CAN 2012 : No we CAN’t but we think about it

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Tahar JSK et les siens vous introduisent leur CAN.

S’ouvre donc la 28ème Coupe d’Afrique des Nations pour le plus grand plaisir des peuples avides de célébrations disproportionnées, de dirigeants avides de contre- feux et bien sûr, des effectifs de l’ensemble des clubs européens, petits et grands.

La CAN, c’est politique docteur. Le foot à usage médical. La promesse d’une anesthésie générale sur des nerfs à vif. La réussite devient la preuve que le pays avance, que la nation unie derrière son équipe et accessoirement son président est capable de tous les exploits. Un échec ? Et l’honneur de la patrie a été bafoué par une bande de traitres insensibles aux difficultés du peuple, se prélassant dans l’abondance que leur fournit une carrière européenne.

Les presses africaines sont au garde-à-vous pour distribuer malédictions trans-générationnelles et autres certificats de béatifications. La condescendance des médias européens s’apprête à faire rêver les foules des spectateurs qui ressortiront la panoplie de l’intérêt sportif spécial Coupe du Monde de Rugby : « Mais y a des matchs avant les quarts de finale ? »  «  S’il se qualifie pour la finale on n’est pas près de les revoir en club ! ». Alors que les ambigües iront de leurs commentaires  « Franchement, je ne vois pas pourquoi on en parle vu que ça concerne pas la France. Merde, c’est pas Zidane et Vieira là-bas… lâches les gosses chéris on va les rater ! ».

En plus d’être à l’origine d’une structure identitaire solide (ou pas) et complexe (ou bordélique), le statut d’immigré offre parmi ses nombreuses options un état des lieux bi-annuel de nos allégeances respectives. Ainsi, si le niveau footballistique du pays qui fait de nous des agents doubles le permet (Mwoinama, tu sais de quoi je parle), la CAN est un moment propice à la découverte de ce formidable sentiment qu’est l’orgueil national (Ah! 1998 ! On a vraiment cru que c’était la bonne!) .

Le concert des rivalités régionales entame sa tournée « Si on perd contre les Tunisiens, tu crois qu’ils auront la permission de fêter ça » (Ah non ça ç’est plus valable maintenant) ; « Quitte à perdre contre les Sénégalais autant ramener des morceaux d’El hadji Diouf à Conakry. Allez Djanbobo !».  Dans une ambiance bonne enfant se confondent les grands discours de solidarité entrainants et stériles, les diagnostiques fatalistes sur les causes de l’exil et les promesses fortement conditionnées de retours triomphants. Le pays ne perd autrement que des suites d’un complot international que seuls les Africains et leur intégrité en solde peuvent générer. L’horreur du discours sur les arbitres africains.

Au pays une CAN se vit plus intensément, comme on l’imagine. A priori tout le monde est d’accord pour supporter le même camp. La capacité de mobilisation fascine autant qu’elle effraie. Les joueurs placent leur famille dans des programmes de protection de témoins préventifs et les agents immobiliers proposent leurs services ; une maison étant un combustible très inflammable lorsqu’elle s’expose à un pénalty raté. Une coupe ramenée « and the sky is the limit », l’idolâtrie du ballon n’est jamais bien loin, quelle que soit sa juridiction spirituelle.

La CAN Orange France Telecom n’a jamais aussi bien porté son nom puisqu’elle se déroule dans deux sanctuaires du néocolonialisme d’école, celui de nos grands-pères : j’ai nommé le Gabon et la Guinée Equatoriale. Les chefs indigènes aux mandats quadragénaires et les grandes entreprises étrangères aux droits d’exploitation centenaires félicitent une population aux allures de dommage collatéral pour l’engouement très relatif qui la caractérise. Les Gabonais ont du mal à se passionner pour une compétition organisée sans que leur avis ni leur implication n’aient été demandés. Quant à la Guinée Equatoriale, première participation de l’histoire, l’exaltation nationale pâtit de l’image d’une équipe composée d’opportunistes naturalisés et de lointains expatriés. L’égo de certains, remarquablement développé pour des joueurs de troisième division espagnole, n’a d’égal que leur mépris pour des joueurs locaux qui évoluent dans un championnat sans début, sans fin et sans niveau. Henri Michel, sélectionneur du Nzalang, a attendu l’arrivée de sa dernière fiche de paie pour démissionner, se rappelant que les promesses n’engagent que ceux qui les croient, surtout lorsqu’elles proviennent d’un chef d’Etat. A la défense de l’homme aux réseaux, un ministre des sports sélectionnant des joueurs en affirmant que «  le football est une affaire d’Etat » et vous accusant de comploter contre l’honneur de la nation, ça peut paraitre encombrant (entre deux « per diem » si les dirigeants de la CAF pouvaient travailler).

En plus de l’hispanophone co-organisateur, la compétition s’offre de mettre fin à la virginité footballistique de deux nouveaux pays ; le Niger, sa sécheresse, ses famines annuels et son Rolland Courbis ; et le Botswana rappelant qu’il existe. Mais la part belle cette année, est offerte aux pays en sortie de crises graves génératrices d’espoirs vains et de craintes irrationnelles. Les « comme un symbole » et autres contes merveilleux du nationalisme chanté seront banalisés car pas moins de cinq équipes auront la lourde tâche de symboliser le renouveau de la Nation (parmi eux : la Guinée, le Soudan, la Côte d’Ivoire, la Tunisie et la Libye).

Le Ghana comme la Côte d’Ivoire font figure de favoris auxquels s’ajoutent, dans une moindre mesure, les sélections sénégalaises et marocaines qui affichent de bonnes équipes format A4. L’Angola, la Guinée et la Zambie vendront chèrement la peau de l’animal qui les symbolise tandis que le reste est venu pour « voir ce qui se passe » comme le dit le sélectionneur primé du Niger, Harouna Doula ou « faire le nombre » comme le dit le reste de ceux que cela intéresse.

Au sujet des absents et de leurs torts, soulignons le naufrage du Cameroun dont la vie de groupe se lit comme une pâle copie du scénario de Gang of New York. Le Nigeria, quant à lui, paye ses difficultés à renouveler une génération qui n’a pas répondu à toutes les attentes. Les règlements FIFA ont considérablement pénalisé l’Algérie en l’obligeant à sélectionner des attaquants algériens, les Hautes Instances n’ont que faire de la misère du peuple. Reste les égyptiens et leurs restes qui n’auront pas l’occasion d’assumer une nouvelle fois leur rôle de ciment, unissant les peuples d’Afrique contre eux.

C’est avec un enthousiasme joyeusement masochiste que la (dé)fête du football africain vous sera contée en ce début d’année 2012, à commencer par un Guinée Equatoriale – Libye qui s’annonce comme un pied de nez à la suppression de l’épreuve de culture générale au concours d’entrée de science-po. Hayatou, qui s’est greffé avec succès à la tête pendante de la CAF l’année où Papin signait à l’OM, nous assure que le foot africain avance suivant les conseils avisés du mur qui invite à aller tout droit.

 

Tahar JSK

17 thoughts on “CAN 2012 : No we CAN’t but we think about it

  1. Cissé Sow, le meilleur buteur de L1, qui joue en pointe, alors le Sénégal a toutes ses chances. Mais je miserais quand même ma pièce sur la Ayew connection.

  2. C’est le meilleur texte que j’ai pu lire jusqu’ici sur ce site, ne recommencez pas Tahar, vos concurrents pourraient ne pas s’en remettre…

  3. Ouah ça c’est du papier, plein de bons sens mais également porteur de pessimisme (ou alors j’ai rien compris) à l’égard du foot. Bien joué Tahar, tu nous feras également des résumés des matchs ?

  4. Hihihihi, j’avais oublié à quel point Diouf était couillon et que s’il (re)venait à Cky, il se ferait arracher les couilles !

    J’espère qu’on aura quelques billets sur le tournoi parce que ça m’a l’air bien parti.

  5. Mouais, on a beau dire, une CAN sans Cameroun Nigeria et Égypte, ça rabaisse de suite l’intérêt et la médiatisation. Ça rappelle presque le Paris-Dakar tiens (hop une comparaison foireuse)

  6. Beau papier Tahar JSK malgré cette pointe de négativité que j’aurais mis à première vue sur le dos de la non qualification de ta chère et tendre Algérie.
    Et puis je me souviens que c’est souvent la même chose, à l’approche et en début de chaque CAN, je me passionne, je vibre et puis non en fait car ils se passent tellement de choses improbables. Certaines compo d’équipes créées depuis un palais qui font passer Domenech pour un génie. Des attitudes et des non-match qui donnent l’impression que certains points rouges sur les joueurs ne sont pas que de simples lazers dans les tribunes mais bel et bien des fusils à longue porté. Des arbitres qui intègrent, en perdant leur intégrité, certaines règles du Kamoulox…
    IL suffit de voir le parcours de l’Egypte en 2010 par exemple, quand je vois le foin fait autour d’un OL-Zagreb, je me dis que tout le monde s’en fout de la CAN. « Quoi? L’arbitre a lui-même tiré le penalty qu’il n’avait pas sifflé à la 117èmes minutes du temps réglementaire. Bah, tant qu’ils font ça entre eux. C’est comme pour les gosses qui meurent de faim, on va être grand prince, on va leur envoyer 3 ballons, 2 chasubles, un sifflet(merci Robert Duverne), le tout accompagné par un Eto’o qui sait que tous ces enfants sont contents que Samuel touche 20M par an. »
    Alors cette année encore je vais regarder la CAN et, match après match, me dire naïvement que « jusqu’ici tout va bien » et attendre la chute.

  7. bravo tahar pour ce papaier, c’est joliement dit, je partage l’avis de la face b, là où chill a débuté.

  8. Merci pour les encouragements. Je suivrais la CAN par le biais d’articles généralistes avant de rentrer dans le vif du sujet une fois le premier tour passé (par ce que Gabon-Niger à moins d’être parieur clandestin dans les faubourgs de Shangai).

    @Chulo
    Elhadji Diouf avait quand même déclaré avant un match amicale contre la Guinée à Conakry qu’il serait plus utile pour le Sénégal d’affronter l’équipe de la RTS vu le niveau du Sylli. Suite aux réactions, Diouf se découvra forfait pour maladie en expliquant que non il n’a peur de rien et surtout pas de BoBo Baldé (Maiseillo-guinéen) qui avait annoncé que peu importe la sanction Diouf ne finirait pas le match.

    @La Face b
    En toute sincérité, il y a un moment que j’avais intégré l’absence totalement justifiée des fennecs. Ce qui me dérange, c’est une nouvelle compétition organisée à l’envers sans retombées pour le continent ou les citoyens des pays organisateurs. Que la CAN se déroule avec des irrégularités en pagaille, ça date pas d’hier et les coupes du monde piquent aussi parfois les yeux (2002, 2006), mais la solution ne peut venir d’ailleurs que de dirigeants africains qui prendront leurs responsabilités. Le reste c’est que du folklore et du ballon rond.

  9.  » l’exaltation nationale pâtit de l’image d’une équipe composée d’opportunistes naturalisés et de lointains expatriés » ? Ah bon ? Ils sont tous à fond ici, il y a des drapeaux partout et ils sortent d’une cuite de trois jours. Je sais pas ce qu’il te faut.

  10. @Cascarinho
    J’imagine que la victoire contre la Lybie y est pour beaucoup, de même que l’occasion de faire la fête. Cette remarque date d’avant le début de la compétition lorsque le Henri Michelgate avait suscité beaucoup de mécontentement et d’inquiétude au sein des supporters du Nzalang. Mais si tu es las-bas et que tu me dis que c’est la folie, je suis heureux que la versatilité des foules est penché du bon côté. Que ça dure.

  11. Tu as aussi remarqué que les retombées pour les citoyens des pays organisateurs sentaient la quenelle. A part des stades un peu plus grands qui deviennent par la suite trop cher à entretenir, on ne voit jamais rien arriver.

    Il y a bien eu Ydnekatchew Tessema qui d’après ce que j’ai lu, était un bon exemple de dirigeant du football africain. Mais depuis que le vautour Hayatou a pris place et que sa seule envie est de devenir kalif à la place de Darth Blatter, ma foi s’estompe.
    A quand un printemps du football africain?

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