Paris SGEL / Ohème de Marseille (3-0) – Vol de nuit pour la Porte de Saint-Cloud Académie

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25 février 2018, dans la banlieue où qu’y fait nuit, la petite route est déserte, Georges Trottais rentre chez lui. Dans le lointain les mobylettes poussent des cris…

 

Personne sur les boulevards maréchaux, c’est pourtant pas si tard, mais faut bien créer un brin de suspense. Sur sa bécane, Georges roule très vite. Il revient du Parc, il a vu la victoire, il est content. Il a bien fêté ça avec les camarades-copains du Politbüro, dans un bar clando de la Goutte d’Or. L’oeil alourdi, le hoquet vivace, il s’en va se rentrer chez son gendre, à La Courneuve. Il se demande s’il ne va pas d’abord passer faire un tour chez la Germaine, vers la place Saint-Michel. Il est d’humeur, le Georges, à renifler du patchouli en culbutant à poil sur les poufs et les tapis indiens. Sa décision est prise : guidé par la pression sanguine, il met les gaz et fait demi-tour, s’engouffrant dans l’épaisse froidure. Le vent s’engouffre dans son vieux blouson de tankiste soviétique. Dans le lointain, les bourgeois dorment comme des cons.

Personne dans la rue de Flandre, tu le crois, ça ? Ou bien est-il sorti à la porte de Pantin ? Ça lui ressemblerait bien d’avoir voulu, dans un excès d’éthanol et de doctrine, s’enfiler inconsciemment l’avenue Jean-Jaurès. Tout à son bon mot, Georges en perd de vue le principal : il est bel et bien perdu, en pleine nuit, en plein Paris. Lorsque soudain survient le drame juste à la sortie d’un virage : y a plus d’essence dans la bécane, Georges Trottais est fou de rage ! “Bordel de Karl, pas moyen de se sortir de cette connerie de chanson de Renaud.“ Autant faire les choses jusqu’au bout : il scrute les alentours et repère une grosse berline de bourgeois à siphonner. “Bingo !“ se dit-il en lui-même, flairant une belle occasion de collectiviser les biens d’autrui. Dans le lointain, y a une sirène qui s’évanouit.

Une fois son forfait accompli, et les pneus de la Benzo dûment crevés, gratuitement, par plaisir – on ne rappelle pas assez l’importance des actes gratuits, dans ce monde où tout s’achète -, Georges Trottais va repartir. Mais la mobylette veut rien savoir, c’est le bon Dieu bourgeois qui l’a puni ! Ça commence à devenir agaçant cette histoire de chanson, alors Georges et ses trois cours d’initiation à la mécanique suivis à la Bourse du Travail de Vitry finissent par mettre les mains dans le cambouis. Dans le lointain, le jour se lève, comme d’habitude.

À ce moment-là, un mec arrive, un p’tit loubard aux cheveux blonds. “Bon sang“, s’écrit Trottais, “Tu vas pas me dire que…“ Et si, on en est bien arrivé à cette connerie de métaphore sur Saint-Ex à la mords-moi-le-nœud. Le gamin se pointe avec un cahier rouge et un petit stylo plume. Georges, agenouillé, les mains noires, saisit sa clé à molette, prêt à se la jouer Gérard Lambert. Le Petit Prince arrive à sa hauteur, auréolé du halo de lumière du réverbère dans son dos : “Eh, tu m’dessines la composition du PSG, steup’ ?“

Ok, celle-là, il ne l’avait pas vue venir. Maintenant que ses yeux sont un peu moins éblouis par la lumière crue de l’éclairage public, Georges discerne d’ailleurs quelques détails parlants : le môme porte autour du cou une écharpe avec le logo à tour Eiffel, et puis, il n’est pas blond comme un aryen, mais brun, la lumière jaunâtre l’avait trompé. Rassuré d’avoir ainsi échappé à la chanson qui semblait l’avoir amené ici, en plein désert parisien, Georges se plie volontiers à l’exercice : “Mais bien sûr, petit, j’étais au stade, je vais te faire ça proprement.“ Les mains pleines de cambouis, il s’exécute, mais ne tarde pas à rendre illisible la compo d’Unaï Emery, à coups de tâches noires et bleues, de tremblements post-beuverie et de permutations de la défense centrale – “Je sais jamais qui est de quel côté, dans ce merdier“, marmonne-t-il en raturant sans cesse les noms des deux Brésiliens.

Devant son incapacité à rendre une copie compréhensible à son compagnon d’infortune, Georges déchire feuille sur feuille, tâchant tant bien que mal d’expliquer la tactique mise en place par la section séquanaise de l’Internationale footballistique : “Oui alors tu vois, en fait, Gigi, il était en sentinelle… Ah ben non, non, ça c’était avant, non, il était à gauche… À droite, à droite ! Voilà. Et Adrien Rambo à gauche. Et derrière, le nouveau, là, qui ressemble à ce chanteur que vous aimez bien, vous les jeunes… Mais si, tu sais, sa chanson, ça fait “chouin, chouin“… Comment il s’appelle, Quarisse ? Un truc comme ça. Il connaît bien les codes postaux de Seine-Saint-Denis, il me semble. Et bref, y avait aussi Layvin machin à gauche, avec ses poils pubiens au bout du menton, là… Et puis Dani à droite, le mec qui a pris 50 balais en 15 ans de fouteballe… Mais il s’énerve trop, aussi, ça raccourcit l’espérance de vie, ça… Et puis devant c’est du classique, hein, t’as Kiki Mbappette, qui doit avoir à peine le double de ton âge et qui va déjà lécher les mocassins du résident de la république – ah ben ça, une fois que tu gagnes un peu de thune, tu vas te jeter dans les bras de la gueule du loup capitaliste, si c’est pas malheureux – et puis Eddy, el commandante Eddy ! Mais il est pas très en forme en ce moment, il ressemble plus à un Castro en fin de cycle qu’à un Guevara en pleine bourre. Tu savais qu’il était asthmatique, le Che ? Comme John Locke. Et puis ensuite, y avait l’autre zoulette, là, avec ses rajouts de fausse blonde.“

Le petit garçon fixait avec consternation les allées et venues du stylo sur les pages mutilées par les ratures, crevées par la plume, froissées par les mains peu précautionneuses du vieil homme. Il semblait à la fois imperturbable et décontenancé. La neige commençait à tomber, une goutte se forma au bout du gros nez enfoui dans le carnet d’écolier. Elle tomba sur le nom du Brésilien à 222 millions, perdant les lettres de son patronyme dans la morve liquide. Le garçon finit par interrompre Georges alors que celui-ci allait évoquer pour la énième fois les avantages évidents à ses yeux que présenteraient un 4-2-3-1 avec un vrai numéro dix : “Mais j’m’en bats les couilles de ta tarlouze de Pastore, cousin. Il en a mis combien, Neymar ? Y avait l’ambiance au Parc ou bien ? On les a bien enculés, Marseille ?“

Georges dévisagea le gamin, dont la bêtise crasse faisait merveille pour soigner instantanément son ivresse. Sa main se resserra sur le petit stylo plume, et il songea à cette scène à la fin du Parrain III, celle de la branche de lunettes dans la carotide… Rassemblant son sang-froid, il entreprit de passer outre et de faire le récit de la rencontre, en tentant de ramener à la raison cette brebis égarée par le culte des idoles et l’homophobie systémique que lui avait sans doute appris ses géniteurs et les différentes filiales médiatiques du groupe Amaury : “Et bien, le virage Auteuil s’est illustré par un tifo que je qualifierai de… Non, je sais vraiment pas quoi en penser, en tout cas ça a dû faire joli comme bannière pour les articles de SoFoot. Et puis, sur les buts, y avait le p’tit Kiki et Cavanouille qui ont fait tous les deux le tour d’une statue de l’île de Pâques pour marquer, et la même statue a mis un but contre son camp. Les camarades de Paris-Saint-Germain-en-Laye étaient plus forts, tout simplement. Ils ont mis de l’application, du rythme quand il le fallait, sans avoir à forcer outre mesure, ils ont marqué tôt et ont bien géré la suite… Bon, y a bien Bill Clinton machin qui a essayé de nous embrouiller à la fin, à la Lewinsky, mais il s’est énervé tout seul, et puis le capitaine Thiago courage était là pour l’empêcher de salir notre clineshite.“

“Mdr, osef de Silva, c’pédé. C’est rien qu’une femme-zizi c’mec. Et c’est tout ? Il a pas marqué Neymar ? T’as vu, le match contre le Real, c’était le seul au niveau, il les a bolossés, il dribblait tout le monde, izi, Zizou y pouvait R.“

“Il s’est bien agité sur son côté, ça c’est sûr. Et il aimantait aussi bien les caméras que la balle, c’est certain. C’est une certaine idée du jeu d’équipe. Mais non, là, il n’a pas marqué, il s’est même blessé tout seul, comme un grand, comme quand il se dribble en sortie de but sans qu’on ait besoin de l’aider. Et si tu veux mon avis, c’est sans doute un mal pour un bien en vue du mâche retour contre les royalistes madridistes. Le jeu collectif de PSGEL ne s’en portera que mieux. Et c’est sans doute pas Unaï qui me contredirait : il a l’air pieds et poings liés avec ce pignouf, il ne peut même pas se permettre de le sortir du onze pour choix tactique, obligé de se le coltiner sans pouvoir rien lui dire, tout ça parce qu’il a coûté bonbon. Non, vraiment, je pense que son absence pourrait bien se révéler salutaire, d’autant que l’Ange de Marie est en pleine bourre ces derniers temps. Un petit 4-2-3-1 des familles avec Ravière en numéro dix ce serait…“

“Mais qu’est-ce tu racontes, gros bouffon ! Tu crois c’est Pastore qui va planter contre le Real, mais t’as trop cru, toi ! Sergio Ramos il va le découper, il va chialer sa mère, Pastore ! Ma grand-mère elle le met par terre, Pastore ! T’as cru ce pédé d’Emery il peut gagner sans Neymar, mais sans Neymar c’est rien Emery ! C’est qu’un bon gros fils de…“

Alors d’un coup de clé à molette, bien placé entre les deux yeux, Georges Trottais éclate la tête du petit Mattéo de mes deux. Faut pas gonfler Georges Trottais quand y parle de Ravière. C’est la morale de cette histoire. Dans le lointain, y’s’passe plus rien, du moins, il m’semble.

Georges Trottais

4 thoughts on “Paris SGEL / Ohème de Marseille (3-0) – Vol de nuit pour la Porte de Saint-Cloud Académie

  1. Magnifique, je salue ta patience face à ce jeune effronté.
    J’ai bouffé mon écran à sa première remarque sur Rat-bière

  2. Sublime, émouvant. En plus tout est vrai, je suis l’instit du petit Mattéo, absent ce matin à la plus grande joie de tous. Du coup, les élèves ont pu jouer au hockey sur glace à la récré, ça change.

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