Après une longue période d’inactivité, nous voilà de nouveau ensemble pour évoquer, enfin, la seule plume qui puisse se confronter sans trop rougir à Morlino.

Commençons comme à notre habitude par une petite introduction étymologique. Vous savez que j’en suis friand, et vous avez vu dans notre dernier papier comme cette discipline sous-estimée, hélas !, par les tenanciers louches du PAF et les auteurs à la mode peut révéler dès l’abord le fond du problème. Mais voilà : depuis cet infâme Suisse nommé Saussure, nos analyses cratyléennes sont constamment moquées par les milieux autorisés. Et pourquoi cet ignoble Helvète, cet abscons Genevois s’est-il attelé à cette destruction, sinon à cause de son nom qui ne peut cacher ni la profession de ses ancêtres ni leur défaut de prononciation atavique ? Rentre dans ta boîte, Saussure ! L’avenir appartient à ceux qui sauront lire les signes !

Mais je m’égare. Balbir vient sans aucun doute du bas-latin hispanique « balbira », qui veut dire soubrette, ou danseuse, ou actrice ; en tout cas, jeune fille jolie et de mœurs légères. Ce sens survivra assez faiblement pendant tout le Moyen-Age latin, comme le prouve la célèbre chanson à boire des Carmina Burana : « In taberna quando sumus, balbiris gaudeamus », mais il sera supplanté plus généralement par une autre signification. Par extension, « balbira » désignera le bruit que font ces jeunes filles, le délicieux gazouillis, l’agréable babil que l’homme n’écoute que d’une oreille mais qui repose son cœur de chasseur-cueilleur.

Le mot va cependant prendre une toute autre tournure en Germanie. Depuis les hauteurs les plus vertigineuses du Moyen-Age allemand, en effet, le balbiriûn devient un ensemble de mots sans suite que divague le druide en transe, ou que hurle le guerrier qui se prépare au combat : il devient un genre littéraire à part entière sous le nom de Balbierung et connaîtra son heure de gloire avec des Minnesänger comme Oswald von Wolkenstein ou Wolfram von Eschenbach. Citons le plus célèbre, qui vient à l’esprit de tout homme de goût dès qu’il entend parler de Balbierung : « Man liebt Sein und Zeit Ergebnis, aber nicht für eine gute gemütliche Tafelspitz mit Reuss », avec son fameux surrelatif à contre-emploi. Plus près de nous, Wagner a revitalisé ce procédé dans sa Tétralogie, avec les fameux hurlements des Walkyries : « Heiaha ! Heiaha ! Hojotoho ! Hoiho ! », etc, qui sont le comble du Balbierung, pourrait-on dire, et qui renouent –curiosité de l’histoire ! – avec le sens latin de balbira, quand on admet que ces cris d’Amazones sont une douce mignardise pour une oreille allemande.

Pour information, notons aussi que balbira, après fricassée du « b » en « s », battue du « a » en neige et émulsion du « l », a également donné un autre mot de la langue française : sabir, qui désigne un langage inconnu par l’auditeur.

Cette introduction un peu longue, et je m’en excuse, nous fournit donc le mot de passe à l’œuvre de Denis, avant même d’y avoir jeté un œil (et dire que l’étymocritique est encore dépréciée par toutes les universités françaises !) : nous savons d’ores et déjà que le sens des mots ne sera pas la préoccupation principale de l’auteur, et qu’ils seront pris dans des phrases où le rythme comptera plus que la cohérence. En bref : un rapport au verbe presque poétique, où la figure de style retrouve toute sa noblesse. Et comment dire que nous avons tort, en lisant des extraits méditatifs comme ceux-ci :

«Les hommages à Thierry Henry vont tomber toute la journée à juste titre comme les feuilles d’un platane secoué par un vent fort. […] 7 mois chez les Bianconeri et 3 buts, ce sera pour des raisons tactiques donc surtout, son seul échec… La poisse avec la Juve qui éliminera un peu avant Henry en demie finale de la Ligue des Champions, malgré une année fastueuse pour celui qui fêtait sa réussite en secouant le poteau de corner comme un mousquetaire agrippé à son épée. »

Ou encore cette phrase diamantine :

« Plus loin, au Sud très loin, pendant ce temps-là, Guingamp gagnait ses galons de seul représentant français au mois de février, pour les 16èmes de finale attendant sourire au bord des lèvres le prochain adversaire qui sera l’invité de la fête à Guingamp qui verra pour cette occasion les yeux rivés sur les Côtes d’Armor et sur le Roudourou. »

Plus encore que ces magnifiques comparaisons ou que cette rhétorique qui fait penser aux meilleures périodes de la prose champignacienne, j’aimerais mettre l’accent sur une autre figure de style, qui est la vraie marque des plus grands : l’anacoluthe.

L’anacoluthe est l’équivalent, en langage vulgaire, du coq-à-l’âne ; le dernier Chateaubriand en fait un usage exquis dans sa Vie de Rancé, même si certaines mauvaises langues parlent de sénilité. Elle date de la plus haute antiquité, et est le sujet d’une des Centuries les plus mystérieuses de Nostradamus :

« Si tu recusles quand je cicastrise

Comment veulx-tu que je coasgule ;

Si tu recusles lorsque je turluste

Comment veulx-tu que j’anacolusthe ? »

Or notre Balbir se hisse sans effort apparent au niveau de ces grands noms :

« Jardim, ce quasi inconnu, sans renverser les montagnes, car dans le jeu les progrès restent à faire, le résultat est là en Ligue des Champions, et une certaine remontée est amorcée en championnat. »

Et comme ses illustres devanciers, il est traîné dans la boue par de misérables individus qui le taxent de solécismes et de syntaxe improbable. La vérité est là : Balbir est l’avenir de la littérature et du journalisme, et il fait exploser les cadres de la phrase post-moderne qui n’en a déjà plus, ce qui est d’autant plus fort. Aux chiottes, Duras ! Balbir est là ! Balbirella ! Barbarella ! Barbapapa !

PS : je viens de me relire et je trouve mon texte bien embrouillé. Je crois même que je me suis mis au Balbierung à la fin. Ne m’en veuillez pas, je crois que mon sujet m’a un peu trop gagné. Je suis un peu barbouillé.

Cascarinho

9 thoughts on “Balbir, babils et sabirs

  1. Qu’il est difficile d’être ainsi pris à parti lorsque, sans être le meilleur bien sûr, mais sans non plus prétendre l’être, ou comme le premier Youri tentant de rendre hommage au grand Thierry Henry avec toute la fougue d’un cèdre sous la tempête automnale en faisant semblant de ne pas considérer qu’on l’est, malgré les bravos et la reconnaissance publique, et sans toutefois vouloir prétendre à une considération particulière, car qu’on le veuille ou non, il y a toujours pire. Même si ça se joue à rien.

  2. Mon plus beau souvenir de Denis Balbir, c’était ce match d’Europa League qui était proposé en version multilingue.

  3. Génial, merci. Je lirai le texte sur Morlino aussi.

    Il faudrait parler à Denis Balbir de Denys l’Aréopagite, son invitation aux silencieuses ténèbres (pour accueillir la lumière divine en soi) nous fera des vacances.

  4. Le perfectionnement des proses Balbiriennes de Menes2society est en bonne voie, merci pour l’effort.

    Merci Cascarinho pour ces précisions concernant Denis, ce visionnaire.

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