Après les voyages dans les Balkans, en Lettonie et en Iran, j’ai décidé d’aller voir du côté du continent africain. Et c’est donc en Ethiopie que nous allons nous promener aujourd’hui.

L’Ethiopie ? « Berceau de l’humanité » et pays où fut découverte Lucy, l’Ethiopie est actuellement un des pays les plus peuplés d’Afrique avec ses 90 millions d’habitants.

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Cela peut sembler bizarre d’évoquer le football dans ce pays qui ne semble briller que par ses athlètes de fond ou demi-fond avec les Gebreselassie, Bekele et Dibaba en fers de lances mais comme l’explique notre hôte Lofti Oluwada, fin connaisseur du football africain : « Cela est dû sans doute aux exploits réalisés par ceux-ci qui ont en quelque sorte éclipsé les autres disciplines au pays. Malgré l’engouement pour les courses de fond, le football reste assez populaire. »

Un football éthiopien populaire mais qui souffre des maux de l’Afrique

Le championnat éhiopien est relativement anonyme sur le continent mais les clubs locaux sont suivis au pays. Pour Lofti, les infrastructures et le manque de retransmissions télévisées posent problèmes : « Au niveau des infrastructures, celles-ci sont assez vieilles comme dans bon nombre de pays de notre cher continent, datant des années 60-70 en majeure partie. De plus, la non-retransmission de certains matchs n’aide pas à développer la popularité du championnat local. » Le championnat éthiopien est fondé sur le même système que le modèle égyptien, à savoir « quelques clubs ‘civils’ et des clubs sponsorisés ou fondés par des entreprises ou des branches du gouvernement. »

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Saint George – Ethiopian Coffee : un des derbys du championnat éthiopien

En Ethiopie, Lofti nous explique qu’il y a le club de SA Saint George et les autres : « Saint George est le club le plus populaire, le plus titré du pays et le plus riche également. Malgré tout cela, nous pouvons constater que des clubs tels que Dedebit ou encore Bunna brisent l’hégémonie des Cavaliers. Le SA Saint George a un modèle répandu dans beaucoup de pays d’Afrique : le club appartient à des socios qui ont chacun des parts dans le club. Mais il n’est pas rare de voir des hommes d’affaires injecter de l’argent dans le club; en particulier le Sheikh Mohamed Amoudi qui est l’un des hommes les plus riches d’Afrique. Cet homme aide également à la construction d’un stade pour le club, fait très rare en Afrique. »

Entre 1991 et 2013, St George a remporté 15 titres. Ces dernières saisons, l’hégémonie du club d’Addis Abeba est remise en cause par l’Ethiopian Bunna et Dedebit, deux autres clubs de la capitale. Il est d’ailleurs bien rare qu’un club d’une autre ville remporte le titre ces derniers temps. En effet, depuis 30 ans, seul l’Awassa Kenema a réussi cet exploit en 2004. Sur le continent africain, les clubs éthiopiens font cependant pale figure et jamais aucun club du pays n’est parvenu à se hisser dans une finale continentale.

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Adane Girma, excellent buteur du championnat

Pour ce qui est des joueurs du championnat, Lofti met en avant ceux de Saint George et Dedebit bien entendu : « Saint George a dans ses rangs les excellents Adane Girma, Oumed Ukri et Abebaw Butako. On peut ajouter à cette liste quelques joueurs étrangers de qualité tels que les Ougandais Robert Odongkara et Isaac Isinde. Dedebit regroupe beaucoup de joueurs de l’équipe nationale comme le très bon Jemal Tassew ou encore Addis Hinsta. »

L’exploit de 1962 et la figure de Tessema

Si le palmarès de l’Ethiopie n’est pas comparable avec celui des mastodontes africains, la sélection a malgré tout connu son heure de gloire en 1962 en remportant la CAN. Organisée pendant une semaine en janvier au stade Hailé Selassié à Addis-Abeba, cette compétition a vu l’Egypte, l’Ouganda, la Tunisie et l’Ethiopie s’affronter.

En demi-finale, l’Ethiopie a battu la Tunisie 4-2 puis en finale, elle affronta l’Egypte défaite 4-2 après prolongations. Cette victoire en 1962 est la suite logique des résultats obtenus en 1957 (finaliste) puis 1959 (3è place). Pour Lofti, « l’équipe nationale a atteint son apogée durant cette CAN avec une génération dorée menée par les frères Vassalo (Italo et Luciano) et Mengistu Worku, le tout sous l’égide du père fondateur du football éthiopien Ydnekatchew Tessema. »

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L’équipe championne d’Afrique en 1962

Debouts de gauche à droite : L. Vassalo, A. Mohammed, T. Gebremedhin, B. Goytom, A. Berhe, K. Araya

Accroupis de gauche à droite : G. Zeleke, G-M. Mariam, I. Vassalo, G. Wolde, M. Worku

Les frères Vassalo, Worku et Tessama sont les grands noms du football éthiopien. Worku a ainsi mis 3 buts pendant cette CAN 1962 dont deux en finale. Luciano Vassalo tout comme Worku sont devenus entraîneurs par la suite avec des résultats opposés : « Luciano après sa carrière est devenu entraîneur sans grand succès. Mengistu Worku a choisi la même voie avec des résultats bien meilleurs. Le légendaire Worku a qualifié l’Ethiopie à la CAN 1982 puis a décroché en 1987 la Coupe CECAFA (Coupe d’Afrique de l’est des nations), entrant par la même occasion dans la légende en offrant à l’Ethiopie son premier titre dans la compétition. »

Mais la grande figure du football éthiopien reste Ydnekatchew Tessema. Il fut d’abord un superbe joueur dans les années 40-50 où il brilla en tant qu’attaquant sous les couleurs de Saint George. Il devint à la fin de sa carrière le sélectionneur de l’Ethiopie lors de sa période dorée, allant trois fois aux Jeux Olympiques de 1960 à 1968 et gagnant le titre de champion d’Afrique en 1962.

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Le grand Tessema1

Mais au-delà de l’homme de terrain, Tessema fut un innovateur : ainsi, il créa l’Office des Sports Ethiopien à l’âge de 22 ans puis la Fédération de Football en Ethiopie en 1944 à 23 ans. Homme lettré parlant couramment français, anglais, italien et amharique, il fut aussi le leader du mouvement anti-Apartheid dans le milieu sportif, condamnant le système en Afrique du Sud. Ce mouvement eut pour conséquence la mise au ban de l’Afrique du Sud du football africain en 1960, des JO dans les 70’s et de la FIFA en 1976. Tessema fut toujours un homme de combat, opposé aux clubs qui se basaient sur la religion ou la race pour sélectionner les joueurs mais également opposé aux publicités liées à l’alcool ou au tabac dans les évènements sportifs. Un mélange entre Martin Luther King et Claude Evin.

Il fut également un des membres fondateurs de la Confédération Africaine de Football en 1957, dont il devint président en 1972 et jusqu’à sa mort en 1987. Il fut aussi membre du comité exécutif de la FIFA de 1966 à 1974. Lofti le décrit comme « un grand président. Son champ d’action ne s’arrêtait pas seulement au football. En effet, il a aussi été impliqué dans la croissance de l’athlétisme sur le continent. »

L’équipe actuelle et le futur du football éthiopien

Si le football éthiopien a eu ses grandes figures par le passé, il semblerait que la génération actuelle puisse aussi revenir sur le devant de la scène. Ainsi les Walya (bouquetins d’Abyssinie) ont retrouvé en 2013 la Coupe d’Afrique des Nations, 31 ans après leur dernière participation à la plus grande compétition du continent. En Afrique du Sud, les Ethiopiens ont certes terminé derniers de leur groupe mais les résultats ont été très encourageants. Ainsi, le nul 1-1 contre la Zambie a été glané en jouant 60 minutes à 10 alors que le Nigéria a souffert tout le match pour venir à bout des Ethiopiens, ne marquant que grâce à deux penaltys de Moses dans les dix dernières minutes.

C’est sur cette vague que la sélection surfe actuellement dans son groupe de qualifications pour le Mondial 2014. Dans ce groupe composé de l’Afrique du Sud, du Botswana et de la République Centrafricaine, l’Ethiopie mène la danse avec 10 points en 5 matchs. En réalité, l’Ethiopie devrait en compter trois de plus mais une erreur administrative au Botswana leur a coûté les points de la victoire.

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L’équipe qui a tapé l’Afrique du Sud 2-1 en juin dernier

Debouts de gauche à droite : Gobena, Hintsa, Abebaw, Elias, Gibeto, Hailu

Accroupis de gauche à droite: Bekele, Seyoum, Tassew, Beyene, Ahmed

Avant son dernier match de groupe, l’Ethiopie compte 2 points d’avance sur l’Afrique du Sud ; un résultat positif samedi à Bangui contre la République Centrafricaine qualifierait donc la sélection pour la dernière phase éliminatoire avant le Brésil. Pour Lofti, cette dernière phase (les 10 vainqueurs de groupe se rencontrent en barrages) pourrait être très compliquée : « Mon sentiment est partagé car je ne pense pas qu’ils se qualifieront. Les barrages aller/retour seront bien plus relevés que ces phases de poules mais s’ils gagnent leur match contre la République Centrafricaine ce week-end, je pense qu’ils peuvent être le poil à gratter de ces barrages : difficile de s’en débarrasser. »

Lofti nous décrit l’équipe actuelle : « c’est un groupe composé majoritairement de joueurs évoluant dans la ligue locale (Bunna, Saint George et Dedebit en grande partie) avec quelques expatriés. Les automatismes entre les joueurs évoluant au pays ont permis de construire une base solide renforcée par les joueurs évoluant à l’étranger. Le style de jeu prôné par le Coach Sewnet Bishaw est tourné vers l’avant. L’équipe est assez fragile défensivement comme beaucoup d’équipes africaines. »

Dans cette sélection, on note la présence de jeunes expatriés rattachés à l’Ethiopie par leur parenté. Fuad Ibrahim2, ancien grand espoir du football US, est l’un d’eux. Pour Lofti, l’idée est bonne mais a ses limites : « Rapatrier quelques joueurs membres de la diaspora est une bonne idée à condition que ceux-ci aient une réelle envie de venir et qu’ils n’utilisent pas l’équipe nationale comme un mouchoir. C’est malheureusement souvent le cas en Afrique. »

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Zelalem, 16 ans et déjà l’espoir de 90M d’Ethiopiens

Si l’on attendra avec impatience le résultat de samedi et le potentiel barrage contre un grand d’Afrique, il semble que le football éthiopien soit bien parti pour écrire un nouveau chapitre doré de son histoire. Pour ce faire, l’Ethiopie pourrait aussi compter sur l’apport du grand espoir du football éthiopien Gedion Zelalem, 16 ans et évoluant à Arsenal. Selon Groover, supporter d’Arsenal, Gedion « est un super prospect. Il a fait une très bonne impression en pré-saison, les gens le surnomment ‘Cesc-Lalem’. » Les Ethiopiens très friands de football anglais le connaissent déjà très bien, mais le jeune homme pourrait aussi revêtir le maillot de la sélection d’Allemagne où il est né. Avec tous ces voyants au vert, il se pourrait bien que la génération Worku – Vassalo se trouve une héritière dans les années à venir. Et qui sait ? Peut-être qu’un autre Ethiopien révolutionnera le football continental sur le terrain ou dans la coulisse dans les décennies à venir.

 

Un grand merci à Lofti et Groover pour leurs aides précieuses sur cet article !

Tristan Trasca

1 Un long article en anglais sur Tessema, « héros oublié du football africain » http://pax2all.wordpress.com/2010/07/20/ydnekatchew-tessema-forgotten-hero-of-african-soccer/

2 Papier de CNN sur le destin de Fuad Ibrahim, des Etats-Unis à l’Ethiopie http://edition.cnn.com/2013/01/18/sport/football/football-africa-cup-nations-ethiopia-fuad-ibrahim/index.html

 

4 thoughts on “Rendez-vous en terrains connus : le foot en Ethiopie

  1. Petite coquille historique: l’Ethiopie a été sous le joug italien qq années dans les 30’s.

    Et merci Willy !

  2. En réalité je ne crois pas que l’Italie a réussi à conquérir entièrement l’Ethiopie et l’intégré entièrement à son administration non? Elle a échoué une 1ère fois, et c’est par la suite devenu le mot d’ordre de Mussolini de dire que après avoir gagné la 1ère guerre mondiale à eux tous seuls, les italiens avaient le droit de posséder des terres en Afrique. Du coup ils ont ré attaqué, et utilisé des armes chimiques.

    Un fait intéressant d’ailleurs est que la France hésitait alors à intervenir, et que l’extrême droite de l’époque, Mitterand notamment, manifestait pour qu’on les laisse faire, au nom de la suprématie des blancs. Enfin bon on s’écarte du football, mais ca démontre au moins leurs forces de caractère dans l’adversité :)

  3. Le demi-djiboutien que je suis te remercie. C’est peut-être le premier bon article complet sur la sélection éthiopienne que j’ai pu lire depuis des lustres, même Jeune Afrique ne fait pas aussi bien. Excellent travail.

    Et concernant les ritals, ils avaient pris une raclée par Menelik II et ses hommes a cheval en 1899 a la bataille d’Adoua, il a fallu que ce FDP de Mussolini empoisonne les lacs et oasis en 1935 pour les faire plier le temps de la seconde guerre mondiale.

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