Le 11 mai 1988, au stade de La Meinau de Strasbourg, Malines remporte la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe. La plus belle page du club, le dernier trophée européen d’une équipe belge.

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Malines était alors un club inconnu du grand public. Qui se souvient encore de ses trois titres de champion obtenus dans les années 1940 ? Il est vrai qu’à l’époque, on avait peut-être mieux à faire. L’heure de gloire malinoise semblait être passée, et personne ne s’était rendu compte qu’il y en eût une. La suite, c’est une deuxième place en 1954, une finale de Coupe en 1967, mais surtout 5 relégations (et autant de montées) entre 1956 et 1983.

Lors de la promotion en D1 en 1981, John Cordier devient actionnaire du club. Il est riche mais complètement incompétent dans le domaine footballistique. Après une nouvelle relégation dès l’année suivante, il est nommé président. Les Sang et Or ne passeront qu’une saison dans l’antichambre de l’élite. Champions de D2, les Malinwa confirment en terminant à la 6ème place de D1 en 1983-1984. L’équipe se forme petit à petit, avec quelques difficultés : Malines termine 12ème en 1985 mais a beaucoup de mal au début de la saison 1986-1986.

Les premiers contacts avec Aad de Mos ont lieu en octobre. De Mos vient de passer cinq ans à la tête de l’Ajax (3 titres de champion) et est libre. Un accord verbal pour prendre en main l’équipe au début de la saison 1986-1987 est conclu. Mais Malines s’enfonce et file droit vers la D2. L’entraîneur Ernst Künnecke est remercié, et De Mos accepte de reprendre en main l’équipe en février 1986. Malines terminera 11ème. Au mercato estival, Cordier souhaite investir, « bâtir un grand club avec [son] argent ». De Mos fait sa liste : le gardien du Standard Michel Preud’homme est la première recrue. Suivent Clijsters (Waterschei), De Nil et De Mesmaecker (RWDM) ainsi que Deferm (Antwerp). Les résultats sont immédiats : en 1986-1987, vice-champions, les Kakkers (ça en fait des surnoms !) gagnent également leur première Coupe de Belgique en battant le RFC Liège (plus ancien club francophone de Belgique, fondé 6 ans avant le Standard). Le KV Mechelen gagne donc le droit de faire leurs premiers pas sur la scène européenne.


1er tour

Le premier obstacle s’appelle le Dinamo Bucarest. Tirer un demi-finaliste récent de Ligue des Champions n’est pas l’idéal, surtout quand on peut tomber sur un club bien plus abordable, comme les Maltais de Sliema, les Irlandais de Dundalk ou les Luxembourgeois de l’Avenir Beggen. On trouvait au sein de l’effectif roumain des joueurs tels que Mircea Rednic (entraîneur du Standard jusqu’en juin dernier, n’oubliez pas d’aller voir les raisons de son départ), Florin Raducioiu (passé par Monaco au début des années 2000), ou Dorin Mateut, petit milieu offensif qui permit à l’avant-centre Camataru de devenir Soulier d’Or en 1987, avant que Mateut ne le devienne lui-même deux années plus tard.

Le premier match européen de Malines a donc lieu le 16 septembre 1987 à l’Achter de Kazerne, stade historique du Kavé. À guichets fermés (soit 12 000 personnes), Malines s’impose 1-0, grâce au but de Piet den Boer à la 50’. Les Belges ont également profité de l’expulsion juste avant la mi-temps du défenseur roumain Lica Movila, plus célèbre pour s’être fait péter la mâchoire par le boucher de Liverpool Graeme Souness que pour sa carrière, aussi honorable soit-elle.

Le match retour s’annonce donc stressant, et Malines devra conserver ce petit but d’avance. Ce match se joue deux semaines plus tard, au Stadionul Dinamo. Assez étrangement, Malines va tenir bon. Mieux, Malines va même logiquement s’imposer 0-2, grâce à Wim Hofkens (39’) et Piet den Boer (71’). Deux buts superbes. Avec deux victoires et aucun but encaissé face à une des cinq meilleures équipes de la compétition, Malines accède sans souci aux huitièmes de finale.


Huitièmes de finale

Le tirage au sort a donné le club de St. Mirren comme adversaire. Le club de la ville de Paisley (rien à voir avec Grégory) a difficilement éliminé les Norvégiens de Tromsø au tour précédent (1-0 ; 0-0). Les Ecossais ne sont pas spécialement un gros morceau : ils n’ont jamais su passer plus d’un tour lors de leurs trois précédentes participations à la Coupe d’Europe. Aujourd’hui, le club est surtout célèbre pour être le seul à avoir licencié Sir Alex Ferguson.

Néanmoins, certains Belges (le gardien Michel Preud’homme par exemple) semblent avoir un désavantage psychologique sur l’équipe calédonienne. En effet, une semaine avant ce match, la Belgique était défaite à Hampden Park (Glasgow) 2-0, signifiant l’élimination des Diables Rouges dès les éliminatoires de l’Euro. La Belgique, demi-finaliste de la Coupe du Monde 1986, ne participera pas à l’Euro 88.

Le match aller se déroule une nouvelle fois en Belgique, le 21 octobre. Étonnamment, le stade est loin d’être plein : 6200 spectateurs. Malines a les plus grosses occasions. De Wilde et Den Boer touchent le poteau. Mais aucun but ne sera marqué. Le meilleur des matchs nuls pour les visités, se rassure-t-on.

Le retour est du même acabit. Malines domine outrageusement et finit par ouvrir le score à la 34’ par Ohana. Les Belges ne relâchent pas la pression et réussissent à en mettre un deuxième dès la reprise : Ohana reprend un ballon qui venait de heurter le poteau sur un tir de Den Boer. 0-2, Malines se qualifie pour les 1/4. Les Ecossais sont impressionnés. En effet, seuls les grands Saint-Etienne et Feyenoord Rotterdam avaient jusqu’ici réussi à battre St. Mirren par deux buts d’écart. Et encore, sur leurs terrains ! Pour la première fois, mais dans la presse écossaise uniquement, on glisse les Malinois parmi les favoris à la victoire finale.


Quarts de finale

À ce stade de la compétition, Malines doit affronter les Biélorusses du Dinamo Minsk, tombeurs de Gençlerbirligi (à vos souhaits) et de la Real Sociedad. Le match aller se joue à domicile. Les joueurs adverses sont inconnus. Même aujourd’hui, seul Viktor Yanushevski a droit à une page Wikipédia. Et encore, c’est parce qu’il est mort en 1992 pendant un entraînement avec l’obscur club du Tennis Borussia Berlin. Les images de leurs précédents matchs sont introuvables.

Malines découvrira donc sur le terrain une équipe très rugueuse, qui la mettra longtemps en échec, jusqu’à ce que l’avant-centre communissss Andrei Shalimo allume la mèche, explose et se fasse expulser (81’). Cinq minutes plus tard, De Wilde trouve la lucarne en glissant. Les Malinwa s’imposent, une nouvelle fois sans concéder de but.

Le match retour sera dantesque. Le terrain est enneigé. Seuls les petits rectangles, dépourvus de pelouse, sont déneigés. Les surfaces de réparation semblent vallonnées, comme sur les terrains amateurs pourris lorsque la boue sèche ou gèle. Celle où seront inscrits les deux buts du match est partiellement déneigée : elle est zébrée, comme si on avait laissé traîner sa pelle en rangeant le matériel, derrière le coin de corner. Minsk jouera qui plus est en blanc, rendant la distinction des joueurs très compliquée.

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Nous sommes au Dynama Stadion, et c’est ici que Malines se qualifie pour les demi-finales. Ohana ouvre le score pour les visiteurs (29’). Minsk doit alors marquer trois fois. Les Biélorusses ne marqueront qu’un but, à la 59’.

Les buts.


Demi-finales

Plus rien ne peut arriver aux Malinois. Tout le monde craint cette équipe et pour les demis, ce sont les Italiens de l’Atalanta Bergame qui serrent les miches.

L’Atalanta n’est pas vraiment là par hasard, mais il est honnête de reconnaître que leurs adversaires auraient pu être plus costauds, et que leurs résultats n’avaient rien d’exceptionnel : pour se hisser dans le dernier carré, Bergame avait éliminé Merthyr Town (Pays de Galles) en ayant perdu le match aller, l’OFI Crète (Grèce) en ayant également perdu le premier match, et enfin le Sporting Portugal, dans une double confrontation plus aboutie (2-0 ; 1-1).

25 ans plus tard, pour se souvenir de l’épopée bergamaise (l’Atalanta n’était en effet remontée que depuis 3 ans en 1ère division et a même été championne de Série C en 1981), les journaux italiens aiment rappeler que l’aventure a pris fin face à « une des équipes les plus renommées du moment » (« Una delle squadre più blasonate del momento »).

Les Italiens pourront se vanter d’être la seule équipe à avoir marqué un but sur le terrain de Malines lors de la Coupe des Coupes 1987-1988 (Glenn Strömberg, 8’). Pas de bol pour eux, Malines en avait déjà mis un avant (Ohana, 7’) et en mettront un après (den Boer, 83’). La preuve. Difficilement mais méritoirement, Malines aborde le match retour avec un but d’avance. Statistiquement (pour ce que ça vaut), Malines n’a pourtant que 35% de chances de se qualifier (sur une base de 49 précédents dans cette compétition). Mais le Kavé est plus fort que les statistiques et décide même de jouer avec. L’Atalanta ouvre logiquement le score sur pénalty à la 40’ (Garlini). Bergame trouve même le poteau en tout début de seconde période. Tant pis, la chance est passée, Malines se met à jouer : à la 55’, Graeme Rutjes, excentré dans la surface de réparation adverse, revient sur ses pas pour marquer le seul but du gauche de sa carrière, une superbe reprise de volée dans le petit filet opposé. En fin de match, Marc Emmers permet aux Sang et Or de prendre l’avantage. L’Atalanta, déprimée rien qu’à l’idée d’avoir à marquer 3 fois avant la fin du match, ratera même honteusement un duel face à Preud’homme. Malines accède à la finale.

Le résumé du match. Et si vous voulez en voir un peu plus, on trouve même le match retour en entier.


Finale

Strasbourg deviendra le lieu de pèlerinage des supporters malinois. Sans avoir jamais perdu un match européen, Malines a un dernier défi : battre l’Ajax, tenant du titre. Dans une ambiance bonne enfant avant, pendant, et après le match, au plus grand bonheur de la Fédération Française qui s’apprête à déposer sa candidature pour la Coupe du Monde 1998, les supporters belges et néerlandais (10 000 de chaque côté) font la fête (enfin, pas après le match pour les Batards-ves). Réduit à 10 dès la 16’, l’Ajax devra subir le jeu, sans concéder énormément d’occasions pour autant. Les Malinois sont solides derrière et trouvent la faille en début de seconde période grâce à un nouveau but de Piet den Boer, qui avait déjà marqué le but de la victoire en Coupe de Belgique un an plus tôt, commun saint bol. Michel Preud’homme sauve les siens en effectuant une parade face à John Bosman (futur Malinois).

Malines entre dans l’histoire en devenant une des rares équipes à remporter une Coupe d’Europe lors de sa première participation. Si l’engouement n’avait pas été sensationnel en ville avant le match, toute la ville se réunit sur la grand’ place après la victoire, en attendant l’équipe. Celle-ci arrive à 4h du matin. Pendant 3 jours, les joueurs boivent comme des trous, sans jamais dessaouler. Ils joueront même le match suivant encore imbibés pour le duel au sommet face à Anderlecht. Ils s’imposeront 3-0 et finiront la saison vice-champions.

Le but.

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Debout : Graeme Rutjes, Geert Deferm, Eli Ohana, Michel Preud’homme, Piet Den Boer, Erwin Koeman
Assis : Pascal De Wilde, Marc Emmers, Lei Clijsters, Koen Sanders, Wim Hofkens

Malines ne pourra confirmer que deux saisons. Sans Aad de Mos (remplacé par Ruud Krol), les Kakkers remportent la Supercoupe d’Europe face au PSV et leur 4ème titre de champions. Qualifiés pour la Ligue des Champions en 89-90, ils seront éliminés en 1/4 par l’AC Milan après prolongations. Défaits deux fois en finale de Coupe de Belgique (1991 et 1992), décevants en Coupe d’Europe (éliminés deux fois au premier tour), les Malinwa verront leur club couler. Le président Cordier est forcé de vendre ses joueurs pour ne pas mettre en péril sa société, puis se retire. Preuve des difficultés, Georges Leekens est nommé entraîneur. Malines descendra en 1997 et fera l’ascenseur jusqu’en 2002, année de mise en liquidation du club.

Sous l’impulsion des supporters, aidés par quelques personnalités (dont Piet den Boer, jeune retraité), l’association « We doen het gewoon zelf » (« Nous le ferons nous-mêmes ») est créée. Chaque personne souhaitant être impliquée dans le sauvetage du club devait investir environ 1000€. Le but était de réunir assez de fonds pour finir la saison (ce qui sera fait) et pour racheter le matricule du club (ce qui sera effectif à l’été 2003). Sportivement relégué en D2, le Kavé ne demande pas sa licence et repart de D3. Champion de ce niveau en 2005, il fera son retour parmi l’élite en 2007.

Le 11 mai dernier, un bus de supporters malinois est revenu à La Meinau pour célébrer leur victoire 25 ans plus tard :

Strasbourg

 (Avec l’aimable autorisation de la Fédération des Supporters du Racing Club de Strasbourg)

 

Que sont-ils devenus ?

Michel Preud’homme (gardien) : quadruple meilleur gardien de Belgique entre 1988 et 1991, il quitte Malines à l’été 1994 après la Coupe du Monde et décroche cette année-là le titre de meilleur gardien du monde. Après 5 ans à Benfica, il devient entraîneur : en 2008, il permet au Standard de décrocher son premier titre de champion depuis 1983. Il part pour La Gantoise où il finit vice-champion et remporte la Coupe, avant de partir 1 an à Twente, champion des Pays-Bas en titre. Il n’y reste qu’un an, remportant la Coupe des Pays-Bas. Il revient en Belgique en 2012 après un an aux Emirats.

Wim Hofkens (défenseur) : international néerlandais, il quitte Malines en 1991 et met fin à sa carrière deux ans plus tard. Carrière d’entraîneur très discrète.

Lei Clijsters (défenseur) : premier défenseur à remporter le Soulier d’Or, il doit quitter le club en 1992. Reconverti entraîneur (La Gantoise entre 1994 et 1997, Malines en 2000), il décède d’un cancer en janvier 2009.

Graeme Rutjes (défenseur) : il rejoint Anderlecht en 1990 où il passera 6 saisons. Il est aujourd’hui assureur de pieds gauches magiques en demi-finales de Coupe d’Europe.

Geert Deferm (défenseur) : il finit sa carrière en 1997 à Amiens.

Koen Sanders (milieu) : il quitte Malines en 1995 et finit sa carrière en 1998 en quatrième division.

Marc Emmers (milieu) : il signe à Anderlecht en 1992 en raison des problèmes financiers du Kavé.

Erwin Koeman (milieu) : vainqueur de l’Euro 1988, il signe au PSV en 1990. Devenu entraîneur (Feyenoord, Utrecht), il est aujourd’hui en poste à Waalwijk après une expérience de sélectionneur de la Hongrie.

Pascal De Wilde (milieu) : sa carrière bascule en 1990 quand il est responsable d’un accident de circulation qui tue 2 personnes. Après 8 mois de prison, il tente de se relancer en D2 à Valenciennes. Ses bonnes performances lui permettront de retrouver la D1 belge en 1995 avec Harelbeke.

Piet den Boer (attaquant) : il quitte Malines en 1989 pour le championnat de France : après une saison à Bordeaux (14 buts) et une autre à Caen (4 buts), il signe en 4ème division belge en 1991.

Eli Ohana (attaquant) : talentueux mais ingérable, l’israélien part en 1990. Après une saison au Portugal, il fait 8 saisons dans son pays natal. Il est brièvement sélectionneur d’Israël en 2010 (1 match, 1 victoire, meilleur ratio de l’histoire), avant d’être remplacé par Luis Fernandez.

Aad de Mos (entraîneur) : arrogant et d’une superstition maladive, « Moustache de fer » était très rigoureux : chaque joueur devait entrer et sortir du vestiaire dans un ordre bien précis, en évitant de marcher sur une des lignes de l’aire de jeu. Les places occupées par les joueurs dans l’avion ou dans le but devaient être toujours les mêmes.

Je pourrais vous développer en détail la suite de sa carrière, mais il mérite presque un article à lui tout seul. Sachez donc qu’après un passage réussi à Anderlecht (1989-1992) avec une finale de C2 et un titre de champion, il s’est planté au PSV (avec Ronaldo), au Werder (où il devait prendre la suite d’Otto Rehhagel qui quittait le club après 15 ans en poste), au Standard, à Gijon (D2 espagnole) et à Urawa (D1 japonaise), avant de revenir à Malines en tant que directeur sportif. Après un passage au Moyen-Orient (Al-Hilal, puis sélectionneur des E.A.U.), il passe deux ans au Vitesse Arnhem, puis quelques mois en Grèce (avec beaucoup de succès) avant de revenir aux Pays-Bas, au Sparta Rotterdam. Il n’a pas entraîné depuis 2010.

John Cordier (président) : retiré du monde du football en 1992, il décède en 2002 à 60 ans.

 

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Jean-Marie Pfouff

7 thoughts on “La Jup’ : Malines 1988, la légende

  1. Aaaah Saint-Michel (comme on disait aussi au Portugal), mon meilleur gardien de l’histoire du monde de l’univers ! Bel article.

  2. Aïe ça sent les matchs truqués et les magouilles. Pas tant un saint que ça en dehors des terrains le Michou.

  3. C’est gentil Luissette, mais c’est Jean-Marie qui a bossé. De nous deux, c’est lui le meilleur :)

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