Résumé des épisodes précédents : depuis le siège du groupe Horsjeu Média, Superacad livre sa première bataille à distance contre Menesis et son armée de trolls, sans autre résultat que le saccage du bâtiment. Pendant ce temps, la police enquête sur les événements de l’Est parisien, une enquête doublée par celle, officieuse, du lieutenant Taillandier.

La robe rouge vif du lieutenant tranchait avec les éclairages lugubres de l’Institut médico-légal. Comme toutes les femmes flics, Sophie Taillandier avait eu à souffrir du sexisme depuis son entrée dans la maison. A la différence de ses collègues, elle n’avait pourtant jamais ressenti le besoin de masquer sa féminité sous des jeans informes, a fortiori lorsqu’il s’agissait de se rendre à la pêche aux renseignements. Sans jouer la femme fatale, elle avait bien conscience qu’un bouton de corsage dégrafé libérait plus facilement la parole des suspects qu’un bon coup de Pages Jaunes.

Ce jour-là de toute façon, Sophie Taillandier perçut rapidement le besoin de parler de ses interlocuteurs. Un médecin-légiste accompagné d’un assistant lui faisaient face, avec la méfiance de ceux qui s’attendent à être pris pour des imbéciles. « Michel de Rogaux », indiquait le badge du docteur ;  d’âge moyen, cheveux légèrement grisonnants, celui-ci n’avait rien à voir avec les personnages de séries policières. Pas d’aspérité, pas de blagues de carabins, il incarnait le professionnel pur, celui qui n’avait besoin pour surmonter la dureté de son métier que de la seule conscience du travail bien fait.

«  Messieurs, je vous remercie de m’avoir reçue. Vous avez entendu parler des événements de ces derniers jours, à commencer par le viol de Lariboisière. Si j’ai bien suivi, c’est vous qui aviez adressé le suspect à l’hôpital ?

– Tout à fait, répondit le légiste.

– Ce n’est pas banal, d’habitude vos clients font plutôt le trajet inverse.

– Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? On nous a apporté un homme supposé mort. On s’est aperçus de justesse qu’il était vivant, on n’allait quand même pas faire son autopsie.

– Oui oui. Ne vous énervez pas, je comprends que cette histoire met un peu tout le monde sur les nerfs. Je sais qu’on vous a déjà demandé de raconter l’histoire, mais je me suis permis de revenir vous voir, parce que les rapports de mes collègues me semblaient un peu… succincts.

– Ah ça, je ne sais pas ce qu’ils ont écrit, mais à voir la tête de vos collègues, c’est clair qu’ils ne nous ont pas crus un instant. C’était un type nommé… je ne sais plus, Fiore, je crois.

– Oui, Fiori. Un très bon policier, mais tout ce qui sort de la logique lui échappe un peu. C’est pour ça qu’il m’a demandé de revoir tout ceci avec vous. On va reprendre depuis le début. Surtout, je vous en supplie, parlez librement et n’oubliez rien, même si ça vous semble farfelu. Donc, tout a commencé lorsqu’on vous a amené un… un quoi, au fait ?

– Ben, au départ on ne savait pas trop. Une sorte de gros caillou jaune-marron, 1,90 m de long sur 50 cm de large environ. Rien que ça c’était tordu, ça n’avait rien à voir avec les procédures. Fabien, c’est toi qui as réceptionné le colis, raconte comment ça c’est passé.

Un jeune homme d’une vingtaine d’années dépourvu de blouse blanche, portant barbe de trois jours et piercing à l’oreille, prit la parole :

– Il était 7 heures du matin, je terminais ma veille de nuit quand on a sonné. Ce sont trois mecs, complètement affolés, qui m’ont amené le truc dans un grand sac à gravats. Les types étaient de la mairie, du nettoiement. Il y en avait deux avec leur chasuble jaune, je crois que le troisième était leur chef. J’ai rien eu le temps de leur faire signer, de leur demander quoi que ce soit. Ils ont laissé le paquet dans le hall, et ils sont partis en criant « faites gaffe, c’est vivant ! ». Fin de l’histoire.

– Fabien m’a appelé immédiatement, reprit le docteur de Rogaux. On s’est retrouvé avec un sac contenant un objet inconnu, apporté par je ne sais qui. La première chose qu’on a pensée, c’est que c’était un corps, bien évidemment. J’allais suivre la procédure, c’est-à-dire appeler vos collègues sans toucher à rien, mais c’est là que j’ai entrouvert le sac.

– Et alors ? interrogea le lieutenant Taillandier.

– Bah alors, c’était tellement bizarre que je me suis dit tant pis pour les procédures, et on a ouvert le sac en entier. Et donc, c’était pas un corps, mais ce caillou, qui avait quand même une taille humaine. Ca m’intriguait tellement, j’ai dit à Fabien : écoute, on appellera la police tout à l’heure, mais histoire de pas être venu pour rien on va le porter en bas et voir ce qu’on peut déjà analyser. Je sais, on n’a rien fait dans les règles, mais fallait voir la tronche du truc, aussi. Jamais vu ça, en plus j’ai été appelé entre mes tartines, j’étais mal réveillé…

– Personne ne vous accuse. Si j’ai bien compris, vous avez porté le… la chose sur la table de dissection. Et là… ?

– Ce qui me paraissait bizarre, c’est ce que Fabien avait entendu dire quand les autres l’ont apporté : « faites gaffe, c’est vivant ». Alors que ça ressemblait à un gros caillou informe qui puait la vase.

– La vase ?

– Certain. Il avait beau être sec, je suis sûr qu’il avait séjourné dans l’eau il n’y a pas si longtemps. Sans doute la Seine, en tout cas ça concorderait avec les prélèvements que j’ai faits.

– Oui, parce que vos mystérieux livreurs ne vous ont pas dit où ils avaient fait leur pêche ?

– « Faites gaffe, c’est vivant », répété le veilleur de nuit. Pas un mot de plus, ils sont vraiment restés trente secondes.

– Donc, vous avez fait des prélèvements, vous me dites…

– Oui. Mais je vous garde le dernier résultat pour la fin, avant je vous raconte la suite. J’ai gratté ce caillou… ou plutôt, j’y suis allé au burin, il était vraiment dur comme c’est pas permis. J’aurais jamais cru que ça puisse être de la matière organique. Heureusement que j’y suis allé comme une brute, d’ailleurs, sinon on n’aurait jamais vu le mec qu’il y avait dedans.

– Dans le caillou, donc. Et vous avez donc vu qu’il n’était pas mort, malgré tout. A l’intérieur d’un caillou, qui en plus avait sans doute passé un certain temps immergé ?

– C’est Houdini, le type. Je ne sais pas quoi vous dire d’autre, je n’ai rien compris. Aucune trace de tuyau pour respirer, aucune réserve d’air, et pourtant quand j’ai fait sauter un éclat de pierre, j’ai vu apparaître un bout de peau toute rose. Ca en revanche, c’est mon rayon, je sais reconnaître de la peau de cadavre : on n’a pas mis une seconde à comprendre qu’il y avait un type vivant là-dessous. Du coup on a tout cassé, et on a vu l’homme en plein coma. Comme s’il dormait, sauf qu’il était impossible à réveiller. Mais en pleine santé, ceci mis à part : pas maigre, pas d’escarres… la belle au bois dormant, quoi. Du coup on s’est dit, d’une, qu’il y avait urgence vitale, et de deux, que les vivants sans dommage apparent ce n’était pas notre domaine de compétence : on a appelé le Samu, les pompiers qui sont venus n’ont rien compris non plus et ils ont décidé de l’emmener à Lariboisière pour en savoir plus. C’est tout.

– En gros, vous avez été trop contents de pouvoir le refiler à quelqu’un d’autre avant d’en savoir plus, ironisa Taillandier. Un peu comme ces fameux employés du nettoiement, donc ?

– Eh bien Madame, si vous me permettez, sachant que c’est vraisemblablement le même type qui sodomise tout le dix-neuvième arrondissement depuis quelques jours, oui, rétrospectivement j’assume de m’en être éloigné assez vite. Pour ce qui est de la traçabilité de l’histoire, je me suis dit que si jamais ça intéressait votre maison, elle ne se priverait pas de dépêcher quelqu’un pour venir me voir. Ce qui fut le cas, après ce n’est pas notre faute si votre ami Fiori n’a rien compris à ce que nous lui avons raconté.

– Sauf que vous êtes un homme curieux, Docteur. Vous vous seriez contentés d’appeler le 17 en laissant le sac dans le hall, sinon. Vous aviez affaire à un cas que vous n’aviez jamais rencontré, et à une matière que vous n’aviez jamais vue. Une matière a priori minérale, mais vous avez parlé tout à l’heure de substance organique. Vous en avez fait quoi, de ce caillou qui n’en était pas un ?

– Eh oui, en effet, je n’aime pas rester sans réponse. J’ai eu le résultat des analyses hier. Vous êtes prête ?

– Je vous écoute.

– C’est du vomi. Du vomi humain, crut bon de préciser le légiste.

– Soit. Je vous ai dit que rien ne me paraîtrait farfelu. Dont acte. Qui dit vomi dit ADN, donc ? Ce qui laisse une chance de retrouver de quel estomac il provient. Estomacs au pluriel, d’ailleurs. Il m’est arrivé de prendre de sacrées cuites, mais jamais de quoi rendre à moi toute seule de quoi envelopper un homme entier.

– Mouais, n’espérez pas trop de ce côté-là, Madame. La substance est comme fossilisée, même si je n’ai pas fait des analyses très poussées, ça m’étonnerait qu’on retrouve du matériel génétique exploitable. Tout ce que je sais, c’est : 1°) du vomi humain 2°) accompagné d’éthanol en proportion significative 3°) cristallisé d’une manière que j’ignore totalement, pour former une matière inconnue qui a enveloppé un homme en le conservant vivant. Mystère.

– OK. Et on ajoute que l’objet a séjourné une durée indéterminée dans un fleuve qui pourrait être la Seine. D’autant qu’il a certainement été retrouvé à Paris, puisque ce sont des agents municipaux qui vous l’ont amené. Et il était sec à ce moment-là.

– Excellent résumé, approuva Rogaux. Et le lendemain de son admission à l’hôpital, l’homme se réveille, viole un infirmier, s’échappe et commet divers sévices. Au fait, qui se charge de l’arrêter ? Vous ou votre ami Fiori ? Si c’est lui, faut peut-être que je le mette au courant, non ?

– Oh, si vous voulez, mais vous l’avez vu, votre histoire il va vous la renvoyer à la figure. Trop d’élucubrations. Moi-même, d’ailleurs, tant que je n’aurai pas vu ce fameux « caillou de vomi », j’aurai quand même quelques doutes.

Le légiste saisit la perche :

– Il est en face, au Muséum d’histoire naturelle. Je l’ai adressé à un collègue biologiste, en lui demandant de ne pas trop l’ébruiter. Je vous passe ses coordonnées. »

***

« Allez les enfants, on range tout calmement, et tant qu’on y est, on va réfléchir à une nouvelle formule du site, ça dort trop, là ! »

Affalé sur une chaise, je jette un regard désespéré à l’Editeur, qui m’apaise d’un geste. A l’issue de notre combat contre Menesis et ses trolls, je me suis effondré et ai dû passer la nuit dans ce fauteuil. Une horloge de guingois, fière d’avoir surmonté son Hiroshima, me confirme que nous sommes le matin, au lendemain de ce combat épique qui a laissé notre siège dévasté. J’ai l’impression qu’une année complète s’est écoulée, depuis mon évasion de l’hôpital. Revenues travailler comme à une matinée de bureau ordinaire, les rédactions du groupe Horsjeu Média s’affairent à ramasser gravats et chaises renversées. La fumée s’est dissipée, et laisse à contempler les gaines électriques arrachées, les faux-plafonds éventrés, les murs souillés de projections diverses.

Je m’avance à une fenêtre et jette un œil au dehors. Le jardin et les façades de l’ancien siège du PCF sont intacts. Le paysage paraîtrait presque banal, n’était cet imposant cordon de CRS. Les policiers empêchent badauds et journalistes de s’approcher de la station de métro d’où m’a exfiltré le professeur Roazh, il y a à peine 24 heures. La main de l’Editeur se pose sur mon épaule.

Ne t’inquiète pas. Jamais ils ne feront le lien entre nous et la fusillade d’hier. On va te garder au chaud le temps que l’affaire se tasse.

Pourtant, nous voyons de la fenêtre un car de policiers supplémentaire, précédé d’une voiture banalisée, arriver en trombe sur la place et s’arrêter au pied du HorsJeu Building. Lourdement armés, les hommes de la BRI se précipitent hors du véhicule et franchissent la grille. Sorti de la première voiture, un flic en civil ouvre la marche.

Roazh ! réagit l’Editeur. Tu me descends Superacad à la cave, et vite !

Ni une ni deux, le professeur surgit et m’attrape par le bras. Nous dévalons les escaliers à toute vitesse, et filons dans le hall d’accueil que nous dépassons juste avant que les condés ne fassent irruption. Avant de refermer la porte des escaliers menant aux sous-sols, j’ai le temps d’entendre leur chef s’annoncer à l’hôtesse :

Commandant Fiori, Police nationale. Nous avons besoin de parler à votre patron. »

 

***

Le lieutenant Taillandier parviendra-t-elle à retracer le mystérieux parcours de Superacad ? L’Editeur va-t-il finir en garde à vue, voire pire, victime de bavure policière ? Est-ce que vous trouvez cela sérieux de proposer un épisode sans enculerie pour la reprise de la série ? Vous le saurez en retrouvant le prochain épisode de Superacad contre Menesis.

 

Rappel des épisodes précédents : prologue (l’infirmier)ép. 1 (le pub et la vidéo)ép. 2 (les flics et les clowns)ép. 3 (le lieutenant Taillandier et le chien)ép. 4 (Horsjeu Média, l’Editeur, les gnomes numériques) ép. 5 (Les Gnomes, le Cérébranle, le premier combat avec l’Ennemi).

8 thoughts on “Superacad, ép. 6 : l’enquête. Les origines. Le mystère.

  1. « J’ai l’impression qu’une année complète s’est écoulée, depuis mon évasion de l’hôpital. »

    Comme nous tous.

  2. Ceci dit, j’attends avec impatience l’épisode avec les frères Jacques et Yvon Hullé.

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