La drôle de saison d’Anderlecht

Il y a un an, le Sporting d’Anderlecht conservait sa couronne de champion grâce à un match nul à domicile face à Zulte Waregem. L’égalisation de Lucas Biglia, un coup-franc dévié, permettait aux Mauves de rester devant leur adversaire du soir, dernier rival pour la première place. Le football pratiqué n’était pas brillant, mais le RSCA avait des individualités bien plus fortes que n’importe quelle autre équipe de première division. Cette force avait un coût. 42M€ de masse salariale, quasiment autant que le Standard (24M€) et le Club Brugge (19M€) réunis. Obligés de baisser celle-ci, les Mauves entament alors une saison de transition, en faisant confiance aux jeunes. Dix mois plus tard, en profitant des play-offs, ils remportent le championnat pour la 33ème fois malgré un bilan inférieur à son dauphin. Une première. Retour sur une drôle de saison.

Une saison de transition

La masse salariale a augmenté de 121% depuis 2008. Dans le même temps, l’affluence moyenne est nettement en baisse. 20500 spectateurs de moyenne la saison passée, 70% de taux de remplissage. C’est bien moins qu’à Liège ou à Bruges, mais c’est surtout 5000 personnes en moins par rapport à 2007. Les revenus sont en baisse et la situation est précaire. Anderlecht ne dispose que de 5M€ de fonds propres, là où le Standard a une réserve de 27M€ (Ligue des Champions 2009-2010, ventes de Fellaini, Witsel, Defour, Mangala) et Genk de 40M€ (Ligue des Champions 2011-2012, ventes de Courtois, De Bruyne, Benteke, ou très récemment Koulibaly). Le ménage est nécessaire pour améliorer les finances. Les deux meilleurs buteurs du club s’en vont (Mbokani et De Sutter), tout comme le meilleur passeur (Jovanovic) et le meilleur milieu de terrain (Biglia). En contrepartie, Anderlecht fait confiance aux jeunes, en s’appuyant aussi bien sur le recrutement (N’Sakala, Mitrovic, Milivojevic, Acheampong) que sur des joueurs déjà présents au club (Bruno, Najar, Mbemba, Kouyaté, Nuytinck, Praet, Tielemans). Les cadres, tels Gillet, Proto ou Kljestan sont chargés d’encadrer ce groupe très jeune. Le banc de touche lors de la Supercoupe en juillet dernier avait d’ailleurs 19 ans et 4 mois de moyenne d’âge et 12 joueurs de moins de 25 ans ont disputé au moins 30 matchs cette saison sous le maillot mauve.

Une saison régulière ratée

Si l’entame est manquée (défaite 2-3 face à Lokeren lors de la 1ère journée), Anderlecht se rassure et fait le plein au mois d’août (4 matchs, 4 victoires). Le public semble d’ailleurs soutenir la politique choisie, aucun sifflet ne descendant tribune après la défaite en match d’ouverture. Malheureusement, les Mauves ne réussiront pas à concilier championnat et les trois premiers matchs de Ligue des Champions. En effet, les hommes de Van den Brom comptent déjà 4 défaites après 10 journées. Sur la scène européenne, avec 1 nul et 5 défaites lors de la phase de poules, Anderlecht a terminé dernier de son groupe pour la 9ème fois lors de ses 10 dernières participations. Tout n’est pourtant pas à jeter, selon moi. L’état d’esprit irréprochable lors du match nul au Parc des Princes a servi pour les deux matchs restants, au cours desquels on a vu un Sporting combattif et généreux, malgré les deux défaites. Mais ces moments difficiles, et notamment la claque 0-5 face au PSG, marquent un tournant. Si les critiques sont toujours aussi vives en raison des choix de l’entraîneur (aucun 11 type ne se dégage, les cadres ne remplissent pas leur rôle), les résultats en championnat s’améliorent. Pour preuve, à la trêve, avec 8 victoires sur les 11 derniers matchs, Anderlecht est deuxième, à quatre unités du leader. Inespéré.

On pense alors Anderlecht enfin lancé, malgré les nombreuses interrogations qui subsistent : débarrassés de la Coupe d’Europe et de la Coupe de Belgique après une piteuse élimination aux tirs au but face à Westerlo (D2), les Mauves n’ont plus que le championnat à jouer. La direction réaffirme qu’il s’agit d’une saison de transition, mais Van den Brom ne peut plus se cacher derrière un calendrier lourd pour justifier les pertes de points face aux plus petits (défaites contre Courtrai et à Charleroi par exemple).

Cette même direction admet toutefois que l’équipe manque d’expérience et de talent (ce qui, pour le coup, est assez discutable : les jeunes manquaient surtout de confiance) et semble prête à faire un effort au mercato hivernal. Momo Sissoko est testé, il ne sera pas retenu. On parle d’une arrivée de Steven Defour, en difficulté à Porto, et qui serait prêt à renier son passé de capitaine du Standard champion de Belgique pour retrouver du temps de jeu à l’approche de la Coupe du Monde. Fort heureusement, Steven est un bon et le démenti est rapidement publié. Anderlecht va également tenter des pistes plus jeunes qui n’ont pas pour seule vocation de renforcer l’effectif mauve, mais également de déstabiliser les adversaires. Le Sporting tente une approche sur Michy Batshuayi, attaquant du Standard et alors meilleurs buteur de la compétition, puis sur Thorgan Hazard, auteur d’une demi-saison de folie à Zulte Waregem. Ce dernier déclarera vouloir rejoindre Anderlecht avant de revenir à la raison. Finalement, en manque de solutions, Anderlecht doit se rabattre sur David Pollet, l’ancien lensois auteur de 6 buts avec Charleroi. Évidemment, le directeur sportif est raillé.

Il faut dire que ce choix surprenant s’accompagne d’un nouveau gros creux : l’équipe prend 10 points en 8 matchs. Il ne reste qu’une journée avant la fin de la saison régulière, l’entraîneur est licencié.

Hasi remplace Van den Brom : la remontée fantastique

Besnik Hasi prend le relais jusqu’en fin de saison. L’ancien international albanais a joué 15 ans en Belgique (Genk, Anderlecht, Lokeren, Cercle Brugge) et est entraîneur adjoint au Sporting depuis six ans. L’hiver dernier, il avait failli quitter. Malines lui proposait le poste d’entraîneur principal. Fidèle aux Mauves et ne voulant pas quitter le club en pleine saison et en pleine reconstruction, il est resté.

12 points à rattraper, 11 matchs à jouer. Dans n’importe quel championnat, le titre aurait été hors de portée. Mais évidemment, la Jupiler Pro League fait office d’exception. La première d’Hasi est une réussite. Il ramène les trois points, tandis que le Standard ne prend qu’un point. Anderlecht revient à 10 points au terme de la saison régulière (SR dans le tableau ci-dessous) juste avant la division des points due à ce cher système de play-offs 1 (PO1). Au début des play-offs, la tête du championnat n’est donc plus qu’à 5 points.

PO1

La première journée est une immense opportunité pour le Sporting de mettre la pression sur les Rouches, puisqu’elle offre un Grassico à Sclessin. Occasion manquée, les Rouches s’imposent logiquement. Quelques journaux n’hésitent pas à titrer que le Sporting ne sera pas champion. Certains joueurs ne se priveront pas de ressortir l’article devant les caméras juste après le match du titre. Car la suite sera quasi-parfaite. Anderlecht va prendre 22 points sur les 27 restants, ne perdant des points que face à Zulte Waregem (0-0) et à Genk (1-0), dans un match dont on se demande encore comment les Mauves ont pu repartir avec la défaite. Les cinq victoires finales furent le coup de grâce de cette incroyable remontée. Avec en moyenne de 2,2pts/match face au Top durant ces PO1, Anderlecht fait bien mieux qu’au cours de la saison régulière (1,4). Il a pris la tête après la 38ème journée et termine avec deux longueurs d’avance sur le Standard.

Moyenne Points Top 6

(Tous les graphiques sont en HD en cliquant dessus)

Les rivaux ont craqué. Le Standard affiche trois défaites lors du mini-championnat. Le Club Brugge en a 4.

Bataille0

Les raisons du succès

Au-delà des contre-performances du Standard et du Club, Anderlecht doit avant tout son titre à lui-même. Le groupe n’avait pas lâché Van den Brom au moment de son licenciement. Mais Hasi a su en quelques semaines ce que le Néerlandais a cherché toute la saison : un 11 type, une cohérence, des combinaisons, du mouvement. Mieux, l’Albanais a continué à faire confiance aux jeunes même après une contre-performance (la défaite à Liège par exemple). Retour sur les choix forts d’Hasi :

• Le passage au 4-4-2 : Van den Brom avait été conspué en février dernier lors de la réception du RAEC Mons, lanterne rouge. Son schéma en 4-5-1 ultra-poussif et sans étincelle avait eu raison de la patience des supporters. Hasi a immédiatement tenté le 4-4-2, en alternant entre Mitrovic, Cyriac, Pollet et Bruno pour les deux places devant. Avec succès : Anderlecht a inscrit 21 buts en 11 matchs. Derrière les deux attaquants, on trouvait deux lignes de 4 efficaces : Deschacht-Nuytinck-Mbemba-Vanden Borre en défense, Praet-Tielemans-Kouyaté-Najar au milieu. La seule fois où Hasi est revenu au 4-5-1, Anderlecht s’est incliné.

• Faire monter Kouyaté et faire de Nuytinck un homme de base : à la ramasse une bonne partie de la saison, probablement peu motivé alors qu’un départ était programmé l’été dernier, on a retrouvé un grand Kouyaté durant les PO1 grâce à son replacement au milieu de terrain. Il a apporté une puissance physique qui faisait cruellement défaut au milieu anderlechtois. Ce changement a libéré une place en défense centrale. Nuytinck, très bon lors de sa première saison mais mis au placard depuis de nombreux mois, y a fait son retour. Choix payant, puisque son association avec Mbemba fut excellente. Sur les 11 derniers matchs, Anderlecht n’a encaissé que 6 buts.

• Confiance retrouvée envers les jeunes : en début de saison, Youri Tielemans avait été la révélation. A peine 16 ans, beaucoup de temps de jeu aussi bien en Championnat qu’en Ligue des Champions. Et puis plus rien. Mis de côté, Hasi a décidé de lui faire confiance : il n’a pas raté une minute de play-offs. Quant à Dennis Praet, il n’avait pas perdu sa place de titulaire. Mais on le sentait bridé, en plus de ses limites athlétiques. Le 4-4-2 lui a offert la possibilité d’exprimer pleinement son talent, tout en ne jouant pas à son poste préférentiel.

Pourquoi parle-t-on d’un « champion au rabais » ?

Anderlecht termine la saison avec 11 défaites en 40 matchs. Jamais un champion ne s’était autant de fois incliné en une saison. Mais les principales critiques sont à l’encontre du système de play-offs. Ce n’est pas la première fois que le leader au terme de la saison régulière n’est pas sacré champion : en 2011, Anderlecht avait fini troisième, se faisant dépasser lors des play-offs par Genk et le Standard. Mais jusqu’ici, la division des points par 2 n’avait jamais influé « sur le plan comptable » (elle a pu influer sur le plan psychologique, les écarts étant réduits) : avec ou sans division, le champion était celui qui avait pris le plus de points cette saison. Or, cette saison, pour la première fois depuis l’instauration des play-offs, le champion a pris moins de points que son dauphin. En effet, Anderlecht a directement profité de la division des points pour être sacré avec un bilan équivalant à 79pts sur toute la saison (25 victoires, 4 nuls, 11 défaites), tandis que le Standard doit se contenter de la 2ème place avec un bilan équivalant à 82 points (24 victoires, 10 nuls, 6 défaites).

Il est étonnant de noter que le parcours d’Anderlecht correspond grosso modo à ce qu’avait déclaré John Van den Brom en début de saison, qui avait su tirer des conclusions de sa première saison en Belgique pour mieux gérer la suivante : « Les 30 premiers matches de championnat ne sont pas très importants. C’est plus tard qu’il faut être en forme. Évidemment, il est toujours difficile de faire des plans précis. Mais je crois que je donnerai plus souvent congé aux joueurs. La saison dernière, nous avons disputé pas moins de 59 matches officiels. Certains ont presque tout joué. C’est peut-être trop ».

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Cela s’explique très simplement : les points des 6 premiers étant divisés par 2 avant le début des PO1, tous les écarts sont divisés par 2. Si bien que les belles séries lors de la saison régulière ont deux fois moins d’importance que lors des PO. C’est pour cette raison que le Standard, malgré un excellent bilan lors de la saison régulière (20 victoires, 7 nuls 3 défaites) et deux grosses séries de victoires (9 victoires pour commencer, 6 victoires consécutives entre la 21ème et la 26ème journée, série commencée alors que le Standard était déjà invaincu depuis 10 matchs) a laissé le titre à son plus grand rival.

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Et maintenant ?

Ce sacre, et par conséquent cette qualification directe pour la Ligue des Champions, permet aux Mauves de ne pas afficher de pertes financières. L’équipe alignée lors du match pour le titre avait 23 ans de moyenne d’âge. Si la plupart des jeunes présents cette saison devraient rester, il faudra sans doute compter sur de nouveaux départs. Ainsi, Guillaume Gillet, Sacha Kljestan et Ronald Vargas (pas ou peu utilisés sous Hasi) devraient aller voir ailleurs, tout comme Cheikou Kouyaté, dont la fin de saison devrait -enfin- pousser les clubs de Premier League à faire une offre concrète. Massimo Bruno, au temps de jeu régulier mais moins important que sous Van den Brom, envisage également de quitter le triple champion de Belgique sortant.

Le poste de gardien de but est également à surveiller de près : Thomas Kaminski vise ouvertement la place de titulaire, malgré les bonnes performances de Silvio Proto. Blessé lors de la dernière journée, ce dernier manquera la Coupe du Monde et probablement le début de saison. Kaminski commencera donc dans les buts, mais il est peu probable qu’il accepte de retourner sur le banc au retour du gardien n°1. Le groupe sera en tout cas entraîné par Besnik Hasi, dont les performances lui ont permis d’être prolongé de 2 saisons.

Plus généralement, le système des play-offs est une nouvelle fois critiqué, et plus particulièrement la division des points. Le manager d’Anderlecht lui-même s’est dit favorable à l’arrêt de la division au terme de la saison régulière.

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