En Macédoine et autour, les problématiques nationalistes rejaillissent dans la sphère sportive

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Tu es serbe ou tu es croate ?

La Macédoine n’ira pas au Brésil mais personne n’y croyait de toute façon dans ce petit pays de 2 millions d’habitants. Le football local a d’autres problèmes qui sont liés à la région et à ses caractéristiques propres. Bienvenue dans un nid de guêpes.

Le voisin grec et ses relations avec la Macédoine et l’Albanie

Un des nœuds du problème réside chez le voisin grec. Comme vous le savez sans doute, la dispute ancestrale entre la Macédoine et la Grèce ne s’est jamais conclue ; chaque partie réclamant l’exclusivité de l’utilisation du nom « Macédoine ». Ces tensions, qui peuvent paraître superficielles, sont plus profondes et trouvent également leur prolongement sur les terrains de sports.

Cet été, une nouvelle qui parait hallucinante est tombée dans les médias grecs : le gouvernement hellène préparait un projet de loi visant à exclure tout joueur possédant un passeport macédonien des clubs grecs. Cette décision aurait touché des dizaines de joueurs de football et autres sports et notamment le très élégant Baldovaliev, parti jouer à Kerkyra (Corfou) après sa très belle saison à Turnovo, en D1 macédonienne. Heureusement cette loi n’a jamais été votée.

La Ligue des Champions a aussi servi de terrain à cette bataille médiatique entre Macédoniens et Grecs. Les fans du Schalke04, très proches de ceux du Vardar Skopje, ont ainsi exhibé un drapeau de la Macédoine lors de leur match contre le PAOK en tour préliminaire de LDC cette saison. Cette manifestation d’un soutien politique a très vite été étouffée par les forces de police présentes sur place1.

Si la Grèce et la Macédoine ont des problèmes, Athènes entretient également des relations tendues avec Tirana. Ainsi le Courrier des Balkans2 nous apprenait mercredi que l’état de guerre entre les deux pays, datant de 1940, n’avait jamais été complètement levé par les deux gouvernements. Les tensions ethniques entre Albanais et Grecs existent et des disputes régulières se font jour entre ces gouvernements.

ÓÏÕÐÅÑËÉÃÊÁ / ÐÁÏÊ-ÏÓÖÐ / SUPERLEAGUE / PAOK-OLYMPIAKOS

Les fans du PAOK en 2011

Il est malgré tout très ironique de voir le nombre d’inscriptions en faveur des clubs d’Athènes sur les murs dès qu’on dépasse Vlora et qu’on arrive dans le sud de l’Albanie. La Grèce est également un de ces rares pays européens à ne pas reconnaître le Kosovo. Cette situation a engendré il y a peu le licenciement d’un joueur. Ergys Kaces3, joueur albanais qui évoluait au PAOK, s’est fait virer après s’être exhibé sur Facebook avec un tee-shirt de l’UCK, armée de libération du Kosovo. Apparemment, le soutien ostentatoire de ce jeune joueur aux « héros de la guerre du Kosovo », très commun chez les jeunes Albanais actuels, a choqué la direction du club qui l’a licencié sur le champ.

La place des Albanais en Macédoine

Si les Albanais entretiennent des relations tendues avec la Grèce, ce n’est guère mieux avec la Macédoine. Lors du recensement en 2002, la communauté albanaise représentait 25% de la population de la Macédoine. Mais les deux communautés vivent bien souvent séparées.

Malgré tout, les initiatives pour rapprocher les deux communautés existent que ce soit au niveau de la société civile mais également au niveau gouvernemental. Ainsi le maire d’une des municipalités de Skopje, Andrej Zernovski, a décrété que des statues à l’effigie de trois grandes figures albanaises seraient installées. Ce maire estime que ces marques de bonne volonté vont dans le sens d’un dialogue entre les communautés, bien que symbolique.

Bien entendu, le football n’est pas épargné par ces tensions. L’équipe de Macedonian Football nous explique ce qu’il en est dans le football amateur : « ces problèmes entre communautés ont existé dans le passé, surtout dans les divisions mineures ; mais pas ces dernières années. Le football amateur en Macédoine est très pauvre donc les problèmes apparaissent partout. Mais aujourd’hui, les incidents dans ces divisions interviennent surtout quand les Albanais jouent entre eux dans le Nord-Ouest du pays ou quand les Macédoniens se rencontrent. Aujourd’hui, les points en jeu sont plus importants que la nationalité des adversaires. »

Tetovo, un monde à part

Tetovo est une ville à part en Macédoine. Dans cette ville située au Nord-Ouest du pays, 70% de la population est albanaise. Cette ville, quasi frontalière avec le Kosovo, a d’ailleurs été un des derniers théâtres d’une guerre civile sur le continent européen.

En 2001, l’UCK, après avoir conquis le Kosovo quelques mois auparavant, décide d’attaquer la Macédoine afin d’obtenir plus de droits pour la communauté albanaise dans ce pays. Tetovo fut une des places centrales de cette guerre entre l’UCK et le gouvernement macédonien. Cette guérilla qui dura une bonne quinzaine de jours en mars 2001, avant quelques résurgences dans cette région en juillet, prit réellement fin avec les accords d’Ohrid en août 2001; laissant place à des discussions sur une plus grande importance accordée aux droits des Albanais en Macédoine.

Bien entendu, le football est aujourd’hui un élément moteur de la ville de Tetovo. On y trouve trois clubs actuellement dans l’élite : deux macédoniens avec le Teteks et Renova (proche village mais qui joue à Tetovo) et le Shkendija, club de la communauté albanaise.

Je vous racontais dans une précédente académie que la dernière finale4 de la coupe de Macédoine entre le Teteks et Shkendija avait dû être stoppée et rejouée à huis clos suite aux chants nationalistes des deux côtés, aux insultes et à l’exhibition de drapeaux et autres signes patriotiques par les supporters des deux camps.

Malgré tout, Macedonian Football ne considère pas le derby de Tetovo comme le plus chaud de Macédoine : « Quand on prend les différents aspects d’un derby, celui de Tetovo vient en 3è place dans notre pays. Le plus chaud est celui entre le Vardar et Pelister, deux clubs supportés par la communauté macédonienne. Puis vient Vardar contre Sloga Jugomagnat, un derby de Skopje entre Macédoniens (Vardar) et Albanais (Sloga). Le derby de Tetovo arrive en 3è position mais Sloga (sous le nouveau nom de Korzo) étant actuellement dans une division inférieure, on peut considérer que ce sera un des deux meilleurs derbies cette saison. »

Ballistet, des Ultras albanais en Macédoine

Le groupe de supporters de Shkendija s’appelle Ballistet, qui fait référence à un groupe de combattants albanais le Balli Kombetar, actif pendant la seconde guerre mondiale et dont la devise était « l’Albanie pour les Albanais, la Mort pour les Traitres ».

Macedonian Football les qualifie de « très loyaux et généralement nombreux » sans en rajouter plus. Si les Ballistet sont parmi les plus actifs supporters en Macédoine et les plus spectaculaires, ils ont aussi fait parler d’eux pour leurs nombreuses manifestations nationalistes lors de match du Shkendija.

En 2010, lors d’un match à l’extérieur contre le Napredok à Kicevo, les membres du Ballistet ont tout simplement enlevé les drapeaux macédoniens des mats proches du stade et mis les drapeaux albanais à leur place5. Les joueurs de Napredok ont refusé de jouer tant que le drapeau macédonien ne serait pas remis en place et la police a dû intervenir. Bien entendu, cette action a engendré une énorme polémique et les supporters du Shkendija ont été interdits de déplacement pour le reste de cette saison 2010/2011.

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Comme la vie est pleine de surprise, il s’est trouvé que le Shkendija a affronté le Partizan Belgrade pour le seul match de Ligue des Champions de son histoire, après son titre de champion en 2011. Cette rencontre6 à Skopje a donné lieu à un vaste déploiement nationaliste entre un drapeau géant de l’Albanie qui a recouvert un virage entier du stade, des banderoles telles « 1er Etat : l’Albanie, 2è Etat : le Kosovo, 3è Etat : à venir » et des chants nationalistes faisant référence à la guerre du Kosovo.

Les Ballistet restent à l’heure actuelle très actifs et toujours aussi incisifs malgré leur pauvre image dans le microcosme du football macédonien, comme l’explique Macedonian Football : « les fans de football ont une opinion défavorable concernant ce groupe, principalement à cause de leurs chants nationalistes. »

Le football est fruit de la société

Comme vous l’aurez compris, les répercussions des problèmes ethniques de la région sur la sphère footballistique sont importantes. Macedonian Football explique que « malheureusement les tribunes sont parfois utilisées à des fins politiques. Ce n’est pas un gros problème mais cela arrive de temps en temps. Généralement, les discussions politiques apparaissent dans les groupes de supporters, comme les partis politiques usitent ceux-ci pour faire croître leurs idées politiques dans la population et gagner des votes. Mais les gens en Macédoine ne considèrent pas cela comme normal, bien au contraire, ils haïssent que le sport soit pris en otage. Ce n’est pas une coïncidence si nos stades sont vides. »

On en revient à l’éternelle question : le sport est-il intrinsèquement nuisible pour ces questions d’ethnicité et de dialogue entre communautés ou pourrait-il être utilisé comme appareil de rapprochement ? Pour l’instant, les faits montrent que certains utilisent le sport dans une seule optique.

Merci à Macedonian Football pour leur éclairage.

Tristan Trasca

 

1 Les fans de Schalke et le drapeau macédonien : http://www.dailymail.co.uk/sport/football/article-2399786/Schalke-fans-attacked-police-pepper-spray-batons-Macedonia-flag–VIDEO.html

2 Relations Albanie – Grèce : http://balkans.courriers.info/article23420.html

3 La polémique Ergys Kaces : http://inserbia.info/news/2013/09/ergys-kaces-t-shirt-scandal-and-why-it-matters/

4 L’atmosphère lors de cette finale : http://www.youtube.com/watch?v=JGQI2La-oqQ

5 L’incident avec les drapeaux à Kicevo : http://www.youtube.com/watch?v=Dp1poy7OWFA

6 Le match contre le Partizan : http://www.youtube.com/watch?v=n7_MIHtR2gY

 

 

9 thoughts on “En Macédoine et autour, les problématiques nationalistes rejaillissent dans la sphère sportive

  1. c’est encore très très intéressant, c’est dommage qu’avec tes articles qui sont bons, on peut même pas gueuler et réclamer des femmes dénudées.

  2. il faut transferer cet article sur les cahiers du foot c’est trop intellectuel et ils sont où les gifs animé pour qu’on puisse rigoler hein !!!

    PS bel article de géopoliticosportif

  3. Merci.

    Petite correction: le club de Renova, proche de Tetovo, a un président albanais mais peu de supporters de cette communauté.

  4. BOUUUUUUUUUUUHBOUUUUUUUUUUUUUH

    Erreur impardonnable ! SCANDALE REMBOURSEZ
    A poil Tristan !

  5. Super article (comme souvent).

    Mais il me semble (ou l’art d’en remettre une couche sur une question déjà compliquée) que des joueurs albanais jouent pour la sélection macédonienne… . J’aimerais bien connaitre le point de vue des supporters macédoniens.

  6. Excellent article, mais je n’arrive pas à comprendre qui se cache derrière ce mystérieux Tristan Trasca qui publie presque un article tous les jours maintenant!

    Petite remarque dont tu n’as peut être pas la réponse et qui dépasse largement le sportif. Es tu sur que la Macédoine réclame l’exclusivité du nom? J’ai l’impression qu’ils désirent le droit d’utiliser le nom et d’en revendiquer l’héritage sans pour autant en priver les Grecs. Leur nom officiel d’ex république etc témoigne d’ailleurs d’une bonne volonté à mon sens.

    On ne peut pas en dire autant des Grecs d’ailleurs qui ont bloqué les négociations avec l’union européenne et d’autres petits actes symboliques.

  7. Je ne vais pas te féliciter Tristan, mais plutôt te remercier. Encore. Excellent article !

  8. @MC Fetz: il y a effectivement entre autres Agim Ibraimi et Ferhan Hasani qui sont de communauté albanaise et joue pour la Macédoine. Les qq supporters macédoniens avec qui j’ai parlé m’ont dit qu’il n’y avait jamais aucun problème pour eux, les supporters macédoniens ne donnant que peu d’importance à leur origine et la Macédoine ne pouvant se payer le luxe de mettre des joueurs de côté.

    @Willy: Oui, c’est en effet un abus de langage concernant l’exclusivité du point de vue macédonien, tu as raison. Mais aller visiter le musée d’histoire à Skopje est intéressant pour mieux comprendre le concept de grande Macédoine et le périmètre passé de cette grande Macédoine.

    Un autre lien sur les relations actuelles entre Albanie, Macédoine et Grèce: http://balkans.courriers.info/article23399.html

    Et merci à tous, j’en prépare d’autres.

  9. Il y a des académiciens de talent… Et puis y a Tristan…
    Je suis juste fan. Si je retourne au Kosovo, on ira voir un match et boire des Peja, et c’est moi qui paie!

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