Dans le seul bar bon marché du 16e arrondissement (vous n’aurez pas l’adresse, je tiens à mon petit jardin ouvrier secret), Georges tombe sur un sympathique provincial, amateur de chauves sud-américains et de boisson à l’orange.

« Un picon-bière, camarade. »

La caresse de la mousse sous pression montant peu à peu dans la chope emplit le silence bruissant du troquet d’un frémissement jouissif. Alors que l’amertume de l’orange lui venait déjà aux papilles, Georges remarqua un homme avachi au comptoir, serrant encore entre ses doigts crispés les lambeaux d’une écharpe rouge et blanche. Devant lui, un grand verre brunâtre à moitié éclusé se tenait seul sur le zinc. L’instinct du militant poussa Georges à s’approcher de cette proie idéologiquement vulnérable. Il remarqua, entre les bras croisés de l’homme, une photographie posée sur le comptoir. Elle portait les traces d’un usage répété, elle avait été pliée et repliée, et avait été probablement trempée par la pluie plus d’une fois. Lorsqu’il reconnut le petit chauve rondelet qui figurait sur l’icône, et le regard embué de larmes que lui portait cet homme, il comprit soudain…

« Ben Marcel, mon pauvre ami… Ca n’a pas l’air d’aller bien fort… Pourquoi vous êtes-vous mis dans cet état déplorable ? Vous qui écrivez de si belles académies ?

– Salut Trottais. C’est bien vous, non ? Avec la petite étoile en lieu et place du berceau sous la tour Eiffel dans le logo. On a encore perdu mon vieux, voilà tout ce qu’il y a. Vous m’offrez un verre ? Cela m’inspirera pour l’académie de ce match, justement.

– Mais certainement, je vous dois bien ça… Garçon, un autre verre de… Oh, et puis, filez-moi la bouteille de Picon, ça ira plus vite. »

Georges observa le brave académicien engloutir le tiers de la bouteille à même le goulot. Les reflets bruns du breuvage aux agrumes perlèrent sur sa barbe de trois jours.

« Que faites-vous donc sur la capitale ? Étiez-vous au stade cet après-midi ?

– Ça me fait tout drôle d’entendre ce mot : “capital” dans votre bouche, Georges. Je peux vous appeler Georges ? Bon, au fond je m’en tape pas mal et vous le savez. C’est que je vous connais, mon vieux. J’ai lu pas mal. Toutes vos académies y sont passées. Mais bref. »

Il s’interrompit pour boire une grande rasade de Picon, s’en mettant encore partout.

« J’étais là, oui. Dans le parcage visiteur qui te fait bien comprendre ton état bovin de petit raflé du Vél’ d’hiv’. Les chiottes de Créteil étaient plus propres, si vous voulez savoir. Pas que ça m’intéresse grandement, mais j’aime quand même mon petit confort pour bourrer ma pipe à crack en paix à la mi-temps…

– Mais si vous n’êtes pas jouasse, vous pouvez y retourner, à Créteil, mon p’tit pote ! Tiens, comme vous êtes partis, vous n’allez pas tarder à pouvoir y passer vos RTT de la Toussaint, à Duvauchelle ! Les Lusitanos vous tendent les bras, mon vieux ! Mais c’est ça le haut niveau, faut pas croire qu’on va récurer les pissotières pour faire plaisir à messieurs les Nancéiens ! Non mais sans blague ! A l’époque où je tractais en Lorraine, dans mes jeunes années, je peux vous dire qu’y en avait pas des toilettes visiteurs dans vos vieilles mines humides ! Même pour les locaux, c’était tricard d’en dégoter ! Ah ça, le syndicat de la Lorraine du fer, c’était pas le plus accueillant, vous pouvez me croire !

– Oh ben faut pas vous exciter comme ça, mon bon. Z’allez encore avoir les bonbons qui collent au papier… Tenez, buvez donc un coup de Picon sans bière, c’est là qu’il est le meilleur. Et c’est excellent pour le teint. Je vous trouve un peu hâlé pour un militant, faudrait pas trop que les gugusses qui vous beurrent la saucisse dans les manifs se rendent compte que vous êtes quand même moins souvent à l’usine que sur la terrasse du Colonel Fabien… Et puis pour votre gouverne personnelle, Créteil est en Natianal, maintenant. On n’a pas encore ces ambitions-là, à Nancy. Ceux qui s’occupent de faire visiter toutes les divisions à leurs supporters, c’est Metz.

– On n’est jamais à l’abri, vous savez… Tout va très vite dans le fouteballe. Tenez, pendant le match… Dans les dix dernières minutes, vous êtes quand même passés d’un presque hold-up à deux poteaux sortants à une défaite bien pitoyable… Si c’est pas un signe du destin, ça… »

Georges se saisit de la bouteille et en but à son tour une grande lampée.

« C’est pourtant pas faute d’avoir essayé, hein… Non, vraiment, on peut pas dire que vous ayiez pas tenté le coup… Mais admettez que ç’aurait été salement sale de vous voir tirer quoi que ce soit de ce match… Cette victoire allait dans le sens de l’Histoire… La grande, celle qui file tout droit vers le Grand Soir… Et tant pis si c’est à coup de pénalités foireuses contre les petites équipes de province…

– Nan mais attendez Trottais, vous allez vite en besogne. On se jettera des grandes théories à la gueule une fois qu’on aura présenté nos équipes respectives, parce que c’est quand même pour ça qu’on est là, non ?

– Tiens, oui, bonne idée, parce que j’avoue que j’ai pas retenu les noms de vos soudards briseurs de grèves et briseurs de couilles. L’alcool, sans doute. Ou simplement le fait que je m’en fous. »

Marcel s’empara d’un billet de Loto à la barbe du tenancier et sortit un minuscule crayon de sa poche avant de griffonner quelques noms sur le dos du ticket.

PSGEL

Une fois son schéma pondu de guingois, Picon toisa Trottais d’un air de défi :

« Et vous mon vieux, vos Bovary, vous croyez peut-être que j’ai retenu leurs noms ? C’est pas que je m’oppose à l’intégration des étrangers, vous pourriez même me traiter de trotskard que je ne m’en offusquerais pas… Mais faut bien admettre qu’on ne s’y retrouve pas dans votre IVe Internationale, là… »

Trottais, l’air hautain, s’empara d’un exemplaire de L’Équipe qui trainait sur le zinc et tira de son pardessus un magnifique Waterman rouge constellé d’étoiles jaunes.

« Bon, je vais pas vous mentir, je me souviens plus très bien leurs patronymes non plus… Disons que j’ai une mémoire sélective, surtout en ce qui concerne les national-socialistes… Le stylo ? Oh, un petit cadeau de Brejnev quand je suis devenu secrétaire général du Parti… Faut dire, il m’avait bien aidé à me débarrasser de Waldeck… Enfin, revenons à nos moutons… »

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« Disons que je reviens à mes moutons, parce que dans cette histoire, c’est quand même nous qui nous sommes fait tondre.

– Ah, vous la jouez à l’autodérision… Vous avez bien raison, surtout quand on s’intéresse à la physionomie du match… D’emblée, on vous a acculé dans votre surface, vous pouviez pas faire trois pas sans qu’on vous tire le cuir !

– Oui, bon, attendez j’y viens, j’y viens, mais d’abord laissez-moi un peu vous parler de mon arrivée émerveillée à DisneyLand Paris Saint-Germain. Parce qu’il s’agissait bien de nous montrer la toute puissance de votre grosse machine à vendre des survêtements, et ce dès le début, hein. Le sergent Jean Caillou, je l’ai reconnu quand je suis sorti du bus que j’avais fraudé méchamment. C’était déjà lui qui m’avait fait faire des tours et des détours dans le 14e arrondissement quand j’étais venu voir nos petits chardons faire la nique à d’autres Parisiens au stade Charléty. J’en avais fait une académie, même. Mais bref. Pour bien oppresser le plouc de province, on commence dès les abords du stade, histoire d’être sûr qu’il ne va pas se rebeller et qu’il va payer sa bière sans alcool coupée à la pisse au prix fort. Après donc avoir visité tout le Paris des Fillonistes, tout ça pour ne pas embêter les enfants qui craignent les supporters adverses, j’ai pu entrer dans votre enceinte Alter-séquano-Louis-Dionysienne ou je ne sais quoi (je ne pige jamais vraiment votre jargon géographico léniniste). Là encore, le rapport de force était d’environ un flic et une matraque pour un cul nancéien, mais qu’on se le dise : c’était pour notre sécurité. Le douzième homme, à Paris, ce n’est clairement pas le public de footix en mocassins à glands qui vient offrir à Hippolyte et Antoinette une sortie le samedi parce qu’ils ont bien fait leurs devoirs la semaine, mais le flic, le creux et rigide agent de l’ordre et de la morale de mes deux qui te traque du regard quand tu cries fort et te somme de te détendre d’un martial « écartez les bras » au moment de te palper les bourses. Mais tout ça vous le savez déjà, Trottais, vous qui ne mangez pas de ce pain-là.

– Oui, ben ça, écoutez, je suis pas le dernier quand il s’agit de tisonner le poulet dans mes académies, on est pas au Péfécé, quand même. Les flicaillons, après tout, sont à l’État ce que les pustules sont à la peste : ils en sont la manifestation la plus visible et la plus dérangeante, mais leur taper dessus ne résout rien à la gangrène macrono-technocratique qui nous bouffe par tous les membres… Mais ne me faites pas changer de sujet avec votre parcours touristique dans les beaux quartiers du capital, Picon, revenons-en à notre opposition de style… Quoique pour seule opposition, on a pas eu beaucoup plus qu’un pauvre petit ersatz de pressing pour faire bonne figure…

– Ouarf, Trottais, ne prononcez pas ce nom de marque de fringues de sport qui se présente à la présidentielle en marge de toute idée devant moi, j’en recrache mon picon par les trous de nez. Alors effectivement, on n’a pas mordu dedans à pleine dent, le pain noir des besogneux de la chique à 20 millions la passe décisive. Pour vous faire une confidence, on n’avait pas prévu de vous presser comme de vulgaires Toulousiens non plus. Je ne pense même pas que Pablo était venu faire un coup au Parc, lui qui a déjà fort à faire pour s’assurer que les prochaines rencontres nous apporteront assez de points pour le maintien. Au mieux, il avait collé un Maouassa fort en jambes sur le paletot de votre Vieratti (oui je m’essaye au détournement de nom d’influence marseillaise, c’est de bonne guerre pour le Péhèsseugé), et on a bien vu dans ses yeux de petite victime que ça ne lui plaisait pas, lui qui agitait beaucoup les mains en face de sa mamma par procuration pour qu’on prenne des cartons jaunes et des cartons rouges. Ah, le jeune enculé… Mais bon, tout le monde a bien vu que ça ne marchait que par intermittence, parce que pour bousiller votre fond de jeu, il aurait fallu aussi mettre sa muselière à Xavier Pasteur, le rabouin qui menait bien ses petits ballons à droite et à gauche.

– Je suis bien heureux de vous l’entendre dire. Je fonde beaucoup d’espoir dans ce sympathique gamin. Il a dans l’attitude un je-ne-sais-quoi d’esthète du footballisme réel, de révolutionnaire du ballon… Collez-lui une barbe et un béret, et vous avez un barbudo tout à fait potable, d’autant plus lorsqu’on le met à côté de son camarade Edinson… Entre l’artiste aux pieds de velours (comme la révolution) et le guérillero au sang-froid implacable au moment de fusiller le goaliste sur pénalty, on tient là une paire de meneurs d’hommes assez extraordinaire… Les idoles prolétariennes de demain, à n’en pas douter ! Sans eux, on aurait fini par s’endormir pour de bon, cet après-midi…

– Moui, c’est plutôt juste. Enfin vous parlez de mercenaires tout juste bons à vendre leurs efficaces services au plus offrant, des opportunistes. Essayez de leur parler un peu de l’intérêt supérieur de la classe prolétarienne, et vous les verrez filer ventre à terre dans les jupons d’une cour d’oligarques. Toujours est-il que ça a bien tenu côté nançois. Pas de bol pour vous d’avoir ce match sans enjeu ni frisson contre des Espagnols nuls en milieu de semaine, dites donc. Vous auriez pu profiter d’une opposition relevée pour que vos idoles stakhanovistes effacent de leur esprit les arrêts monstrueux et les provocations salaces de notre Sergeï Chernique.

– Hé là, ne montez pas sur vos grands chardons, Marcel. Je ne vous la jouerai pas à la Aulas, mais quand on est plus proche de la ligue des pizzaïolos discount que de la coupe d’Europe, on se doit d’observer un minimum de respect à l’égard des tout premiers représentants de la cause de l’internationale footballistique ! Quoique j’ai vu que vous n’étiez tout de même pas en reste pour ce qui est de l’internationalisme… Votre gardien russe était fort bon… Nous, notre Polak n’a pas touché une bille par contre… Si ça ne tenait qu’à moi, on aurait bien plus de représentants des républiques socialistes, mais… Ah, c’est un Biélorusse ? Et bien, écoutez, personne n’est parfait… Moi-même, j’ai des amis socialistes.

– Le pauvre n’a pas pu faire grand chose en revanche sur le penaltoche que l’arbitre vous a judicieusement accordé à force de perception omnipotente. Enfin, je me comprends. C’est la vie. Je serais prêt à parier que les beaux parleurs vont encore trouver le moyen de spéculer là-dessus depuis leur écran à vue polygonale. Servez-moi encore un verre de je-ne-sais-quoi, mon bon. Ce qui vous fait plaisir, après tout c’est vous qui rincez.

– Eh bien, s’il n’y a que ça pour vous faire accepter qu’on le méritait ce pénalty, je vous en ressers même deux… Oui farpaitement, il en va du mérite footballistique, môssieur le nancéien. Le sens de l’Histoire, vous dis-je, le sens de l’Histoire… Vous nous remercierez à la fin de la saison, quand nous aurons mis fin à la domination européenne des multinationales du football circus…

PSGEL
Tout est dans la souplesse de cheville.

– Je ne remercie jamais rien ni personne, Trottais, tenez-le vous pour dit. Je peux en revanche vous féliciter pour ce qui est de l’ambiance dans votre Parc du Prince : quand Alexis Bousin a tapé l’un, puis l’autre poteau rond de la Trapp à phynances, je crois n’avoir jamais entendu un silence résonner aussi puissamment. Ça doit être pour ça qu’on vous a ramené les ultras : peut-être pas pour la révolution, mais pour montrer aux autres qu’il ne suffit pas de venir fanfaronner derrière le parcage à dix une fois le match terminé en nous traitant de paysans, il faut aussi savoir se la boucler de temps à autres. Mais je ferais bien de m’appliquer le conseil à moi-même, je commence à avoir un peu trop bu. Je ne devrais d’ailleurs pas vous dire que je suis parfaitement en état de rédiger mon article pour Bruno Roger-Petit, car il n’aime pas attendre pour la mise en ligne.

– Qu’est-ce que vous voulez, tout se perd… Les jeunes d’aujourd’hui ne se souviennent même plus qu’avant d’être des bouseux chômeurs et presque allemands, les Lorrains étaient des mineurs, et non des paysans… Où va le monde, je vous le demande ! Et où allons-nous dans cette académie, je vous le demande aussi ! »

Le Lorrain acariâtre bâilla avec effusion, et profita que son réflexe d’oxygénation cérébrale lui ouvrait grand la gueule pour y jeter le premier godet qui traînait sur le bar. Au pauvre hère qui protesta face à sa rapine, Picon opposa un faciès si terreux, si profondément marqué par le désespoir, qu’il pacifia derechef tout le caboulot. Même la télé beuglante parut lui offrir un léger répit, en censurant la publicité pour un crédit immobilier que le triste et futur sans emploi Cyrille Eldin bonimentait alors tout sourire.

« Du coup, je suis parti pour avoir l’alcool un peu triste cette nuit, vous ne m’en voudrez pas. Peut-être que si vous me parlez de vos fariboles communisto-pouêt-pouêt, je m’esclafferai un peu, en même temps. Ou alors peut-être qu’on pourrait rire ensemble en donnant des notes à tous ces gredins ? Vous qui écriviez sur L’Équipe tout à l’heure, cela ne devrait pas vous dépayser. Attendez que je siffle encore un verre à quelqu’un. Quand je commence, je deviens un vrai renard. À moins que vous n’ayez encore l’audace de piquer dans la caisse de la section locale pour m’offrir quelque chose d’autre ?

« Tenez, en échange, je vous offre les notes de mes chardons. Alors notre Chernique russe ou biélorusse, qu’est-ce que ça peut faire…Dans le secret de mon esprit malade, je lui ai mis 4, car il a repoussé vos assauts avec force vigueur et inspiration puisée dans la vodka et ce surplus d’âme typiquement slave. Mais le voir venir offrir son maillot aux fans en fin de match, célébrer de longs instants cette résistance héroïque dont lui-même a fait preuve avec le soutien des supporters meurtris par les crânes plats et casqués qui les encadraient… 5/5 mérité.

« Geoffraie Cuffaut de son côté droit, ce n’était pas si mal. Faut dire que Gay d’est, en face, c’était quoi ? Une nouvelle trouvaille qui sent l’évasion fiscanale, ça. Payer si cher un portugay, ça ressemble encore à une manœuvre messoise, ou à un vil foutage de gueule adressé aux FRANÇAIS trop tristes d’avoir perdu l’Euro. Ces cons. Mais je m’égare. 3/5 pour le Geoffraie.

« La paire Diagne Cavaco, c’était de la boucherie sans os, mais bon, c’est pas eux qui te remonteraient un bloc à la force du dos comme sous l’Egypte des pharaons, hein. Oui, quand je suis ivre, j’ai la comparaison historique facile. 3/5 pour les deux, qui ne font malheureusement pas 6/5, selon Pythagore…

– La teinture blonde sur votre nervi des favelas, c’était pas motif à un malus, tout de même ?

– S’il avait invoqué l’influence de Romain Alessandrini pour cette peroxydation ignoble, je ne dis pas. Mais il se fait discret quant à cette fantaisie, et peu disert par ailleurs, donc je ne le juge pas trop. Bon, au tour du fautif. Exécution en place publique pour l’auteur supposé de la faute sur le noir copain du Blanc : Vincent Muratori, notre âme damnée. Encore aujourd’hui c’est lui qui porte tous les vices de la planète football, mais si j’étais vous, je pleurerais sur son sort tout de concert avec moi, car le mérite de votre équipe n’a rien à voir là-dedans. Allez, 2/5 quand même.

« Au milieu, on a eu du faible : 2/5 pour Guidileye, qui a essayé d’imiter votre Matuidi en galopant dans le vide et en conduisant sa balle comme je conduis mon jet d’urine pendant ma cuite du samedi soir. Et non, il n’a pas réussi à écrire son nom sur votre pelouse, juste « Crflt ». Suivant : 3/5 pour l’inénarabe Youssef Aït Bennasser, pas le dernier à savoir sortir un ballon proprement après l’avoir piqué dans les jambes d’un Parisien, ou même de n’importe qui, tiens. Je sais que ça peut sembler virer à l’obsession chez moi, mais le voir partir dans une autre principauté l’été prochain me file de l’urticaire. Passons donc au plaisir : 4/5 pour le petit Faitout. Il découvre un nouveau poste, s’y fait vite et bien, adresse une frappe sublime à votre gardien pour régaler le stade, et se paye même le luxe de forcer Verratti à courir. Et c’est du fait maison, ça, mon ami.

– Faitout, ça me fait penser aux casseroles. Et au sergent-chef Chaudard. Comment ça, Pierre Mondy est mort ? Pendant un bombardement, c’est pas possible autrement !

– Écoutez, vos références populistes datant de l’ORTF mon vieux, il faut les restreindre si vous voulez reprendre le pouvoir, hein. Bon, en attaque, c’est moins la joie. Quatre matchs qu’on n’avait pas marqué, et voilà le cinquième d’affilée ce soir, pour votre bon plaisir. Puyo le poulet a été plus qu’à chier, je ne sais pas trop comment décrire ça sans encore prononcer des paroles regrettables. Je vais plutôt lui filer son 1/5 hebdomadaire, ça vaudra mieux pour tout le monde. Koura en pointe, ça ne vaut pas beaucoup mieux sinon. C’est juste que face à la concurrence, il apparaissait sûrement comme l’homme le plus mûr. Contre votre shemale brésilienne et le Presse Nefles, on se doutait bien qu’il n’allait pas mettre un pied devant l’autre. 2/5 pour lui. Seul Dia a eu un peu de défiance et l’envie de ne pas respecter ces gros richards qui lui faisaient face. 3/5.

« Quant aux remplaçants, je te parlerais bien d’Alexis Busin (oui je passe au tutoiement en cours de route, mais il est tard, le bistrot va fermer, pis on gonfle la taulière, etc.), vu qu’il a quand même réussi l’exploit de taper trois fois sur les poteaux en deux frappes. J’espère que ces enfoirés cesseront rapidement leurs brimades, parce que déjà qu’il a une tête à être né à Longwy le pauvre, autant ne pas en rajouter à son CV… Pas de note, mais un fol espoir de voir enfin un attaquant réussir ce que personne ne sait plus faire en Lorraine : marquer. Pas plus de note pour Youssouf Hadji et pour Pedretti. Juste un petit commentaire pour dire que faire doubler la moyenne d’âge de l’équipe était une habile manœuvre de la part de Pablo. Ç’a même failli marcher. Failli. Presque. À boire. »

Georges l’observa s’étendre de tout son long pour saisir la première bouteille venue sous le comptoir. C’était du Ricard. Bonne pioche. Pendant que le liquide jaune pisse se déversait sans fin dans la gorge de l’assoiffé, Trottais ressortait de sa poche la feuille de chou qui lui avait servi de brouillon. Entre deux articles putassiers sur les salaires mirobolants des joueurs de Premier League, il retrouva son schéma tactique griffonné sous la photo d’une quelconque WAG pneumatique. Il entreprit de noter un à un les joueurs qui y figuraient, prenant exemple sur son acolyte.

« Bon, je m’y colle, du coup. Et puisqu’il faut bien commencer quelque part, prenons Kévin de Trappes, le playboy germain des surfaces. Je lui fous un 3/5, pour sa claquette face à votre Fourres-y-tout. De toute beauté, il faut bien l’avouer, même si j’ai jamais pu encadrer les nazis… Mais laisse tomber… (Tiens, moi aussi je m’y mets au tutoiement… J’ai dû boire plus que je ne le pensais…)

« À gauche… Oui, je commence à gauche, pour une fois. Après tout, on lit dans ce sens-là dans nos contrées judéo-christiano-capitalo-saucisses, non ? Bref. Kurzakawabunga. Ben, c’est là que je me rends compte que je ne vais pas pouvoir en tartiner autant que vous sur chacune de mes gagneuses, parce que j’ai vraiment rien à dire sur ce type. 2+/5, dans le doute.

– Dire qu’il y en a qui trouvent que c’est le relève d’Evra en équipe de France. J’ai toujours pensé que c’était plutôt l’avenir annoncé des bancs de touche reluisants, mais chacun dit comme il veut.

– De l’autre côté, y a déjà plus matière. Serjorié. Bon. Plus je le vois, plus il me fait regretter Jérôme Hergault, quand même. Mais il a pas démérité non plus, il bute une fois sur le Biélo, puis il obtient la pénalité… 3/5. Vendu.

« La paire axiale, c’est un peu la même musique… Je sais jamais noter les défenseurs, je regarde que l’attaque… Alors pour le coup, en attaque, le Thiago il a pas été dégueulasse, il jouait bien haut et tout… Peut-être un peu trop haut du coup, vu qu’y avait plus personne à part Cavanini et Pastoré pour revenir sur votre busard, lors de la fameuse contre-attaque des deux poteaux… Allez, 3-/5.

– Cava le Chevalier Ni qui s’offre une belle course, mais dont le tacle désespéré glisse parfaitement sur les rails de l’indifférence de notre Bousin, ce qui est assez cocasse.

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C’est pas à Niort qu’il aurait pu glisser comme ça, n’empêche.

– Au milieu, on a déjà parlé de l’affreux Polak, le cosaque de la Vistule… Je comprends pas bien pourquoi on l’a foutu là… On savait très bien qu’on allait tomber face à une coquille recroquevillée sur elle-même, qu’il faudrait apporter du mouvement, porter la balle, créer des espaces… Et on se paie le luxe d’un récupérateur pas foutu de savoir quoi faire du ballon une fois dans ses pieds… En plus de plusieurs pertes de balles franchement dangereuses… Bref. Inutile. 1+/5, pour sa frappe détournée par un de ses copains (même eux ne veulent pas qu’il marque, le pauvre). Heureusement, on l’a remplacé par le brave Blaise, tout aussi désastreux dans sa technique, mais qui a au moins le mérite de compenser par ses mouvements. Et au final, on y perd pas au change, puisqu’il récupère vraiment des ballons, lui. 3/5.

« On en vient à notre petit hibou italien. Votre vaisselier portatif lui a effectivement foutu un sacré coup au moral avec son individuel. Du coup, il a pas eu l’apport qu’on espérait de lui, surtout dans une première mi-temps très fermée… 2/5. Xavier par contre, il a réussi à se libérer tout le temps, il a enchaîné les déviations à une touche, les frappes en première intention, les dribbles chaloupés… Ca n’a pas souvent fonctionné à l’arrivée, mais je l’aime quoi qu’il fasse. 4/5 pour lui.

« Alors en attaque, y en a un que j’ai pas reconnu, celui avec les grandes oreilles décollées et la mauvaise peau… Portugais, vous dites ? Y en a des biens. 3/5, encouragements. Le petit Lucas, eh bien, c’est un peu toujours la même histoire… Il nous tape son slalom géant du match, à deux doigts de marquer, et après on le revoit quasiment plus… Ah si, à part pour botter ses corners directement en sortie de but. Non mais sans rire, un droitier pour tirer à l’angle droit, mais où va-t-on… Même Ravière, il s’est vautré dans l’exercice, après ça… 2+/5, pour le dribblou. Pas plus. Quant au camarade Eddy… Et bien, à l’image du public, il a pas eu grand chose à se mettre sous la dent en première période… Puis, quelques occases à l’heure de jeu, extérieur du pied “à la Z”, retourné acrobatique… Et l’implacable efficacité pour transformer la pénalité qui nous mènera vers les cieux de l’accomplissement du bonheur humain… 3+/5. Le Grand Soir vaut bien un plus.

« Sinon, à part Blaisou, y’a d’autres coiffeurs qui sont rentrés en cours de match, Julian le Boche, et Anathem qu’on est allé chercher à la SONACOTRA, là. Le premier, il a enfin tiré du pied gauche un corner droit, et le second, ben… Attendez, j’ai un doute, c’est bien sûr qu’il est rentré ? Non mais vous avez sans doute raison, j’ai pas dû bien regarder…”

– Ah ben qu’il soit entré ou pas, les anathèmes, je les ai entendus en tout cas. Et je peux ajouter que j’en ai aussi jeté quelques uns. »

Le téléviseur était mort. La musique, elle, n’était jamais née. Dans l’intimité crasseuse du troquet miteux, les chaises s’empilaient avec fracas sur les tables, les papiers gras et autres déchets s’entassaient discrètement dans les coins à la pointe du balais. Seule la conversation des deux académiciens laissait planer un semblant d’animation dans la salle éclairée de néons criards, entretenant le doute sur une fermeture prochaine. Leur conversation agitée s’attirait l’œil noir des tenanciers fatigués, et la curiosité de quelque pauvre hère sirotant son dernier verre d’un air absent. D’un ton hésitant, l’œil hâve, le Nancéien, aux trois quarts saoul, demanda :

« Est-ce que t’aurais une cigarette, mon bon parigot ? Il me faudrait du tabac. Et il faut que je sorte d’ici. L’air de Paris ne me réussit plus. Je serais presque prêt à prendre ma carte pour qu’on m’exfiltre d’ici. Ou une sans filtre, peu importe.

– Une cigarette ? Jamais, voyons ! C’est l’aliénation ultime du travailleur ! Son enchaînement à la ronde industrielle des cancéreux ! Relisez Quick et Flupke !”

L’idéologue leva le coude encore une fois. Mais il ne parvint à tirer que quelques gouttes de sa dernière bouteille. La lâchant sur le comptoir, il l’observa rouler jusqu’au précipice, et se briser sur le damier jonché de mégots et de tickets à gratter. Le taulier finit par les mettre dehors, à grands coups de pompes et d’insultes fleuries. Sur le pavé mouillé, les deux hommes prirent une direction au hasard, tournant à gauche selon le souhait de Georges. Celui-ci s’arrêta un instant pour observer son compagnon allumer un bout de clope trouvé sur le bitume. A la lumière de l’allumette, il contempla les traits marqués du provincial mal dégrossi.

« Un peu d’air minier ne vous ferait pas de mal, en effet. Moi-même, ça fait longtemps que je n’ai plus quitté la Seine… Peut-être qu’un retour aux sources me ferait du bien… Je retrouverais peut-être quelques anciennes copines des JC… Elles ont dû prendre de la bouteille, c’est sûr, mais j’ai eu le loisir de constater que la doctrine marxiste conserve beaucoup mieux que le conservatisme patriarcal… Douce ironie… Quand vous aurez votre carte, je vous emmènerai à quelques réunions de sections de banlieue… Certaines secrétaires valent le détour…

– Pourquoi ne venez-vous pas visiter les bords de la Moselle ? On n’y voit rien de spécialement joli, mais au moins l’air y est pur. Quant aux femmes, encore faut-il s’y intéresser un petit peu… Mais vous êtes vigoureux et éloquent, Georges. Je n’ai pas cette chance. J’ai d’ailleurs fortement envie de vomir, depuis quelques instants, tu permets ?

– Mais je t’en prie, camarade. J’ai moi-même une grosse envie de pisser, et cette rangée d’affiches des candidats à la résidentielle ne sera pas assez longue pour que je me soulage complètement sur ces têtes de veau. »

Tandis que Georges s’apprêtait à assurer sa miction, Marcel dévida ses boyaux, non sans avoir soigneusement choisi son emplacement après un court examen des faciès amicaux des différents tribuns. Une fois le visage d’Emmanuel Macron copieusement tapissé de bile, il lança à son comparse :

« Mais je ne vois pas vos attributs habituels, Georges. Enfin, je veux dire… Hum… Je ne suis pas en train de mater ta bite, si c’est ce que tu crois. Je me demande juste où sont passés le marteau et la faucille. C’est fini, les communsymboles prolétaires ? Ah si attends, j’en vois sur cette affiche, là. Ah ben c’est Nathalie Marteau, justement.

– Laisse-moi rire. Depuis que j’ai filé le bébé à Robert Hue, on touche plus une bille. On aurait jamais dû abandonner la dictature du prolétariat, je leur avais bien dit… Bon, on va s’en jeter un dernier chez moi ? Je crèche chez mon gendre en ce moment. Xavier Pérez. Non ? Un gardien sensass, vous pouvez me croire. Il nous sortira bien un petit cubi de derrière les fagots. Et on pourra parler du prix de l’abonnement dans la carrière à ciel ouvert qui vous sert de stade…

– Voilà qui est parlé, Trottais. Pendant que je déglutis, vous me remplirez les papiers pour l’adhésion. Pas question de laisser la faucille et le marteau à l’autre psycho-rigide et à sa secte. Faut pas m’en vouloir, je deviens un peu mono-maniaque, quand j’ai bu. Je vais vous prendre une adhésion en parcage, tiens. »

Les deux compères glissèrent sans bruit dans la nuit tourmentée. Georges, jamais vraiment ivre mais pas tout à fait lucide non plus, laissait divaguer son esprit vers les rives du grand soir de Cardiff. La pensée profonde d’un vrai communiste n’est jamais embuée tout à fait, tant elle est dressée, tendue vers son aspiration de toujours. Marcel, lui, renâclait un gazouillis inintelligible, plein de mucus et de haine. Sa peine avait été mise en pause pour la soirée, et demain lui reviendrait comme une vague froide. Prenant appui l’un sur l’autre pour ne pas choir définitivement, le vaincu et le vainqueur communièrent un dernier instant dans une gigue grotesque, épaule contre épaule, avant qu’au détour d’une rue, une force silencieuse les sépare sans un mot, ni un regard en arrière.

Georges Trottais feat. Marcel Picon

2 thoughts on “Paris SGEL / ASaNaL (1-0) – Ne nous fâchons pas.

  1. Cette rencontre aura fait beaucoup plus pour les progrès de la cause prolétarienne que les pauvres séances de touche-pipi hamono-mélenchiques. Je vous salue bien bas, Messieurs.

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