La Balkans Académie au pays de Vahid, Safet, Mecha et Faruk (1ère partie)

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Tristan continue sa tournée

Après l’académie sur le KF Turnovo en Macédoine et avant de vous faire découvrir de l’intérieur le derby de Belgrade, la Balkans Académie fait une halte en Bosnie-Herzégovine pour découvrir le football local. Bienvenue dans le pays qui a enfanté Vahid, Safet, Mecha et Faruk.

Difficile de commencer un papier sur la Bosnie sans passer par la case histoire. Je vais faire court, simplement pour poser le contexte qui nous servira pour parler de football. De 1992 à 1995, la Bosnie a connu, comme chacun sait, une guerre1 mettant aux prises Bosniaques, Croates et Serbes. Cette guerre religieuse et ethnique fut conclue par les accords de Dayton en 1995 qui scindent le pays en deux entités : la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la Republika Srpska. La Bosnie-Herzégovine est bien entendue très connue pour Sarajevo, sa capitale. Mais elle regorge aussi de pépites comme la superbe ville de Mostar.

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Après Ohrid, voilà Mostar. Des bons tuyaux pour emmener ta meuf en week-end avec la Balkans Acad’

La situation actuelle du foot en Bosnie

Pour parler de la situation actuelle du foot en Bosnie, j’ai fait appel à Sasa Ibrulj, journaliste freelance pour des médias des Balkans et aussi d’Europe et spécialiste de football. Sans surprise, il nous explique que « le niveau est malheureusement faible en Bosnie. Bien entendu, il y a du talent mais l’organisation du football est un de nos plus gros problèmes. Premièrement, un championnat à 16 clubs n’est pas viable et deuxièmement les infrastructures sont dans un état lamentable, cela ayant notamment des conséquences sur la formation des jeunes joueurs. »

Ces problèmes sont bien entendus également des conséquences de la période sombre du pays, évoquée en préambule. Il faut savoir que de 1995 à 2000, trois championnats coexistaient sur ce territoire : un pour les clubs croates, un pour les clubs bosniaques et un pour les clubs serbes. Ce n’est qu’à partir de 2002 qu’un championnat incluant des clubs des 3 communautés vit le jour. Aujourd’hui, la fédération de football de Bosnie-Herzégovine est composée d’une fédération pour la Fédération de Bosnie-Herzégovine et d’une seconde pour la Republika Srpska. La première division est commune mais les divisions inférieures ne le sont pas. Sasa Ibrulj explique que « cela demeure un gros problème pour les clubs de Republika Srpska notamment qui ont de gros frais de transport pour aller de la partie Nord de la Republika à la partie Sud alors qu’une seconde division commune ou au moins avec deux groupes répartis géographiquement auraient plus de sens. Mais des querelles politiques stupides ont de lourdes conséquences sur les budgets de clubs pauvres pour la plupart. »

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Les deux entités formant la Bosnie-Herzégovine

Il était difficile de parler de football en Bosnie sans passer par les images d’Epinal “hooliganisme2” et “tribune politique”, souvent relayées par les médias occidentaux. A ces deux thématiques, Sasa répond très posément que « le problème de hooliganisme n’est pas plus répandu en Bosnie qu’en Europe. Simplement, à cause de notre histoire et de la composition de notre population, nous sommes plus aisément mis sous le feu des projecteurs ». Pour ce qui est de l’utilisation du football comme tribune politique, Ibrulj explique que le « phénomène n’est pas aussi répandu qu’on voudrait le faire croire. Il faut savoir que ce pays a perdu sa culture footballistique et que seulement quelques centaines de spectateurs suivent les matchs dans les stades (en moyenne). Mais le football attire l’attention internationale et c’est la raison pour laquelle il est vu comme un prisme pour les problématiques nationalistes et politiques. Mais le foot connait les mêmes problématiques que les autres segments de notre société, ni plus ni moins. »

Ces problèmes systémiques et le niveau relativement faible ont aussi des conséquences sur les joueurs bien entendu. Comme Sasa Ibrulj le note, « les joueurs veulent quitter le pays aussi vite que possible. Aujourd’hui, les meilleurs joueurs du championnat Hadzic du FK Sarajevo (meilleur buteur) et Adilovic du FK Zeljeznicar ont 28 et 27 ans. Les joueurs plus âgés dominent le championnat et c’est négatif pour un championnat comme le nôtre. Tout le monde sait par exemple que ces deux-là ont très peu de chances de briller à l’étranger, du moins dans des championnats majeurs. Beaucoup partent à l’étranger mais beaucoup échouent également. La plupart choisissent comme destinations le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan ou les divisions inférieures en Russie, Ukraine, Croatie ou Slovénie. Je ne me rappelle plus du dernier transfert réussi du championnat de Bosnie vers un grand championnat européen. »

Devant ce portrait peu glorieux du football de Bosnie, Sasa trouve cependant des motifs de satisfaction : « nous restons un football old school, il n’y a pas encore ce côté business qu’on peut retrouver en Europe. Nous, on a des stades délabrés, peu de spectateurs dans les tribunes, un niveau faible mais énormément de passion ! » A travers deux clubs, le KF Borac Banja Luka et le FK Zeljeznicar, c’est cette passion que je vais essayer de vous faire découvrir.

KF Borac Banja Luka

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Le KF Borac Banja Luka est le club serbe  le plus important du championnat bosnien. Fondé en 1926, le Borac (« guerrier ») fut champion de Bosnie-Herzégovine en 2011 sous la conduite de Vlado Jagodic mais le grand fait d’armes du club reste la victoire en Coupe de Yougoslavie 1988 contre l’Etoile Rouge de Belgrade, gagnée 1-0 (but marqué par Senad Lupic qui joua plus tard à Gueugnon). A l’époque, le Borac évoluait en deuxième division yougoslave et il restera à jamais le seul club de D2 à gagner la coupe Tito.

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Les vainqueurs de la Coupe Tito 1988

Pour parler de ce club, j’ai fait appel à un supporter Milos Metlar. Cette saison, le club est à la 4è place du championnat et Milos ressort quelques joueurs de l’effectif à commencer par « Branislav Krunic, un milieu expérimenté qui a passé la plus grande partie de sa carrière en Russie. Il est devenu directeur sportif du club en janvier. Joco Stokic (meilleur buteur avant l’hiver), Srdan Grahovac (membre des U21 de Bosnie), Milan Stupar et le gardien Asmir Avdukic forment la colonne vertébrale de l’équipe. La bonne surprise est le jeune Nemanja Bilbija qui est prêté par le club serbe du FK Vojvodina et a marqué 7 buts depuis janvier. »

Milos explique que le club de Banja Luka a des rapports privilégiés avec le club de Vojovodina Novi Sad depuis une vingtaine d’années. « Entre le groupe de supporters « Lesinari (vautours) » de Banja Luka et le groupe « Firma » de Novi Sad, des relations fraternelles se sont créées depuis une rencontre de coupe de Yougoslavie en 1987. Nous partageons les mêmes sentiments patriotiques et nous nous déplaçons régulièrement pour aller voir l’autre équipe. »

Ces sentiments patriotiques sont aussi de la partie quand il s’agit d’évoquer les grands rivaux du Borac : le FK Zeljeznicar et le FK Sarajevo. Milos loue leurs palmarès et poursuit : « d’un côté, ils viennent de la capitale de la Bosnie et ces clubs sont des icônes de notre football. Mais de l’autre côté, ils représentent les Musulmans et sont en quelque sorte nos rivaux, également. Une des conséquences de cette chose horrible que fut la guerre de 1992 à 1995. » Cependant Milos reste heureux que le football bosnien soit aujourd’hui ouvert aux clubs de toutes les communautés : « c’est très bon pour notre football, cela hausse sa qualité et ça le rend plus intéressant. Un match sur deux peut être considéré comme un petit derby. Mais je respecte chaque équipe, peu importe d’où elle vienne. Mes opinions politiques n’ont pas d’incidence sur ma vision du sport. »

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Les « Lesinari », supporters du Borac

Cependant, avant de conclure, Milos tient à préciser que « le Borac est un club serbe.  1,4 million de Serbes vivent en Bosnie-Herzégovine et nous avons notre propre entité avec la Republika Srpska. Nous sommes Serbes mais des Serbes vivant en Bosnie. Nous ne sommes pas différents des Serbes vivant en Serbie. Bien entendu, nous cultivons cette identité en entonnant des chants patriotiques ou en mettant des drapeaux serbes dans les stades. Nous aimons la Serbie ! Quelques fois, j’ai l’impression que nous sommes même plus Serbes que nos frères vivant au pays. »

Après cette première partie faisant un état des lieux du foot bosnien et présentant le KF Borac Banja Luka, on se retrouve demain pour la seconde partie qui évoquera le FK Zeljeznicar et le futur du football bosnien.

Un grand merci à Sasa Ibrulj pour son aide inestimable et à Milos Metlar pour son témoignage sur le club de Banja Luka !

Tristan Trasca

1A lire l’excellent papier de Slavic Football Union sur l’ancien Monégasque Konjic, héros de la guerre http://sfunion.net/?p=5211

2 Des affrontements entre supporters émaillent le championnat de Bosnie, notamment entre le Zeljeznicar et Borac Banja Luka. En avril des supporters des deux camps se sont battus dans un village alors qu’ils allaient chacun à des matchs différents, faisant 18 blessés dont 2 policiers.

2 thoughts on “La Balkans Académie au pays de Vahid, Safet, Mecha et Faruk (1ère partie)

  1. ce nationalisme exacerbé (de tous les bords) qui va se nicher jusque dans le football est la plaie de notre si belle région, merci de la faire découvrir aux lecteurs de hors jeu à travers ce sport :)

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