Qatar, acte I en Belgique : c’est encore flou


En 2022, le Qatar organisera la Coupe du Monde de football. Pour diverses raisons, ce choix fut immédiatement critiqué. Pour l’émirat, cette décision est toutefois l’occasion de fixer une date concernant la compétitivité de son équipe nationale. Faiblement peuplé, le pays a choisi d’investir à l’étranger : à travers le programme national de développement du football « Aspire Football Dreams », le Qatar recrute des adolescents en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Plus récemment, le projet a franchi une nouvelle étape et s’est ouvert les portes de l’Europe. Depuis 2012, la famille royale est en effet propriétaire du KAS Eupen, club belge de 2ème division, où des joueurs venus du monde entier, formés par le Qatar, viennent poursuivre leur apprentissage.


L’arrivée d’Aspire en Afrique

Andreas Bleicher est allemand. À l’automne 2003, il est contacté par l’émirat du Qatar pour construire et diriger la future académie des sports. Voilà cinq ans qu’il est le directeur de l’Olympiastützpunkt Köln-Bonn-Leverkusen [1], un des trois centres d’entraînements olympiques du pays. La famille royale qatarienne est déterminée à transformer son petit pays de 1,8 millions d’habitants (dont 80% sont des expatriés) en une nation moderne dans de nombreux domaines : éducation, architecture, culture et sports. Depuis 2008, il existe d’ailleurs un projet official, « Qatar National Vision 2030 » [2], qui engage le pays à devenir une société « avancée » d’ici 16 ans. Toutefois, en ce qui concerne le sport, et plus particulièrement le football, le Qatar est bien plus limité. Le pays n’est pas une terre de sports (tout du moins à un niveau professionnel), au vu du nombre d’athlètes représentés dans les principales compétitions (inter-)continentales. Un problème semble insurmontable : avec seulement 300 000 personnes nées Qataries, le pays n’a tout simplement pas suffisamment de joueurs pour espérer un jour concurrencer les grandes nations du football.

L’arrivée de Bleicher en 2004 est donc le début d’un grand chantier. Si les premières années servent à peaufiner le projet, la qualité des installations (construction de l’Aspire Dome [3]) et la qualité du personnel (Josep Colomer, connu pour être « celui qui a découvert Messi », prend la tête de la division football, Aspire Football Dreams), le projet Aspire Africa est officiellement lancé en 2007. En effet, Colomer estime qu’il serait judicieux d’importer les talents d’Afrique, dont les jeunes ont grandi avec le football, même dans les villages les plus reculés. L’objectif est d’envoyer des centaines de superviseurs qualifiés sur le continent africain pour identifier les talents de demain et les ramener au Qatar en leur offrant une scolarité et la possibilité de s’entraîner au sein de l’Académie Aspire.

La famille royale est déterminée à utiliser les incommensurables ressources naturelles du pays et la richesse qui en découle pour le développement du projet. Lors de la première année, le Qatar a supervisé 430 000 Africains, dans 600 lieux et 7 pays différents [4]. Les journées de détection sont fortement médiatisées : télévision, radio, posters dans les villages. Nike est un des sponsors, tout comme Bonus Sports Marketing, une entreprise fondée par Sandro Rosell [5]. Aspire Africa se présente comme LA chance pour ces jeunes de changer drastiquement leurs conditions de vie, celles de leur famille et même celles de leurs communautés. Suite à cette première étape, 50 joueurs par pays sont invités à passer la deuxième phase de tests dans la capitale. Seuls 3 joueurs par État, ainsi que les 3 meilleurs gardiens tous pays confondus, accèderont à la phase suivante à Doha. Ces 24 finalistes se sont vus offrir une scolarité et l’accès à un centre de formation. Si certains sont restés à Doha, une majorité a été envoyée à l’académie de Saly, au Sénégal.

Aspire Football Dreams : le développement à l’international

Les années passant, Aspire Africa a été renommé Aspire Football Dreams (AFD) : le Qatar ne cherche plus seulement sur le continent africain. La prospection s’est en effet étendue à 17 pays (12 en Afrique, 3 en Amérique Latine, 2 en Asie du Sud-Est) [6]. Cette internationalisation n’a pas été aisée. De nombreux joueurs avaient le mal du pays. Les différentes langues et cultures ne facilitaient pas le contact. Enfin, l’opportunité de mettre leurs familles à l’abri financièrement exerçait une pression énorme sur les apprentis footballeurs. Les éducateurs d’Aspire ont souvent affiché leur inquiétude sur l’intensité des entraînements. De peur d’être renvoyés de l’Académie, certains joueurs cacheraient leurs blessures.

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L’humanitaire contre la naturalisation ?

Sept ans après le début de ses recherches, Aspire a supervisé 3,5 millions de jeunes. AFD fournit à chaque joueur franchissant toutes les étapes une chambre équipée, l’entraînement, une scolarité, quelques centaines de dollars par mois, un billet aller-retour vers son pays natal ainsi qu’un aller-retour vers le Qatar destiné aux parents. Chaque famille reçoit également 5000 $ par an, soit dans la plupart des cas plusieurs fois le revenu annuel.

Régulièrement critiqué pour ses atteintes aux droits de l’Homme sur son territoire, l’émirat a toujours mis en avant la dimension humanitaire du projet, en parlant avant tout de l’aide apportée aux pays sous-développés, grâce au sport et à l’éducation. Avec l’aide des deux sponsors cités plus haut, Aspire est capable d’avoir un représentant de poids pour une mission humanitaire. L’année dernière, Lionel Messi a été invité à l’académie sénégalaise [7] pour participer à la distribution de 400 000 moustiquaires et le développement d’un dispositif médical dans chaque pays africain où AFD opère.

Néanmoins, de nombreuses critiques sur la sincérité de ces missions humanitaires sont apparues dès le début des recherches des superviseurs d’Aspire. Le Qatar tenterait en effet de payer les athlètes recrutés pour que ceux-ci jouent sous le drapeau qatari. Ce ne serait pas une première : en 1999, l’équipe nationale d’haltérophilie a été disqualifiée des Jeux Arabes lorsque des concurrents ont protesté quant à la présence de quatre athlètes nés en Bulgarie (un an plus tard, l’un d’eux a remporté la médaille de bronze aux JO de Sydney). En 2003, le Qatar a offert 1000$ par mois au coureur kényan Stephen Cherono pour changer de nationalité. Cherono accepta et changea son nom en « Shaheen Saif Saaeed ». Un an plus tard, trois footballeurs brésiliens se sont vus attribuer la nationalité qatarie. Dans la foulée, la FIFA a annoncé de nouvelles règles empêchant une naturalisation lorsque la connexion au nouveau pays n’est pas évidente. Le journal britannique « The Observer » faisait part en novembre 2007 [8] de ce « trafic humain » destiné « à fournir des footballeurs pour l’équipe nationale ». Dans ce même article, le président de la FIFA, Sepp Blatter, estimait que ce programme était une forme « d’exploitation ». Plus tard, après avoir visité le Qatar, Blatter changea d’avis et apporta son soutien à AFD.

Fin août 2014, un autre cas suspect de « possible naturalisation » a fait parler en Belgique. Après quatre ans et demi au Club Brugge, Maxime Lestienne a souhaité découvrir un autre championnat. À 22 ans, sa décision est compréhensible après deux dernières saisons plus que réussies sous le maillot Blauw & Zwart. De plus, le niveau de la Jupiler Pro League ne lui permet plus de progresser et l’empêche donc de découvrir la sélection nationale, goûtée grâce à quelques forfaits en mai 2013 lors d’un déplacement aux Etats-Unis, même s’il est resté sur le banc. Son transfert, estimé à 8M€, a surpris. Lestienne a signé pour 5 ans à Al-Arabi (D1 qatarienne) avant d’être immédiatement prêté au Genoa. L’intéressé affirme ne pas vouloir jouer au Qatar [9]. Quel est donc l’intérêt pour le joueur et pour le club ? Est-ce un simple investissement pour faire une plus-value derrière ? Ou, découragé par la concurrence en équipe nationale (il est ailier droit), le Mouscronnois s’est-il laissé convaincre par le Qatar pour disputer une Coupe du Monde ?

L’article de « The Observer » donne aussi la parole à Jean-Claude Mbvoumin, président de l’association Foot Solidaire, une organisation consacrée à la protection des jeunes footballeurs africains. Il demande à Blatter d’arrêter le projet Aspire : « Aspire Africa est un projet illégal qui viole les règles de la FIFA quant à la protection des mineurs. […] Il est interdit de recruter des jeunes footballeurs étrangers âgés de moins de 13 ans. C’est pourtant le cas ici ». Pourtant « soutenue par la FIFA » [10], l’ONG ne sera pas entendue.

Objectif 2022

En ligne de mire, le Qatar a évidemment la Coupe du Monde 2022. Si Bleicher répète régulièrement que le but est de permettre aux athlètes qataris de se frotter à meilleur qu’eux, il reconnait toutefois que les footballeurs étiquetés Aspire pourraient choisir de représenter le Qatar « parce que ce pays les a aidés, contrairement à leur pays natal ». Une naturalisation dans les règles n’est toutefois possible qu’au terme de 5 années sans interruption passées au Qatar.

Depuis la désignation du Qatar en décembre 2010, les conditions d’attribution de la compétition ont souvent été remises en cause. Si le projet humanitaire mentionné plus haut a pour but de rendre l’Émirat plus acceptable, et donc plus crédible pour organiser un tel événement, les accusations portaient sur l’achat des votes. Des doutes existent sur les liens entre Mohammed Bin Hamman (Qatari et alors membre exécutif de la FIFA) et Jack Warner (alors vice-président de la FIFA et président de la CONCACAF [11]), bien que les malversations avérées semblent plutôt porter sur l’élection du nouveau président de la FIFA en mai 2011 plutôt que sur le choix de la Coupe du Monde 2022. Ceux entre le Qatar et Julio Grondona, président de la Fédération argentine et également membre exécutif, ne sont pas moins suspicieux : l’Émirat a aidé la Fédération sud-américaine en difficulté financière. L’année suivante, Grondona votait en faveur du Qatar lors des 4 tours. Mais ce qui nous intéresse est le choix fait par les membres exécutifs originaires d’un pays dans lequel Aspire est implanté. Sur les 22 votants, ils sont 5 : Messieurs Bin Hammam (Qatar), Leoz (Paraguay), Makudi (Thaïlande), Hayatou (Cameroun) et Anouma (Côte d’Ivoire). Ils font partie des 9 votants à avoir toujours désigné le Qatar comme leur favori, sur les 14 votes reçus par le Qatar en finale face aux Etats-Unis.

Bien que le dossier de candidature du Qatar soit privé, le Sunday Times se l’est procuré et en a publié en juin dernier de longs extraits. Intitulé « Développement du football », il met en valeur le développement de ce sport au Qatar et à l’étranger. AFD y est régulièrement mentionné. Le futur du projet y est également évoqué avec, en prévision, des investissements en Thaïlande et au Nigéria, deux pays représentés au comité exécutif de la FIFA. Nous venons de voir que le Thaïlandais a effectivement voté pour le Qatar. Le Nigérian Amos Amadu ne l’a pas fait : il a été banni deux semaines avant les élections, coupable d’avoir voulu vendre son vote. Quatre ans plus tard, si AFD s’est effectivement implanté dans ces deux pays, aucun investissement significatif n’y a été effectué.

L’arrivée en Belgique

En 2010, Bleicher et Colomer réalisent que les premiers joueurs recrutés vont bientôt pouvoir quitter l’Académie pour commencer une carrière professionnelle. Plutôt que de les laisser partir, ils espèrent les convaincre de continuer leur développement avec l’aide d’Aspire. L’idée de détenir un club européen émerge alors.

Les dirigeants écartent l’Angleterre, l’Espagne, la France et l’Italie des possibilités en raison des règles limitant la présence de joueurs non-européens inscrits dans l’effectif. Bleicher a le choix entre le Portugal et la Belgique. Trois raisons ont fait pencher la balance en faveur du pays trilingue :

– Beaucoup d’Africains parlant français, l’intégration se déroulerait mieux qu’au Portugal.

– Dans plusieurs pays, le nombre de joueurs extracommunautaires est limité. En Espagne, cette limite est de 3 joueurs par effectif enregistré. En France, elle est de 4 joueurs. Est considéré comme extracommunautaire par la LFP tout joueur « non ressortissant d’un pays de l’UE, de l’EEE et de pays ne disposant pas d’accord d’association ou de coopération avec l’UE ». [12] En revanche, en Belgique, il a été décidé de ne pas limiter le nombre d’extracommunautaires, mais d’imposer la formation locale : chaque équipe doit inscrire 8 joueurs formés en Belgique ou ayant passé au moins trois années consécutives dans un club belge avant 23 ans. Parmi ces joueurs, 6 doivent être inscrits sur la feuille de match. Il est donc possible, en Jupiler Pro League, de faire jouer bien plus de joueurs extracommunautaires. C’est ce qu’avait fait Beveren au début du XXIème siècle en titularisant régulièrement 10 Ivoiriens.

– Après 3 années passées au Royaume, une personne peut candidater pour obtenir la double-nationalité, et donc libérer une place d’extracommunautaire, de quoi faciliter un transfert à l’étranger. La durée minimale légale en France est de 5 ans et est parfois plus élevée dans d’autres pays.

Rapidement, le choix se porte sur un obscur club de l’Est de la Belgique : le KAS Eupen. La commune n’a que 20 000 habitants. Elle est connue pour avoir été le principal lieu d’affrontement lors de la Bataille des Ardennes. Liège n’est pas très loin (40km), tout comme Maastricht (50km) et Aix-la-Chapelle (15km), à laquelle elle appartenait avant la Première Guerre Mondiale. Son territoire est frontalier avec l’Allemagne. Eupen est d’ailleurs le centre administratif de la communauté germanophone de Belgique, qui comprend 9 communes et presque 80 000 habitants.

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Le club, formé en 1945, n’a connu qu’une saison en première division, en 2010-2011, et est depuis retourné dans l’antichambre de la Jupiler Pro League. Le stade du Kehrweg, 8000 places, ressemble à n’importe quel stade belge de deuxième division. Il existe encore des gradins dépourvus d’assises, certaines parties ont fait leur temps. Le terrain est inégal. C’est pourtant ici qu’a eu lieu l’un des plus étranges rapprochements du sport professionnel.

Un matin de mars 2012, un groupe d’une vingtaine de personnes a visité le stade de 8000 places, ses rares infrastructures et ont contemplé les mornes alentours. Puis, ce groupe a rejoint les petits bureaux du KAS Eupen, où une réunion entre les officiels du club et les dirigeants de l’académie Aspire du Qatar marque le début des négociations qui aboutira à une reprise du KAS Eupen. Ceux présents dans la pièce décriront plus tard cette réunion entre les dirigeants d’un club belge quasiment inconnu et les représentants d’une famille royale du Moyen-Orient comme surréaliste. Lorsqu’ils négociaient les détails d’une reprise, quatre langues étaient parlées – anglais, français, allemand et arabe. Le club n’ayant à sa disposition qu’une seule personne polyglotte, d’inévitables moments de confusion eurent lieu.

Les deux groupes n’ont a priori rien en commun, mais chacun possédait quelque chose dont l’autre avait besoin. Pour les Eupeners, l’intérêt d’une telle collaboration était évidemment financière. Comme beaucoup de clubs de même standing en Europe, Eupen était au bord de la faillite. L’arrivée de la famille royale qatarie était un gros lot tout aussi surprenant qu’extraordinaire. Officiellement, la reprise par AFD Eupen (filiale d’Aspire) est datée au 1er juillet 2012. Aspire aurait déboursé 4M€, principalement pour rembourser des dettes. Avec cet accord, AFD contrôle toute la partie professionnelle du club. La formation reste sous la responsabilité des dirigeants locaux, avec toutefois un appui financier (sans regard sur les décisions prises) des Qataris à hauteur de 200 000 € par an.

Une organisation totalement revue

Le programme des entraînements et les philosophies de jeu sont totalement revus. Des modifications sont apportées au stade, notamment l’aménagement des salons et des loges. Si un joueur est blessé et doit recevoir un traitement important, il sera désormais envoyé au centre de la médecine du sport, à Doha. Christoph Henkel, dirigeant au FC Cologne, est embauché tout comme Tintin Marquez, un entraîneur espagnol ayant passé la majorité de sa carrière de joueur et d’éducateur à l’Espanyol. Enfin, les Qataris ont conservé le nom et le blason du club, deux choses auxquelles tenaient Elmar Keutgen, bourgmestre d’Eupen, et les résidents. Ce sont peut-être les seuls éléments du club qui n’ont pas changé.

L’effectif d’Eupen était presque exclusivement composé de joueurs européens, dont la moitié était belge. Début juillet, 16 joueurs africains posent leurs valises dans la localité germanophone. Bleicher et Colomer estiment qu’Eupen est la ville idéale : il aurait été plus compliqué de gérer des jeunes à peine arrivés en Europe si le Qatar avait choisi un club de Bruxelles. Les joueurs déjà sous contrat n’ont pas vraiment eu le choix. Les Africains jouent ensemble depuis l’âge de 12 ans. Ceux-ci ne sont pour autant pas exempts de critiques : certains joueurs sont déjà repartis en Afrique en raison de leurs performances insuffisantes.

Hamza Zakari, milieu ghanéen, fut un de ces joueurs partants au terme de la première saison, bien qu’il soit resté en Europe. Au total, il aura joué deux minutes avec Eupen, avant d’être envoyé en Norvège. Il évolue aujourd’hui en Islande. Quand il décrit son expérience en Belgique, Zakari pointe la gestion des joueurs par Aspire : plutôt que d’autoriser chaque joueur à signer avec son propre agent, Aspire en paie un, Lamine Savane, chargé de représenter tous les joueurs. Il pense qu’il est ingérable pour un seul agent d’être le représentant de toute une équipe dont les joueurs se battent entre eux (sportivement) pour avoir du temps de jeu. Bleicher affirme que la meilleure solution a été prise, puisque les joueurs ne paient aucune commission à leur unique agent, et que celui-ci est régulièrement présent à Eupen.

Si l’intégration à la vie locale est désormais réussie, les débuts furent compliqués. Pour la première fois de leur vie, les joueurs habitent seuls. Aucun ne savait cuisiner, ou utiliser une machine à laver. Aussi, de nombreux joueurs sont venus voir les dirigeants pour gagner plus d’argent. Non pas qu’ils soient particulièrement dépensiers et mènent un train de vie élevé. Mais simplement parce qu’ils envoyaient la totalité de leur salaire à leur famille.

Objectif D1

Après deux saisons d’apprentissage (8ème en 2012-2013, 2ème en 2013-2014), l’ambition est désormais de rejoindre la première division et de devenir « l’un des clubs les plus en vue en Belgique » [13]. Pour cela, de nouveaux joueurs Aspire sont arrivés. Les premiers Qataris, présents avec l’équipe réserve, pourraient faire leurs débuts avec l’équipe première. Luis Garcia, 33 ans, finaliste de la Coupe UEFA avec l’Espanyol Barcelone, 5 fois international espagnol en 2007, est venu apporter son expérience à cette équipe de post-formation.

Le discours de l’entraîneur s’apparente pourtant plus à celui d’un formateur que d’une personne visant l’élite: la manière serait plus importante que le résultat sportif. Échouer dans la course à la montée serait toutefois un échec, même s’il ne remettrait pas en cause l’investissement d’AFD en Belgique. Mais le club a également perdu plusieurs joueurs. Nils Schouterden, 16 buts en D2 la saison passée, a trouvé preneur en D1. L’autre départ est plus « réjouissant » pour Aspire : Diawandou Diagne a rejoint l’équipe B du Barça. Mieux, début septembre, il a été intégré à la liste des 25 joueurs du club qualifiés pour participer à la Ligue des Champions [14]. Pour les dirigeants d’Aspire, ce départ est la première preuve que leur plan fonctionne. Les grands clubs dépêchent régulièrement des recruteurs au Kehrweg. Mais il semblerait pourtant que la curiosité soit la raison première, plutôt que la réelle observation de futurs grands talents. Au début de l’été, un recruteur déclarait dans la presse flamande « ne pas être particulièrement impressionné par le talent. Une équipe première exclusivement composée de post-adolescents, c’est inhabituel. Il y a une raison à cela. »

Le futur permettra de voir si ce programme colossal est viable. S’il ne faut pas tirer de conclusions hâtives et s’il est normal, voire nécessaire, de critiquer les passe-droits que s’accorde le Qatar grâce à sa richesse, il est important de souligner que malgré tout, le projet sportif en Europe tarde à confirmer. En 2022, ces joueurs qui affrontent chaque semaine l’Antwerp, le Patro Eisden Maasmechelen, Tubize ou encore Oud-Heverlee-Louvain seront à un âge généralement considéré comme « l’apogée d’une carrière professionnelle ». Participeront-ils à la Coupe du Monde ? Et si oui, sous quel drapeau ?

La reprise d’un club de D2 belge démontre, s’il était encore nécessaire de le faire, la difficulté d’exister ailleurs qu’en première division. En proie à des difficultés financières dans ce mouroir, les clubs pris à la gorge n’hésitent plus à perdre leur identité, leurs décennies d’Histoire et leurs supporters. Via la fusion (Genk), via la récupération d’installations sportives et de sponsors de clubs disparus (Zulte Waregem), via le rachat par d’autres clubs ou présidents de clubs (Mouscron, Seraing, Saint-Trond), tous les moyens sont bons pour réunir quelques centaines de milliers d’euros qui permettront à un club, de plus en plus souvent artificiel, de terminer la saison. Eupen ne fait pas exception. Récemment, Colomer a donné sa vision de « l’équipe première du futur » : entre cinq et sept Qataris, autant d’Africains, et quelques joueurs formés en Belgique pour compléter l’effectif et répondre aux quotas demandés.

Jean-Marie Pfouff.

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[1] http://www.osp-rheinland.de/

[2]http://www.gsdp.gov.qa/portal/page/portal/gsdp_en/qatar_national_vision/qnv_2030_document/QNV2030_English_v2.pdf

[3] http://www.aspire.qa/FACILITIES/ASPIREDome/Pages/AspireHome.aspx

[4] Afrique du Sud, Cameroun, Ghana, Kenya, Maroc, Nigéria, Sénégal.

[5] Sandro Rosell deviendra président du FC Barcelone entre 2010 et 2014. Une de ses premières décisions fut d’autoriser le premier sponsor payant sur le maillot blaugrana (180M€ sur 5 ans). Il s’agissait de la Qatar Foundation, créée par l’Émir et présidée par une de ses épouses.

[6] Cameroun, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Kenya, Mali, Nigéria, Ouganda, Rwanda, Sénégal, Tanzanie, Costa Rica, Guatemala, Paraguay, Thaïlande, Vietnam.

[7] http://www.afrik.com/lionel-messi-en-visite-humanitaire-au-senegal

[8] http://www.theguardian.com/sport/blog/2007/nov/11/spoilsports

[9] http://www.rtbf.be/sport/football/etranger/italie/detail_maxime-lestienne-avait-fait-le-tour-a-bruges?id=8350480

[10] http://fr.fifa.com/aboutfifa/socialresponsibility/news/newsid=919895/index.html

[11] Confédération de Football d’Amérique du Nord, d’Amérique Centrale et des Caraïbes.

[12] Article 553.

[13] Josep Colomer, lors d’une rencontre avec les supporters, juillet 2014 : http://as-eupen.be/fr/le-directeur-sportif-josep-colomer-sentretient-avec-les-supporters/

[14] http://www.uefa.com/uefachampionsleague/season=2015/clubs/club=50080/squad/index.html

18 thoughts on “Qatar, acte I en Belgique : c’est encore flou

  1. Extrêmement intéressant !! Merci beaucoup.

    Ps : la jup académie est très bien aussi bien sûr. Continuez comme ça :)

  2. Après deux saisons d’apprentissage (8ème en 2012-2013, 2ème en 2013-2014), l’ambition est désormais de rejoindre la première division.
    En finissant deuxième, on accède pas à la première division en Belgique ?

  3. Une bien belle histoire de fric, de trafic d’enfants et de football. Et si Eupen arrive en Jupiler league et gagne le droit de participer à une coupe d’Europe, y aura-t-il un conflit de propio avec le PSG ?

  4. Je parie qu’en Belgique, même en D2, y a des playoffs pour monter en D1…

    Bravo en tout cas JMP, un bien bel article comme on aimerait en voir plus souvent!!!

  5. @Dalbert : merci beaucoup pour le soutien !

    @MC Fetz : Merci ! J’aime beaucoup le pseudo.

    @kitousan : pas forcément. Par exemple la saison dernière, c’est Mouscron, 4ème, qui est monté. Je suis sûr que je t’embrouille un peu plus en disant ça. Du coup je me permets de te renvoyer sur la dernière partie de l’article suivant, qui, je l’espère, répondra à toutes tes interrogations : http://horsjeu.net/fil-info/la-jup-explications-des-playoffs-edition-2013-2014/

    @Toufik : aujourd’hui, je pense que ça poserait effectivement problème. Mais il suffit que le Qatar ne se présente plus comme propriétaire mais comme sponsor principal, et le tour est joué. On a d’un côté AFD Eupen, QSI de l’autre, donc il doit être assez aisé de mettre un homme de main à la tête d’une de 2 structures pour être juridiquement aux normes.

    @Rojito : bien vu ! Et merci !

  6. Mais a partir du moment ou les qataris ont investi en Belgique, cela n’a pas contribué à améliorer le football belge du moins indirectement ?

  7. Merci à tous !

    @Octobre Rouge et Blanc : c’est-à-dire ? Tu veux parler des droits TV par exemple ?

    Mais je te dirais que pour le moment, Aspire n’a rien apporté au football belge. Si ce n’est qu’on sera peut-être fier dans 7-8 ans de voir un mec dont on se souvient absolument pas réussir, et on gueulera « JE L’AI VU QUAND IL ÉTAIT A EUPEN, IL ÉTAIT TROP BON ! ». Un peu comme avec Yaya Touré en fait.

    Le gouffre D1/D2 est bien plus important en France qu’en Belgique. La D2 n’est suivie par personne. Il me semble avoir lu récemment que le diffuseur versait 20 000 € à chaque club. Non, je n’ai pas oublié un ou deux zéros.

    Mêmes dans les stades, ça n’attire pas. Sur ce début de saison, les 2 plus grosses affluences tournent autour de 5500 personnes (Louvain, Saint-Trond). Eupen a joué 3 matchs à domicile : 2200 de moyenne. Mons, relégué de D1, a attiré 1500 personnes (cumulées) sur ses 2 derniers matchs. Hier, il y avait un Tubize-Antwerp : 800 spectateurs, dont 525 anversois.

    Mais que ce soit bien clair, Aspire n’est pas responsable de cette situation. C’est l’Union Belge qui est à blâmer. C’est juste que, pour répondre à ta question, la présence d’Aspire n’a rien changé pour le moment et n’a pas poussé d’autres clubs de D2 à faire mieux en formation ou en recrutement. Je ne pense pas que ce soit le projet d’Eupen, finalement proportionnellement bien plus grand que celui de QSI à Paris, qui ait poussé Amara Diané à rejoindre la D2 aujourd’hui par exemple.

  8. Bravo, merci JMP ! Je l’ai dit, je le répète, tu deviens le patron de la Jup’Acad’ avec ce genre d’article. Nan mais c’est vrai quoi, je passe pour quoi moué ?

  9. Bel article, fouillé et documenté. Suivant ce projet de près depuis l’arrivée d’Aspire à Eupen, je me permets d’apporter deux ou trois réflexions :

    – le projet a été conclu pour une période de dix ans. Comprenez : « Aspire possède le club d’Eupen pour dix années à date de 2012 ». Soit jusque 2022 et la CDM au Qatar. Tiens donc. L’accord peut être renouvelé mais on n’y est pas encore.

    – la raison de cette vente est simple : après une saison en D1 qui aurait dû se prolonger (l’UB a refusé d’appliquer le règlement concernant un joueur non-qualifié, ce qui a eu pour effet de voir Eupen basculer avant-dernier et donc jouer les barrages de relégation), le club qui avait fait d’énormes efforts pour se mettre en conformité avec les règles de la JPL s’est retrouvé criblé de dettes, laissées par les investisseurs italiens. Un investisseur allemand avait repris le club mais s’est retrouvé en prison pour divers problèmes financiers. Bref, Eupen cherchait une solution. C’est alors Luciano D’Onofrio qui a apporté la solution (il est très lié au football en province de Liège depuis son passage au Standard et s’amusait de voir un potentiel concurrent des Rouches être ainsi repris par les investisseurs du Qatar. Ce serait long à expliquer mais soit. Et ce projet était le seul qui garantissait la pérennisation de l’école des jeunes. D’ailleurs, sur les 18 noms de la feuille de match, on compte habituellement 6 ou 7 Africains d’Aspire, 2 ou 3 Belges « de renom » (pour la D2), quelques vieilles gloires espagnoles et le reste est fourni par les équipes de jeunes du club (ex. Jonathan D’Ostillio et Michaël Lallemand qui sont régulièrement titulaires). Donc d’une part cela ferme la porte aux Belges, mais les règles (6 sur la feuille) et la politique des dirigeants amènent 2 à 3 jeunes formés au club la possibilité de se retrouver sur la feuille (et de jouer) chaque dimanche.

    – récemment, Aspire a conclu avec la ville un bail emphytéotique qui lui permet de moderniser complètement les structures d’entraînements et de formation. Une aubaine pour un clin (et une ville) qui récupérera donc le bien sans devoir débourser 1 euro au terme de l’accord.

    Surtout, et comme JMP le fait bien remarquer, ce projet dantesque au niveau belge prouve que la D2 belge est malade et que sans ce type d’investissement, il est difficile d’en sortir. Il y a donc à boire et à manger …

  10. Merci pour vos compliments, je vous aime bien.

    @Bart : à genoux ! Tu auras toujours les clés de la Jup’.

    @Romain : un grand merci pour ces excellents compléments. J’avais choisi de ne pas évoquer les raisons de l’état des finances d’Eupen, mais simplement d’évoquer l’existence de dettes, pour éviter d’être -encore- plus long. Mais il est bon de les trouver ici dans les commentaires.
    J’avais oublié que D’Onofrio était une nouvelle fois dans le coup.

    La modernisation des structures d’accueil à la charge d’Aspire est donc un investissement complémentaire à la « redevance » de 200 000 € évoquée dans l’article ?

    Le RAEC Mons avait publié en février un communiqué alarmant sur la D2, alors même que les Dragons étaient en D1 et avaient mathématiquement la possibilité de se sauver. C’était quasiment un appel à l’investissement étranger.

  11. Superbe article. Sacrée masse de boulot pout l’écrire, j’imagine; sur cette lancée un jour tu devrais expliquer le(particulièrement obscur)système Belge de relégation/promotion des clubs

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