– Tu savais que Raymond Kopa s’appelait Kopaszewski ?
– Oui ta gueule.

Encore un hommage à Kopa ? Oui.
Encore écrit par une personne qui ne l’a jamais vu jouer ? Oui.
Encore des images d’une époque révolue ? Oui.
Encore, encore, encore, encore et toujours plus de Kopa tant que vous ne comprendrez pas qui était cette personne et qu’il soit une bonne fois pour toutes dans le Panthéon, si ce n’est des mémoires collectives, au moins des amateurs de football.

Alors inutile de préciser que le palmarès ne sera pas évoqué ici, Wikipédia le fait très bien et tous ceux qui n’ont rien à dire s’étendront suffisamment dessus dans tous médias préférés. Qu’est-ce que Raymond Kopa aujourd’hui ? C’est avant tout une preuve de plus que la génération de nos grands-parents disparaît inexorablement. Kopa, c’est l’un des premiers personnages de connivence footballistique avec les vieux. Pour certains, il y avait Ben Barek, puis Kopa et Fontaine, loin devant Piantoni, Jonquet et Marche. Certains étrangers allaient avec ces Français : Puskas, Di Stefano, Matthews, Gento, Yachine… en attendant les années 60 et les révolutions Pelé, Eusebio, Charlton et compagnie. Raymond Kopa est un nom aussi intrigant qu’obsolète. Portons le voile du deuil mais tombons le masque, les premières évocations de Kopa sentent un peu l’aïeul défraîchi et il évident qu’il n’apparaît pas dès notre plus jeune âge comme un héros à la hauteur d’un Papin ou d’un Waddle me concernant.

Kopa, on y vient forcément un peu plus tard mais pas trop. Pour de nombreuses raisons : parce qu’il n’est pas possible d’évoquer un grand espoir sans évoquer Kopa, parce qu’il n’est pas possible d’évoquer une belle équipe de France sans parler de France 1958, parce qu’il n’est pas possible d’évoquer un Français qui réussit dans un grand club étranger sans le comparer à Kopa au Real, parce qu’il n’est pas possible de parler d’ascenseur social du football sans penser à Kopa, parce qu’il n’est pas possible de mettre en avant les immigrés comme fierté de la France sans mettre Kopa en tête de gondole et parce qu’il n’est pas possible de parler ballon d’or français sans rendre honneur au premier vainqueur français, Raymond Kopa. Parce que le surnom de Kopa était Napoléon, rien de moins. Je vois venir les plus malins qui essaieront de faire un jeu de mots avec la Corse (la coppa et Napoléon), c’est inutile, Raymond lui-même avait adopté depuis longtemps cette île magnifique comme résidence.

Il sera facile de s’attarder sur ses faits de gloire et sa place médiatique de l’époque mais l’important n’est pas là. Aujourd’hui, Kopa est un exemple, pas seulement d’intégration, ce serait réducteur mais d’abnégation, de courage, d’opportunisme, de travail, d’indignation (sous doute un brin intéressée mais tout de même), de succès, de respect et de classe. Il suffit par exemple d’écouter Kopa parler de son histoire, pour être surpris et se dire qu’il y a peu de personnes publiques capables de parler une langue aussi soutenue. Et il a commencé mineur. Et il était footballeur. Et le polonais était la langue parlée chez lui. C’est sûr qu’il pouvait apparaître parfois hautain mais qu’on ne lui fasse pas de mauvais procès, il était la star, la Bardot du foot. C’est sûr qu’il pouvait apparaître personnel ou individualiste mais qu’on se rappelle bien que le dribbleur, c’était lui et personne d’autre. Tête de proue du football champagne avec le Stade de Reims avant et après son passage au Real Madrid, il a été le défenseur des droits des footballeurs, lui l’auteur du « J’accuse » de l’époque en 1963 : « Les footballeurs sont des esclaves ». Il était le seul à pouvoir se permettre cela sans remettre en question son statut et sa carrière. Suspendu tout de même, il a fait le principal et remis en question le droit de vie et de mort des clubs sur les joueurs avec les contrats à vie. Lui a pu aller au Real et nombreux sont ceux qui devaient passer leur carrière avec le même maillot, le fameux amour forcé du maillot tant clamé par les abrutis.

Le leader d’une génération aussi, celle de fils d’immigrés du début du siècle, celle d’ouvriers, de mineurs qui faisaient le sale boulot, là où on risquait sa vie. L’intégration des ces populations ne s’est pas faite sans mal, sans perte, sans stigmatisation, comme toutes les générations d’immigrés. Les Ritals et les Polaks étaient rien de moins que les Bamboulas ou les Bougnoules qui leur ont succédé dans le conscient collectif, car leurs identités n’ont rien à voir avec l’inconscient ou l’imaginaire collectifs. Et comme à chaque époque, comme à chaque population originaire d’ailleurs, se lève un symbole pour leur montrer l’importance, la richesse de ces petits nouveaux et par dessus tout montrer par l’exemple le plus éclatant la bêtise des peureux, des racistes, des gens en place. Kopa à côté de Piantoni pour accompagner Fontaine, la France de 1958, c’était celle-ci sans doute un peu plus que celle incarnée par le Général. Un peu comme aujourd’hui où ce genre de figures tutélaires est indispensable pour mettre en perspective ce qu’il est possible pour tous d’accomplir dans ce pays. Fait le plus significatif, les meneurs de jeu français Ballon d’or ont tous correspondu aux vagues d’immigrations successives : Kopa, Platini et Zidane.

Mais Kopa, malgré le symbole qu’il est indispensable de garder d’une manière plus discrète qu’un Mimoun par exemple, nous ramène à notre condition de mortel. Il ne suffit pas d’être une idole même lointaine pour être éternelle. Même si Just Fontaine et Roger Piantoni sont encore là pour entretenir la flamme, la même que celle qui était dans les yeux de mon grand-père quand il me parlait de son époque. Et celle que je voudrais avoir quand je parlerai de Zidane.

Dernier signe des plus grands, Kopa a le même nombre de sélections en Equipe de France que Cantona.

8 thoughts on “Raymond Kopa, si moderne

  1. En si peu de temps : Kopa, Cabanas…

    C’est nul, désolé. RIP, Monsieur Raymond.

    (et bel éloge)

  2. Kopa a eu son hommage éternel dans OSS117 (« quel pataquès ! »), il pouvait partir tranquille.

  3. Tant d’hommage périphériques à Nancy me donnent des fourmillements dans le bas-ventre-mou. Bravo Spooner pour ce bel hommage (j’ai quand même compris de qui il parlait, hein).

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