Manuel de savoir-parler foot

Une initiation au footballistiquement correct

  de Barnabé la Plume

 

Afin de vous permettre de briller en société lorsqu’il s’agit de parler foot, Barnabé la Plume vous offre gratuitement (*) un petit Manuel d’initiation aux expressions toutes faites du foot. Aujourd’hui, décortiquons l’expression suivante :

 

CHAPITRE 9 :

« Le mercato»

 

Origine et définition : Comme la mozzarella ou les chemises noires, le terme « mercato » nous vient tout droit de l’Italie et signifie « marché », non pas de bestiaux mais de joueurs de football. Le mercato est comme les Jeux Olympiques : il y a un mercato d’hiver et un mercato d’été. La principale différence entre les deux est que le premier est aussi inutile voire nuisible que le second est pénible.

Raison d’être : Le concept de transfert d’un joueur d’un club vers un autre, si possible le plus cher possible pour enflammer les imaginations, fut en réalité inventé pour sauver le journaliste sportif, espèce assez proche de l’homme, d’un suicide certain en lui permettant de meubler l’immense vide des intersaisons pendant lesquelles l’enchaînement frénétique de matchs s’interrompt soudain et où l’on ne peut donc plus « prendre les matchs les uns après les autres » en « faisant abstraction du contexte »

Il faut bien comprendre qu’en cette période de creux footballistique, le journaliste sportif est saisi du vertige à la simple pensée d’une absence d’actualité permettant de doper les ventes ou générer du clic. Il est paniqué. Il a peur. Il ne mange plus. Il s’étiole peu à peu et se dessèche dans une misère sans nom, comme une âme sans amour, une fleur sans eau ou un Delahousse sans peigne. Mais heureusement, il y a non pas Findus mais le mercato, l’une des plus grandes inventions de l’homme depuis la guillotine. Et encore plus heureusement que le heureusement précédent – si c’est Dieu possible-, il y a le PSG, le Qatar, le pétrole, et la folie qui s’est emparée du mercato français, comme en témoigne le transfert de d’Edinson Cavani au PSG.

Méthodologie : Ce transfert de Naples au PSG pour une somme encore tellement improbable que l’on ne sait même plus ce que signifie vraiment « 64 millions », est assez illustratif des techniques employées par les journalistes sportifs (et leur lot de stagiaires) pour assassiner le vide de l’intersaison en matraquant le lecteur ou cliqueur des fameuses « rumeurs de transfert ». Prenons deux exemples de ces techniques pour bien comprendre – pour une étude plus complète, il convient de se reporter à l’excellent article sur le sujet fait par les non moins excellents Cahiers du Football, il y a quelques temps déjà.

 

Technique No1 : défier les lois de la gravité
La première technique défie les lois de la géographie ainsi que celle de la gravité pour laquelle Newton s’était donné tant de peine, mais enfin, les morts ont toujours tort, surtout quand les maures sont riches. Il s’agit de jouer sur les distances en faisant voyager tous les jours le joueur concerné vers son club potentiel de destination. Par exemple, il conviendra de titrer successivement les articles, que l’on n’a aucunement l’obligation de remplir d’un quelconque contenu informatif, comme suit :

Exemple 1 :

« Cavani proche du PSG. »
« Cavani se rapproche du PSG »
« Cavani de plus en plus proche du PSG…»
« Cavani très proche du PSG ? »
« Cavani tout proche du PSG ! »

Si le « feuilleton » dure, le journaliste n’hésitera pas à employer plusieurs fois la même formule, en changeant éventuellement la ponctuation. Pour les plus lettrés d’entre eux, des variations sont possibles, comme par exemple celle-ci :

« Cavani s’éloigne de Naples. »

Notez que cet exercice fonctionne à peu près avec tous les noms de joueurs et tous les clubs, la véracité ou même la simple probabilité de l’information ayant à peu près autant d’importance qu’un tweet de Nadine Morano. Il suffit de faire légèrement attention afin de ne pas annoncer par exemple : « Barack Obama en discussion avec l’OM » ou encore « Angela Merkel à Troyes », ce qui peut faire peur comme image, mais plutôt un bon vieux « Didier Drogba à l’OM ? »

Durée d’utilisation : L’important c’est de faire cela TOUS LES JOURS que le bon Dieu fait et que l’on salue au passage, afin de s’assurer le clic et la vente facile jusqu’au jour de la réalisation orgasmique du transfert, ce qui, comme la plupart des orgasmes, n’arrive pas souvent. Comme l’a démontré récemment un excellent article d’un forumeur des Cahiers du Football, heureusement qu’il s’agit des transferts de joueurs et non de la tectonique des plaques, les continents mettant plusieurs milliards d’années à se rapprocher entre eux, cela pourrait éventuellement rendre l’exercice un poil répétitif.

Avantages ou comment fructifier un transfert qui a vraiment eu lieu : A grands coups de conférence de presse pendant laquelle le joueur expliquera qu’il vient avant tout pour un « projet sportif », également appelé « salaire net plus bonus », L Équipe, le journal qui légende le sport avec honnêteté, intégrité et un bon apéro, a bonifié de son côté le transfert avec carrément une double page le lendemain de l’officialisation du transfert. Double page qui « décrypte » la « journée chargée du PSG ». Oui, parce que même si Canal plus n’est plus propriétaire du PSG, apparemment ils continuent de vivre des journées cryptées là bas.

Procédure à suivre en cas de non réalisation d’un transfert annoncé : Les transferts dits « capotés » sont en effet les plus nombreux. La solution de repli est relativement simple, la preuve en est l’exemple suivant basé sur une rumeur de transfert réelle d’il y a quelques années (mais nous avons volontairement flouté le nom du joueur et du club en question, afin de préserver leur anonymat et protéger leurs familles) :

« Bastos proche de la Juve… »
« Bastos très proche de la Juve ? »
« Bastos tout près de la Juve ! »
« Bastos s’éloigne de la Juve »
« Bastos-Juve : la piste refroidit »
« Complètement refroidi, le corps de Bastos retrouvé en Sicile car à force de se rapprocher il avait dépassé Turin depuis un bon moment ».

Technique No2 : Le deuxième exemple de technique de « meublage » du vide consiste à employer un bon mot, une de ces expressions cliché usées jusqu’à la corde, comme tout le monde le sait, sauf donc les journalistes sportifs. En période de transfert, au panthéon de ces expressions figure une invention géniale qui témoigne de la supériorité de la langue française sur le poisson pané : « parti pour rester ». C’est un excellent titre qui accomplit l’exploit de faire croire qu’il contient une information alors qu’il annonce un statu quo. Il permet accessoirement un utile et discret rétropédalage en cas de rumeur non fondée.

Exemple 2 :

« Messi à Paris ? »
« Messi parti pour rester ».

Inconvénients : Le seul défaut de cette expression formidable est qu’elle ne comporte pas de variante. Il n’est donc pas possible de dire « resté pour partir ». On se contentera donc de souligner que selon Jean-Michel Aulas, Lisandro Lopez est parti pour rester tandis qu’à Bafétimbi Gomis, il ne reste qu’à partir. A partir de là, je crois que bon.

Avantages : Le grand atout de cette expression génialissime est qu’elle peut être utilisée à n’importe quelle sauce, pour peu qu’elle soit dégoulinante. Le stag… Le journaliste sportif pourra jouer tantôt du mode affirmatif, du mode exclamatif ou du mode interrogatif. Jugez plutôt :

Exemple 47 : le refus de la chirurgie esthétique :

« PSG : Nenê, finalement parti pour rester. »

Exemple au fond à droite : le joueur qui ne veut résolument pas quitter le Panthéon :

« Victor Hugo Montano, parti pour rester ! »

De plus, cette expression est tellement populaire qu’elle a franchi les frontières du microcosme footballistique pour se voir utilisée jusque dans les hautes sphères de la politique :

Figure 31b :

« J’ai dans ce dossier la preuve indiscutable qu’en France, les arabes sont partis pour rester. Ben Arfa et Ben Zema ne sont que des exceptions qui confirment la règle. »
« J’ai dans ce dossier la preuve indiscutable qu’en France, les arabes sont partis pour rester. Ben Arfa et Ben Zema ne sont que des exceptions qui confirment la règle.

Et pourtant, malgré tout cela, nous sommes des milliers à continuer à cliquer, à lire, à suivre « l’actualité » des transferts…Sans doute parce que, comme le disait à peu près le regretté Pierre Desproges, au lieu de s’emmerder à lire tout Sartre, en quelques clics on a et la nausée et les mains sales.

Conclusion :
On peut donc en conclure, en paraphrasant Jean Claude Van Damme, que le mercato c’est comme les cacahuètes : le mouvement perpétuel à la portée de l’homme.

Vous pouvez suivre Barnabé sur twitter ici
Vous pouvez lire la version de ce texte sur le site Leplus et ainsi faire connaître Horsjeu.net

12 thoughts on “Manuel du savoir parler foot : Le mercato

  1. Je viens de hurler de rire mais de rire et pourtant j’ai survolé , p’tit préparation avant de finir bon ça !!

  2. Vu à l’instant sur le meilleur site du monde :
    Sammaritano en approche
    Fabregas parti pour rester
    Negredo à City, ça brûle !
    Fabinho en approche
    Briand vers Hull ?

  3. Toujours plus proche, de plus en plus proche…
    Finalement le mercato c’est le concept d’asymptote mis à la portée d’un enfant de 4 ans.
    C’est fort !

  4. Excellent, mais tu as oublié de flouter les noms de Bastos et de la Juve.

    France 2 avait fait pareil il y a quelques années avec un reportage sur le porno, ce qui avait permis à mon petit cousin d’observer des gros plans de pénétration très décoratifs.

  5. Mon cher Barnabé,

    Vous maniez toujours aussi bien la plume que moi la méthode Coué… après avoir perdu contre le 116ème puis le 114ème, que vais-je bien pouvoir inventer contre le prochain qualifié qui me bottera les fesses ?

    Les plus belles perles seront reprises lors des interviews à Gstaad

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