Manchester City – PSG (2-1 / 2-0). Les matchs. L’académie citoyenne les a vus, tous les deux.

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Fuck you, dit-il.

Elle n’était pas revenue depuis longtemps. Le temps, le temps si long, le temps des convictions qui s’effilochent, le temps de la passion. Elle avait raté des choses, mais les avait-elle vraiment ratées ? Tu n’as rien vu de la saison, se disait-elle. Elle se le disait depuis des jours, devant la glace, devant ce miroir sale ramené de Saïgon. Il faudrait le nettoyer, se disait-elle, un whisky à la main. Elle voyait son reflet, elle voyait la poussière dans son reflet. Et pourtant j’ai tout vu de la saison, dit-elle.

Le championnat. Les matchs, tous les matchs du championnat. Elle a vu Pep les gagner, en grande partie. Manchester City allait être champion. Cela mérite les hourras, assurément. Mais elle voulait plus. Elle voulait la victoire en Ligue des Champions, elle la désirait, viscéralement, elle hurlait toute entière son désir de victoire.

Une bouteille de whisky, dit-elle à l’épicier. Le soir était venu. Elle tira la table basse devant le canapé du salon, elle posa la bouteille sur la table basse, elle posa le verre aussi. Elle versa le whisky dans le verre. Elle regarda. Il y avait d’abord Paris. Manchester viendrait ensuite. Pourquoi commencer par Paris, se demandait-elle, mais après tout qu’importe, il faudrait visiter les deux. Pourquoi pas Paris, dans ce cas.

On se fait démonter, dit-elle. Inlassablement, comme les vagues du Pacifique dans les rizières abandonnées, la marée parisienne saccageait les lignes. Marquinhos ouvrit le score. De la tête. Imparable, clinique. Inéluctable. Elle se resservit un whisky.

La mi-temps approcha, puis elle vint. Comment aurait-il pu en être autrement ? Détruire, dit le PSG. Détruire, s’autodétruire, détruire ses espoirs, comme toujours. Elle vit un Belge roux passer la balle. Ils ne la touchèrent pas. Personne ne la toucha. Keylor Navas vit la balle, sans la toucher, et elle entra dans le but. Puis Paris tenta de construire un mur dérisoire. Mahrez vit le mur, il vit le trou dans le mur, et il ajusta. Deux buts à un.

La note du match

Il fallait qu’elle note le match. Elle ne notait jamais les joueurs. C’était la seule coquetterie qu’elle s’autorisait. Elle se donnait corps et âme à son art, passionnément, et cela durerait toute sa vie. Mais elle ne noterait pas les joueurs, c’était irrévocable. Elle nota le match, trois sur cinq. Le match s’était bien fini, mais lui laissait un goût de souffrance. D’incertitude aussi. Il faudrait revenir. Il y avait toujours un retour.

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Elle avait racheté une bouteille de whisky. Sa femme de ménage n’était pas passée cette semaine, elle n’avait pas tiré la table basse. La table était toujours en place, il y avait même le carré de la bouteille, le rond du verre. Elle posa la nouvelle bouteille, le verre aussi, aux endroits adéquats. Nous y voici, dit-elle.

Les colonies. L’Indochine. Mais aussi l’Algérie française. Les indigènes. Le déracinement des colons. Puis le déracinement des ouvriers. Le travail, en France, la banlieue parisienne. Riyad Mahrez. Il y est né, il y a vécu. Puis il a joué au football. La Manche, le tunnel sous la Manche, tout était fait pour qu’il rejoigne l’Angleterre. Tout était écrit. La trajectoire du footballeur. La trajectoire du dégagement, le footballeur à la réception du dégagement, un centre et puis le tir, dévié, forcément dévié, et Mahrez surgit pour le but. Dix minutes, il n’en avait pas fallu davantage pour voir le but. Ouf, soupira-t-elle. Il restait cependant l’honneur. Le baroud d’honneur, sublime, forcément sublime, mais inutile. Elle a vu le ballon, elle a vu le poteau, elle a vu le ballon sur le poteau. « Clang », a fait le ballon sur le poteau. Le bruit métallique, froid comme la glace, froid comme le bruit des glaçons dans le verre. Elle se resservit un whisky.

C’était si simple, le football. La contre-attaque, les ambitions implacables, droit au but en trois passes. Mahrez était encore là, Mahrez était toujours là, les choses ne pouvaient pas être différentes. Le plat du pied pour le deux, le deuxième but. Deux à zéro. Elle vit le désespoir et la violence. Les âmes frustes des parisiens hurlaient leur tristesse avec leurs propres mots. Les semelles sur les tibias, les fautes, la défaite. Elle vit le carton rouge, un seul carton rouge, mais qui disait tant. On est en finale, disait-il.

La note du match

Quatre sur cinq. C’était la note qu’elle décréta. Elle s’étendit d’aise dans le canapé, un verre à la main. Les parisiens entouraient l’arbitre. Fuck you, dit-il.

3 thoughts on “Manchester City – PSG (2-1 / 2-0). Les matchs. L’académie citoyenne les a vus, tous les deux.

    1. Michel Couvreur. Il fait des bouteilles de whisky. Carrées, les bouteilles forcement carrées. Comme les pieds. Ou les poteaux, nous ne nous rapellons plus.

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