Derrière les mains courantes de Renardin, épisode 4

N’y allons pas par quatre chemins, L’Espérance de Tunique c’est des enculés.

J’ai pas voulu remettre d’huile le feu parce que je me doute de l’importance que représentait le match pour le club et pour la dynamique de l’équipe, mais je peux vous dire que j’ai pas oublié le coup de pute de la saison dernière. Ils nous avaient toqués grâce à une touche, normalement pour nous, sifflé en leur faveur.

C’était parti en vrille total parce que, par vengeance, le frère de Florent avait pissé sur leur banc de touche après le but.

Hier c’est clair que tout le monde filait plus droit, et c’est pas plus mal quand on voit notre performance.

Dans leur sérieux, les ptits gars étaient estampillés « Remoulade ». Les poivrots de Renardin qui inventaient des histoires entre lui et Emilouinovic ont senti passer la quenelle croyez-moi. Quand ils mettent le feu comme ça, je peux vous dire que vous ne regrettez pas de passer votre dimanche après-midi dans le froid ! Je suis tout le temps malade c’est vrai depuis que je suis Président du club des supporters, mais je m’en fous c’est pas vraiment pire que les -5 degrés de l’usine. Au moins là j’ai mon bombers.

Une nouvelle fois dans ma vie, je dois constater que je m’impose une grande rigueur face aux objectifs que je me je suis donné. La preuve : on est lundi, et le réveil se fait sans gueule de bois. J’ai pas bu une goutte d’alcool hier malgré la victoire. Encore une fois je suis content de prendre à contre-pied tous ceux qui parlent trop au village par jalousie, tous ceux qui veulent me coller une étiquette définitive. Coach Remoulade me l’a redit avant le match hier : « tout le club doit tirer vers le haut Jean-René, méfiez-vous un peu des mauvaises influences, et des langues trop pendues. La vie c’est comme le terrain Jean-René. N’oubliez jamais ça. ». Je vous avoue que comme je sais pas ce qu’il voulait me dire, ça m’a stressé, j’ai senti mon ulcère se réveiller et j’ai eu peur de boire. Toute la première mi-temps, j’avais en tête l’image de Jeanine l’ancienne présidente. Mais au final, quelles que soient les raisons, j’ai pas bu.

Même moi je suis étonné des efforts que j’arrive à faire pour le club. Ça me fait me rendre compte que j’ai jamais eu vraiment personne à qui rendre des comptes. Pour se faire violence ça aide en fait ! C’est peut-être ça qu’entend monsieur Remoulade quand je l’entends hurler « esprit d’équipe ».

Bon c’est pas le tout, mais faut attaquer la semaine brillamment. Pourquoi devrais-je limiter les exigences auxquels je réponds depuis un mois ? N’ayant pas bu hier, je peux me dispenser du footing ce matin. Je connais déjà le projet dans lequel je vais me lancer. J’y ai pensé cette nuit pendant que je galérais à m’endormir. C’est vrai que c’est chelou de s’endormir sans son ptit calva.

La semaine dernière j’ai bien vu que la communication internet du club sur le classement avait contribué à faire parler du club. D’ailleurs je tiens à remercier nos supporters qui m’ont fait remarquer qu’avec les deux matchs de retard, si on ajoutait aussi les deux points volés contre Entrecons, nous ne devrions pas être troisième mais premier. C’est important de savoir décrypter notre classement pour que les ptits gars perdent pas leurs ambitions ; rassurez-vous j’ai diffusé l’info au bar des sports pour qu’elle se propage dans le village.

J’ai décidé d’essayer d’obtenir la participation des Renardiens pour faire avancer les projets de développement de monsieur Remoulade. Je me suis dit que c’était une bonne idée pour plusieurs raisons : d’une part ça va me soulager de l’énorme pression sur mes épaules de représenter le lien entre le club et notre territoire, et d’autre part ça correspond totalement à l’envie du coach qui veut que les Renardiens soient prêts à mourir pour leur club.

Je vais organiser une réunion dans le foyer du club avec des habitants. Ça me parait être un projet très constructif, duquel peut ressortir foison d’idées renardiennes. L’objectif sera une participation équilibrée des intervenants afin de pouvoir dégager des idées novatrices pour le club. Ça tombe bien en plus en ce moment y a grave de chômeurs par chez nous, même si nos petites usines passent pas à la télé. Moi le foot m’aide à surmonter le chômage, je peux bien faire un peu croquer les frères renardiens. Je sens se renforcer en moi une identité renardienne. Le coach serait fier de moi, j’en reviens même parfois à regretter de pas avoir été plus sanglant quand on a expulsé le camp de roms.

J’ai mis deux jours à réunir du monde à travers le village. De manière stratégique j’ai ciblé les débits de boisson donc forcément ça oblige à trainer un peu. J’essaie toujours de respecter les codes sociaux des environnements dans lesquels je me trouve.

Le jeudi j’ai donc accueilli 12 personnes au foyer afin d’évoquer les points suivants :

• Doit-on favoriser la vente de boissons locales à la buvette du club ?

• Quelles manifestations pourrait-on proposer pour améliorer les finances du Club De Supporters ?

• Comment convaincre la mairie de faire signer un CDI à Patrick Remoulade ?

• Comment convaincre la mairie de créer un poste d’employé communal pour le Club des Supporters ?

Je m’étais appliqué à installer les chaises en cercle de manière à ce qu’on soit tous au même niveau et que personne n’ait peur de participer. Malheureusement, il a fallu que l’autre demeuré de Grégoire vienne tout foutre en l’air. Grégoire c’est l’employé de la bibliothèque de Renardin. J’aurai du savoir qu’un boutonneux qui lit des livres avait rien à foutre là :

Grégoire : « Peuple de Renardin, je tiens aujourd’hui, face à vous, à m’inscrire en faux quant à la légitimité de monsieur Gros-Dare à occuper la fonction de Président du Club De Supporters du FC Renardin. Messieurs : l’heure est grave aujourd’hui pour notre club. Le club est gangrené par des tyrans mafieux qui s’auto-proclament à la tête du club contre l’avis de la population. Fonctionnement dictatorial gravissime. Aussi, je…

Moi : Tu vas pas bien toi ou quoi ?! Qu’est ce que tu nous baragouine ? Ferme là.

Grégoire : AUSSI ! je tiens à ce que vous me rejoignez. Vous. Vos familles. Vos enfants. Afin de fonder un collectif. Oui. Un collectif. Avec vous, vous, et vous. Nous pourrons alors saisir la Commission des Oligarques Universels Yuppie. AINSI ! Ainsi nous allons rétablir la loi et la démocratie dans nos associations municipa…

Moi : Ferme ta gueule tantouse tu nous fais mal à la tête !!! »

Là il a voulu enchainer avec son discours d’enculé. Prenant conscience que ma réunion prenait déjà une tournure négative pour le club, je lui ai sauté à la gueule en lui enfonçant mes doigts dans la bouche. Il s’est vite calmé en me suppliant d’arrêter et en me disant qu’il se plierait aux décisions du coach. Je l’ai dégagé à coup de chaussures de sécurité, et j’ai foutu tout le monde dehors. J’étais nerveux et il faut absolument que je sois seul quand mes crises arrivent. J’ai finalement réussi à me calmer en me disant que j’avais tout de même sauvé l’honneur pour le club, en montrant clairement à tout le monde que chez nous c’est pas la fête. On a un chef : coach Remoulade. Et on le remet pas en cause, c’est comme ça. Le FC Renardin c’est pas le cirque.

Ça m’a remué cette histoire. Je me donne à fond pour essayer de remplir ma fonction, pour participer à la réussite régionale du club, et je suis remercié comme ça. J’ai pris une cuite tout seul tellement j’étais malheureux. Heureusement, dès le lendemain lors d’une expédition punitive contre des gauchistes jaloux de pas avoir d’ULM, plusieurs habitants m’ont fait des compliments sur le club. Ça m’a soulagé, et en attendant le dimanche, j’ai même pu profiter de l’expédition. En plus c’est bien y a pas eu de violence, mais un juste avertissement conforme à leurs codes sociaux : on leur a chié dessus.

Jean-René Gros-Dare