Résumé de l’épisode précédent : traqué à la fois par la police et par un mystérieux chien, notre héros se trouve pris en tenaille dans la station de métro Colonel Fabien. Un inconnu le tire d’affaire et propose de l’emmener avec lui chez HorsJeu Média.

 

Il m’attend, sitôt la porte passée. Il me broie la main d’une poignée qui se veut cordiale, mais dont l’intensité trahit un je-ne-sais-quoi de nervosité. Affable, il me vrille de son regard mi-enthousiaste mi-inquiet, donnant à l’élégance de ses traits un surcroît de fascination. Moi qui a priori n’éprouve aucune inclination homosexuelle, je dois laisser la place à cette première pensée, comme une évidence : cet homme est beau.

– Eddy, bonjour. C’est moi qui dirige HorsJeu Média. Viens avec moi, on va discuter, entame-t-il, sourire aux lèvres mais d’un ton qui ne souffre aucune objection. Professeur, tu peux disposer.

Mon sauveur – « Professeur » ? – s’éclipse, et nous nous mettons à déambuler dans les couloirs de ce qui fut autrefois le siège du Parti communiste français. Epuisé par ma fuite, je me laisse entraîner.

– On va t’accueillir chez nous le temps que tu te retapes. A voir tes exploits, on semble avoir quelques valeurs en commun, c’est pourquoi on a envie de te protéger un peu.

Notre parcours dans l’immense bâtiment est jalonné d’affiches à la gloire de l’époque soviétique, de manifestes pour le programme commun de la gauche, mais aussi de nombreux posters de football de toutes époques, de calendriers de cul et, plus étonnant, d’un portrait du Maréchal Pétain. Avisant mon étonnement, l’Editeur reprend :

– Oui, on a toutes les tendances, chez nous. On tient à laisser toutes les expressions s’épanouir. La gauche, la droite, le cul, le foot… de toute façon, le monde est en pleine perte de repères.
Mais comment vous en êtes venus à occuper cet immeuble ?
Ha ha, puisque tu vas rester un moment avec nous, autant que tu saches toute l’histoire. Tu as vu tous ces intitulés, aux portes des bureaux ? On s’en bat les foot, 5400 secondes, Les carnets du foot, et tous les autres… Tous ces titres, toutes ces rédactions, on les héberge désormais dans le HorsJeu Building. Ca nous permet de rester regroupés face aux menaces qui pèsent sur l’Alterfoot.

L’Alterfoot… terme inconnu et pourtant familier… où avais-je déjà entendu ça ?

C’est quoi, l’Alterfoot ?, risqué-je.

Bref, éluda l’Editeur, il se trouve que nous hébergeons aussi le site Footballov, un truc sur le football dans le bloc de l’Est réalisé par des anciens de la Stasi. Quand il a fallu nous trouver un local ils ont fouillé dans leurs archives et retrouvé des sextapes de Georges Marchais et Robert Hue. On a aussitôt contacté le PCF et on a vite trouvé un terrain d’entente : ils gardent deux bureaux au sous-sol de toute façon ils n’ont pas besoin de davantage au point où ils en sont et on occupe le reste à titre gracieux, et la vie sexuelle de leurs dirigeants reste secrète. Allez, entre, me dit-il en ouvrant la porte d’un secrétariat quelconque.

L’entrée abrupte du patron procure aux deux secrétaires un sursaut de crainte en même temps qu’une submersion cyprinique. La marque des dirigeants d’envergure. L’une des secrétaires lui tend respectueusement une enveloppe, d’où l’Editeur extrait quelques documents.

Ici c’est comme la légion : on te demande pas d’où tu viens, du moment que tu fais le boulot. Donc je ne veux pas savoir qui tu es, voici tes nouveaux papiers.
« Guy Môquet ? » Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?
Oui, on s’est basés sur des faux papiers qu’on a retrouvés dans un tiroir. Sympa, non ?
Personne ne va tiquer, en voyant ce nom sur mes papiers ?
Bof, tu sais, comme disait Jean-Michel Larqué, « Plus c’est gros, plus ça passe ».
C’était pas plutôt Josef Göbbels ?
Je te l’ai dit, nous vivons une perte de repères.

Nous arrivons ensuite dans une grande salle, où l’éditeur me présente à un collaborateur, un petit blond fluet.

Voici Louis Cifert, le rédacteur en chef de horsjeu.net, le vaisseau-amiral du groupe HorsJeu Média. Au quotidien, c’est à lui que tu auras affaire, sauf si je décide de m’en mêler. Dis-moi, Louis, il est toujours à l’asile, notre community manager ?
Et comment !
Voici Guy Môquet, qui prend son poste à compter de tout de suite. J’ai d’ailleurs préparé un tweet à envoyer au plus vite, dit-il en me tendant un papier.
Heu… vous n’aviez pas dit que je pourrais me reposer un peu, avant ?
Oh, voyons, on peut se tutoyer. Mais va te faire foutre. Au boulot. Notre salle multimédia est là.

Pendant qu’il me désigne la porte de ladite salle, le rédac’chef jette un œil au carton que m’a tendu l’éditeur. Il blêmit aussitôt.

Eddy… t’es sûr de ton coup, là ? Il a l’air fatigué, quand même.
T’inquiète. »

***
Etourdi, je m’affale sur le siège, face à un mur d’ordinateurs. Sur les écrans s’affichent les différents comptes tenus par Horsjeu Média sur les réseaux sociaux. Les clowns, la fuite, le chien, les policiers, la fusillade… tout ceci s’est déroulé en à peine moins d’une journée. Les oreilles encore sifflantes des échanges de tirs d’il y a à peine une heure, je m’affale sur le siège, tournant entre mes doigts ma carte d’identité bidon. Qu’est-ce que je fous ici… Sur les bureaux supportant les PC, des marques de griffes et de dents humaines… le précédent CM a dû endurer un calvaire. Mon incompréhension est totale… en quoi infliger des sévices à des idiots fait-il de moi un bon chargé de communication numérique ? Ce n’est pas censé impliquer une certaine diplomatie, ce métier ? L’Editeur avait l’air si sûr de lui, pourtant…

« Ho, on se réveille ! », intervient-il, entrant sans prévenir. Posant brusquement un pack de 8.6, il repart sans un mot de plus, claquant la porte. Descendant les douze cannettes en 20 secondes, je prends enfin connaissance du tweet que le chef veut me voir publier sous la signature d’Horsjeu Média.

« Thierry Henry a marqué l’histoire du football anglais autant que nos derniers pets la faïence des toilettes. »

Mon Dieu. Bon, au risque de me répéter, l’Editeur semble savoir ce qu’il fait. Il émane une telle assurance de cet homme… Allez, ne réfléchissons plus, que je passe ce message et je pourrai peut-être enfin dormir. D’un œil morne, je regarde les partages survenir peu à peu. Apparemment, les personnes relayant la prose éditoriale sont des « académiciens », collaborateurs du site… légion disciplinée, de toute évidence. Des réponses affluent en soutien, quelques blagues à tendance scatologiques fusent… l’ordinaire du réseau, je suppose. Détail horripilant, chaque réponse est soulignée d’un petit « plong » sonore. Bizarrement, je ne parviens pas à trouver le moyen de désactiver ce bruit.

Plong ! une première voix discordante émerge. « La provoc’ pour la provoc’ ça va bien un moment. Je ne m’abonne pas à Horsjeu pour ça. » Soit. Plong ! un second message survient, plus succincts. « Connards. Branlez-vous plutôt sur ce loser de Cantona. » Je n’ai pas reçu beaucoup de consignes, mais je crois qu’il est de mon devoir de répondre. « Cher lecteur, je salue la concision de votre analyse, mais je crois que vous gagneriez cependant à faire preuve parfois d’un minimum de dist » Ah merde, c’est vrai, il y a une limite de caractères. Zutzutzut, c’est que j’aime prendre mon temps pour argumenter, moi. Plong ! « Thierry Henry n’a pas marqué l’histoire ? Votre vision du foot, c’est l’inculture totale en fait ? » Plong ! Une vidéo des plus beaux exploits du Londonien nous est postée en réponse, avec ce commentaire : « Okay, sa sa n’a pas marque l’histoire ». S’il m’a fallu quelque temps pour comprendre l’orthographe, ma réaction est plutôt facile : mes dons de clairvoyance me font trouver immédiatement la vidéo de son fameux pénalty gâché par une combinaison présomptueuse avec Pirès. Pan, dans les dents. Plong ! « Non mé sérieux lé ga, vous avé fumé kwa ? #HenryCLeMeilleur ». Signée « @dylangooner62 », l’envolée ne manque pas de sel. Je me le fais. Oh et puis tiens, je me les fais tous à la fois :

« Autant d’henrydolâtres chez les supporters d’Arsenal. L’éditeur a mal à son club, bande d’incultes. »

Plong ! Plong ! Plong ! Les réactions outrées ne se font pas attendre. « Euh… j’ai du mal à comprendre si vous êtes sérieux ou pas », écrit le plus lucide. « Nik tes morts con de footix », synthétise le plus nerveux.

« Monstre de suffisance, habile communicant, d’une fausse modestie grotesque, toxique pour le groupe dans ses deux dernières années », poursuis-je. « Ses qualités techniques étaient indéniables, bien sûr, mais quel souvenir, quelle émotion resteront de lui ? »

Je sens confusément que j’aurais du mal à garder cette ligne éditoriale intransigeante dans un débat argumenté. Heureusement, plong ! les abonnés semblent moins portés sur les envolées dialectiques que sur la défense impulsive. « Henry, le club lui a élevé une statue et vous vous le descendez. Tocards. » « Vous prétendez faire de la satire, mais vous ne volez pas plus haut que Cyril Hamouma, cons de vos morts. »

La fatigue, les « plong ! » incessants, l’agressivité de ces abrutis me minent. Prenant au premier degré un message mi-satirique mi-provocateur, ces andouilles transforment notre page en champ de foire. L’Editeur avait beau savoir ce qu’il faisait, sans aucun doute, je me demande s’il avait bien toute sa tête en m’obligeant à publier ceci. Je sens l’énervement poindre, mais comment me défouler face à ces imbéciles virtuels ?

Je me refuse à abandonner un navire qui prend pourtant l’eau de toutes parts. Chaque « plong ! » annonce une nouvelle brèche par un tweet moqueur, une bordée d’insultes souvent mâtinées d’un massacre syntaxique en règle.

C’est alors qu’un message s’affiche au nom d’Horsjeu Média sans que je n’y sois pour rien. Quoi ? Je ne suis pas le seul à avoir la main sur le compte ? Effaré, je découvre le texte :

« Y aura-t-il eu un président plus néfaste que Jean-Michel Aulas ? A part bien sûr Bernard Tapie ? ».

Hyènes en meute, les académiciens s’empressent de relayer la provocation auprès de leurs propres lecteurs. Cela ne rate pas : Lyonnais et Marseillais rejoignent les supporters d’Arsenal, en ayant semble-t-il pris soin de s’alléger en n’emportant pas leur cerveau dans l’arène. « Ploplonplonplonplonplong ! » Les notifications s’enchaînent en rafale. Je voudrais fermer les yeux et ne plus lire les réponses, mais mon superpouvoir décuple mes sens pour tout ce qui a trait au football : aussi suis-je incapable de rater un tweet aussi pertinent que « nik té mort batar de parisien », « t’y connait ri1, pd de lyoné », ou « Après m’avoir refusé le Van Nobel contre ce paltoquet de Garetier, Horsjeu trahit une nouvelle fois son inculture foot » – tiens, je ne m’y attendais pas, à celui-ci.

Entre la surchauffe des ordinateurs et ma propre tension nerveuse, l’atmosphère devient électrique – littéralement. Hallucination ? J’ai l’impression de voir de petits éclairs zébrer la pièce, qu’une légère fumée envahit.

« A jamais les premiers, tête de nœud, ça te dit quelque chose ? Et ça c’est Tapie, mon gars. »

Un tweet de plus ? Oui, sans doute, si ce n’est qu’il m’a semblé l’entendre et non le lire. Je me tourne et aperçois une sorte de gnome, immobile, me regardant fixement. « A jamais les premiers, tête de nœud, ça te dit quelque chose ? Et ça c’est grâce à Tapie, mon gars. », répète-t-il. Rabougri, difforme, il porte un maillot de son club de cœur, sur lequel est écrit « @Ohémographedu13 » ainsi que, en dessous, « #TeamOM #TeamBengous ».

– T’es qui, toi ?
– A jamais les premiers, tête de nœud, ça te dit quelque chose ? Et ça c’est grâce à Tapie, mon gars.
– Tu l’as pas déjà dit ?
– A jamais les premiers, tête de nœud, ça te dit quelque chose ? Et ça c’est grâce à Tapie, mon gars.

Plong ! Fait l’ordinateur. Un deuxième gnome surgit de je ne sais où, identique au premier à ceci près qu’il porte un maillot d’Arsenal floqué « @HistoricGunner1998 ».
Henry meilleur joueur de l’histoire anglaise, bâtard, suggère le nain du même ton monocorde que son congénère. Au moins, à l’oral, je n’ai pas à subir les fautes d’orthographe.
Plaît-il ?
– Henry meilleur joueur de l’histoire anglaise, bâtard.
– A jamais les premiers, tête de nœud, ça te dit quelque chose ? Et ça c’est grâce à Tapie, mon gars.
– Henry meilleur joueur de l’histoire anglaise, bâtard.
– Putain, mais ARRETEZ !
– Henry meilleur joueur de l’histoire anglaise, bâtard.
– Plong. Meilleure académie d’Europe, stade moderne, président visionnaire.

Victime d’un accès de lassitude extrême, j’ose à peine tourner les yeux vers le nouvel entrant, dont j’ai de toute façon déjà deviné la tenue. Bingo : maillot floqué « @EternalGoneBG88 » et « #TeamOL #TeamSaucisson ».

De nouveau, les « Plong ! » se succèdent à un rythme insoutenable, si ce n’est que chacun d’entre eux n’annonce plus l’arrivée d’un message à l’écran, mais sa déclamation par un gnome bien réel. Les éclairs n’étaient pas imaginaires : concentrés aux abords des différents connecteurs informatiques, ils semblent donner naissance à ces trolls, qui naissent donc littéralement par tous les orifices des ordinateurs. Malgré mon épuisement, la bêtise répétitive de leurs interventions m’agace suffisamment pour faire réveiller mes pouvoirs destructeurs. Dans un hurlement, je leur saute dessus et les empale un à un de ma turgescence colérique. Leur frêle constitution n’y résiste pas : les « @QSGontencule », « lugdunumaddict » et autres « @titihenry_Jul » s’évanouissent chacun leur tour dans un nuage de fumée bleue. Malgré tout, pour chaque troll sodomisé jusqu’à explosion, il en naît trois par seconde. Leur nombre est tel qu’ils m’empêchent d’aller débrancher les appareils et me font refluer vers la porte de sortie. Acculé, je résiste tant bien que mal : que la porte s’ouvre et c’en sera fini du siège de Horsjeu Média, voire qui sait de la ville.

***
Avisant les volutes s’échappant de la salle multimédia, Louis Cifert s’inquiéta auprès de son supérieur :
Ca a l’air de chauffer, dans la salle, quand même, gémit-il de sa voix haut perchée. On est mal, putain.
– A-pai-sé, le rassura l’Editeur, lorsqu’un cri féminin retentit derrière lui.
Oh putain, ya les ordinateurs des secrétaires qui fument ! On évacue !
– On n’évacue que dalle. », sourit l’Editeur. S’emparant d’un extincteur, il fixa la porte d’où s’échappaient désormais des coups sourds. Une charnière commença à céder.

D’où sortent ces trolls monomaniaques ? A quel jeu joue l’Editeur ? Le siège du PCF et Paris seront-ils sauvés ? Thierry Henry a-t-il réellement marqué l’histoire d’Arsenal ? Vous le saurez en retrouvant le prochain épisode de Superacad contre Menesis.

© Gervais Marvel Entertainment, Inc.

16 thoughts on “Superacad, ép. 4 : La rencontre. Les débuts. L’assaut.

  1. Reussir à trouver des sobriquets moins modifié que pour le Joueur Masqué Ohé Ohé c’est quand même pas loin de l’exploit….

  2. N’empêche que Thierry Henry je l’aurais mis dans le onze mondial d’Arsenal.
    C’est mystérieux tous ces noms.
    Vivement l’Ebook

  3. Sans T. Henry, les bleus ne seraient jamais allés en Afrique du Sud, on lui doit au moins ça.

  4. De toute façon, chacun sait qu’Arsenal n’a commencé à exister qu’à partir de la venue de Joel Campbell. Empressez-vous de fondre la statue de cet imbécile de Thierry Henry, il va vous falloir faire de la place.

  5. En tout cas, Gilles Grimandi et Christopher Wreh ne font pas partie de la short top list XXL (© footmercato, all right reserved).

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