Pour pas perdre le fil : 12345 – 6.

Les portes claquaient les unes après les autres. C’était là l’unique son que percevait Louis Gustave depuis sa cellule.

Même s’il était parvenu à ne rien dire, l’interrogatoire du Questeur avait laissé des traces. Il était exténué. Empêcher Robert de le briser l’avait poussé aux confins de ses forces mentales. On avait laissé la pièce éclairée, prenant même la peine d’augmenter la puissance des ampoules. Ou bien Louis était tout simplement en train de perdre la raison. Toute notion du temps lui était désormais étrangère, il soupçonnait même que quelque ordre avait été transmis pour qu’on lui serve les repas à horaires différents chaque jour, pour ne pas qu’il puisse se raccrocher à ce semblant de routine.

Ses souvenirs le sauveraient, il en était maintenant certain. Il fallait à tout prix se construire une nouvelle réalité, quand bien même éphémère, pour contrer l’avancée implacable du chaos dans son esprit. Il ferma doucement les yeux.

Il revoyait désormais le vieux stade municipal de sa ville natale. La pelouse au vert bruni par l’entretien paresseux d’un employé de mairie. Il entendait à présent les cris depuis le bord du terrain. Son père y était, fier. Les joueurs entrait sur le terrain, il en faisait partie, et chacun allait se positionner dans son camp. Il voyait l’arbitre lancer le match, le ballon passant de pied en pied, voleter au milieu des têtes, les crampons frapper le tibia adverse au bout d’une glissade à l’envie maladroite. Et puis les buts, la joie de courir un peu n’importe où, éviter ses coéquipiers, reproduire les gestes vu chez les plus grands. Et on s’amoncelait au point de corner, applaudis par les parents, dont son père, toujours fier.

D’un bond, il avança de dix ans et se retrouva au milieu d’une partie endiablée entre adolescents. Il se reconnut, plus grand, plus épais, en train de marquer l’attaquant adverse. La balle arrivait dans son secteur et la lutte féroce se transformait en un tourbillon de mouvements de corps, un coup de coude vicieux dans le thorax venant lui donner la victoire. Le père n’était plus là. Il avait disparu il ne sait plus quand, il ne sait pourquoi, un soir où deux hommes l’avait pressé de les accompagner dans un de ces nouveaux véhicules à propulsion pneumatique qui venait de sortir.

Il avait joué aussi, son père, et dans une des premières divisions de l’époque, certains s’arrêtaient même dans la rue pour lui faire signer des autographes et prendre des photos. Tels étaient les derniers souvenirs qu’il avait de lui, en plus de cette mine réjouie lors des matches de sa jeunesse.

Une grande explosion mit fin à l’exercice mental de Louis. Il perçut une agitation frénétique derrière la porte, des hommes qui couraient dans tous les sens, des ordres qui fusaient. Puis des coups de feu. On criait pour encourager d’autres à tirer, et, soudain, dans un éclat apeuré :

— Mitrailleuse photonique ! Ils ont une mitrailleuse photonique !

Et le bruit terrible. La voix de la mort en personne posa ses syllabes dans le couloir. La faucheuse fit son office et on entendit les corps s’affaisser successivement sur le sol d’un bruit creux. Ils n’étaient plus que ballots mous. Puis ce fut fini, le silence revint comme un roi restauré.

Louis tendit l’oreille, restant à l’affût, car il avait le pressentiment que sa porte n’allait pas tarder à s’ouvrir. Plusieurs individus avançaient rapidement sans paraître hésiter quant à la direction à donner à leur marche. Il vit des ombres rapides passer sous l’encablure de la porte. Un cliquetis vint se poser contre le fer de celle-ci. Il comprit et recula de trois bons pas, tout juste assez pour ne pas être touché lorsque tout fut arraché du mur, laissant un trou béant d’où sortir une dizaine de silhouettes.

— Louis Gustave, vous êtes libre.

 

A suivre…

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