Le pouvoir du surnombre

 

La philosophie de Bielsa

Une idée largement répandue veut que chaque but naisse d’une erreur de l’adversaire. Cela peut s’entendre, mais il faut faire la distinction entre erreur provoquée et erreur exploitée. Une passe en retrait ratée à la Petr Gabriel (Euro 2000) est bien une erreur défensive. Un défenseur dépassé par les dribbles de son adversaire commet également une erreur, mais son seul tort est de ne pas avoir su répondre à ce que lui proposait son opposant. Comme dans un problème mathématique, chaque action est en réalité une opposition entre le joueur qui a la balle et son équipe, ceux qui créent l’équation, et l’adversaire et son équipe qui veulent la récupérer, ceux qui tentent de la résoudre. Souvent vue individuellement, l’erreur est la plupart du temps collective, et c’est la tactique utilisée qui est censée la provoquer.

Loin d’attendre l’erreur de l’autre ou de mettre sur les épaules d’un seul joueur le poids d’une rencontre, Marcelo Bielsa propose une approche qui tend à rendre obsolète cette idée de l’erreur : le surnombre. Son dispositif historique, le 3-3-1-3, est désormais bien maîtrisé à Bilbao même s’il varie assez souvent en fonction de l’adversaire. La clé, c’est de toujours disposer d’un joueur défensif de plus que l’adversaire n’a de joueurs offensifs. Une prise de risque, puisqu’opposer trois défenseurs à deux attaquants et trois récupérateurs-organisateurs à deux ailiers est loin des standards habituels où le nombre est double (opposition entre deux 4-4-2). La conséquence positive est en revanche énorme : un pouvoir de contre-attaque et de projection rapide énorme, étant donnée la multiplicité des joueurs à vocation offensive non consommés défensivement

Peu de joueurs derrière mais toujours un de plus que l’adversaire

Les points positifs

Les constats sont valables de manière générale, l’idée directrice ne variant guère, mais je préfère me concentrer sur ce match précis. Avec des milieux axiaux très bons offensivement, et le plus défensif d’entre-eux, Javi Martinez, pouvant évoluer défenseur central comme milieu offensif, chaque attaque devient immédiatement dangereuse s’ils y participent. Or, et c’est bien là la clé, ils le font presque à chaque fois. Cela donne des situations de 6 contre 4 comme sur le premier but :

 

La Real ne peut pas se reprocher grand-chose, si ce n’est le fait de ne pas avoir suivi cette vague offensive déferlant sur sa défense. Mais, peut-on s’imaginer que six joueurs viendront faire des appels dans la surface sur une action de jeu ? En temps normal non, avec Bielsa si. L’Athletic n’est pourtant pas une équipe qui produit énormément de jeu en tant que tel, et le lien entre le Chilien et Guardiola n’existe que sur quelques points. Et si les Basques sont aujourd’hui en course pour le podium, ils le doivent aussi beaucoup à un jeu très direct et au talent de deux joueurs : Llorente et Sasueta.

Le premier possède toutes les qualités de l’attaquant requis pour un tel système : conservation de balle au sol et dans les airs, capacité à se démarquer et à finir les actions. Comme il n’y a finalement pas beaucoup de joueurs dans l’entrejeu, il faut souvent jouer en passes longues pour éviter l’interception et profiter de ces projections offensives rapides et inattendues. Sur les ailes, Muniain et Sasueta courent vite et peuvent centrer, tandis que dans l’axe Llorente gagne ses duels et peut remiser sur ses partenaires et orienter le jeu. Le second est un tireur de coup-francs hors pair, auteur de deux tirs en lucarne, l’un dans le but, l’autre sur la barre, et peut sanctionner toutes les fautes commises par des adversaires souvent en retard. Avec Sasueta au départ et Llorente dans les airs, Bilbao est actuellement la meilleure équipe d’Europe sur les coups de pieds arrêtés.

 

Les points négatifs

Il faut énormément courir pour pouvoir tenir dans une telle formation. Si les milieux, Herrera notamment, ne peuvent plus venir au soutien de leurs attaquants et se replier en cas de besoin, tout devient caduc. On a alors une équipe coupée en deux, avec trois purs attaquants et trois défenseurs, avec des joueurs cherchant leur position quelque part au milieu. Cela a été le cas face à la Real Sociedad, et ça pose un gros souci : plutôt que de pouvoir faire la transition entre défense et attaque, l’équipe ne peut plus se concentrer que sur l’un des deux domaines, en espérant soit une défense impériale si les milieux sont trop hauts, soit un exploit des trois de devant s’ils sont trop bas.

L’espace entre les lignes est déjà important, il augmentera en deuxième mi-temps

Autre donnée, le champ libre sur les ailes. Offensivement, Muniain et Sasueta sont généralement le long de la ligne de touche. Mais le reste de l’équipe est focalisée sur l’axe, ce qui s’avère compliqué à gérer face à des formations pourvues de bons ailiers. Fragile dans le secteur, l’Athletic a préféré se replier une fois l’avantage au score acquis, mais n’a pu empêché Griezmann et les autres de déborder facilement et ainsi de se procurer plusieurs situations chaudes. Seul Iraola, latéral droit à la Dani Alves et plus vraiment habitué à défendre, avait l’habitude de se retrouver face à des joueurs de couloir, et son repositionnement après le passage de la Real dans un système à trois attaquants (défense à quatre pour toujours avoir égalité numérique +1) a tout juste pu sauver les meubles.

Comme souvent, Bielsa fait de son équipe une formation offensive mais sans vouloir la possession. L’exploit individuel, plutôt que d’arriver dans le jeu, est attendu sur coup de pied arrêté. Dans le jeu, l’objectif est d’attaquer en masse sans arrières pensées à certains moments de la partie, et d’attendre patiemment le reste du temps. On n’est pas encore dans les standards offensifs d’un Chili au pressing fou et au jeu parfois mal coordonné, mais on gagne en sécurité. Bilbao est malgré tout définitivement une rareté dans le football européen, et son entraîneur un guide aux nombreux disciples mais toujours sans réels imitateurs.

 

Les images sont disponibles ici si vous souhaitez vérifier par vous-mêmes.

L’apprenti footballologue.

13 thoughts on “L’Apprenti footballologue analyse Athletic Bilbao-Real Sociedad

  1. J’aime bien les papiers du petits chinois (tout comme ceux de son illustre aîné). Bien que j’aime le partie pris et la mauvaise foi, de temps en temps un bon petit article uniquement centré sur le football, l’opposition de style ou l’analyse stratégique c’est classe.

    J’ai eu l’occasion d’apprécier le jeu de Bilbao en Europa League, et bien que leur début de saison avait semblé être délicat, le jeu était déjà marqué de cette empreinte de l’offensive à tout prix. Si la réussite est depuis au rendez vous force est de constaté qu’ils n’ont pas résolu le problème d’équilibre déjà perçu d’un jeu essentiellement développé dans l’axe (si j’ai bien compris les dires du petit chinois).

    Hors-sujet: Hier, grâce à mon décodeur satellite de riche (réglé d’office en version originale), j’ai pu apprécié un Levante-Betis sans commentaire avec seulement l’ambiance du stade. N’étant pas un habitué des matchs du lundi soir à cause de mes dîners d’affaires au Fouquet’s, je voudrais savoir si d’autres nantis ont déjà remarqué ce phénomène et si c’est régulier sur Canal Sport.
    Si c’est le cas, je m’étonne donc (comme un symbole de l’Olympique Lyonnais) que ce genre d’initiative ne soit pas généralisé à Foot+ ou au grand match du dimanche.
    Malgré tout le respect que je peux avoir pour les professions de journaliste et consultant, entendre les âneries de Christophe D. m’insupporte de plus en plus.

  2. Tu as bien compris pour ce qui est de Bilbao, ça prend des risques en essayant de réussir au mieux l’équilibre entre attaque et défense. C’est efficace, une stratégie plus conventionnelle ne les aurait sans doute pas amenée aussi haut, mais c’est marcher sur un fil.

  3. Très instructif, mais ne font-ils pas varier quand même le nombre de défenseurs en fonction de la qualité des attaquants adverses?

    A en croire l’analyse on dirait qu’ils cherchent toujours la victoire mais jamais le nul, ce qui est tout à fait honorable mais un peu dangereux.

  4. Non merci Hristo, tu me fais un peu peur parfois.

    Willy, ils ne renforcent que très rarement, et pas sur ce match. Pour conserver une victoire ils se contentent de moins se projeter vers l’avant, notamment ici où ils se sont contentés de laisser les 3 de devant faire après la 60e. De toute façon on ne leur apprend pas à bétonner, donc pour conserver le résultat on bride simplement les velléités offensives. Résultat Bilbao a la 3e attaque de Liga et une défense correcte, sans plus.

  5. La disposition des équipes ne refletent pas du tout le 3 3 1 3, mais bon si j’ai ts compris la formation varie pendant le match en fonction du nombre d’attaquant (la logique d +1). Bref, Du coup quelle est la valeur du « 1 » derrière les trois attaquants? Il sert de meneur de jeu, quand le jeu n’est pas trop direct, il participe au phase offensive seulement et pas au replis defensif comme les 3 autres milieux en dessous? Ou c’est juste une manière d’exprimer la disposition très centrale des 4 milieux, qui ne prennent pas les ailes?

    Je suis pas sur que tous soit clair dans ma question… En tous cas putain d’article encore, j’adore ces trucs la moi… dire que c’ets sur Horsjeu.net qu’on parle le plus de football pur tactique, tous ça, c’est un comble comme dirait l’autre.

    Bref je pense ça pourrait être intéressant de voir la comparaison avec Naples, qui applique trois défenseurs mais qui au contraire utilise beaucoup les ailes defensivement comme offensivement.

  6. Désolé Arnaldo, en plus je déteste les gens qui écorchent les noms. Ca doit être mon côté dyslexique, surtout que j’apprécie beaucoup le joueur.

    Rin : Ouais ils ont craqué, ça ne ressemble pas du tout à l’image (pour Bilbao) mais au moins ça permet d’avoir les compos d’équipes. J’ai compris la question, c’est assez variable en fait. Quand c’est Iraola qui fait office de milieu avancé il est déporté sur l’aile droite et repique dans l’axe, quand c’est Herrera il est au centre et Iraola glisse milieu axial côté droit. Après ça bouge beaucoup dans la mesure où De Marcos est aussi très bon offensivement, c’est un 3-4-3 où il y a toujours un homme du milieu pas trop loin de Llorente.

    C’est vraiment totalement différent de Naples et leurs joueurs clés sur les côtés, même si Maggio et Iraola ont des qualités assez semblables. Naples est complet, l’Athletic -notamment via Muniain- peut attaquer mais galère à défendre face à de purs ailiers.

  7. Bilbao possède dans son effectif une des pires escroqueries qu’il m’ait été donné de voir: Toquero ! Ils devaient etre en rupture de stock quand ils l’ont recrutés !

  8. superbe.
    et quid de ce fameux Javi Martinez ? Il peut jouer en defense central, en 6, avec une relance tres tres propre, comme un symbole de Busquets. Ne serait ce pas lui finalement, l’equilibre de ce systeme ?
    merci en tout cas pour cette analyse

  9. Equilibre défensif sans doute ouais, surtout que San José et compagnie ne sont pas des joueurs de très haut niveau. Ce qui est sûr c’est qu’il est exceptionnel, il a largement sa place en sélection.

  10. Très agréable à lire tout en étant instructif. Ca m’a donné envie de regarder des matches de cette équipe, merci bieng.

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