Birmingham – Arsenal 2008 : La Gunners Academy revient aux racines du mal

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Wenger démission ?

Cette année, j’avais envie de faire mon devoir de mémoire. C’était dans les cartons depuis un petit moment, je dois avouer. Alors qu’Arsenal a rarement aussi mal joué depuis 15 ans, alors qu’Arsène n’a jamais été aussi proche du départ, alors que ses idées semblent se diluer dans une forme de pragmatisme stérile, j’ai voulu revenir sur cette folle saison 2007-2008. Sur cette période où Tonton a touché du doigt l’objectif final de son « Project Youth », celui qui lui tenait probablement le plus à cœur après les Invincibles : prouver que son équipe, jeune et inexpérimentée, était capable de gagner un titre majeur, avec style qui plus est. Cette année-là, Arsène manque de gagner ce pari peut-être trop osé. D’un cheveu. J’ai donc voulu revenir sur le moment où tout s’est pété lamentablement la gueule. C’était un samedi après-midi, dans la grisaille du nord de l’Angleterre. C’était le 23 février 2008 à Birmingham.

ON ÉTAIT JEUNES, ON ÉTAIT BEAUX…

Il reste alors douze matchs à jouer en Premier League et Arsenal s’avère être un leader aussi bluffant qu’étincelant. Purgé du poids de Thierry Henry, parti à Barcelone durant l’été, le potentiel du groupe a explosé. Cette équipe, qui ne jouait que pour les jambes vieillissantes du Français l’année précédente, est redevenue un collectif au sein duquel de nouvelles individualités s’expriment enfin pleinement. Un mec aussi improbable qu’Adebayor, plutôt chétif et maladroit jusque-là, devient un titulaire indiscutable à la pointe de l’attaque. Le prometteur Cesc Fabregas prend le costard principal et dirige le jeu des Gunners avec une maturité épatante. Hleb, Rosicky, Walcott et Diaby l’épaulent dans l’animation du jeu. C’est le Wengerball à son meilleur niveau. Une spontanéité et une justesse technique à crever. C’est beau, rapide, technique et en bonus, ça gagne. Avant ce match à Birmingham, Arsenal a cinq beaux points d’avance sur son dauphin, Manchester United, qui s’accroche toujours comme un vieux glaire.

Sur le papier, c’est un leader brillant qui se déplace chez un promu pas bien doué ; résultat attendu : un set à zéro, bisous, on rentre chez mémé. Cependant, en dépit de cette forme exceptionnelle et de son équipe taillée pour le titre, Arsenal est à ce moment-là en train de prendre un pli désagréable, qui va caractériser la fin de règne de Wenger. Une sorte de disposition gênante pour les défaites inattendues contre des équipes médiocres mais volontaires, surtout à l’extérieur. Leur seul et unique revers de la saison, les Gunners l’ont concédé à Middlesbrough, tandis qu’ils ont été poussés au nul à Blackburn et Portsmouth. Globalement des équipes de peintres, mais des résultats qui rappellent les défaites à City, Bolton, Fulham ou Sheffield en 2006-2007. A chaque fois ou presque, un stade de campagne étroit, un peu sinistre semble engloutir les joueurs au fur et à mesure du match. Une tendance se dessine donc, mais soyons francs, ce 23 février, rien n’augure de l’ampleur du désastre et de ses répercussions.

L’équipe alignée par Wenger n’est peut-être pas la meilleure qu’il ait sous la main, mais elle a de quoi rouler sur les Blues sans même transpirer. Devant Almunia, Gallas, nommé capitaine après le départ de Henry, doit faire équipe avec l’inénarrable Philippe Senderos et ses sourcils-conflexes, à cause de la blessure de Kolo Touré en Ligue des Champions. Clichy, qui réalise sa première grande saison, s’occupe du flanc gauche. Sagna, qui s’offre de très bons premiers mois au club, de la droite. L’équipe joue alors un 4-4-2 très fluide, dans lequel Fabregas se pose en quarterback tandis que Flamini s’occupe de casser du petit bois à ses côtés. Sur les ailes, on retrouve le virevoltant Alexander Hleb et ses cannes de septuagénaire anémique. De l’autre côté, un Walcott pubère et frisé vient suppléer Eboué et Rosicky. En pointe, Adebayor donc, et en soutien un type encore inconnu au bataillon quelques mois auparavant : le dénommé Eduardo da Silva, venu du Dinamo Zagreb pour remplacer Henry contre 13-14 millions d’euros. Une somme colossale pour un noname à la double nationalité douteuse (un brésilien croate, ça se fabrique pas dans toutes les marmites). Mais avec ses douze pions en trente matchs et son profil de finisseur, le Doudou commence alors à convaincre. Martin Taylor, modeste défenseur central de Birmingham d’1m93, va faire en sorte que sa popularité s’arrête là.

RÉCIT D’UNE DÉBANDADE  

Il faut en effet seulement deux minutes trente de jeu pour que le match bascule et que le brontosaure Taylor évente les perspectives de carrière d’Eduardo. Sur un ballon finalement anodin récupéré par le buteur d’Arsenal à plus de trente mètres des buts de Birmingham, le central des Blues se lance de tout son poids sur la jambe tendue du Croate, plusieurs centimètres au-dessus de la cheville. Celui-ci s’écroule, dos à la caméra. Deux minutes trente de jeu. Taylor, un genou à terre, affiche la mine désolée du type qui a pété un truc sans faire exprès. Flamini lui aboie dessus et lui signifie avec un accent marseillais prononcé que sa maman devrait aller sucer des nœuds. Fabregas s’approche d’Eduardo, inerte, et fait immédiatement de grands signes paniqués vers la touche. Le mec est horrifié, s’agite dans tous les sens, se plaque les deux mains sur le front. Il suffit seulement d’un regard à Mike Dean pour comprendre la gravité de la situation et sortir un rouge direct pour Taylor. Pendant que les soigneurs font leur travail, le réalisateur enchaîne les plans sur les visages de Hleb, d’Adebayor, livides. Et pour cause, après neuf longues minutes d’intervention, Eduardo sort sur civière, oxygène sur le museau, avec une fracture ouverte de la jambe et une cheville disloquée.

Cet événement, aussi violent que rare, va faire dérailler toute la saison d’Arsenal. Que ce soit sous le coup de l’inexpérience ou d’une réaction profondément humaine, les Gunners encaissent mal. Leur première période est famélique. Et en face, Birmingham, même réduit à 10, se contrefout des états d’âme de son adversaire. Ce cher James McFadden – le même qui a nettoyé la lunette de Mickaël Landreau quelques mois auparavant – perturbe les Gunners et vient arracher un coup-franc juste devant la surface, suite à une faute de Flamini. L’histoire se répète, l’Écossais s’offre la lucarne, profitant de la main un peu molle d’Almunia. La gifle est lourde. Arsenal voit flou et manque la double peine durant le temps additionnel rallongé de la première période. Montés beaucoup trop haut, Arsenal oublie McFadden dans son dos, lancé en profondeur par un long ballon de la défense. Gallas tente bien de le mettre hors-jeu d’une sortie confinant à la débilité, mais le salut vient finalement de la maladresse de l’ancien joueur d’Everton, qui foire complètement sa frappe finale. Il faut avouer que Senderos était revenu à grandes enjambées. Forcément, ça coupe les jambes.

La mi-temps arrive donc à point nommé, et le passage au vestiaire semble stabiliser une équipe traumatisée. Arsenal reprend le contrôle du cuir et refuse même clairement de le partager. L’autre Taylor, celui qui est resté sur le terrain et qui garde les bois de Birmingham, commence sa session Superman. Il se charge de sortir avec un minimum de style la frappe enroulée de Fabregas, puis la reprise de Hleb. Mais ce bombardement présente le net avantage d’offrir des corners à Arsenal. Deuxième poteau, Adebayor rabat au point de penalty et Theodore James Walcott reprend de l’extérieur pour placer le ballon sous la barre. Son premier but en Premier League. Il en plantera 99 autres, en devenant dans le même temps 99 fois plus nul. Mais c’est une autre histoire. Ce jour-là, Walcott est un héros. Car après une nouvelle frappe de Hleb et un poteau de Fabregas, il profite d’un ballon mal contrôlé par la carotide de Ridgewell pour aller fixer plein axe et balancer une frappe croisée de l’intérieur du gauche, qui finit dans le petit filet d’un Taylor cette fois trop lourdaud pour y aller.

On se dit rideau. On se dit maintenant, on plie les gaules et on rentre à la maison. Adebayor se paie même le luxe de croquer deux duels, le premier tout seul comme un grand, le deuxième en oubliant un Bendtner complètement esseulé à sa droite. Tant pis, ça fera l’affaire, on est déjà passé pas loin de la catastrophe. Mais il faut croire que le petit Gaël Clichy n’a pas été aussi sensible que les autres à la cellule psychologique mise en place dans le vestiaire. Ce sont les derniers instants de ce match de l’Enfer, et depuis la droite Birmingham balance un ballon tout pourri dans la surface. Flamini n’a aucun mal à écarter sur Clichy, qui va pouvoir mettre une grande chiche devant tranquillou. Le Français s’écarte du ballon pour mieux juger la situation, regarde devant, puis regarde derrière lui pour être sûr. Trop longtemps. Parnaby, qui traînait sur l’aile, se jette sur la gonfle et le crochète à l’intérieur. Clichy, en retard, réussit tout de même à prendre le ballon. Mais en bon gaucher, il défend du pied gauche là où il aurait dû mettre le pied droit ; son tacle a beau être licite, sa jambe traverse la course de Parnaby et le formidable Mike Dean pointe le point de penalty.

CESC PUIS RIEN

Comme une vieille canalisation pourrie, le mental de l’équipe se fissure. Clichy reste cloué au sol. Alors qu’il devrait jouer le rôle de patron, Gallas, lui, explose en vol. On le voit au bord de la crise d’épilepsie sur le terrain, en train de péter un câble au vu et au su de tous. Une colère non pas dirigée contre l’arbitre mais bien contre ses coéquipiers. L’ancien joueur de Chelsea, qui se laisse alors pousser une crête affreuse, va jusqu’à shooter dans un panneau publicitaire. Averti, il part s’asseoir dans le rond central, dos au but d’Almunia dans lequel McFadden s’apprête à expédier son égalisation. Un leader, un vrai, un bonhomme, dont les enfantillages dureront encore de longues minutes après le coup de sifflet final : ce sera à Wenger de venir le chercher sur la pelouse pour rentrer au vestiaire. Neuf mois plus tard, Gallas perdra le brassard au profit d’un gamin de 21 ans. Mais ce n’est qu’une des dimensions dramatiques de ce match, dans le sens propre du terme. Avec le recul, tellement de choses se sont jouées ce jour-là. Tellement de choses ont commencé à partir en sucette à partir de ce moment. L’influence de Gallas dans le vestiaire d’Arsenal en fait partie bien entendu. Son capitanat à la suite du match à Birmingham ne cessera d’être remis en question et d’être la source de conflits internes.

Cette rencontre signe également la fin de la carrière potentielle d’Eduardo qui ne se remettra jamais de sa blessure, en dépit d’un rare soutien du club et d’Arsène. Tonton tentera en effet de le relancer plusieurs fois sans jamais qu’il ne retrouve son niveau ou sa santé. Mais comme je le disais en introduction, ce match signe le début de la fin de cette fabuleuse saison et des espoirs de titres d’Arsenal, qui ne se remettra pas de cette blessure individuelle et collective. Dans les sept matchs qui suivront, les Gunners n’arracheront qu’une seule victoire à Bolton, pour quatre matchs nuls et deux défaites. Enterrées les promesses de titres. Les hommes de Wenger redeviennent cette équipe friable, jeune, inexpérimentée. Et Arsène laisse là passer sa plus belle chance de réussir son idéal. Une chance qui ne se présentera plus jamais ensuite.

18 thoughts on “Birmingham – Arsenal 2008 : La Gunners Academy revient aux racines du mal

  1. « Dans les sept matchs qui suivront, les Gunners n’arracheront qu’une seule victoire à Bolton, pour six matchs nuls et deux défaites. »

    1 + 6 + 2 = 9

    Non ?

  2. Très intéressant. D’autant que Birmingham a recassé l’élan d’Arsenal en 2011 en finale de coupe de la ligue.

    Wenger démission.

  3. A ce rythme là on à l’académie du match d’hier en 2026. Rdv est pris. Wenger castration, si ce n’est pas déjà fait. Le type vient de prendre 10/2 face au Bayern et charge l’arbitrage. Pas une once d’auto-critique, il préfère rester dans le déni.
    Et toi tu lui cherches des circonstances atténuantes. Effort louable mais chercher des explications de la déroute actuelle dans une défaite qui a eu lieu 9 ans auparavant, je trouve ça légèrement capillotracté. Il y a de nombreux autres facteurs bien plus importants qui en sont responsables, la plupart en dehors du terrain. Tournez vous vers le board et ses choix stratégiques. Ce club n’a d’intérêt que pour les fondus de comptabilité.

  4. Comme un symbole.
    C’est toujours tentant comme exercice de trouver le fameux « moment où tout a basculé », mais bon relier d’un match qui date d’il y a neuf saisons à aujourd’hui… Pas le même contexte, mpas la même équipe.
    Arsenal ne s’est jamais effondré, on n’a plus gagné le championnat c’est différent. Il y a d’autres facteurs à ça que la fin d’un style de jeu : la formation qui n’a pas sorti de grand joueur, le départ de bons éléments (fabreguas, clichy, sagna, van persie), les blessés chroniques (diaby, rosicky, cazorla), les promesses déçues (arshavine, walcott, ramsay). Listes non exhaustives et dans le désordre complet, hein, j’écris comme ça vient.
    Merci quand même pour ce beau récit et pour Eduardo.

  5. Mais est ce qu’Arsenal veut vraiment gagner depuis ce temps là ?
    Je veux dire, ils devaient avoir envie de gagner à pas cher, ça a pas marché, ils ont pas eu plus envie de claquer du pognon… C’est rentable de pas gagner dans une situation comme Arsenal non ? C’est dur pour ses supporters mais pour les proprio c’est mieux.

  6. @Enogabalo et @Spado : Alors moi j’ai une vraie question c’est : à quel moment ce papier est-il une justification, ou même simplement à quel moment j’ai fait un lien de cause à effet? J’aimerais comprendre parce que je fais un 10000 signes et vous arrivez à le comprendre de travers. C’est fou

    @Mech : c’est plus compliqué et il me faudrait quelques dizaines de minutes pour expliquer un peu le process derrière ma politique financière d’Arsenal.

    Les autres : merci beaucoup, bises anales.
    Pour les

    1. Tout est dans le timing. Comme tu le dis si bien toi-même au début de ton papier : « C’était dans les cartons depuis un petit moment, je dois avouer. Alors qu’Arsenal a rarement aussi mal joué depuis 15 ans, alors qu’Arsène n’a jamais été aussi proche du départ, alors que ses idées semblent se diluer dans une forme de pragmatisme stérile, j’ai voulu revenir sur cette folle saison 2007-2008. »
      Tu as voulu remonter aux origines du mal, au début de la fin : »J’ai donc voulu revenir sur le moment où tout s’est pété lamentablement la gueule. »
      Dire que l’on comprend de travers n’est pas très honnête de ta part.

  7. Le lien est présent dès le titre. « Les racines du mal ».
    Ensuite tu dis que la blessure d’Éduardo fait basculer toute la saison, puis « tellement de choses sont parties en sucette à partir de ce moment là » et d’autres encore au fil du récit et en conclusion…
    Donc grossièrement moi je comprends « Je vais vous parler du match 1vant lequel Arsenal était une équipe brillante qui allait tout gagner et après une bande de gnous menés par un vieillard sénile ». Si je comprends de travers, quelle était ton intention ?

  8. @Spado : Alors. Oui, c’était un papier que j’avais envie de faire depuis un moment. Vu qu’Arsène semble proche de la fin au club, je me suis dit que c’était le bon moment de parler de son projet Youth presque abouti et du moment précis où ça a capoté ; où le projet a capoté donc, pas tout le reste de ce qui s’est passé ensuite ! Là y a incompréhension. Et d’autre part, on jouait extrêmement bien à l’époque, tout en étant friables sur les contres etc. et aujourd’hui on joue dégueu, en partie parce qu’Arsène a cherché à compenser. Ça donnait un deuxième argument pour lécrire maintenant, cette opposition de style. Donc pardon mais oui vous avez compris de travers.

    @Enogabalo : 1) Les racines du mal, c’est une blague et je pense plus aux racines du mal de la saison 07/08 en l’occurrence. 2) Tu le dis toi-même tu comprends grossièrement. Ton résumé entre guillemets a beau être caricatural, tu me prêtes des mots et des idées qui ne sont nulle part dans le papier. Tellement de choses ont basculé ce jour-là POUR LA SAISON EN QUESTION. Je suggère rien d’autre. Idem pour la conclusion quand je dis que Wenger laisse passer sa plus belle chance d’accomplir son idéal : avec le recul, 07-08 était clairement la plus belle opportunité pour son projet Youth.

    Je vois vraiment pas comme vous avez extrapolé mes propos à ce point messieurs…

    1. Bon ben je vais pas re-citer ce qu’a déjà cité Spado, mais vu que tu fais le lien passé présent dès l’introduction, tu m’a perdu dès le départ (et je suis pas le seul apparemment).
      Mais bon OK c’est clarifié maintenant, merci. Les capitales n’étaient pas indispensables, même si mes interventions manquaient peut-être de finesse.

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