Vous voulez encore du spectacle ? On vous offre les jeux du cirque.

Combien de temps il faut pour qu’une prise de conscience se transforme en action ? Quelle question débile. Combien de morts ? Oui combien de morts ? Parce que oui, partout, partout, partout des morts, la plupart sans nom, sans visage, sans même de papiers, et quand bien même, s’ils en ont, cela change-t-il la moindre petite chose. Ah voilà, avril arrive, l’Euro se profile, les problèmes à la FIFA sont déjà loin et par dessus tous ces sujets, faites place à la plus grande actualité des 5 prochains mois, place place place à ce qui fait déjà la Une des magazines et journaux plus ou moins douteux malgré une toujours étonnante vitalité, après tout, on peut avoir des spasmes la tête coupée. Le journalisme putassier en premier rôle sans contrôle, sans critique, sans garde-fou : les transferts. Voilà le vrai sujet, celui qui intéresse les consommateurs, le strass, le court terme, le clinquant et l’inutile. Couvrez ces choses que je ne saurais voir. Epargnez-nous votre indignation, votre bonne conscience, vos jugements, foutaises, balivernes, poudre aux yeux pour gâcher notre plaisir de se laisser aller quelques minutes pour choisir le bon flocage à 140 euros, une broutille, c’est un salaire annuel des riens, des innomés qui construisent dans l’ombre l’antre de tous ces exploits qu’on se repasse à en vomir lors des instants perdus de nos vies insignifiantes. Le réveil des consciences, mais qui parle de cela ? Qui vous a dit qu’il fallait réveiller les consciences et en appeler à l’humanisme de cette sous-espèce abêtie et pantinisée à l’extrême. Encore faut-il en avoir une conscience pour qu’elle se réveille, encore faut-il qu’elle ne soit pas morte, vous êtes des sombres demeurés, décérébrés. N’est-ce pas sœur Anne, vous ne voyez que le soleil qui poudroie. Vous aveugle. Vous éteint. Vous rend inutile à toute réflexion. Vous rend plus mort que ceux qui s’éteignent pendant vos petits matchs, loin de votre canapé, loin de votre télécommande, loin de votre téléphone. Mais pas si loin de ce que vous regardez, à quelques kilomètres à peine du studio ultra-moderne où quelques personnes maquillées comme votre argent volé parlent, blablatent sans cesse pour vous servir la soupe dont on vous gave 6 jours sur 7. Ah ça causer ils savent faire, c’est leur rôle. Et finalement le vôtre c’est d’écouter, après tout vous payez même pour ça. Ecouter d’une manière qui n’a rien de religieuse, qui n’a rien d’un possible moment aristotélicien de contemplation méditative, étape pour un approfondissement de sa propre personne. Non non non, vous êtes là, vous écoutez, vous payez pour écouter, ah si et parfois comme une éructation à peine contrôlée, on retrouve les plus courageux sur les réseaux sociaux pour une bataille d’idées convenues, de joutes bileuses, où la rancune personnelle de n’être personne l’emporte toujours sur la volonté de faire triompher une inaccessible nouveauté. Une fois sortis de votre zone de confort, vous êtes perdus, vous n’avez plus de sens réel, un peu quand Neo sort de la matrice la première fois. On vous prend pour des demeurés et vous aimez cela.

D’ailleurs, « si vous aviez un peu de lettres et d’esprit » (« Mais d’esprit, ô le plus lamentable des êtres, / Vous n’en eûtes jamais un atome, et de lettres / Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot »), vous sauriez que ce sport que vous dites tant chérir a abandonné les raisons qui ont fait que vous l’avez aimé. Vous sauriez que les scandales administratifs ou les scandales financiers ou les scandales de dopage ou les scandales de tricherie ou les scandales de corruption ou les scandales de comportement auraient dû être la limite de l’acceptable, la limite du supportable, la limite de la supercherie. Mais non, vous revenez toujours. Dépendance, syndrome de Stockholm, peu importe : « On te boit on te biberonne, / si je t’aime comme Chris Brown / J’t’arrache la gueule comme un piranha, / tu reviens à chaque fois comme Rihanna ».

Mais le Qatar. La coupe du monde au Qatar. La coupe du monde au Qatar en 2022. Où placer le curseur de la filsdeputerie générale, de l’abandon collectif, de la dilution totale de la responsabilité d’un massacre organisée par les instances qui doivent protéger ses ouailles du joueur au jardinier, du supporter au maçon du stade ? Les articles pleuvent, de tous les journaux, de tous les pays, non, non, loin de moi l’idée de brandir le fameux et tragique « Unissez-vous » parce qu’au final attiser le combat est le meilleur moyen d’avoir une réponse tout aussi immonde que ce qui se passe déjà. Mais il est impossible de cautionner cette compétition, il est impossible de laisser 2022 arriver et de laisser le temps passer et le béton couler jusqu’à enterrer les derniers ouvriers morts pour asseoir vos culs de bourgeois dans un stade ou dans un canapé, en se disant que ouais ça valait quand même le coup. Quel sport peut valoir autant de morts ? Quelle compétition peut se prévaloir d’avoir trempé ses fondations dans un sang coulant publiquement ? Quelle instance peut laisser les choses se passer comme ça ? Ce silence. Cet aveuglement. Et cette colère qui monte devant tous ceux qui ne disent rien, qui font semblant de ne pas voir, ou pire, qui voient et baissent la tête pour éviter de mettre les pieds dans cette flaque qui s’étend, qui s’étale, qui ruisselle sur la peinture encore fraîche. Et après tout, un mort qui n’a plus ses papiers et n’existe pas officiellement, est-il même encore un mort ?

11 thoughts on “Crevez en silence mais crevez quand même

    1. Voilà. C’était juste pour dire que c’est pas la faute de la coupe du monde c’est celle du Qatar. On peut regarder la conscience tranquille. J’essaierai de loucher quand ils nous montreront les stades à la télé, sur Bein…

  1. C’est alors que, comme aux plus belles heures des lotos du chourmo, s’entend ce cri viscéral.

  2. Foisonnant ton propos !
    Rien à en retrancher, juste un peu de rangement dans les idées en renforcerait l’impact… Qu’importe, j’applaudis la spontanéité de ton cri et en partage l’indignation… Jusqu’à l’écoeurement de ce « panem et circences » inlassablement ressassé et reclyclé par les collabos médiatico-politiques du grand pourrissement planétaire !

  3. C’est malheureux (ou cynique) à dire mais au final tu vas mater des matchs de cette foutue CDM non ?
    Ou tout du moins les résumés.
    Ce qui ne retire rien à ta tribune.

    1. Certes oui ! … Le vieil impératif moral intimant de joindre l’acte à la parole. Mais sophisme en l’occurrence : regarder la CDM ne reduit pas la pertinence de ma condamnation sans réserve du processus inhumain qui a entouré son organisation. C’est même précisément parce que j’aime le foot que je peux porter un jugement élaboré sur les redoutables déviances qui le minent.
      C’est un peu comme si, ayant perdu le pote que j’avais invité au Bataclan le 13 novembre, et moi sorti vivant de la soirée, je me considérais responsable de sa mort. Il y a concomitence entre les deux événements, mais aucune relation de cause à effet.
      Par contre, ta phrase conclusive est juste et j’en partage le jugement.

  4. Moi je ne regarderai pas, je l’ai décidé en 2022. Je vais aller durant cette période dans un pays qui s’en branle du foot, pour être loin de tout cela. En France.

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