Si l’équipe de France ne doit rien coûter au contribuable, elle ne doit lui rapporter. Différence entre valeur d’usage et valeur d’échange, impact et rentabilité économique, externalité des retombés et principe de péréquation…autant de notions qu’il semble inutile de connaître lorsque atavisme et clientélisme font office de compétences. En effet, « problème de gouvernance »…

Avec Georges Boulogne, l’équipe de France et la FFF avaient emprunté la voie de la professionnalisation. En pleine disette depuis 1958, le football français débauchait l’entraîneur roumain du grand AJAX, Stefan Kovacs, et pariait sur la formation de Trésor post coloniaux. Importation du savoir, transfert de compétences (Kovacs initie Hidalgo au football total) et industrialisation de la production, pour doter le football français d’une machine à gagner. La génération Platini personnifie la professionnalisation du football français mais le vide laissé oblige à une réforme structurelle. Dans l’urgence, la FFF créé un poste de « super intendant de l’équipe de France » pour Claude Bez. Le président des Girondins de Bordeaux place un ticket Platini-Houillier à la tête de la sélection, Doc Houille prenant également le contrôle d’une DTN qui renforce sa mainmise sur les centres de formation des clubs pro. Les échecs de l’Euro 92 et de la WC 94 expédient Platini à l’organisation de France 98 puis à la tête de l’UEFA tandis que Houillier chaperonne la première génération du CTN de Clairefontaine. Tandis que Jacquet construit son projet 98 avec les premières pousses de Boulogne, Houillier suit Henry, Anelka et Trezeguet jusqu’à ce que Domenech refuse de lui laisser les espoirs. Fruit de la formation française, ayant appris la victoire auprès du partie de l’étranger, France 98 triomphe et le monde s’extasie sur le « modèle français », permettant à Houillier de monnayer son expertise à Liverpool tandis que la fédération anglaise copie la DTN et lui en propose la direction. Elevage de joueurs en batterie, laboratoire d’excellence à Clairefontaine, importation du savoir étranger, la France vole de victoires en victoires jusqu’au fiasco de 2002. Santini, Domenech,… Aimé Jacquet DTN voit en France 1998 le triomphe des techniciens français là où Lippi et consorts évoquent un transfert de compétences tactiques lié à l’arrêt Bosman. Le « modèle français » refuse les mélanges et ses sélectionneurs transpirent la consanguinité quand les joueurs apprennent tout de l’étranger. Nous avançons, vous reculez…2002, 2004, 2008, 2010.

Les grognards de 2006 injectent leur sang helvète à une génération en perdition et la DTN s’imagine revenue sur le toit du monde. Las ! Chercher la génération 83-84 – championne du monde des moins de 17 ans en 2001 – dans la sélection actuelle incite à plus de prudence. Sinama Pongolle, Le Tallec, la perle Aliardière et consorts sont allés terminer leur formation à l’étranger où la plupart se sont gâchés auprès –notamment- de Wenger et Houillier. Amputées de ses merveilles, la formation française peine également à adapter sa production aux exigences toujours changeantes du marché. Par delà les débats tactiques sur le 451, c’est surtout le profil des joueurs qui détermine l’animation. Passé entre les gouttes de la sélection « naturelle », Ribéry reste le seul profil d’ « impact player » si décisif dans les 433 utilisés actuellement. Productrice de milieux défensifs, la formation française n’a pas su fournir des milieux relayeurs, la tentative Toulalan ayant échoué en edf comme à l’OL (Diarra inapte, Cheyrou et Nasri non retenus, seul Diaby possède ce profil.) Si l’histoire de la formation n’évoque jamais les échecs, peut-on penser que les Messi, Xavi, Iniesta de France balayent aujourd’hui les stades municipaux faute d’un gabarit aux normes d’une DTN toujours plus prompte à faire rimer excellence sportive et radio du poignet ? En lieu et place de la moraline médiatique ambiante, un dossier de fond en compagnie des acteurs éluderait ces questions. Plus aléatoire, la France ne dispose pas des « terminator » apparus récemment, « joueurs totaux » pour un « football total » à l’image de Drogba, Eto’o ou Cristiano Ronaldo, dont l’émergence tient encore du hasard, en attendant la banalisation de l’athlète génétiquement modifié que permet désormais la médecine. Ne protégeant pas ses trésors, produisant à perte faute d’étude de marché et d’adaptation à la demande, la petite entreprise FFF se retrouve en « crise de modèle » et appelle le FMI pour un plan d’ajustement structurel.

4 800 euros la bouteille de Romanée-Conti…Corée 2002, Simonet savoure et discrédite la FFF. Bande de vieilles têtes de patates pourries en costume Dormeuil, messieurs Limousin, Reblochon et Cassolette ne rassurent ni marchés ni investisseurs, nouveaux gouvernants de clubs devenus SASP* depuis 1999, qui plus est lorsqu’ils exigent de la LFP qu’elle alimente le football amateur. Surtout, le fiasco de Corée 2002 a provoqué une fronde chez les représentants du football amateur qui représentent 75% de l’assemblée ordinaire et refusent de voter un budget 2002 considéré comme « opaque » et trop en faveur de la LFP. Président de la LFA (ligue du football amateur) promu à la présidence de la FFF, Jean-Pierre Escalettes fait voter le budget en janvier 2003 mais le monde professionnel retient que son essor reste soumis aux élucubrations d’obscurs villageois bénévoles et autres « fonctionnaires du football. » Abandonnés par la FFF durant l’Occupation (Vichy interdit les clubs professionnels et oblige même à un championnat d’équipes régionales en 1943-1944), soumis aux instances fédérales depuis les problèmes financiers des années 60-70’, les clubs professionnels composent sans grande affinité avec le monde amateur et, encadrés drastiquement par la DNCG, n’entendent pas voir leurs efforts profiter au village au moment où le système s’internationalise et que leur bonne santé augure de lendemains radieux.

« Vitrine » du football français, l’edf vante les produits du terroir tout en valorisant les actifs, permettant ainsi d’équilibrer les budgets. Impossible pour une entreprise ambitieuse de confier sa comm’ à des amateurs, et il convient donc de l’intégrer au sein de la branche professionnelle. Ainsi, l’opération de rachat de la bergerie commence par la nurserie. A 2 millions d’euros de budget moyen, un taux de « pertes » supérieur à celui de voisins beaucoup moins contraints par leur fédération, sans compter le départ des meilleurs pousses et la soumission aux règles de la DTN, les centres de formation représentent une source de profits importante mais incarnent la contrainte. Une loi de juillet 2003 lève l’obligation, pourtant pierre angulaire du « modèle français » conçu par Boulogne, et laisse les clubs pro libres de filialiser des clubs amateurs voire de délocaliser leur formation dans des pays économiquement attractifs. En 2005, la LFP se paie l’essentiel du cheptel en « rachetant » l’ensemble des sélections nationales à l’exception des A pour 5% des revenus des droits TV, qui viennent s’ajouter aux 5% de la loi Buffet destinés à financer le football amateur. Certes, les A manquent au contrat mais désormais les cochons occupent la ferme. Parallèlement, huit clubs professionnels fondent en 2007 Football Avenir Professionnel, résurgence du Club Europe placée sous le patronage de Jean-Claude Darmon, Jean-Michel Aulas à la présidence et Michel Seydoux comme porte-parole. Avec pour slogan « la défense des clubs premiers », l’association promeut les vertus de l’élitisme, exige une réforme dans la répartition des droits télé, la suppression de la loi Buffet, l’assouplissement de la loi Evin, la réduction de l’élite à une Ligue 1 de 18 clubs pour un seul relégué. Dénoncée par Diouf alors à la tête de l’OM, il n’est qu’à contempler Dassier vomissant Léo Lagrange et exigeant une réforme de la gouvernance du football français pour se demander si l’étrange éviction du Pape n’est pas en lien avec son appétit trop mesuré. **

Dans ce paysage, le retour de Gérard Houillier à la tête de la DTN en 2007 intrigue. Parti monnayer ses compétences à Liverpool puis Lyon, l’homme a souvent défendu les intérêts des clubs face aux sélections tandis que sa mésentente avec Domenech, dont il soutient pourtant la reconduction en 2008, alimente la presse. Qui plus est, Houillier remplace Jean-Pierre Morlans, adjoint des DTN depuis la création du poste sous Boulogne, candidat logique selon Domenech, et une telle interruption ne peut que dénoter dans le monde si conservateur des techniciens français. Quoiqu’il en soit, le labo de formation de la FFF tombe entre les mains d’un « professionnel » et la nurserie française change définitivement de propriétaire à une génération de l’Euro 2016. Encore plus étonnant, le fiasco de l’Euro 2008 n’a aucune incidence sur l’organigramme de la FFF, Escalettes reconduit maintenant sa confiance à Domenech désormais « sous surveillance » de son « ami » le nouveau DTN. Chris Carter y verrait une stratégie Titanic visant à discréditer la FFF, récupérer la sélection A débarrassée d’une génération intermédiaire « parasite » pour mieux préparer 2016 avec de véritables « professionnels », Houiller en éclaireur s’occupant de produire les joueurs tandis que Blanc et consorts assurent le transfert de compétences apprises à l’étranger.

Nonobstant monsieur X, Dugarry attaque Houillier tandis que Larqué évoque « le directeur technique national »***, les politiques proposent « audit », « gouvernance », « états généraux » et font motus ! avec « professionnalisation. » Bref, les DJ mixent sur la tabula rasa et les villages de France rêvent déjà de voir Petit, Leboeuf et autres désireux d’ « occuper des fonctions » au sein de la FFF, conduire les débutants le samedi après-midi dans leur SUV ou libérer trois soirs semaine pour « apporter leurs compétences » à l’équipe fanion fanny des duels de clochers. Ou alors, il n’est question que de nommer Aulas ou un de ses proches superintendant de l’edf, intégrer les A au sein de la LFP, glaner une part des 42 millions d’euros par saison du contrat Nike, soumettre la sélection aux impératifs des clubs et réunir des champions du monde autour d’un Romanée-Conti. Cette perspective invite à la dislocation du modèle français, le monde professionnel se délestant du poids de sa base, et le récent report de la réforme du football amateur proposée par le président de la LFA, Fernand Duchaussoy, inscrit les propos de Dassier et de Thiriez**** au cahier de doléances du monde professionnel. Initialement prévu pour mai, cette réforme rétrécit l’élite amateur (CFA, National) de 220 à 170 clubs au moment où la crise économique diminue le sponsoring local et que la LFP réduit son aide de 17 à 12,5 millions d’euros par an. Report en décembre sous la pression du monde professionnel, comme si quelque chose devait se passer qui modifierait la donne…comme si pour la petite entreprise française devenue multinationale, la gestion patriarcale de type économie mixte devait laisser place au management d’experts plus en phase avec le football libéralisé…comme si Jacques Lambert, technocrate impérial détaché auprès de la FFF, avait placé dans les maroquins ministériels les éléments de langage de la privatisation…pardon, de la « révolution » : « crise », « réforme », « audit » pour finalement aboutir à la tenue d’ « Etats Généraux », histoire de présenter la privatisation des profits du football français et la nationalisation de ses pertes comme une « professionnalisation » de structures d’« amateurs » minées par un « problème de gouvernance. » Amateurs du football, à vos cahiers…the revolution will not be televised.

* : http://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_anonyme_sportive_professionnelle

** :« Ce sport souffre dans sa gouvernance et au-delà du foot, c’est tout le système qui régit le sport français qui est à bout de souffle. La fédération pense qu’il faut ensemencer à la base pour obtenir le meilleur de l’élite. Résultat, c’est le foot amateur qui gère le foot professionnel. Moi je pense que c’est le haut qui doit tirer le bas. Le temps de Léo-Lagrange est révolu ! Je suis pour l’élite. Il faut créer une Ligue 1 comparable à la ligue anglaise« .
Jean-Claude Dassier, président de l’Olympique de Marseille

*** : Pour les mécréants, Larqué citant « monsieur le prophète » pour Mahomet est un des signes annonciateurs de l’Apocalypse.

**** : «Le foot français est victime de ses clans, à la fois chez les joueurs, les dirigeants et les arbitres. Ça pollue les décisions, les bons choix. (…) On est au bout du système associatif classique. On a un système de fonctionnement, d’élections, de statuts et de dirigeants qui conduit à l’immobilisme, à l’irresponsabilité totale. On a des modes de scrutin indirect qui aboutissent à la cooptation, à l’ancienneté. Il faut une élection plus directe ! Le président doit être élu par les clubs»
Frédéric Thiriez, président de la Ligue de Football Professionnel

A lire :

http://cahiersdufootball.net/article.php?id=1504

http://cahiersdufootball.net/article.php?id=2537

http://www.foot31.fr/Quelle-reforme-pour-le-foot-amateur-National-CFA-CFA2-1-2_a2559.html

http://www.lfp.fr/communique/lireArticle.asp?idArticle=10356 notamment « 3. Règles de répartition »

9 thoughts on “La FFF au pas

  1. Tres bon article, je suis relativement d’accord sur tout, sauf sur un point, Toulalan. Il n’a pas échoué à Lyon dans ce rôle de milieu relayeur, on ne lui a jamais confié cette responsabilité: on le plaçait en duo avec Kallstrom ou Makoun cette saison, Juninho avant cela. Bref, tu demandes à la Toul’ un rôle qui n’a jamais eu à l’OL…

  2. Bravo à tous, je me régale tous les jours.
    Mais le rouge sur fond noir (pour les liens), est-ce vraiment indispensable ???

  3. Ce genre d’évolution se fait sur le temps et il me semble qu’à l’arrivée de Puella, Toulalan se portait beaucoup plus vers l’avant, multipliant les mines dans la tribune. L’expérience s’avérant pour le moins fâcheuse, Makoun est monté et Toulalan s’est vu réduit aux tâches défensives d’une « sentinelle. »

    Il me semble, mais un observateur avisé serait le bienvenue.

  4. Non, non, même avant l’arrivée du roi du « Tu me tiens, je te tiens », Toulalan était un cran derrière l’autre milieu récupérateur, à savoir Juninho. Par contre, il tirait peut-être plus, parce que l’équipe avait un jeu plus porté vers l’avant. Puel a d’ailleurs été recruté pour redonner à l’OL une base défensive solide (qui a dit bunker?)…

  5. C’est drôle de savoir qu’un roumain a été sélectionneur de l’equipe de France

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