Les joueurs gratuits, ces traitres

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Et comment qu’on fait tourner la boutique après ?

 

Cette période des transferts s’annonce comme toutes les autres, longue, lointaine et crispante. Les clubs ont deux mois pour un marché qui a tout des plus dégradants pour l’estime de soi des dirigeants, des joueurs et des supporters. Chacun s’abaisse et abaisse le football à une discussion faussement sportive. Oui, ne nous cachons pas : les seuls clubs qui ont un projet sportif sont les clubs qui ont des finances solides. Les autres ont surtout comme projet de ne pas perdre d’argent dans les ventes, ne pas se faire éventrer, de conserver la confiance du vestiaire et de ne pas se mettre à dos les supporters. Tout spécialiste en communication vous dira que cette période est guidée avant tout par la notion de « damage control », rien de plus.

Seuls quelques clubs vont donc animer le marché. « Animer le marché ». « A-ni-mer-le-mar-ché ». Sans sourciller, chacun a cette notion, cette phrase en tête et frétille à l’idée de voir telle ou telle star dans son club. A priori donc l’aspect sportif passe en second lieu, même si l’espoir d’avoir de bons résultats est l’essence d’un bon transfert, normalement. Mais avant tout, c’est le nom, le clinquant, l’image du club autant que sa notoriété qui sont les piliers de l’effet d’annonce, de la discussion, de la négociation. Cette période est celle des maraichers qui vont crier le plus fort, des marchands de tapis, des vendeurs de DVD piratés, rien de plus, rien de sportif. On joue les gros bras caché derrière un carnet de chèques, on fait les caïds derrière un numéro de compte. Ah ça oui, le marché européen sera animé pour une dizaine de stars, une centaine de « bons joueurs de clubs », et une demi-douzaine de joueurs en fin de contrat. Dont la moitié à l’OM. Il est attendrissant, fascinant de voir combien Labrune tient absolument a laissé sa trace dans l’histoire du club de la manière la plus pathétique. On peut mettre à son actif déjà deux faits d’armes ridicules : 0 point en 6 matchs de Ligue des Champions et le fait de retirer des numéros de maillot de manière incompréhensible (#SouleymaneFact). Un troisième arrive à grand pas : faire disparaître la moitié de l’équipe titulaire en un mercato. Allons même plus loin : faire disparaître la moitié de l’équipe titulaire gratuitement en un mercato. L’OM, équipe triste philanthropique qui court chaque année après un budget équilibré, une équipe compétitive, elle y arrive presque, s’est fait une spécialité depuis une quinzaine d’années de faire le moins de plus-values possibles sur ses joueurs, si possible en perdant de l’argent, même sur les jeunes, et va encore plus loin : donner ses joueurs titulaires. Gignac, Morel, Fanni, Ayew vont sans doute partir. Avec plus ou moins de regret, mais la direction, qui a plusieurs années pour y penser n’a pas souhaité/réussi/appris à écrire/appris à compter/oublié de les prolonger même pour faire une moins-value, non.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cela, tentons d’être objectifs.
1) Avec une demande d’indemnité de transfert, certains ne pourraient pas partir. Il est vrai que certains ne reçoivent pas beaucoup d’appel d’autres clubs et qu’il devient difficile de boucler un transfert s’il y a une indemnité en plus. (mais ici on parle de 3 internationaux sur 4, même en fin de carrière, cela peut intéresser).
2) Le gain de ne plus payer certains salaires de cadres vaut parfois largement un salaire d’un an. (dans ce cas, laissons partir tous les joueurs, il n’y aura plus aucun salaire à payer, facile).
3) Une sorte de gentlemen agreement entre le club et le joueur pour services rendus. Chaque partie a respecté son contrat, on se sépare bons amis en ayant une plus grande liberté de choix pour le joueur. (le football moderne a conservé un âme d’enfant sans doute et c’est beau).
4) Le club veut se séparer du joueur à tout prix mais personne n’en voulait, alors les dirigeants suppriment le critère « à tout prix ». (non parce qu’ils étaient titulaires).
5) Le joueur voulait s’en aller mais le club ne voulait pas, il est allé au bout de son contrat et puis « hop je me casse ». (ah…)

Pour être franc, la dernière proposition m’intrigue. Les joueurs donnent l’impression d’être allés au bout de leur histoire avec ce club et partent sans regret apparent. Gignac a eu un petit mot au Vélodrome pour les supporters, Morel a eu un petit mot très personnel, Fanni attend sans vouloir rester et Ayew est un mystère. Il est déjà resté deux intersaisons pour les beaux yeux de cette ville et part, fin de l’histoire, jolie petite histoire pour un minot. Partir de son club, du club de son père, sans se retourner et sans rendre la valeur que le club lui a permis d’acquérir sur le fameux marché (Gignac n’aurait jamais pu être vendu à son prix d’achat et il avait déjà une valeur à son arrivée). Qu’en penser ? Sans parler de sa destination. Mais si, c’est aussi le problème. Partir gratuitement pour Swansea, c’est une trahison financière, sportive et affective. Et un bien faible amour-propre. Autant que les dirigeants, Ayew trahit copieusement ceux qui l’ont soutenu, lui qui a su faire d’un réel amour du maillot, d’une implication sans faille et du rôle d’homme providentiel tant de fois. Parce que les supporters ont pensé qu’un de leurs enfants ne pouvaient avoir cette attitude.

Stop. Stop. André Ayew a fait beaucoup plus pour le club que la majeur partie de l’effectif. Il a su élever le niveau du club à la récupération, à la construction du jeu et à la finition. Il a eu des trous d’air, et alors, qui n’en a pas ? Il est encore jeune, il a une étape à franchir et il l’a déjà fait avec succès, celle de quitter un club qui lui a tout donné pour un club qui une ambition nouvelle depuis deux saisons. C’est en plus un pari que de ne pas aller dans un effectif pour cirer le banc. L’erreur, elle est unilatérale et elle est double. Il est facile d’accabler des dirigeants lorsqu’on est dans son canapé certes, mais de là à ne pas savoir appréhender un départ acquis depuis trois saisons d’un de ses jeunes, c’est une connerie monumentale. Ne pas savoir donner des garanties, c’est déjà déprécier son joueur. Finalement, Ayew a bien raison de partir si son patron ne croit pas davantage en lui. Cela ne fait pas de lui un traître au maillot. Qu’on se souvienne de tous ces matchs où il a placé sa tête, son pied pour donner des victoires précieuses et un élan difficile à trouver dans les années post-Deschamps. Il n’est pas concevable de critiquer un joueur, des joueurs qui ont mouillé le maillot et fait le dos rond lorsqu’ils ne tournaient pas bien, Ayew, Morel ou Gignac n’ont pas à avoir honte de partir de cette manière, ils ont été rudoyés mais ont su faire face et se relever.

Et puis oui parce qu’il faut aussi le dire, ils proposent une vision du football que tout le monde oublie, ils ont respecté leur contrat jusqu’au bout. Partir sans indemnité, c’est aussi ne pas nourrir ce fumeux marché.
Frantz-Christophe Van Dustgroski

6 thoughts on “Les joueurs gratuits, ces traitres

  1. Réussir à conclure un article dont au sujet duquel on pourrait penser qu’il traite des transferts dans le football moderne, sans utiliser le mot « agent »… C’est beau, c’est grand!!
    D’ailleurs, c’est un peu comme la prime à la signature: ça n’existe pas vraiment.

    Mais pour le reste je suis bien d’accord, c’est du business, pas de la philanthropie ni une école de vertu. Donc aucune traîtrise, seulement des intérêts divergents ou convergents.

    D’ailleurs, en parlant de con et de verge… Labrune démission!!

  2. « tient absolument a laissé sa trace », moi j’en ai laissé une dans mon slip en lisant ca.

  3. Puis bon, revaloriser le contrat d’Ayew ça leur donnait un joueur de qualité sans avoir à débourser un montant de transfert faramineux. Ça s’appelle un amortissement. Mais bon, n’expliquons pas la gestion aux gestionnaires.

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