Metz – Sochaux (1-1) : La Metz Que Un Club Académie donne son premier cours.

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L’amphithéâtre Carlo MOLINARI était plein. C’était le premier cours de la semaine et les étudiants se rassemblaient cahin-caha dans un brouhaha diffus. Le lundi, c’est l’occasion de faire le bilan autour d’une tasse de café. De partager ses exploits du weekend, d’évoquer les vicissitudes de la vie. Les espoirs de ces studieux étudiants rêvant de lendemains radieux se mêlant aux affres de la réalité avec son lot de solitude et de dépression inhérente à la vie émotionnellement survolté de cette jeunesse immature. Et même s’ils en avaient vécu des choses jusque-là, aucun n’était vraiment prêt lorsque le professeur Legrasaully entra dans l’amphithéâtre.

Un bon mètre soixante-douze, une barbe impressionnante, un pantalon bien serré, qui laissait deviner un package digne d’un guerrier
Massaï, et un regard très froid. Il monta l’estrade et s’assit au milieu du bureau. Il jeta un regard circulaire à la foule, ses pupilles sombres donnant l’impression à chacun des élèves de se fixer sur lui exclusivement. Alors, forcément, petit à petit, comme par magie, le silence se posa dans la salle. Une absence de son, lourde, attentive…

« – Bien, je suis M. Legrasaully, et, je préfère vous prévenir tout de suite que lorsque vous vous adresserez à moi :  je tiens beaucoup à ma particule. Vous aurez le droit de m’interrompre, mais seulement si c’est intelligent. Dans le cas contraire, je ne vous répondrais même pas. A la deuxième intervention débile, je vous exclurais de ce cours et vous consulterez ce cours en quémandant les notes de vos camarades, j’espère que ceci est clair pour tout le monde. Si je vais trop vite pour vous, ou si vous avez besoin que je me répète, vous lèverez simplement la main. Je vous verrais toujours, ne vous inquiétez pas… »

Une sentence froide. Sèche. Les étudiants étaient fascinés. Beaucoup, troublés, se questionnaient du regard les uns les autres.  Plus rares, quelques-uns étaient amusés. Mais en tout cas, personne n’était insensible à la forte personnalité de ce professeur si atypique.

Il sorti de son sac une pile de document qu’il posa lourdement sur son bureau, attrapa la télécommande à côté, et alluma l’énorme rétroprojecteur situé au plafond.


« – Bien, bien, bien… Sochaux… Alors, comment dire, on ne peut pas dire que c’est une ville que je porte dans mon cœur. Pour dire vrai, c’est même tout l’inverse ! En même temps, il n’y a qu’une seule ville où je ne me suis jamais senti « chez moi » et j’y suis en ce moment même ! Alors, si je vous dis ça, c’est pour que vous gardiez bien en tête que… ce qui va suivre n’est forcément pas du tout objectif ! Non, vraiment. Je le dis chaque année, mais j’ai toujours des débiles qui le prennent sérieusement et qui continue à recopier ça dans leurs notes. EH ! OH ! Bah oui, posez vos stylos quoi… »

Face au regard sombre de leur professeur, les étudiants, comprenant enfin, s’exécutèrent aussitôt. Le bruit des crayons tombant sur les tables résonna en écho dans tout l’amphithéâtre. Lorsque le silence retomba, le professeur Legrasaully se tourna à nouveau vers l’écran, leva encore sa télécommande, et reprit :

« Sochaux, c’est quoi ? Alors, premièrement, cette ville, d’un point de vue purement symbolique et personnelle, si je devais l’illustrer, cela donnerait ça : … »


« Oui, un vulgaire bout de pétrole sur du bitume. Une ville tellement ridiculement microscopique que l’on donne la dizaine lorsque l’on évoque son nombre d’habitant : 4060. Miskine… Cette ville, dont la survie n’est dû qu’à la grâce de l’usine Peugeot historiquement implantée là, a une phrase sur Wikipédia, qui m’a beaucoup fait rire : « Le territoire communal de Sochaux n’est pas très étendu avec une superficie de seulement 2,17 km2 dont plus du tiers est occupé par l’usine Peugeot Citroën ». Hahaha ! Quel bâtard ! »

Les étudiants, éberlués, ressemblaient tous à des hiboux avec leurs yeux grands ouverts. Avant que les premiers ne se mettent soudainement à hululer, le professeur repris :

« Alors, forcément, qui dit « usine », dit « ouvriers ». Qui dit « ouvriers », dit « Football ». Et qui dit « football d’ouvriers », dit « Ligue 2 ». Et la Ligue 2, c’est quoi ? Ben c’est « La Vraie » ! Celle des hommes avec du cambouis sur les mains, des callosités sur les pieds et des femmes qui sentent le chou ! En Ligue 2, les valeurs misent en avant sont l’engagement féroce, le combat brutal et l’échange viril ! Et, comme représentant officiel de cette barbarie, pur idole de cette bestialité athlétique, symbolisant au mieux ce concept de « sport bourriné », j’ai nommé… »


« Qui est-ce ? Quelqu’un le sait-il, seulement ? … Allons… Chaque année, c’est le désert avec cette photo… Putain, mais qu’est-ce que l’on vous apprend en cours, merde ! Personne ne connait ce grand homme ? Je vous jure, le jour où j’ai un élève qui arrive à…
– … Monsieur ? C’est Mandela, monsieur ?
– … »

Le professeur se retourna vers l’élève qui venait de parler, et le regarda attentivement. Son visage, son expression, ses épaules, sa posture. Cherchant n’importe quoi pour lui éviter d’étriper ce débile fini… Il fallait lui dire quelque chose…

« – Et vous êtes ?
– Rémi… Rémi Valls, monsieur.
– Bien… Bien… Alors ? Monsieur Valls ?
– Oui ?
– Cassez-vous !
– … Mais…
– Sans déconner. Foutez-moi le camp où je vous balance ma chaussure ! »

Le pauvre élève, d’abord abasourdi, puis comprenant l’intransigeance dans le regard de son professeur rassembla rapidement ses affaires et sorti, les yeux humides. Sans un regret dans sa voix, le professeur reprit :

« – L’homme que vous avez sous les yeux, n’est autre que… Mayoro N’Doye. Ancien joueur du FC Metz, il symbolisera à lui seul la célèbre stratégie « cassage de cul, phase 1 » de notre regretté entraîneur Albert Cartier. Un joueur sourd à toute forme d’intelligence dont la principale caractéristique fut de briser les chevilles, les reins et les couilles de nos adversaires. Souvent remplaçant, tout le temps à la rue sportivement, il nous a appris que pour gagner au football, il ne fallait ni forcément « défendre » ou « attaquer », mais aussi « défoncer ». Son chef d’œuvre restera à jamais son entrée en jeu en tant que titulaire dans le derby qui nous opposait à l’ASNL lors de la saison 2013-2014 où il fit littéralement péter les plombs à un Jeff Louis, dont le niveau cérébral était comparable à celui d’une oie. Et encore, je parle d’une oie vraiment bête… (Dix points pour celui qui me retrouve cette référence !) Une fois fait, monsieur l’oie recevant ses deux cartons jaunes avant la mi-temps, Cartier pris aussitôt la décision de tranquillement sortir N’Doye. Quand je dis « aussitôt », c’est que le pauvre Jeff Louis n’avait même pas encore atteint les douches… Ce moment, mythique s’il en est, sept ans après, Albert Cartier s’en souvient encore et l’évoque, l’œil rieur et le sourire en commissure, dans une interview où il déclarera : « Comme on dit dans le milieu des entraîneurs de foot : Une oie, pas deux ! » … Je vous ai mis le lien de l’interview dans le récapitulatif de la séance que vous pourrez retrouver sur le portail de la fac. »

A ce moment-là, le professeur eut une quinte de toux brutale. Il ouvrit son sac, prit rapidement une bouteille d’eau et un étrange cachet vert opale. Un étrange voile sur le visage, il ignora l’assistance devant lui et retourna silencieusement devant son écran.

« Alors… Pourquoi je vous parle de N’Doye ? Pour deux choses : La première parce que vous êtes là pour apprendre, et qu’on apprend certes, pas beaucoup en regardant N’Doye jouer. Mais surtout parce qu’il est le symbole de ce qui nous a cruellement manqué lors de ce match. Et cela me permet donc de faire la transition parfaite avec le cours d’aujourd’hui, que j’ai intitulé : … »


Nouvelle session d’hibou grand-duc chez les étudiants. A croire que leurs sourcils s’étaient figés ainsi à tout jamais. Le professeur ne parut pas remarquer l’air ahuri de ses élèves et poursuivi avec son même timbre de voix si sombre :

« – Parce que oui, je veux bien que l’on discute tactique, taux de réussite, xg, et xgA, mais à un moment donné, on a eu un sérieux problème de burnes sur ce match. Et ne vous méprenez pas, je n’aime pas la vulgarité. Mais là, elle appuie mon propos. A force de vouloir contrôler le jeu, de rechercher systématiquement la passe plutôt que la prise de risque, on en oublie aussi ce qui fait une force dans un match de foot : la percussion, les amis ! Parce que les occasions : on les a eues. Malchanceux : on l’a été, certes. Mais en face : ils ont joué à dix quand même… Pendant trente minutes ! Et même à neuf lors des quinze dernières minutes ! Et nous, les leaders du championnat, nous ne sommes pas capable de fracasser les lignes du fond de cuvette de la Ligue 2 ? Avec les joueurs qu’on a nous ? Avec les joueurs qu’ils ont « eux » ? Franchement ? C’était si « impossible » que ça d’aller chercher les trois petits points qui nous auraient mis au large de Brest ? Alors oui, c’est bien plus une défaite, qu’un score nul ! Dois-je vous rappeler que l’équipe de coton crade de Nancy en a collé quatre à cette même équipe il y a une semaine de cela ? »

Le professeur posa son visage dans ses mains. Il s’investissait trop dans ses cours. Il était un désillusionné atypique s’exaltant sporadiquement. Il se dit que « coton crade », c’était abusé quand même. Il devait se contrôler… Se reprendre…

« Vous êtes toutes et tous ici pour comprendre… ou, tout du moins, vous approprier sans vergogne mes connaissances et mon expertise afin d’imiter ma réflexion… Alors, si vous devez retenir une chose de cette séance… une seule. C’est que face à une équipe acculée, en infériorité techniquement, tactiquement et numériquement : on doit ranger les chaussons de danse et sortir les chaussures cloutées. C’est simple pourtant. On ne joue pas au « football » à onze contre neuf ! On ne fait pas… une dizaine de passes à l’arrière en jouant à touche pipi avec le zgeg de son voisin… Il n’y a plus qu’une seule stratégie à adopter : Faire monter le bloc et cogner ! Et si là, et seulement là, cela ne veut toujours pas rentrer, alors on accepte. On se résigne. On file sous la douche et on se dit : « Bsahtek, là on n’a « vraiment » pas eu de chance ». Mais au cours de ce match, ce n’est pas du tout l’impression que j’ai pu avoir. On a prit notre point, tranquille, et on est rentré au vestiaire boire une tisane avec mémé. Et j’en ai marre du thé de mémé… Regardez ! »


« Navré… Non vraiment. Là, je me suis un peu emballé avec Paint. C’était hier soir, j’étais dans un moment de déprime… Mais plus sérieusement… au fond, dans cette histoire, voulez-vous savoir ce qui m’a le plus attristé dans ce match nul ? Ce n’est pas le scénario du match en soi, même si je dois avouer qu’il m’a mis une bonne couche de déprime… C’est surtout que l’on était à domicile ! Et ça, c’est un truc qui me tue vraiment cette saison… »

Le professeur Legrasaully se pinça la base des yeux avec le pouce et l’index. Il était épuisé. Mais heureusement pour lui, aucun des étudiants ne le remarqua, les yeux encore tous écarquillés sur le montage moisi de Cohade et Boulaya en train de prendre le thé comme deux mémés

« A la maison, on est sensé avoir plus de rage. Se battre plus vigoureusement. Inconsciemment, on défend notre territoire. Notre testostérone est plus élevée. C’est instinctif. Animal comme processus. Je vous renvoi à la vidéo en lien à la fin. Mais surtout, ce qui prime à domicile : c’est le public ! Tout simplement… Lorsque je vais à Sinsinf… C’est pour voir MON équipe tartiner le derrière syphilitique de visiteurs mal dégrossis qui viennent du fin fond de la campagne… Je veux du spectacle. De l’engagement. Parce que non, je ne suis pas les déplacements de supporters. C’est pour ça que j’aurais toujours une tendresse infinie envers tous ceux qui ont ce courage et cette volonté. Peu importe leur club. Mais quand mon équipe joue à domicile, je veux pouvoir y aller serein. Cela arrive les mauvaises surprises. L’équipe adverse qui défend en bloc pendant 90 minutes et qui marque avec un réalisme insolent à la 91e. Mais avant ça, au moins, je veux voir mon équipe qui piétine ses rivaux et qui a vraiment tout tenté… C’est ça que je veux voir lorsque je paye ma place. Et je sais que les supporters sont toujours considérés comme ces fameux idiots qui payent pour encourager des joueurs qu’ils ne connaissent pas. Poussant la débilité à prétendre que « eux » aussi ont gagné, et non pas seulement « les joueurs ».

Mais le fait est que des gens se déplacent ! C’est fou, ça non ? Des gens vont vraiment à sinsinf… Ils payent pour s’asseoir dans le froid et applaudir des gens qu’ils ne connaissent pas personnellement. Juste parce qu’ils portent leurs couleurs. Qu’ils sont « sensés » symboliser une idéologie commune, une soif de gloire et une ambition de grandeur partagée. S’ils achètent des maillots, des tasses, des pins et des écharpes « made in china », et même des peluches maintenant, dix fois leur prix coûtant… Ce n’est pas « juste » pour se la péter… Mais c’est aussi pour se rapprocher de cette fameuse « idéologie commune ». Celle d’appartenir à « un club », « une communauté ». Gagner un match, c’est quelque part asseoir notre supériorité… Mais lorsque cette supériorité ne se ressent pas à domicile, comment voulez-vous ressentir la folie, le dépassement de soi, l’acharnement qui vous poussent à être « plus que des supporters », « plus que des joueurs » ? A vous transcender afin de faire vibrer dix mille, quinze mille, vingt mille personnes sur une simple frappe ? Voulez-vous que je vous délivre un de mes souvenirs préférés au cours de cette saison ? Lorsque Maïga, après avoir marqué contre Nancy, va le célébrer avec les fans. Il vient d’arriver de Saint-Etienne, en prêt… Pas tout le temps titu, mais la première chose qu’il a fait après avoir marqué son premier but sous nos couleurs, c’est d’étreindre ce peuple grenat… Un peuple qui s’est alors empressé de le serrer contre lui, comme son frère, juste parce qu’il porte les mêmes couleurs que lui… Et ça c’est vraiment beau…

Le foot nous rapproche. Le FC Metz me rapproche de chacun de vous dans cette pièce. Vous qui suivez mon cours. Le foot c’est ça, et ça c’est vraiment… vraiment beau…

Le cours est terminé. »

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