini  et son « fair-play financier » ne règleront rien pour les clubs des Balkans. Runar pense que le système n’est pas assez répressif : « Je pense que les intentions de Platini sont bonnes mais dans la pratique je pense que ces nouvelles règles ne sont pas assez restrictives et ne traitent pas les vrais problèmes. Comment l’Atletico Madrid peut-il jouer en Europe avec ses dettes massives ? Ou le Real. Si le « fair-play financier » est supposé changer quelque chose, les prémisses doivent être solides et équitables. Aucune dette doit vouloir dire aucune dette. Pas comme maintenant où vous pouvez avoir d’énormes dettes et encore fournir des chiffres qui vous permettent d’éviter des sanctions. » Pour Emanuel, le temps ne cesse de creuser l’écart entre les clubs des pays mineurs et des pays majeurs de la scène footballistique européenne et il prévoit une scission à terme: « Il y a 15 ans, les Glasgow Rangers achetaient le gardien vainqueur de la LDC Stefan Klos. Vous voyez Neuer aller en Ecosse aujourd’hui ? Non, bien entendu. Les différences financières entre les clubs seront si importantes dans le futur que les petits clubs ne rêveront même plus de jouer contre les grands noms. Les Rangers et le Celtic ne sont pas des petits clubs mais est-ce que vous imaginez combien un club comme Ceahlaul (Liga I roumaine) gagne par an ? Quelle est leur chance d’être compétitif ? Je pense que les discussions sur une superligue européenne deviendront de plus en plus pressantes dans les années à venir. Ce sera tout pour l’argent et les robots. » Radoslav lui reste terre à terre et avec un peu de fatalisme nous explique: « C’est une condition (fair-play financier) à laquelle les clubs auront de plus en plus de mal à se soustraire dans les années à venir. En Bulgarie, même les clubs les plus riches ont du mal. Ici en Bulgarie, dans chaque secteur, il est quasiment impossible de réussir si on suit les règles. »

En France, on pleure les pertes possibles de Sedan ou du Mans mais dans les Balkans, les clubs dans leurs situations sont indénombrables. On peut penser que cela fait partie de la culture locale mais on peut aussi s’interroger sur l’absence d’intervention de l’UEFA pour essayer de trouver des solutions pérennes pour ces championnats et ces clubs. Les mesures financières prônées par l’UEFA et Platini semblent être un gadget éloigné des réalités du terrain et ne pas du tout répondre aux problématiques locales subies dans les Balkans, mais après tout qui s’en préoccupe vraiment ? Rappelons simplement que ces pays ont gagné deux C1 et joué une paire de finales de coupes européennes, mais tout cela semble être une époque révolue…

Merci à Emanuel, Runar et Radoslav pour leurs témoignages.

Tristan Trasca

 

1 Une vidéo de cette manifestation : http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=OenmGtk9OGY#at=24

2 Au niveau des salaires, la moyenne tournerait autour de 2000/3000€ par mois en Bulgarie dans les meilleurs  clubs et 1000€ dans les petits clubs. Pour la Roumanie, Emanuel estime que la moyenne doit être autour de 5000/6000€ par mois alors qu’avant ils pouvaient aller jusqu’à 500 000€ par an pour les meilleurs. Le Steaua paierait autour de 10 000€ par mois plus des bonus conséquents. Selon Runar, les salaires en Bosnie étaient en moyenne de 7 000€ par mois il y a quelques années avec un club comme Siroki Brijeg payant 15 000€. Mais Runar ajoute: « Il faut bien savoir que ces chiffres restent théoriques car la plupart des joueurs ne recoivent pas les salaires qu’ils ont négociés – ni en terme de salaire ni en terme de durée de contrat. Les clubs en Bosnie couvrent également une grosse partie des salaires avec de grosses primes à la signature. Un bon joueur pouvait toucher environ 40 000€ en signant son contrat (comme la plupart des joueurs de Zeljeznicar ou FK Sarajevo par exemple). »

 

4 thoughts on “Balkans : alerte rouge concernant les finances des clubs

  1. Non seulement tes articles sont toujours aussi intéressant mais aussi tes articles sont de plus en plus clairs. Chapeau!

    Quant à l’absence d’intervention de l’UEFA, peut-on vraiment espérer de Platini qu’il soit au courant qu’il y a plus d’une demi-douzaine de championnats en Europe!

    Mais vu la gestion que tu décris, il est difficile de voir un avenir optimiste. On dirait que n’importe quel joueur de football manager pourrait faire mieux que ces divers dirigeants

  2. Merci Willy !

    Juste une correction : les salaires évoqués pour la Bosnie sont bien entendu par an. 7000€ par an en moyenne.

  3. Koper fait faillite alors qu’ils ont été champion de Slovénie ya 3 ou 4 ans. Triste. Les fans sont vraiment énervés, ils accusent les dirigeants d’avoir volé l’argent des transferts notamment.
    Du coup, je sais même pas avec quelle équipe ils vont jouer cette année car ils ont vendu/laissé libre tous les joueurs

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