La Jup’ : Le scandale Standard / Waterschei et l’Euro 84

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Bernard Tapie n’a rien inventé.

Le scandale Standard de Liège / Waterschei et son impact sur l’équipe nationale belge

 

À l’automne 1983, alors entraînée par Guy Thys, la Belgique se qualifie pour le Championnat d’Europe des Nations qui se tient l’année suivante en France. Finaliste de l’édition 1980, présente à la Coupe du Monde 1982 (où elle battit en match d’ouverture l’Argentine championne du monde en titre), la Belgique est alors considérée comme une des meilleures nations européennes grâce notamment à sa défense. Lors des deux dernières saisons, les clubs belges se sont également fait remarquer sur la scène européenne, le Standard accédant à la finale de la C2 en 1982 et Anderlecht ramenant la Coupe de l’UEFA pour la première fois en Belgique en 1983.

La colonne vertébrale de l’équipe est alors composée de Jean-Marie Pfaff (Bayern Munich) dans les buts, des deux Standardmen Eric Gerets et Walter Meeuws en défense, des Anderlechtois Frankie Vercauteren et René Vandereycken et de l’Interiste Ludo Coeck au milieu, et de Jan Ceulemans (Club Brugge) et Erwin Vandenbergh (Anderlecht) en attaque. Terminant premiers des éliminatoires de leur groupe comprenant l’Ecosse, la Suisse et la RDA, les Diables sont cités parmi les équipes ayant une vraie chance de remporter le tournoi. Le tournoi tournera au fiasco. En cause, un scandale au cœur du football belge qui éclata au début de l’année 1984 et qui déchira le groupe.

 

Entraîné par Raymond Goethals, le Standard de Liège reste sur deux titres de champion (1982 et 1983) grâce à leur capitaine Eric Gerets, mais aussi Walter Meeuws, Gérard Plessers, Guy Vandermissen, Jos Daerden ou bien encore les néerlandais Arie Haan et Simon Tahamata. Les Rouches étaient toutefois un peu plus en difficulté en 1983/1984 en raison des départs de Gerets à l’AC Milan et de Haan au PSV Eindhoven.

  goethals

En vue du Championnat d’Europe, la Belgique devait affronter la RFA en match amical, le 29 février 1984. C’est lors de la préparation de ce match qu’éclate le scandale. Depuis octobre 1983, le juge Bellemans enquête en effet sur les caisses noires des clubs professionnels belges. Pour découvrir de quoi il s’agit, Il faut remonter à la fin de la saison 1981/1982 : le Standard est alors leader du championnat mais n’a que deux points d’avance sur le grand rival Anderlecht avant le dernier match de la saison, face à Waterschei le 8 mai. De plus, le Standard doit jouer quatre jours plus tard la finale de la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe face au FC Barcelone.

Pour s’assurer du titre et pour préserver les joueurs avant la finale européenne, ainsi que persuadé de l’existence d’un complot pour empêcher le sacre du Standard, Goethals propose de soudoyer quelques joueurs de Waterschei. Roger Petit, « Monsieur Standard », le plus grand dirigeant du football wallon, au club depuis 1931, hésite puis accepte. Goethals aurait convaincu dirigeants et joueurs en affirmant que « si on ne le fait pas, les autres le feront » (sous-entendu, Anderlecht va acheter son match de son côté, une victoire étant indispensable pour être champion). Eric Gerets fut chargé de signer le contrat avec leurs “adversaires”. Ce n’était en effet pas très compliqué : le frère de Gérard Plessers, Pierre Plessers, était à la fois un joueur de Waterschei et le voisin de Gerets. Gerets lui-même était le meilleur ami de Roland Janssen, alors capitaine de Waterschei. Le Standard proposait différentes primes, pour un total de 420 000 francs belges (environ 12 000 €).

Le Standard battra Waterschei (qui était sauvé et se concentrait de toute manière sur sa finale de Coupe de Belgique) et sera sacré champion. Quelques jours plus tard, ils se feront voler en finale de C2 au Camp Nou. On y reviendra d’ailleurs prochainement pour un article « en-direct-avec-31-ans-de-différé ».

geretsEric Gerets, capitaine du Standard lors de la finale de C2 Barcelone-Standard / 12 mai 1982.

 Le 22 février 1984, des perquisitions sont menées au Standard par la Brigade Spéciale de Recherche, qui saisit la comptabilité du club et une caisse noire de Roger Petit.

Le 24 février 1984, pendant leurs interrogatoires, Petit et Goethals passent aux aveux et reconnaissent avoir commis des faux pour éviter l’impôt. L’argent destiné aux joueurs de Waterschei est en effet découvert dans la caisse de Petit, avec comme référence « Goethals-Genk 50 000 / 150 000 F » (Waterschei était un club localisé à Genk). Le 28 février 1984, à la veille du match amical face à la RFA, Eric Gerets passe lui aussi aux aveux et reconnait avoir acheté des joueurs adverses lors de la dernière journée pour assurer le titre au Standard. Le lendemain, Petit et Goethals démissionnent. Craignant un redressement fiscal, Petit avoue finalement la corruption. Goethals ne le fera jamais. Le 1er mars, l’AC Milan licencie Eric Gerets. Le 2 avril, l’Union Belge annonce ses sanctions : Petit et Goethals sont radiés. Les joueurs du Standard Jos Daerden, Walter Meeuws, Theo Poel, Simon Tahamata, Michel Preud’homme, Gérard Plessers, Guy Vandermissen, ainsi que Roland Janssen et Aimé Coenen côté genkois, sont suspendus un an (réduit à 6 mois en appel). Initialement suspendu trois ans, Gerets voit sa peine réduite à deux ans en appel. Arie Haan est acquitté, maintenant qu’il était opposé à la transaction (ce qui sera confirmé par plusieurs de ses ex-coéquipiers).

Ces suspensions eurent de grandes conséquences sur l’équipe nationale. En l’absence de joueurs majeurs, le sélectionneur Guy Thys dut faire une course contre la montre pour monter une équipe décente lors du tournoi. Pour rendre les choses un peu plus difficiles, le défenseur expérimenté Michel Renquin renonce à l’Euro 84. Titulaire grâce aux différentes suspensions, Renquin revient déçu par l’ambiance du groupe lors d’un stage et préfère disputer un match d’appui pour le titre avec son club (le Servette de Genève) le 15 juin, après le début de la compétition. Cela permet à de jeunes joueurs d’être appelé chez les Diables, comme le défenseur Georges Grün, Enzo Scifo (qui a reçu la citoyenneté belge quelques jours avant la compétition), ou encore Walter De Greef et Paul Lambricht. Au final, sur les 20 joueurs sélectionnés pour la Coupe du Monde 1982, 11 ne font pas partie du court voyage en France Jan Ceulemans récupère le brassard de capitaine et ne le rendra qu’à la fin de sa carrière en équipe nationale, en 1991.

Avec cette équipe pourtant loin d’être solide, la Belgique gagne avec surprise son premier match contre la Yougoslavie, le 13 juin 1984 à Lens. Les Diables l’emportent 2 à 0, grâce aux buts d’Edwin Vandenbergh et Georges Grün. Néanmoins, on comprendra au match suivant que cette victoire tenait plus des faiblesses yougoslaves que des forces belges. En effet, le 16 juin, à Nantes, la Belgique va offrir sa prestation la plus faible de la décennie face aux futurs champions d’Europe français. Surpassés par Platini qui marque trois fois, les Diables s’inclinent 5-0. C’est la plus grosse défaite depuis un même 5-0 face aux Pays-Bas lors des éliminatoires de l’Euro 1976. Sans ses habituels maillons forts, la défense a semblé perdue. La Belgique peut encore toutefois se qualifier en battant le Danemark, le 19 juin à Strasbourg. Mais malgré une avance de deux buts (Ceulemans et Vercauteren), elle sera défaite 3-2 par une équipe danoise comprenant plusieurs joueurs anderlechtois. La Belgique est éliminée.

Ce tournoi ramena la Belgique sur terre et Guy Thys comprit qu’il était nécessaire de reconstruire un groupe si les Diables souhaitaient se qualifier pour la Coupe du Monde 1986 au Mexique. L’année 1984 se termine de triste manière, avec une défaite 2-0 en Albanie dans le cadre des éliminatoires. Le seul point positif de cette année est l’éclosion d’Enzo Scifo. En ce qui concerne les Standardmen suspendus, Poel, Vandermissen et Preud’homme ont choisi de rester au club et de purger la suspension et furent autorisés à jouer au milieu de la saison 1984-1985. Raymond Goethals est parti entraîner le Vitoria Guimaraes au Portugal. Jos Daerden, Walter Meeuws, Simon Tahamata et Eric Gerets ont rejoint les Pays-Bas, respectivement Roda, l’Ajax, le Feyenoord et Maastricht. Gérard Plessers signa à Hambourg. Même de nouveau autorisés à jouer, Thys ne les rappela pas pour les matchs du printemps 1985, officiellement en raison de leur possible manque de forme. Il faudra attendre l’automne pour revoir Gerets, qui a rejoint entre-temps le PSV, et solidifier la défense. Walter Meeuws ne sera jamais rappelé.

La Belgique se qualifia finalement pour la Coupe du Monde en éliminant les Pays-Bas lors des barrages, où ils créeront la surprise en accédant aux demi-finales, grâce aux qualités de Guy Thys pour instaurer de nouveau la confiance à une équipe brisée.

Le scandale affaiblit grandement le Standard qui devra attendre 25 ans avant d’être de nouveau champion (2008) avec à sa tête…Michel Preud’homme.

Preud'homme - Twitter

À la surprise générale, Walter Meeuws devint en 1989 sélectionneur de l’équipe nationale. Il fut licencié moins d’un an plus tard, après un nul face au Luxembourg. Michel Preud’homme rejoignit Malines en 1986 et devint le gardien n°1 des Diables après la retraite internationale du fabuleux Pfaff en 1987. Il fut même élu meilleur gardien de la Coupe du Monde 1994, avant de rejoindre Benfica, où il termina sa carrière. Raymond Goethals mena Marseille à la victoire en Ligue des Champions, dans des conditions étrangement similaires : le match VA-OM fut en effet acheté afin d’assurer le titre aux Olympiens tout en se préservant pour la finale face à Milan six jours plus tard.

Cette affaire parait aujourd’hui bien lointaine et beaucoup d’amoureux du football seraient bien incapables de citer les personnes impliquées. À l’exception de Roger Petit, toutes ces personnes ont pu rebondir dans un autre club, un autre championnat, et montrer qu’ils étaient capables d’amener une équipe vers les sommets, uniquement grâce aux performances sur le terrain.

Pour les néerlandophones, la chaîne de télévision belge Belga Sport a produit un documentaire de 55mn, trouvable en 6 parties sur Youtube.

Cet article est une adaptation d’un texte anglais trouvé il y quelques semaines, auquel je me suis permis de rajouter quelques informations. Je remercie l’auteur pour avoir écrit sur ce sujet, je l’emmerde de ne pas avoir répondu à mon mail demandant l’autorisation de traduction, de modification et de publication de son œuvre.

Si vous ne l’avez pas encore fait, n’hésitez pas à aller lire le précédent article historique :

Malines 1988, la légende.


Chères lectrices, chers lecteurs, n’oubliez pas que vous pouvez me retrouver sur Facebook et, ô nouveauté, sur Twitter. Le championnat reprend en fin de semaine prochaine, mais on aura droit à la Supercoupe dimanche 21 entre Anderlecht et Genk.

Viendez retrouver notre pote Bart Van den Van Krrr, il se fera un plaisir de vous accueillir. Lui aussi est sur Twitter, mais depuis plus longtemps, Bart est moderne.

Pour finir, si vous ne l’avez pas encore fait, likez la Jup’ Académie !

Jean-Marie Pfouff.

9 thoughts on “La Jup’ : Le scandale Standard / Waterschei et l’Euro 84

  1. Raymond Goethals, c’est un peu le Sam le Fermier du foot. Sam le Fermier étant un des gars de la bande de Joss Jamon dans Lucky Luke : il est dans tous les mauvais coups, mais sa bonne tronche d’honnête homme le fait toujours passer entre les mailles du filet.

  2. C’est vrai que le Championnat d’Europe de 84, il y avait moyen de le gagner. La Belgique aurait limite pu gagner dans la foulée la Coupe du Monde de 86. Putain d’injustice !

  3. Encore un bon article. Vous en avez pas marre de faire que du bon, tous les deux ?
    Entre vous et Tristan Trasca, je vais plus vouloir écrire mes petits articles. J’aurai trop honte. ^^

    Plus sérieusement, c’est quand même une sacrée histoire qui nous est contée là.

    Dans le fond, Bart et toi, vous préférez Preud’hommes, ou Plaff ? (Même si pour toi, je crois que j’ai une idée…)

    Comment est vu Gerets, au pays, est-ce une idole, en dépit de tout ça ? Ou un mec conspué parce qu’il porterait une grosse responsabilité sur les épaules ?

  4. Il faut féliciter Jean-Marie, tous les bons articles de la Jup’ passent par lui. Moi, à part des articles pipi-caca, ça vole pas haut.

    Sur la question Pfaff/Preud’hommes, j’aurai toujours une petite préférence pour Pfaff. Pour le nom, déjà, et ensuite parce qu’il incarnait l’épopée de 86.

    Enfin, pour Gerets, il reste très apprécié des Belges, il est quand même un des plus capés de la sélection (86 capes), et son parcours en fait un des plus grands joueurs belges.

  5. @Bart : Taratata, si je passe du temps sur d’autres formes d’articles, c’est aussi parce que je sais qu’il y a des lecteurs réguliers que tu as su fidéliser ! Le mérite te revient bien plus !
    Et en effet, on aurait pu être les premiers champions d’Europe / Champions du monde en titre. Tant pis, on sera les 3èmes.

    @Wayne : Pfaff évidemment de mon côté. Même si les deux étaient d’excellents gardiens, Pfaff a toujours eu un côté plus déluré. Si tu as vu ‘Le Foot en Folie’ il y a 15-20 ans, on signale que Pfaff mangeait ce que les supporters lui envoyaient sur le terrain. Ça me plait. Plus récemment, il a fait une télé-réalité avec toute sa famille, ou il a chanté sur scène avec une gloire locale. Un petit côté beauf, bon-vivant, qui a envie de s’amuser.
    Preud’homme est plus sérieux, plus sobre (et d’excellents résultats en tant qu’entraîneur).

    Gerets n’a en effet rien perdu de sa popularité (ou il l’a retrouvée, en tout cas). Il était souvent pressenti pour remplacer les différents sélectionneurs (Advocaat, puis Leekens) ou trouver un poste d’entraîneur en 1ère division. Donc aucun souci pour lui aujourd’hui !

  6. @Bart et Jean-Marie : Il faut aussi signaler que vous prenez très souvent le temps de répondre aux commentaires, c’est pas le cas de tous les académiciens.

    Pour ce qui est du foot en folie, je n’ai pas pu le voir à l’époque, trop jeune que j’étais mais j’ai pu le faire assez récemment, oui. Je comprends ce qui peut plaire chez Pfaff. Et je demandais aussi parce que je connaissais d’avantage Preud’homme.

    J’étais assez sur le cul quand vous aviez indiqué une première fois que Gerets avait servi d’intermédiaire pour une affaire de corruption, parce que je l’apprécie beaucoup et qu’il me semblait plutôt intègre. Et comme je ne connais pas nécessairement la relation que noue les supporters belges à leurs joueurs, ça me paraissait intéressant de voir si le mec était mieux vu à l’étranger que dans son propre pays.

  7. Superbe article ! Voici ce qu’on en dit à Anderlecht:
    Quel est la ressemblance entre Napoléon, Nixon et le Standard? Napoléon a son Waterloo, Nixon a son Watergate et le Standard son Waterschei ;-)

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