Le décalogue de l’âge d’or du football polonais – 1ère partie

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Tristan Trasca voyage même dans le temps

Le football polonais n’est aujourd’hui plus grand-chose. Mais il y eut une période dorée où clubs et sélection battaient les grands d’Europe et du monde. C’est l’histoire d’une fabuleuse génération de joueurs et de leurs multiples exploits. Bienvenue dans les 70’s.

1.      1974, du bronze au Mondial après l’or olympique

En deux ans, le football polonais, qui n’a jamais réalisé aucune performance auparavant, se fait un nom au niveau mondial. La quête commence en 1972 aux JO de Munich. Les Polonais ne perdent aucun de leurs sept matchs dans le tournoi et étrillent même la Colombie (5-1), le Ghana (4-0) et le Maroc (5-0). La Pologne remporte également des victoires de prestige sur la RDA et l’URSS, 2-1 à chaque fois. En finale, la Pologne triomphe 2-1 contre la Hongrie, doublé de Deyna. C’est le début d’une décennie d’euphorie pour le football polonais.

Ryan Hubbard, spécialiste du football polonais1, nous donne son point de vue sur cette période : « Pendant les années 70 et le début des 80’s, la Pologne a eu la chance d’avoir un grand nombre de joueurs talentueux. Kazimierz Deyna, Wlodzimierz Lubanski, Grzegorz Lato et Zbigniew Boniek n’étaient que quelques-uns des noms qui ont émergé à cette période, au côté du sélectionneur Kazimierz Gorski, qui a mené l’équipe nationale à la troisième place lors du Mondial 1974 et à deux médailles olympiques. »

Car en effet, 1972 ne reste pas sans suite et c’est le Mondial 1974, également en Allemagne, qui permet aux joueurs polonais de confirmer. Les qualifications pour cette Coupe du Monde sont marquées par un grand match décisif à Wembley2 contre l’Angleterre à l’automne 1973. A la Coupe du Monde, les Polonais gagnent tout d’abord contre l’Argentine, Haïti et l’Italie (Dino Zoff, Capello, Facchetti…) au premier tour. Le trio Deyna – Lato – Szarmach illumine ces trois matchs et plante onze des douze buts polonais.

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Au deuxième tour, la Pologne continue son sans-faute en battant la Suède puis la Yougoslavie. Le dernier match de groupe, le 3 juillet 1974, est décisif. La Pologne rencontre la RFA ; l’équipe qui gagnera sera en finale de la Coupe du Monde. Le temps fait des siennes et le début du match est retardé à cause d’un orage énorme qui s’abat sur Francfort. Les Polonais dominent largement la première mi-temps mais tombent sur un grand Sepp Maier. En seconde période, Tomasewski arrête un penalty tiré par Hoeness mais l’inévitable Gerd Müller inscrit le but du 1-0. La Pologne perd sans avoir démérité.

Les coéquipiers de Kasperczak gagneront finalement la médaille de bronze3 en battant les champions du monde en titre, le Brésil. Enfin une fois, Lato inscrit le but de la victoire, il finira d’ailleurs meilleur buteur de la compétition avec 7 buts devançant Neeskens et Szarmach (5 buts chacun).

Bien entendu, cette épopée est celle de superbes joueurs mais aussi celle d’un entraîneur : Kazimierz Gorski. On peut dire qu’il a réellement élevé cette génération de joueurs, les menant jusqu’aux succès. Gorski était tout d’abord entraîneur des sélections de jeunes de la Pologne de 1956 à 1960 avant de passer aux Espoirs polonais de 1966 à 1970 et de prendre les rênes de la sélection A en 1970. Gorski aura su fédérer un groupe de joueurs talentueux mais surtout leur permettre de s’exprimer dans un style collectif flamboyant. Cette image d’une équipe joueuse et offensive du début des années 70 est restée dans les mémoires.

2.      Legia et le génie Deyna

En ce qui concerne les clubs, les belles performances commencent avec le Legia Varsovie. Le club de l’Armée, champion en 1969 et 1970, effectue deux belles épopées européennes en 1970 et 1971.

La première se situe lors de la saison 1969/1970 en coupe d’Europe des clubs champions. Le Legia va jusqu’en demi-finale de la compétition après avoir éliminé Arad, Saint-Etienne et Galatasaray, ne s’inclinant que contre Feyenoord. La saison suivante, l’aventure en C1 s’arrête en quarts après une défaite contre l’Atletico Madrid.

Si l’équipe comptait dans ses rangs des internationaux comme le gardien Tomasewski ou l’ailier Gadocha (qui joua à Nantes de 75 à 77), c’est surtout le génie Deyna qui fascinait les foules. Christopher Lash4, autre expert britannique du football polonais, confirme ce statut à part de Kazimierz Deyna : « Il fait partie de la Sainte-Trinité des stars polonaises avec Lubanski et Boniek. Il est une icône, d’autant plus avec sa mort tragique. »

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Deyna5 était ce genre de joueurs qui fait directement penser aux années 1970 : élégant, racé, dandy mais diablement efficace. Deyna a joué 12 ans au Legia jusqu’en 1978. Il joua ensuite trois saisons à Manchester City, où il ne put briller que par instants du fait de blessures récurrentes.  Malgré tout, il est resté très apprécié en Angleterre. Il termina sa carrière en Major League Soccer du côté de San Diego.

Il est mort à 41 ans, au volant de sa voiture à la fin d’une longue nuit d’ivresse, un de ses pêchés. Sa mort tragique a marqué l’opinion en Pologne et le n°10 a été retiré pour toujours du côté du Legia. Deyna fut élu meilleur joueur polonais du siècle. En 1974, il fut troisième au Ballon d’Or, derrière Cruyff et Beckenbauer…

3.      Gornik et le héros Lubanski

Le Gornik Zabrze est le club le plus titré de Pologne avec le Ruch Chorzow : 14 titres chacun. Gornik a notamment brillé en 1971 et 1972, finissant champion. Dans cette équipe on retrouvait de beaux joueurs comme Szarmach et le défenseur Gorgon. Cette équipe a notamment atteint la finale de coupe des Coupes en 1970 et un quart de coupe des Coupes en 1971.

En 1970, le Gornik bat tout d’abord l’Olympiakos puis les Rangers, le Levski et la Roma avant de perdre 2-1 en finale contre Manchester City ; le même club anglais qui les battra la saison suivante en quart de finale. Mais la confrontation la plus emblématique reste celle contre la Roma.

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Cette demi-finale de coupe des Coupes reste mythique par son côté dramatique. Lors du match aller à Rome, le Gornik accroche un bon nul 1-1 avec un but de Jan Banas, très prolifique lors de cette saison européenne (5 buts). Lors du match retour, la Roma ouvre le score très tôt en Pologne par le grand Fabio Capello. Le Gornik cherche à pousser pour faire son retard mais souffre. Et finalement à la 90è : penalty ! Lubanski répond à Capello. 1-1 ! Dans les prolongations, Lubanski marque à la 93è, les Polonais pensent aller en finale, jusqu’à la 120è et un but de Scaratti ! 2-2. Pas de tirs aux buts à l’époque, ce sera un match d’appui. Les deux équipes se retrouvent une semaine plus tard à Strasbourg. Lubanski et Capello sont encore les grands acteurs de la partie qui se termine sur un nouveau score de parité après 120 minutes. Alors ? Alors M. Machin, arbitre français, fait un tirage au sort avec une pièce. La scène est surréaliste6, les deux capitaines et l’arbitre sont entourés de dizaines de journalistes et photographes sur le terrain. Tout d’un coup, les joueurs avec les maillots de la Roma commencent à sauter dans tous les sens ! L’Italie jubile, les supporters de la Roma descendent dans la rue pour fêter cela. Mais non, c’est en fait le Gornik qui est en finale, les joueurs avaient échangé leurs maillots en fin de rencontre avant même ce toss… Une partie de l’Italie ne l’apprendra que le lendemain avec les journaux du matin.

Si un nom ressort du côté de Gornik, c’est bien celui de Lubanski. L’homme était le buteur de l’équipe et son grand nom. En chiffres, c’est 228 buts au Gornik en 315 matchs. Lors de cette saison européenne 1969/1970, Lubanski marqua 4 buts contre les Rangers, 1 contre le Levski Sofia puis 3 contre la Roma. Lubanski joua pour le Gornik de 1963 à 1975 avant de partir en Belgique (Lokeren) et en France (Valenciennes notamment). L’histoire de Lubanski est aussi marquée par cette blessure survenue contre l’Angleterre en qualifications pour le Mondial 1974. Un défenseur anglais, Mc Farland, charge virilement le prodige polonais ; un ligament du genou du buteur saute. Lubanski manquera la Coupe du Monde 1974. Cette cicatrice est encore ouverte en Pologne, où l’absence du meilleur buteur de tous les temps de la sélection polonaise pour 1974 est ressentie comme le petit ingrédient qui a manqué pour devenir champion du monde.

4.      Stal Mielec et le capitaine Kasperczak

Le Stal Mielec est un club caractéristique de cette décennie dorée du football polonais ; en se penchant sur son histoire, il semblerait que le Stal n’a existé au haut niveau que pendant quelques saisons dans les années 70. Ryan Hubbard nous donne un nouvel éclairage sur la façon dont les clubs polonais pouvaient garder leurs joueurs à l’époque : « A cette époque, les clubs polonais pouvaient garder leurs meilleurs joueurs, grâce à une loi qui interdisait le départ des joueurs polonais vers des clubs étrangers avant leurs 30 ans. Cela a permis à des clubs d’être performants en coupe d’Europe. Cependant Deyna, Lubanski, Lato et Boniek sont tous partis quand ils ont eu l’opportunité. »

Cette loi a permis au Stal Mielec de vivre avec des joueurs de renom tel Henryk Kasperczak, Grzegorz Lato ou plus tard Szarmarch qui les rejoindra en 1976, en provenance de Zabrze. Le club du sud-est industriel du pays gagna deux titres de champion en 1973 et 1976 et atteint un quart de finale de coupe UEFA en 1976. L’équipe polonaise a notamment battu le Carl Zeiss Jena, un des grands clubs de RDA de l’époque, puis l’Inter Bratislava avant d’échouer contre Hambourg.

Dans son excellent article7 sur le Stal Mielec, Chris Lash cite un journaliste polonais Jerzy Zmarzlik qui décrit cette équipe : « Nous n’aurons jamais aucune critique concernant l’enthousiasme, le désir et l’ambition de l’équipe de Mielec. Bien entendu, ce n’est pas une équipe qui va conquérir le monde ou révolutionner le championnat de Pologne. Les défaites viendront, et peut-être même que certaines seront lourdes. Ils sont cependant très bien préparés pour les matchs. Ils ont du rythme, sont combatifs, ne s’arrêtent jamais et savent d’instinct détecter un moment de faiblesse chez l’adversaire. »

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 Dans cette équipe, il y avait deux patrons : le capitaine et milieu Kasperczak et l’attaquant Lato. Le buteur a passé 14 ans au Stal Mielec avant d’aller monnayer son talent à l’étranger, et notamment à Lokeren où il fit un malheur avec Lubanski. Lato était arrivé à Mielec car son père avait trouvé un travail dans une usine locale puis il fut formé et développé par le Stal, jusqu’à devenir cet international de renom. Mais le vrai leader était Kasperczak. A Mielec de 1965 à 1978, avec un interlude au Legia pendant son service militaire, Kasperczak était le métronome de cette équipe et son cerveau. Bien entendu, il porta aussi  par la suite le maillot du FC Metz avant d’entraîner de nombreux clubs français et sélections africaines.

 5.      Ruch Chorzow et le triomphe sportif de la Haute-Silésie

Le triomphe du Ruch Chorzow à cette époque (3 titres de champion dans les 70’s) est symbolique d’un autre aspect qui a permis au football polonais de tenir la route au haut niveau : sa capacité à s’adosser à une industrie locale forte. Chorzow et Zabrze font tous deux partie de la région de la Haute-Silésie et sont les deux clubs les plus titrés de Pologne – même s’ils n’ont plus rien gagné après la fin de l’ère communiste. Ryan Hubbard nous donne une explication : « Avec la chute du communisme à la fin des 80’s/début 90’s, l’industrie minière polonaise, centrée autour de la Haute-Silésie, s’est effondrée. Les mines de charbon furent fermées et la région jadis riche a connu la crise. Sans argent dans la région, les clubs de football du coin – les plus connus étant Ruch Chorzow et Gornik Zabrze – ont commencé à souffrir. Il n’est pas surprenant que ces deux clubs ont souffert financièrement depuis cette période. Cependant la réémergence de Katowice en tant que plateforme commerciale a contribué au lent retour au premier plan de la région. »

Ainsi le Ruch a pu profiter de la période faste de l’industrie minière pour effectuer deux belles campagnes européennes en 1974 et 1975. Les deux se terminèrent en quart de finale contre le Feyenoord Rotterdam en coupe UEFA (après avoir éliminé le Carl Zeiss Jena et le Honved) puis contre Saint-Etienne en coupe d’Europe des clubs champions en 1975.

Ce match contre l’ASSE, qui a croisé de nombreux clubs polonais en coupe d’Europe durant cette décennie, est marqué par une forte neige au retour dans le Forez. Au match aller en Pologne, les Polonais mènent 3-0 avant l’heure de jeu. Mais Triantafilos sort de sa boîte pour les Verts et marque un but après avoir offert une passe décisive au jeune Larqué. Après ce match aller, l’Equipe8 écrira : « On dira : Saint-Etienne a encore joué avec le feu. C’est vrai, et c’est regrettable. Mais, si on n’est pas cardiaque, on ne peut que se réjouir de toutes ces batailles perdues qu’on transforme en conquêtes. Elles ajoutent à l’exploit un piment d’héroïsme dont on n’a pas fini de féliciter les « Verts ». »

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Au retour, sur un terrain blanc, Janvion marque dès le début du match pour Saint-Etienne. Malgré tout, les Verts restent à portée des Polonais qui jouent sans complexe. Les minutes qui passent sont crispantes pour les Français. A la 84è, Revelli met le deuxième but sur un penalty suite à une faute sur Triantafilos, qui aura fait très mal au Ruch Chorzow. C’est fini pour les Polonais alors que les Verts perdront en demi contre le Bayern…

C’est tout pour cette première partie, la seconde arrivera la semaine prochaine.

Merci à Ryan et Christopher pour leur éclairage et à Camelus pour ses conseils !

Tristan Trasca

 

1 Ryan Hubbard est l’éditeur et fondateur d’Ekstraklasa Review, un site en anglais qui traite du football polonais : http://ekstraklasareview.wordpress.com/

2 Un article du Guardian qui évoque ce match Angleterre – Pologne de 73 : « Jan Tomasewski,  a man haunted for ever after being called a clown » http://www.theguardian.com/football/2013/oct/12/jan-tomaszewski-poland-clown

3 Un article exhaustif de Foot Nostalgie sur le parcours de la Pologne en 1974 : http://footnostalgie.free.fr/version2/index.php?option=com_content&task=view&id=214&Itemid=32

4 Chris Lash écrit sur tout le football polonais, des divisions obscures aux grandes histoires du passé. Un blog magique : http://rightbankwarsaw.wordpress.com/

5 Deyna, mon esthète : http://www.youtube.com/watch?v=4lX-MKe0uTw

6 Gornik – Roma, le tirage au sort en vidéo :  http://www.youtube.com/watch?v=UDRLtWbcL5U#t=331

7 L’article sur le Stal Mielec de Chris Lash : http://rightbankwarsaw.wordpress.com/2013/10/22/real-in-mielec/

8 Citation issue de l’excellent article d’un blog concernant ces deux matchs avec des vidéos pour ceux qui ont deux heures à passer : http://twb22.blogspot.com/2011/12/european-cup-1974-1975-as-st-etienne.html

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