« Avant d’être un entraineur, je suis un homme, avec un coeur qui bat. »

Lundi:
Kévin débarque chez moi. Le pauvre est méconnaissable. Il a la coupe de cheveux d’Emmanuel Petit, ses ongles sont sales, il pue le tabac froid à cent mètres.

« Coach redonnez-moi une chance, j’en peux plus de passer mes dimanches chez moi à regarder Michel Drucker »

Mon numéro 10 a les yeux humides, un peu comme le vagin de ma femme quand elle regarde Nestor Burma.
 » Rassure-toi, j’ai parlé avec le maire et il est d’accord pour que je te réintègre! Rendez-vous demain à 18h30 pour l’entraînement. Pense à apporter un cycliste, il commence à faire froid. »
Kévin repart de chez moi avec un grand sourire. Avant d’être un entraineur, je suis un homme, avec un coeur qui bat.

Mardi :
Dans les vestiaires avant l’entraînement. Je tiens à revenir sur le match de dimanche dernier.
Certaines choses m’ont plu, d’autres m’ont déplu. Notamment le fait qu’ Emilouinovic ne prenne pas la profondeur. Chose que je lui avais pourtant demandé lors de la causerie d’avant match.
« Emilouinovic, j’ai demandé de la profondeur et toi qu’est ce que tu fais ? Tu restes là, au milieu, tu passes ton temps à décrocher, c’est inacceptable ! (Je tente de traduire en anglais) THAT IZ INACCEPTABLE !! »
Mon joueur n’apprécie pas la remarque : » Encoulé, tou a qu’à la faire tout sol ton équipe dou merde. J’arrête moi »
Le fait qu’il me traite d’enculé ne me choque pas particulièrement. Ce qui me choque c’est le fait qu’il se permette de me tutoyer. Ce tutoiement est un grand manque de respect. Je lui ordonne de rentrer chez lui. Je tente de faire bonne figure mais je ne vous cache pas que je viens de me prendre une bonne claque dans la gueule.

Mercredi :
L’altercation d’hier m’a empêché de dormir. Je ne sais plus quel comportement adopter avec les joueurs. Ai-je été trop laxiste? Dois-je resserrer les boulons?
J’ai d’ores et déjà décidé de faire débuter Emilouinovic sur le banc dimanche prochain. Il ne mérite pas d’être titulaire après les propos qu’il a tenus hier soir.
Je songe même à lui tendre un piège, je sais qu’il va au travail à pied chaque matin. Je connais son itinéraire par coeur. Vous allez me trouver un peu excessif mais je pense le renverser avec ma Laguna.
Il ne faut pas que je me rate. J’ai déjà prévu ma défense. Je n’aurai qu’à dire qu’il s’est jeté sous ma voiture. Tout le monde croira à une tentative de suicide. Pas con le Patrick.

Jeudi:
Je suis réveillé par des cris. Ce sont mes voisins, ils sont en conflit depuis plusieurs années déjà.
Il y a des pics de violence à peu près tous les deux ans, ensuite, ça se calme. Comme dirait Bernard Hinault, c’est cyclique.
Je sors dans mon dans mon jardin, Jean-Claude Kipa est en train de balancer du fumier sur le potager d’Albert Couscousse.
J’interpelle Jean-Claude. « Qu’est ce que tu fous !? Calme toi nom de dieu! »
Jean-Claude me répond : « Reste en dehors de tout ça Patrick, ce con d’Albert a passé la nuit à balancer de la roquette dans mon jardin !  »
Je tente de m’éclipser discrètement, ce conflit ne me regarde pas. Tant qu’ils ne touchent pas à ma pelouse, je n’ai pas à intervenir.

Vendredi:

Un entrainement de plus. Je sens en moi comme une sorte de lassitude. J’ai comme l’impression que le clash au dernier entrainement va laisser des traces dans le groupe. Il n’est pas toujours facile de rendre ses séances vivantes et originales, d’insuffler une vie de groupe positive sur toute la saison et de gérer les conflits. Un entraineur est à la fois un meneur d’homme, une référence technique et tactique, une « maman », un médiateur mais avant tout c’est un homme!

A la fin de la séance, on a fait un match. J’ arbitrais. J’ai eu comme l’impression que certains joueurs se moquaient de moi dans mon dos. Quand je criais une consigne, j’entendais toujours un écho, comme si on s’amusait à répéter ce que je disais. Quant à Emilouinovic, je voyais qu’il me regardait souvent en parlant à certains de ses coéquipiers.

Faut pas me prendre pour un con moi! Ça commence à être rasoir! Je vais les mater ces enculés!

Samedi:

Je me suis pris la tête toute la matinée sur la compo. J’ai beau vouloir sanctionner, ça me met dans la merde cette histoire. Comment remplacer son meilleur buteur ? Heureusement que Kévin est de retour ! Mais je me sens toujours aussi nerveux… J’ai l’impression que je vais péter un câble et que je vais vraiment en renverser un avec ma Laguna. Cela dit, je pourrai le faire avec la Saxo de Yvonne et lui faire porter le chapeau… La pauvre… Je ne pourrai vraiment pas lui faire ça. Elle a tenté de me consoler toute la journée. Elle s’est d’abord déguisée avec son costume de chat, que je lui avais acheté au magasin spécialisé près de la gare de Renardin. Elle s’est glissée ensuite sous mon bureau…

Mais rien n’y fît, j’étais contrarié, un point c’est tout.

Dimanche:

Nous recevons le 2e, l’Us Prolapse. Les conditions climatiques sont bonnes. Voic la compo:

1e mi-temps:

12e: Kévin est sur-motivé. Il lâche une frappe à l’entrée de la surface, une frappe qui vient s’écraser sur le montant droit. Dommage!

25e: Le reste de l’équipe est moins concentré et se retrouve mal replacé sur une contre-attaque, Prolapse remonte le terrain en deux touches de balle. Leur attaquant crucifie Didier. Les visiteurs exultent. Emilouinovic semble s’adresser à moi en criant en suédois. Je ne tique pas.

2 mi-temps:

J’ai sermonné mes joueurs. Mais j’ai un mauvais pressentiment. Les gars ne semblent pas concerné.

55e: Sur un corner de Prolapse, leur défenseur se retrouve seul au deuxième poteau et smashe une tête. 2-0. Merde!

76e: Kévin part dans un rush à 35 mètre. Il se joue de deux joueurs et après un « une-deux » avec Nelson, fusille le gardien. 2-1.

Mais l’exploit de Kévin ne change rien. Je me sens vraiment mal.

Alex C. et JM Thoma

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