Moi je m’en fous, je ne suis pas Népalais. C’est avec cette savoureuse sensation que j’ai commencé ma journée. Je me suis réveillé léger, plein d’entrain, un élan nouveau inconnu, un souffle chaud digne d’un sirocco à l’abri du sable, un zéphyr qui vous entoure, vous réchauffe, vous protège. Je me suis levé reconnaissant, béat d’un optimisme sans frontière. J’étais simplement heureux. L’universalisme du football allait enfin toucher au but. Les peuples allaient enfin marcher main dans la main, les religions allaient s’effacer, les entreprises lâcher leur emprise si étouffante sur le cerveau des salariés du monde entier. Prolétaires de tous les pays unissez-vous… sombre utopie bien en deçà de la réalité qu’on nous invite à embrasser maintenant. Il ne s’agit plus de prolétaire, il s’agit juste de l’humanité. Une humanité totalement immergée dans un moment unique de communion comme seul le football peut en créer. Finies les compétitions à éliminations, finis les vainqueurs et surtout, parce qu’il sont forcément les plus nombreux, finis les vaincus. Ou le plus tard possible. Ou en le sachant par avance, comme cela pas de désillusion, pas de tristesse, tu étais mauvais, aucune compétition ne viendra te dire l’inverse puisque toutes les compétitions te renforceront dans ta position.

Ne voyez-vous pas plèbe impie la consécration des années à venir ?? Ne voyez-vous pas la concrétisation des rêves les plus fous, les plus sanglants ? Ne voyez-vous pas se réaliser les plus extrêmes désirs ? Plus besoin de rêver, plus besoin de demander, plus besoin de conquérir. La farce du capitalisme va bientôt mourir de sa belle mort, supplanté par cette vague incroyable du statu quo. Oui oui oui le communisme voulait un monde égalitaire, on vient vous offrir un monde immobile, rien à espérer, rien à attendre, inutile de sa battre, inutile de combattre. Finie l’incertitude des luttes spontanées, des soulèvements face à l’injustice. Vous naitrez pauvres et vous saurez vous en contenter. Rien de plus beau pour profiter au mieux du peu qu’il vous reste. Sachez vous contenter de la médiocrité, ce sera le meilleur moyen de passer un beau moment, tout autre espoir vous est dorénavant interdit. Ah mais oui cher ami, regardez bien.

Coupe du monde. Voyons large. Et respirons fort. 200 pays à quelques vaches près. Deux années entières de matchs à éliminatoires. Une compétition réunissant les équipes qui ont subi déplacements hasardeux, calendriers denses, pièges lointains et tout ce qui fait le sel de ce format c’est à dire la possible contreperformance. Sauf qu’avant, la possible contreperformance pouvait avoir des conséquences, celle de vous faire disparaître de la coupe du monde une fois, peut-être deux, pour les nations habituellement invitées à la grand messe planétaire, quand la coupe du monde était à 18 ou 24 ou même encore 32. Mais 48 ? Deux ans de compétitions pour conserver 50 équipes ? Est-ce sérieux ? Ne serait-ce que pour la légitimité d’éliminatoires si longs… Ne serait-ce que pour la digestibilité (absolument cela existe) de la compétition elle-même ? Pourquoi pas tant de peine pour éliminer si peu et constituer un bloc monolithique et dense de tant de matchs où les derniers matchs seront les cerises sur un gâteau hyper caloriques et qui sans la moindre notion de plaisir feront vomir tout supporter conscient d’une boulimie sans limite et finalement contre productive. 48 équipes en un mois, phase de poules et éliminatoires, c’est suicidaire.

Oui bien sûr, je ne constitue pas l’audience marginale qui sera attirée par cette formule. Le public visé n’est pas celui de pays qui se sentent habituellement lésés par une compétition trop sélective, mais celui de pays où le public à conquérir se compte en centaines de millions de potentiels téléspectateurs. L’objectif est de voir tout le temps le Nigéria, l’Indonésie, le Japon, l’Inde, la Chine et tous ces pays récemment conquis par d’autres sports qui ne basent leur légitimité que sur la part d’audience. Suivez mon regard vers la Formule 1 et vous comprendrez où le football veut aller. Regardez l’évolution du lieu des grands prix depuis 20 ans et vous verrez où se situe l’enjeu de développement, il se situe exactement à deux niveaux : 1) la tradition où le GP de Monaco équivaut à la participation du Brésil et 2) l’exotisme et l’ouverture où Bahreïn correspond à la Corée du Sud.

Allons plus loin. Les groupes de trois. Ridicule. Une coupe du monde à 48 pour 2022, assassine. Il ne reste même plus assez de Népalais pour construire les stades et les infrastructures qui pourront accueillir toutes ces équipes et ces touristes malsains. Ce n’est pas matériellement possible, humainement inconcevable mais libéralement parfaitement compatible avec l’air du temps. Alors d’après vous, qui gagnera ?

Savez-vous que j’arrive au bout du nombre de caractères qui m’est octroyé gratuitement sur le site sans avoir même encore abordé la réforme possible de la Ligue des champions avec match le samedi et tous ces détails qui n’en sont plus et qui feront disparaître de la scène médiatique les compétitions qui ont fait le fondement et le sel des coupes d’Europe justement. Ce n’est pas le serpent qui se mort la queue, c’est Brutus qui assassine César, c’est le non sens qui prévaut. Quand les championnats n’auront plus d’intérêt pour le public, on s’en passera, et donc on privilégiera une compétition européenne des plus gros et non des plus grands. Et ce sera fini des championnats et la ligue fermée aura gagné. L’intégration européenne poussée à l’extrême finalement, plus rien d’autres, et une utopie bêtement appliquée sous le sceau du gain maximisé.

Vous avais-je dit que j’étais heureux en me levant ce matin ?

Le titre est une libre interprétation d’une citation de Jacques Prévert : « Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple. »

3 thoughts on “Essayer d’être heureux, pour donner le mauvais exemple

  1. votre citation de Prévert me rappelle celle de Brassens citant lui même Blaise Pascal :
    « Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez »

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