Résumé de l’épisode précédent : découvrant que la bière suffit à assouvir ses besoins nutritionnels, notre héros se rend dans un pub à tendance footballistique. Hélas, un débat sur l’arbitrage vidéo dégénère, et Superacad intrigue désormais le Quai des Orfèvres.

 

Je ne suis retourné dans aucun bar depuis l’incident. Pour tout dire, ces jours-ci passent dans une errance un peu vaine. Pour assurer ma subsistance, je suis devenu la coqueluche des nombreux sans-domicile du 19e arrondissement. Nombreux sont ceux qui partagent de bonne grâce leurs 8.6 en riant de mes exploits, dont celui d’ingurgiter la bière d’un seul trait, canette métallique comprise. L’hébergement est à l’envi, sous le métro aérien, emmitouflé dans un duvet aux couleurs du Bayern de Munich glané au hasard de mes rencontres (en l’occurrence en fracturant un van de routards teutons au pied de la butte Montmartre). Pour me réchauffer l’âme et l’esprit, je participe assidûment aux parties de football inorganisées au parc de La Villette avec les gens de passage, migrants et chômeurs désœuvrés, auxquels se joignent en fin de semaine travailleurs africains en situation irrégulière et apprentis bobos peu fortunés.

Qui suis-je, d’où viens-je, quel est le sens de mes nouveaux pouvoirs, voici autant de questions que ces séances sportives me permettent d’esquiver en m’y abîmant tout entier, en attendant je ne sais qui ou je ne sais quoi. En ce dimanche d’une douceur à convaincre Donald Trump du réchauffement climatique, l’essentiel se trouve bien sur ces pelouses bosselées, où quatre sacs à dos et un ballon suffisent à rendre l’humanité presque fréquentable.

A mon grand regret, ma bonne fée a omis d’inclure le talent à ma panoplie de super-pouvoirs footballistico-anaux. Pourtant, loin d’être une tare, cette absence de prédisposition s’avère un don. Le manque de talent, c’est ce qui fait naître la joie de réussir une passe honnête entre deux contrôles approximatifs. Quand toute la dramaturgie du monde se concentre dans le temps et l’espace d’une occasion lamentablement ratée, à défaut de voir poindre le bonheur la détresse s’éloigne. Pour l’homme sans passé ni perspective que je suis en ce moment, l’opium du peuple est un dérivatif appréciable. Je n’omets pas de l’agrémenter de quelques tacles bien sentis, d’autant plus éloignés du ballon que ma victime arbore les marqueurs d’un goût condamnable : maillot dégradé du Barça, cuissards chauffants sous le short, et autres crimes de guerre du même acabit. Le cas échéant, la foi réaffirmée dans un engagement viril mais correct, des excuses bien senties et, pour les plus récalcitrants, un regard de psychopathe, évitent alors à la situation de s’envenimer.

 

Nos équipes aux compositions mouvantes évoluent depuis une bonne heure quand surviennent deux policiers municipaux, une femme et un homme. Les ayant vus venir de loin, deux de nos joueurs dotés d’une relation particulière à l’ordre public se sont discrètement éloignés, nous coûtant d’ailleurs un but en contre-attaque. Profitant de ce que notre gardien est parti à cent mètres récupérer la balle au fond de notre absence de filets, les fonctionnaires entament la discussion avec celui qu’ils estiment digne de représenter l’effectif, en l’occurrence moi.

Bonjour Messieurs, on va devoir vous demander d’arrêter la partie.

– Tiens donc, mais que se passe-t-il ?

– Les jeux de ballons sont interdits, il y a des familles sur le site.

– Ah ? Nous sommes pourtant en janvier, et malgré le beau temps l’on ne peut pas dire que le parc de La Villette soit saturé. Regardez autour de vous, vous verrez trois familles, dont vous conviendrez qu’elles se trouvent suffisamment loin de nous pour éviter tout accident. Ne pouvons-nous pas trouver un peu de compréhension ? avancé-je en tentant d’entrouvrir un peu les portes triple-blindage nous faisant face.

– Nous avons eu des plaintes, Monsieur, intervient la fliquette aussi peu aimable que son partenaire. Il y a des nuisances. Vous criez, vous vous agitez, ça fait du bruit.

– Soit. Je n’ai pas la même notion des nuisances, mais comme l’on dit dans le milieu de l’arbitrage, tout est question d’interprétation. Mais dites-moi, je note qu’à votre arrivée sur la pelouse, vous êtes passés devant la joyeuse bande de rugbymen en train de s’entraîner là-bas ; à moins qu’ils ne simulent des positions sexuelles, je n’arrive jamais à faire la différence. Sans vouloir chercher les ennuis et à seule fin de comprendre la situation, comment se fait-il que vous ne leur ayez pas aussi signifié l’interdiction de tout jeu de ballon ?

– Cela n’a rien à voir. Eux ne causent pas de trouble. Ne faites pas d’histoire et partez, Messieurs, claque Monsieur Flic, descendant encore d’un degré sur l’échelle de la communication interpersonnelle non verbale. Alerté par les tressaillements parcourant ma peau, je sais pourtant que je devrais briser là pour le bien de toutes les personnes présentes. Je ne puis cependant m’empêcher de relancer, mû par ce mystérieux penchant pour la controverse – à moins que je ne sois tout simplement une tête de con, ne mettons pas le tout sur le dos de ma nouvelle personnalité.

 

Je ne comprends pas, Monsieur l’agent : ces gens-là jouent au ballon comme nous, se déplacent au risque de piétiner à mort des enfants égarés comme nous, crient et rient comme nous… pourquoi devrions-nous lever le camp ?

– Bon, les footeux de merde, vous allez vous taire et dégager avant que je verbalise.

– Footeux de merde, dites-vous ? Ce serait donc ici la raison ? Notre qualité – aussi éphémère et relative soit-elle – de footballeurs constituerait à elle seule un trouble à l’ordre public ? Nous serions donc de si mauvais citoyens qu’il vous faille nous extraire de ce parc séance tenante ?

– Eh, ho, pas à nous, le baratin, rétorque Madame Flique. On vous connaît, les footeux : vous n’en avez rien à foutre des autres, vous dégueulassez tout et vous foutez le bordel partout où vous passez, vous empêchez les gens normaux de profiter des jardins.

– Allons, allons, un peu de mesure Madame l’agent. Regardez-nous, avons-nous vraiment des têtes de dangereux anarchistes, munis d’un ballon rond en guise de cocktail Molotov ?

 

Sentant approcher le point d’énervement fatal qui m’a conduit à deux reprises à transformer des débats footballistiques en sévices sadiques, je m’efforce de garder mon calme. Muets depuis le début de l’échange, mes camarades de jeu placés derrière moi assistent à un silencieux et tendu échange de regards avec les policiers. C’est alors qu’un mime surgit.

C’est bien un mime, qui vient lentement intercaler sa gueule de niais ouverte en « O », à l’incrédulité totale d’une assistance qui s’attendait à tous les dérapages, sauf à celui-ci. Monsieur Flic pose sa question la plus pertinente de la journée.

Qu’est-ce que vous venez foutre là, vous ?

– …, répond fort à propos le diplômé en Arts de la rue.

– Ce sont des mimes, Monsieur l’agent, ils ne vous répondront pas. Regardez, il y en a deux autres qui sont en train d’arriver. Et un clown. A votre place je m’adresserais à lui, ce doit être leur chef.

– Qu’est-ce que vous venez foutre ici ? réitère le pandore à l’attention de l’emperruqué.

Nous sommes la BAC, Monsieur l’Agent, s’exclame Zavattache avec l’emphase et la voix nasillarde de rigueur. La brigade artistique de citoyenneté…

– On n’avait pas dit de convivialité ? l’interrompt un de ses camarades.

– Chhht, tais-toi, t’es un mime, je te rappelle. Bref. Mesdames et Messieurs et petits enfants, nous avons l’immense honneur…

– Abrège ducon, comme bavard j’ai déjà assez avec l’autre connard de footeux, tranche le policier de moins en moins soucieux du code de déontologie de la sécurité.

Pardon, je croyais qu’on vous avait prévenus. On est une asso missionnée par la mairie pour intervenir par le rêve, la culture et le rire pour détendre tous les petits litiges qui peuvent survenir dans l’espace public. On vous a vus, on s’est dit que vous aviez un problème avec vos jeunes, donc on a envoyé les mimes.

C’est gentil à vous, mais de toute façon ils dégagent dans une minute.

– Voyons, on peut sans doute jouer les médiateurs urbains. On peut discuter avec ces jeunes, ils sont juste un peu turbulents.

– Turbulents ? Mais on a rien dit et on a rien fait, mes couilles, quoi, va niquer ta mère ! proteste un joueur, outrepassant mon rôle de négociateur désigné.

Ha ha, du calme. Il faut comprendre les fl… les policiers, ils sont là pour faire respecter l’ordre. Et si c’est pas possible de jouer ici et maintenant, vous pourrez jouer ailleurs. Tenez, ça me fait penser, je vais vous donner le flyer, c’est à propos de notre projet d’éducation sportive et artistique à la citoyenneté urbaine. On mène ça avec le soutien de la mairie, sur le city-stade. C’est tous les lundis à 18 heures, on joue et en même temps on parle, on fait de la prévention, tout ça…

– C’est tout à fait passionnant, concédé-je. Néanmoins, entre une après-midi improvisée en toute convivialité sur ces belles pelouses et une partie de nuit encadrée sur un terrain de béton sordide, il me semble qu’il y a comme une… dégradation de l’offre qui nous est proposée.

Je peux pas vous laisser dire ça. Notre action « sport et citoyenneté » n’est pas encadrée, elle est accompagnée. Jouer au football c’est bien, mais il faut s’enrichir un peu l’esprit aussi. C’est ce que l’on permet.

– Et qui vous dit qu’aucun des joueurs ici présent ne lit des romans en dehors de ses parties de football ? Comme je le disais tout à l’heure à Madame l’agent…

– Madame l’agente, corrige le clown.

– … comme je le disais à cette connasse avant que vous ne tentiez de me faire perdre mon calme, donc, il faudrait peut-être cesser de voir en nous des personnes au mieux à expulser, et au pire à rééduquer, au seul motif que nous sommes tous de jeunes hommes à la coiffure discutable et à la carnation hétéroclite.

– Oui, d’ailleurs, ça tombe bien que vous releviez ça : vous êtes des jeunes d’origines diverses, ça se mélange, c’est super, mais vous ne trouvez pas que c’est un peu genré, votre activité ?

– Genquoi ?

– Ben… vous n’êtes que des mecs. C’est pas normal. Pourquoi il n’y a aucune fille qui joue avec vous ? Elles ont le droit de faire du sport, vous savez.

– Ben moi il y a bien mes sœurs, se défend un joueur tout penaud. Mais elles jouent avec les rugbymen, là-bas, elles me disent que le foot c’est pour les pédés.

– Heu… Bien… Hé hé ! esquive Bozo. Bref. Je ne vous force pas, hein, vous êtes libres, mais puisque vous allez de toute façon vous faire virer d’ici… je le regrette autant que vous, hein, c’est notre état policier… à moi aussi ça fait un peu peur, on va finir par rentrer en résistance… mais enfin, puisque vous allez dégager, pensez à nous rendre visite lundi soir au city-stade. Vous verrez, ça sera cool, il n’y aura pas de policiers, ça sera totalement alternatif et citoyen, et la mairie offre le goûter et des préservatifs.

– Y aura des chattes ? s’émoustillent deux sportifs à peine pubères, anéantissant mes hypothèses précédentes sur leurs goûts littéraires.

Heu… ce sera une activité ouverte à tout.es… merde, comment on dit à l’oral déjà… à toutes et tous. En tout cas, il y aura des moniteurs, des éducateurs… vous verrez, ce sera encore mieux que du football : ce sera du football citoyen.

Ces mots m’amènent à démultiplier les efforts pour me contenir, efforts désespérés si j’en juge par la boursouflure grisâtre qui commence à déformer mon épiderme :

– On. Etait. Juste. Venus. JOUER. AU. BALLON ! PAS SE PRENDRE LA TETE POUR JUSTIFIER TA SUBVENTION DE MERDE, ENCULE DE TA RACE.

 

Un poing fulgurant perfore le pantalon blanc d’un des mimes, dont la bouche se fige dans un « O » parfait. Une fois ma prise assurée jusqu’à l’épaule, je le fais tournoyer, culbutant un à un ces exécutants du pouvoir municipal ligués pour gâcher notre après-midi. Alors que mes camarades joueurs s’enfuient en hurlant, j’avise les deux policiers gémissant face contre terre. Si je châtie des représentants de l’ordre, c’en sera fini de ma tranquillité… mais après tout, après le tumulte de ce dimanche, il sera de toute façon difficile de passer inaperçu.

– Perdu pour perdu, me dis-je en saisissant le clown par la nuque…

 

***

L’Editeur entra dans la salle de réunion, claquant la porte derrière lui. Les manches de chemises retroussées, il posa les bras sur le bureau et fusilla visuellement, un à un, les membres de l’équipe. Livide, le visage inexpressif à l’exception de son regard basaltique, il laissa l’atmosphère écraser les rédacteurs, partenaires et autres académiciens présents ce matin-là au siège d’HorsJeu Média. Malgré la crainte, aucun d’entre eux ne pouvait se détacher de ces yeux, que tout le monde eût pourtant juré d’un bleu d’acier tant cette couleur se fût mieux accordée à l’hiératique stature du chef. Cet homme est beau comme un stade olympique en 1933, songeaient-ils par devers eux.

On va parler de l’organisation des Van Nobel, mais d’abord je dois vous dire que vous faites chier, les gars. Vous le savez : il y a en ce moment à Paris un mec qui encule – je vous le dis littéralement : qui encule – ces bâtards qui nous pourrissent la vie en parlant de foot. Le mec est pile dans notre ligne éditoriale et nous, qu’est-ce qu’on fait ? On le perd de vue. Mais putain, il était sous vos yeux les gars ! Sous vos yeux ! Bordel de merde, on y était au Cork, on a tous vu ce qui s’est passé : et il n’y en a pas eu un seul parmi vous pour intervenir tellement vous étiez torchés.

– Hé, ho, toi aussi tu y étais, au pub, avec nous. Et t’as rien vu du tout tellement t’étais cuit.

– Ta gueule. Et là, vous avez vu la nouvelle d’hier soir ? Le mec y était, les gars, il était à un jet de canette de chez nous, à La Villette. Et là, vous l’avez encore loupé, et vous savez pourquoi, vous l’avez loupé ? Parce que vous n’étiez pas présents là-bas pour jouer au foot, connards, évidemment, vous préférez claquer vos thunes dans vos Five de merde. C’est pour ça que je vous paie les gars ? Pour que vous ayez des douches chaudes où vous pomper après votre foot de bourges ?

– C’est bon, on va y aller, à La Villette, on va le retrouver ton gars, t’énerve pas.

– Gnagnagna, on va le retrouver… et mon gland, tu vas le retrouver à fouetter ta gueule si tu racontes encore des conneries. Tu crois qu’il va se balader décontracté, maintenant qu’il a violé un condé et qu’il va avoir tous les bleus de Paris au cul ? C’est mort pour vous, les gars, continuez à avancer sur les Van Nobel sans trop vous pignoler, moi je me casse, j’ai à faire.

– Où tu vas ?

– Je descends au chenil. On va lâcher Pieryvandré.

 

***

Quel sort Superacad a-t-il réservé aux policiers ? Non, il ne leur a pas vraiment fait ça ? Pourra-t-il échapper aux représailles ? Pourquoi l’Editeur, ce bel homme, tient-il à ce point à le retrouver ? Vous le saurez en retrouvant le prochain épisode de Superacad contre Menesis.

© Gervais Marvel Entertainment, Inc.

21 thoughts on “Superacad, ép. 2 : Les flics. Les clowns. La fuite.

  1. Je trouvais le récit super crédible et puis patatatras :
    « C’est pour ça que je vous paie les gars ? »

    J’ai pigé qu’on était dans la fiction. Très belle fiction cela dit.

  2. La faute aux bobos qui préfèrent aller bruncher le dimanche plutôt qu’aller se foutre sur la gueule dans le champs de patate de la Villette lors d’une partie de foot à couteaux tirés.

  3. Oh purée, quel cliffhanger ! Comment vais-je faire pour attendre le nouvel épisode pendant une semaine ?
    A part dormir pendant 7 jours, je ne vois pas.

  4. Bien sûr que c’est de la fiction, enfin.

    Des mecs qui portent des maillots dégradés du Barça, n’importe quoi…

  5. Putain Pieryvandré ! je m’y attendais pas, c’est fou.
    Je suis à bout, je tiendrai clairement pas la semaine comme mes camarades

  6. C’est fou que ce que vous êtes direct et sincère.

    Vous êtes, monsieur, le Mourinho de la fiction footballistique, l’anti-Talleyrand du web français, un Bonaparte du roman anal à feuilleton.

  7. Le pitch n’est même pas terminé que j’attends déjà avec impatience le reboot avec Mickael Fassbender dans le role principal et l’éditeur, ce bel homme, dans celui du réalisateur

  8. Si SuperAcad a la moitié des pouvoirs qu’il nous a montré jusqu’ici, cela va dégénérer sévère la semaine prochaine.
    Curieusement, j’ai hâte de croiser l’anus de Menesis…

  9. Pieryvandré, carrément…

    Mais tout ça ne nous dit pas quel est le club de cœur de Superacad.

  10. Génial ! Ce feuilleton continue de nous surprendre…Vivement la suite des aventures de notre héros préféré !

  11. Magnifique ! Je voudrais déjà être vendredi prochain pour être presque en week-end et lire la suite.

  12. Merde l’Urban Foot c’est mal du coup ? Moi j’aimais bien. Purée j’apprends plein de choses.

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