ACTE II

 

L’acte I est ici

Personnages.
Franck Ribéry, grand joueur désintéressé
Cristiano Ronaldo, pastiche du vrai Ronaldo
Lionel Messi, plus grand footballeur de tous les temps
Le laquais, tuteur légal de Messi
Pelé, plus grand footballeur de tous les temps
Michel Platini, ancien vainqueur du Ballon d’Or, président de l’UEFA
Éditeur Bel Homme, éditeur sans le sou d’un site satirique de football
Vincent Duluc, le meilleur d’entre eux
Sepp Blatter, président de la FIFA
Fernanda Lima, présentatrice de télévision brésilienne
Des joueurs internationaux et retraités du monde entier
Des journalistes

 

SCÈNE UNE

Tous, sauf Blatter.

LIMA
Nous baignons dans les traits radieux du Ballon
Qui nous rassemble tous en ce mondain salon,
Pour sacrer son élu selon votre influence,
Puisqu’il émergera de votre congruence.

ÉDITEUR, bas
Bigre, cette Lima montre de tels nénés,
Mon âme est en suspens grâce à mes abonnés.
À plus en découvrir cet appât me motive.
Faute d’accès au Net, je retiens ma salive.

LIMA
En effet, le Ballon ne suit pas d’autres lois,
Pour choisir son vainqueur, que le compte des voix,
Qui comptent comme autant d’offrandes de victimes !
Nous entrons maintenant dans les instants ultimes :
Ici trône, royal, le centre des enjeux !

Le Ballon d’Or est présenté à la vue de tous.

ÉDITEUR, à Duluc
Duluc, l’on vous connaît tel le meilleur d’entre eux,
Pouvez-vous nous charmer de votre verve exquise
En décrivant la sphère à nos sportifs promise ?

DULUC
Vous ne vous trompez point en m’offrant ce sujet,
Mon plaisir est égal au lustre de l’objet,
Dont la forme sphérique et chryséléphantine
Reproduit le soleil qui nos jours illumine !
Tel l’astre de la vie, il ennoblit nos sorts,
Régente nos humeurs et rajeunit nos corps
(Car celui qui l’obtient s’offre une autre jeunesse,
Et retrouve l’ardeur d’itérer sa prouesse).
Sans ce prix souverain en ligne d’horizon,
Quel feu nous soutiendrait durant une saison ?
Regardez : est orné d’ivoire et de pyrope
Notre lieu, mais pourtant ! Le trophée enveloppe
Toute l’attention qui règne en ce gala :
Rien ne peut en couvrir l’intempérant éclat !
Tout nouveau Ballon d’Or, mû par la Providence,
Incarne auprès de tous une auguste ascendance,
On frémit en songeant aux hoirs de ce joyau :
Kopa, Di Stéfano, Yachine, Eusébio,
Ronaldo, van Basten, Cruijff, Best, Buffon, Zidane,
Beckenbauer, Müller : ces noms montrent la manne
Qu’évoque ce trésor, brillant comme un écu,
Qui mettrait à ses pieds le genre humain vaincu.

RONALDO LE FAUX
Son poli scintillant s’accorde à mon sourire,
Tout autre détenteur serait un pur délire.
Il me faut l’arracher à mes rivaux si laids
Et l’exposer au seuil de mon pompeux palais.

MESSI
Voici mon précieux !

TOUS LES FOOTBALLEURS
Divine récompense,
Devant quoi tous nos cœurs entrent en résonance
Dans l’unanime espoir de la lever un jour !
Longue vie à l’élu qui l’emporte à son tour !

RIBÉRY
Je croivais celer sous une brumeuse brume
Le feu qui me brûlait, voilà que se rallume !
Mon visage enflammé se rougit de rougeur,
Comme apprendrait sa dette un déconfit gageur.
Comme qu’une étincelle enfouie en la cendre
Sous le souffle du vent permet au feu de prendre,
S’étend et se renaît sa première vigueur,
De même, mon désir enfin pris de langueur
S’embrase à voir la vue à l’objet qu’on aspire !
Souvent je ne sais quoi qui le ciel nous inspire
Ne veut pas nous laissons en état d’obéir
Et nous fait adorons ce qu’on voudrait haïr.
Il attache ici-bas d’avec les sympathies
Les âmes que son ordre a là-haut assorties,
Et la ferveur en moi qui resurgit trahit
Qu’entres eux deux et moi, le ciel prend mon parti !
Aller contre les lois de cette providence,
C’est le prendre à partie, et blâmer sa prudence !
M’ôter le Ballon d’Or, c’est braver les ennuis ;
Sans l’aurifère prix, rien que puis, rien que suis.

LIMA
Accueillons vivement l’homme aux empoignants prônes,
Qui siège entre Vertus, Autorités et Trônes,
Et nous contemple tous en bienveillant pasteur :
Acclamons ardemment le Président, Blatter !

Entre Blatter.

SCÈNE DEUX

Tous.

BLATTER
Gardiens, tacleurs, milieux, et buteurs homériques :
Alors que ce sport vit des temps climatériques,
Je suis heureux de voir parmi vous, auditeurs,
Des athlètes fervents, aux solides valeurs
Qui vous font parangons et espoirs de cette ère,
Car le football moderne est Prince de la Terre !
La passion qu’il inspire a centuplé vos cœurs
Et soufflé dans vos corps des esprits de vainqueurs ;
Malgré la polémique, et malgré le déboire,
Le football vous maintient dans l’inondante gloire.
Combattant sur le pré racisme et pauvreté,
Vous éduquez la foule en l’oignant de gaieté.
Au nom du monde entier que vos matchs solacient,
Les chefs de la FIFA, émus, vous remercient !
Vous méritez un prix, vous tous, pour vos atouts,
Mais, pourtant ! trois géants se démarquent de vous :
On a tant dit de lui qu’on en ferait un livre,
Il vit par le football, tout comme il le fait vivre ;
Ne vouant qu’à lui-même un talent sans effort,
Dans le sang de Messi semble couler ce sport !
Tandis que Ronaldo, cet habile Narcisse,
Ne voit dans le football qu’un aride exercice ;
Ce fier, grâce au renfort d’efforts fastidieux,
Fortifia son corps au rang de ceux des dieux !
Invitons le Kaiser et sa saison suprême,
Et d’un prince troyen nous avons le dilemme !
Qu’importe qui des trois accroîtra son crédit,
C’est le football ce soir qui sortira grandi.

Pelé ouvre l’enveloppe en sa possession, et révèle le nom du vainqueur du Ballon d’Or 2013: il s’agit de Cristiano Ronaldo, qui monte sur l’estrade pour recevoir son prix.

PELÉ
Écoutez tous, joueurs, fière race d’athlète,
Gardiens, tacleurs, milieux, buteurs si près du faîte :
De Ronaldo, ce jour consacre la grandeur
Qui n’est certes qu’un pâle écho de ma splendeur.
Pour un an, ce décret demeure irrévocable !

RONALDO LE FAUX
L’espoir semblait dément, ma victoire incroyable :
Regardez, regardez aux dépens de quel sang
J’ai haussé mon honneur jusqu’à ce noble rang !
D’une si haute place on n’abat point de têtes
Sans attirer sur soi mille et mille tempêtes ;
Seul surclasser Messi me distingue entre tous,
Mais m’en glorifier m’accable de courroux.
Or, brisant les remparts de Suède et d’Espagne,
J’ai pour le Ballon d’Or fait propice campagne !
On eut beau me railler, me singer en sergent,
On n’a pas su duper le souverain Régent !
Je peux enfin pousser hors de Moi ces alarmes
Et contempler mon prix sous mes profuses larmes !

BLATTER
Ce champion sait vivre avec la pression,
Tout voiler pour parer la compromission,
Mais le bonheur trahit sa candide faiblesse.
Le football nous transmet tellement d’allégresse !

LE CHŒUR DES RÉPROUVÉS
Quel bonheur s’assister au sacre de ce roi
Qui devrait, tel Messi, vivre sous d’autre loi !
Leur force les élève au-dessus du vulgaire
Et rabaisse tous ceux partageant la même ère,
Pourtant, nous sommes fiers d’être à leur sort liés !

RIBÉRY
Comment qu’est-ce possible ? Ils me sont oubliés ?

LIMA
Vous parfaites ce rit par votre litanie
Qui clôt dans l’enjouement cette cérémonie.

RIBÉRY
C’est donc qu’à ce bilan que la fête aboutit,
Sans aucun qui m’adresse un regard compati ?

DULUC
Magnifique vainqueur, pour un sport magnifique.
Nous devons tant de joie au buteur prolifique,
Où cessera sa course à l’immortel record ?
Fiévreux, j’attends déjà le prochain Ballon d’Or.

Tous sortent, sauf Ronaldo le Faux, Messi, son laquais, et Editeur Bel Homme.

SCÈNE TROIS

Ronaldo le Faux, Messi, le laquais, Éditeur Bel Homme.

LE LAQUAIS
On vous voit, Lionel : masquez votre supplice,
Montrez aux caméras un visage plus lisse.
Être un mauvais perdant ferait fuir un sponsor,
Vous perdrez plus encore en maudissant le sort.

MESSI
Mais… Pourquoi pas gagné ?

RONALDO LE FAUX
L’ordre sensé des choses
Réinvestit ce sport ! Mes dribbles virtuoses
Ont ramené les gens à la juste raison.
Leo, tu n’auras pas de funèbre oraison ;
S’il est d’autre plaisir que gravir cette estrade,
C’est celui, non moins grand, de cracher sur ton grade !
Je me pourlèche mieux de ton cœur pleurnichard
Que d’attacher ta chair à mon glorieux char.
Longue et chagrine vie à toi ! Mon âme, en outre,
Te somme ultimement d’aller te faire foutre !
Quel grand soulagement ! Mes desseins achevés
Relâchent des pensers depuis longtemps rêvés !
Grand Dieu (c’est Moi), je parle avec tant d’éloquence,
Ma chair reflète bien de l’âme l’excellence,
J’en suis le fait certain : Platon avait raison !

MESSI
J’ai pourtant mis des buts pendant cette saison…

RONALDO LE FAUX
Tu n’es qu’un footballeur qui remplit son office
Quand les dieux comme Moi renforcent l’ædifice.

LE LAQUAIS, à Messi
Arrêtez-vous enfin de pleurer, pauvre sot !
Vous êtes mal pourvu, disgracieux nabot,
Il vous reste l’esprit, donc montrez-en la grâce.

ÉDITEUR
Pour quel parti doit-il feindre un souris de glace ?
Si d’un sport populaire il se veut paladin,
Qu’il attise nos cœurs, et non notre dédain,
En montrant être un homme, et non une machine.

LE LAQUAIS
Vous voulez éclipser sa constance divine ?
Taisez-vous, imbécile ! Et pour vous, Lionel,
Cet insuccès succint nuit au lustre éternel
Qui vous était promis ; pourquoi pareil génie
Cède aux tourments grossiers d’un être à l’agonie ?
Je vous sais d’un talent profond comme la mer,
Dont le prochain afflux noiera ce jour amer.
Refaites-nous rêver : si vous lâchez vos brides,
Vos saisons passeront tels des étés torrides
Dont les rais flamboyants lèveront tout crachin !

MESSI
J’aurai le Ballon d’Or ! Je l’aurai l’an prochain !

RONALDO LE FAUX
Que tu sois astre ou mer, je régnerai sur terre :
Ailleurs, que valons-nous, sinon rien ! Ô mon frère !
Je peux faire trembler la terre sous mes pas,
Mettre en transe une foule, asservir les États,
D’une publicité sauver une entreprise
(Ce sport universel permet absurde emprise),
Mais je n’en pourrais rien sans t’être archennemi,
Même quand je te vainc, seul ton nom m’ennoblit,
C’est donc pour m’élever que je te veux combattre.
Pour l’accroître, scindons le règne en ce théâtre,
Je t’attends. Excitons une lutte sans fin,
Si tu veux être Abel, je serai ton Caïn,
Qui seul peut disputer ta splendeur statistique !

ÉDITEUR, à part
Je confesse un plaisir tout aristocratique
De grande profondeur, propre au désabusé
Et autre résigné, qui consiste à muser
Autour de ceux ayant encore en eux la force
D’apprendre, de vouloir, de trouver une amorce,
De rêver d’odyssée, ou bien de s’enrichir.
Plutôt qu’en le dégoût chaque jour s’avachir,
Dans leur aveuglement retrouvons la lumière,
Puisqu’il mêle leur zèle à notre bile amère
Et ressuscite en nous d’innocents renouveaux,
L’ardeur de découvrir, la crainte des rivaux.
Le football en ruine au milieu des paillettes
Trouve en ces deux nigauds des voluptés secrètes,
Et je tire un loisir de ces fumeux complots ;
Encor faut-il aimer ces enfants de salauds !

Ils sortent.
Entre Ribéry.

SCÈNE QUATRE

Ribéry, seul.

RIBÉRY
Devois-je dans l’échec être et rester inculte ?
Qui venira trahir son origine occulte ?
J’ai mis chaque semaine au pied de vos autels
Des tributs au football ! Pourtant, dieux immortels,
Malgré cette saison que je vous ai servie,
J’ai dû vu devant tous ma gloire être ravie !
Après Knysna, le ciel si ferme et rigoureux
Me haït-il au point de refuser mes vœux ?
Vit-on jamais un sort dont les rudes traverses
Prissent en moins de rien tant de faces diverses,
Qui fût doux tant de fois, et tant de fois cruel,
Et portît tant de coups avant le coup mortel ?
Vit-on jamais une âme en d’un jour plus atteinte
De joie et de douleur, d’espérance et de crainte ?
Et comment t-a-n’on pas pour moi, contre eux beuglé ?
Suis-je par ce Ballon le seul non aveuglé ?
Voiraient-ils nos saisons sous l’œil d’un autre prisme ?
Serait-ce par dédain ? Ou pis, par fatalisme ?
Quitte à suivre Messi, le pire des soufflets
Reste d’être un suivant du gommeux portugais !
Je le vus à Dortmund dormir comme la Loire,
Sans vaincre un seul péril, il triomphe avec gloire !
J’ai laissé la vigueur sur le pré des succès
Dont j’aurais eu besoin pour mener son procès…
Si je veux dégager ce tourment qui m’enferre,
Dites par quels moyens il vous faut satisfaire !
Faut-t-il se battre encor mille et mille rivals,
Faire à tous les moments la Une des journals,
Dribbler moi seul un champ, mettre en fugue une armée,
Des héros fabuleux passer la renommée ?
Si mon honneur par là peut mon honneur laver,
J’ose tout entreprendre, et puis tout achever ;
Dieux, que votre silence est tellement tragique !
On réduit le football à mainte statistique,
Car vous avez cessé d’animer nos desseins
Et par vos vœux tranchants de régler nos destins !
Grands vainqueurs de ce sport restreint que son écorce,
Les deux monstres sans cœur occultent notre force.
Est-ce au faire-valoir qu’est réduit notre sort ?
Vivre sans s’éprouver, c’est égal qu’être mort !
Puisqu’il m’est interdit d’un jour prétendre au faîte,
Je vais, mêlant mes pleurs au vin, noyer la fête
Dans le Léthé, pour fuir mon effroyable ennui,
Puis clore ce jour noir d’une éternelle nuit.

Ribéry sort.
Entrent Blatter, le laquais et Duluc.

SCÈNE CINQ

Blatter, le laquais, Duluc.

Le laquais se dévêt de son camouflage, et révèle son identité réelle, Platini.

PLATINI
Le temps m’a paru long, mais enfin je respire !
Ce costume étouffant n’est pourtant pas le pire :
Dresser Messi n’est pas un moindre déplaisir !
On ne peut le quitter pendant même un soupir,
Il pourrait oublier d’inspirer…

BLATTER
Mon Achate !
Serais-tu bon acteur autant que diplomate ?
Tu démontres un don dans l’art des double-jeux
Qui permet de régner sur ce monde fangeux.

PLATINI
Je ne serai jamais de tes vassaux fidèles
Et j’attends sans détour que tu brûles tes ailes ;
Je t’invite à parler moins familièrement.

BLATTER
Je sais, et te bénis non moins sincèrement.
Vincent, voix de la presse, et donc notre interprète,
Dis-nous comment s’émut la pauvre âme défaite.

DULUC
On n’a pas entendu le troisième pion
Au moment de souscrire à son rang de pigeon,
Le verbeux lauréat imposant le silence
Comme s’il eut percé nos gosiers d’une lance.
Toutefois, trahissaient ses airs contrariés
Le dépit de vouloir de ces altiers lauriers.
De ses yeux, la divine étincelle est partie,
Ils étaient juste bons à chercher la sortie,
Plus vides, plus profonds que le ciel qu’il maudit,
Qui n’a pas pu freiner le sort par tous prédit.
Ses chimères tantôt étant destituées,
Sa voix lève une plainte à percer les nuées.
Nous l’avons entendue émettre un tel écho !
Nous crûmes au retour des cors de Jéricho.

BLATTER
Si cela peut calmer son sentiment morose,
Qu’il sache avoir souffert pour une bonne cause :
Le pré, lieu des duels, paraît des bois touffus
Où d’opaques effets se succèdent confus.
L’incertain nous enferme en un doute intenable,
Pour ce sport qu’on chérit, est-ce bien tolérable ?
C’est pourquoi j’y supplante un temple somptueux
Où brille de cent feux un ordre harmonieux,
Où l’on trouve, en réponse aux tournois sans emprise,
Un destin contrôlé, rassurant, sans surprise.
Ainsi renaît le monde anarchique réel
Comme miroir impur de l’espace idéel,
Suivant l’enseignement d’un mémorable sage,
Et les investisseurs approuvent cet adage !

DULUC
De prôner Ronaldo puis Messi j’ai l’honneur :
Lyriser leurs exploits transcende leur valeur.
Je trame leurs destins ainsi que les trois Moires,
Dont deux ont pour dessein de tisser leurs mémoires,
Tandis que la troisième élimine les tiers.
La peinture est parfaite et gomme les hiers,
Car leur lutte éternelle incarne tout du Monde :
Messi semble un Dieu bon, l’autre mène la fronde,
L’Histoire s’accélère avec leurs records fous,
Et le passé ringard se meurt dans les égouts.
Mon rôle est important, car si l’un perd sa force,
Il nous faut invoquer le moral, une entorse,
Un arbitre exécrable, un contrat débattu,
Un public malveillant, un parent abattu,
Un entraîneur hostile, ou de sa star indigne,
Saturne avec l’étoile à son nom qui s’aligne,
Un trop faible équipier contraint de l’épauler,
Un mutin qui conduit l’entente à s’étioler,
Une herbe bien trop verte, un mécompte tactique,
Un échec annoncé par quelque statistique,
Des matchs ne valant pas d’user de son talent,
Un sommeil écourté par un dîner galant,
Un ballon poursuivant d’étranges trajectoires,
Les effets retardés d’éprouvantes victoires,
Des matchs pas si ratés pour un œil adéquat,
Un effort économe avant un grand tournoi,
La fatigue d’un grand, las de toujours tout vaincre,
Ou toute autre parade apte à tous nous convaincre,
Afin de préserver son inflexible éclat
Et voiler, par le bruit, la voix d’un apostat
Ou l’éloge adressée à de nouveaux surhommes.
C’est ainsi qu’on maintient les simplets dans leurs sommes.

BLATTER
La presse a dans ses mains un pouvoir sans pareil,
Gouvernant les pensers comme Hypnos le sommeil,
Et le soleil la terre, et le pape les âmes.
Vous êtes de parfaits tisonniers pour les flammes
De nos deux prétendants ! (à Platini) C’est à toi de finir.

PLATINI
Vous connaissez mon rôle, à quoi bon discourir ?

BLATTER
Le plan est si parfait, je me plais à l’entendre,
Et me le répéter permet de mieux comprendre :
S’il nous faut contrôler le destin des sportifs,
Le supporter prescrit d’autres impératifs ;
L’implacable l’ennuie, et le hasard l’abuse,
Mais le certain l’assure, et l’indécis l’amuse.
Tu pus concilier ses goûts ambivalents
Ainsi qu’un alchimiste aux géniaux talents.
Ton soutien des petits accroît des grands l’emprise
Puis, pour munir les forts contre un échec surprise,
Les règles des tournois en modèrent l’impact.

PLATINI
Alors, aux premiers tours, tout grand club reste intact.
Cette mise à l’abri conclut nos sacerdoces,
Le hasard sert les chocs finaux entre colosses.
C’est pourquoi, chaque année, on voit nos deux géants
Jusqu’au terme affoler leurs compteurs fracassants.

BLATTER
Ce repère offre aux fans angoissés de la vie
Deux saints à qui vouer chaque jour leur dulie
Et dont l’oblation mérite leurs deniers.

DULUC
S’il vous faut résumer nos complots pécuniers,
Deux footballeurs font vendre aux masses du spectacle,
Je sublime leur culte et cache leur débâcle,
Puis Platini réduit leur part de mauvais sort,
Tandis que vous, Blatter, vous monnayez ce sport.

BLATTER
Tu fardes avec tact cette sainte doctrine
Ne pouvant demeurer sans notre union trine.
Qui fuirait la faveur d’un pareil lendemain ?

PLATINI
À qui cela profite ? Au football, à ton gain ?

BLATTER
Tu me hais, je le sais, comme on déteste un père,
Mais je veux te voir mettre un masque moins austère.
Si tout réformateur rencontre des ennuis,
Notre labeur ingrat récolte d’heureux fruits :
Les sponsors rassurés offrent un beau pécule
Qui devrait apaiser ta rancœur ridicule.

PLATINI
S’enrichir du football, n’est-ce pas le trahir ?
La gent paie assez cher le prix de nous haïr.
L’or tinte faux, venant de ce sport populaire
Qui perdrait en noblesse à snober le vulgaire,
Ami des imparfaits et modestes humains.
Pour lui plaire, remets le football en mes mains.

BLATTER
Notre or n’est qu’un reflet du bonheur de la masse,
Ne froissons pas le peuple alors qu’il nous rend grâce.
Je vois dans leur dépense un tribut au bon sort
Que nous a rapporté ma réforme du sport.
Telle est ma Trinité : le football pour principe,
L’ordre pour base, et l’or pour but !

PLATINI
Donc, dans l’équipe,
Je dois être à l’amont en tant qu’ancien joueur !
Qui peut régir ce sport, sinon un footballeur ?
Ma gloire tient encor des exploits de naguère,
On m’épargne des torts par pur instinct grégaire.
Tes plus grands détracteurs ne s’y tromperont pas,
Contre toi ma carrière est mon meilleur appas.

BLATTER
On passe pour tyran quiconque se fait maître,
Ton soutien d’aujourd’hui sera demain un traître,
Te crois-tu différent de moi ? Regarde-toi !
Si tu veux m’ébranler et condamner ma loi,
Attends de l’être aussi par une enquête interne,
Car ma justice agit dès qu’un rival me berne.
Et pour me nuire, rien de tes moults arguments
Ne tient face à mes voix de tous les continents !

PLATINI
Eh bien ! Je vais plutôt souffrir ta dictature,
Rien ne peut s’opposer à ta candidature.

BLATTER
Bien ! Je ne sais quel plan, quel espoir te leurrait,
Mais ton heure viendra lorsque je le voudrai :
Je défais chaque intrigue et confonds les complices,
Je sais contre tout tort cacher mes injustices,
Mais cet effort me lasse, et ne peut s’arrêter ;
Je veux me faire aimer, et ne fais qu’irriter.
Car tel est le destin des grandeurs souveraines,
Que leurs plus grands bienfaits n’attirent que des haines.
C’est pourquoi mon mandat prochain est le dernier,
Dernier obstacle avant de cueillir mon laurier !
Contemplons pour l’instant notre superbe empire ;
Quel plaisir de mourir, si devant lui j’expire !
Avec vous pour servir mon heureux califat,
Je promets de beaux jours à la sainte FIFA!

— FIN —

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