Épisodes précédents : 12345.

— Qu’est-ce que ça peut bien vous faire, au juste, qu’il soit encore vivant ?

Jo-Milas détestait ce type. Tout en lui respirait la fourberie, la traîtrise latente. Sa voix traînante ne prenait aucun accent tonique, si bien qu’on ne pouvait jamais deviner quelles étaient ses pensées réelles. Jeannot Nourrisson, Vizir de la Fédérafion, était entré dans le fort de Gone sans s’annoncer et avait fait irruption dans le bureau de Jo-Milas Auchel alors que celui-ci était en train de s’entretenir avec Dément Turbin, chef de la Guilde des Questeurs à propos de l’affaire Gustave.

Il détestait Nourrisson plus que n’importe quel autre personnage de la bureaucratie fifaraonienne. Jeannot était l’éminence grise du Fifaraon, certains se demandaient même si ce n’était pas lui qui dirigeait en sous-main la Fédérafion, car on n’avait pas vu le leader suprême depuis plus de quinze ans maintenant. C’était Jeannot qui se déplaçait au nom de son maître, promenant son crâne luisant dans tous les territoires, annonçant de sa démarche tranquille et de son sourire presque niais la venue d’une mauvaise nouvelle pour celui qui l’entendait arriver.

Jo-Milas n’avait techniquement, en tant que Grand Castor, qu’une personne au-dessus de lui et c’était le Fifaraon. Mais le Vizir pouvait, grâce à l’holopapier qu’il avait présenté à Jo-Milas, se porter fort pour le leader suprême et parler en son nom. Le Grand Castor avait donc devant lui, selon la loi, l’émanation directe de la seule personne qui pouvait lui donner des ordres et, chose non négligeable, disposer de sa vie comme bon lui semblerait.

— Voyez-vous, Ô Vizir, Louis Gustave est un ancien milicien, gradé qui plus est. Il est de mon devoir de m’assurer de son arrestation, voire de sa neutralisation, et ce dans le souci de préserver l’image de notre noble Fédérafion.

— Il s’est échappé du bagne de Sion, je crois. Pour ce qui est de l’image, je crois qu’elle est déjà bien entamée, mon cher Jo-Milas.

— Raison de plus pour le retrouver avant qu’il ne puisse faire part de la nouvelle à toute l’Apostasie.

— Ne soyez pas insolent, je vous prie. Qui vous dit que ce n’est pas un groupe de ces rats qui est venu à sa rescousse ?

— On m’a rapporté qu’il s’agissait d’un commando habillé en vert et qu’ils ont en leur possession une mitraillette photonique. Je ne crois pas que l’Apostasie possède une de ces…

— Qu’avez-vous dit ? Habillé en vert ?

— Oui. Les gardes survivants ont fait état d’un accoutrement de type ninja. C’étaient vraisemblablement des professionnels. Pourquoi ? Cela vous dit-il quelque chose ?

Jeannot Nourrisson s’était brusquement détourné, le visage hagard comme si une apparition spectrale avait surgi devant son regard. Il secoua la tête, comme terrifié.

— C’est impossible.

— De quoi ? Qu’est-ce qui est impossible, Ô Vizir ?

Nourrisson tâtonna pour trouver un endroit où s’asseoir comme si le noir le plus complet s’était abattu sur la pièce. Il se prit la tête entre les mains et resta prostré dans cette position.

— Ce sont des membres de l’ordre de Serge.

Jo-Milas avait presque oublié la présence de Dément Turbin. Celui-ci était assis sur le canapé situé de l’autre côté du bureau, là où le Grand Castor recevait ses invités de manière plus confortable.

— De quoi parlez-vous Dément ?

— Ce sont les membres de l’ordre de Serge qui ont libéré Gustave.

Jo-Milas ne comprenait pas. L’ordre de quoi ? Il se retourna vers Nourrisson.

— Savez-vous de quoi parle-t-il ?

Le Vizir redressa la tête. Il était livide.

— J’en ai bien peur, oui.

Dément Turbin se leva et s’approcha d’eux. Il semblait en proie à une immense inquiétude.

— Si c’est vrai, vous savez ce que cela signifie, Ô Vizir ?

Le chauve le plus redouté de la Fédérafion se leva à son tour. Jo-Milas regardait ces deux hommes que cette nouvelle semblait pétrifier, et, bien qu’il ne savait absolument de quoi il retournait, fut pris à son tour de panique. Jeannot Nourrisson regardait Turbin, Turbin regardait Nourrisson.

— Oui. Gustave est… Ils l’ont trouvé.

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