Metz – Grenoble (1-1) : La Metz Que Un Club Académie donne son quatrième cours.
« Je tiens à démarrer ce cours par une confession… »
…
Les étudiants de l’amphithéâtre Carlo MOLINARI étaient déjà silencieux depuis de longues minutes. Tous étaient beaucoup trop impressionnés par la présence légendaire du professeur Legrasaully. Avec son passé, ses écrits, son aura, son charisme, son double décimètre dans le futal, il faisait office d’autorité suprême dans cette faculté.
« Je ne sais pourquoi l’envie m’en prend, sans doute l’approche de la fin… Mais j’ai envie de partager un peu de ma personne avec vos ahurissantes tronches de babouins. »
Les élèves, intéressés et curieux, s’avancèrent sur leurs chaises.
« J’avais dix ans, j’avais grandi sans père, juste avec une mère aimante et abusive. Oui les deux c’est possible et cela restera d’ailleurs, encore aujourd’hui, ma seule conception de l’amour qui soit. Ma mère, en plus d’avoir sacrifié ses plus belles années pour moi, fut l’artisane de ma clairvoyance ainsi que la fossoyeuse de ma candeur infantile. Elle trouvait que j’étais « trop naïf pour ce monde ». Et elle a passé sa vie à refaçonner cette stupide crédulité que m’avait conféré Dieu à la naissance, en cette machine acerbe d’esprit critique et analytique que vous avez devant vous. Alors, pour mon propre bien… Elle a commencé à me duper. A m’arnaquer. Sans cesse… Et on peut dire qu’elle a excellé dans ce domaine. Oh oui… Elle était même devenue un « maître » en la matière. »
Silence lourd dans l’amphithéâtre. Le professeur Legrasaully prit une profonde respiration.
« La première fois, je m’en souviens, c’était le jour de la rentrée. Elle m’a fait un bisou devant l’école, fait descendre de la voiture, et m’a souhaité « bonne journée ». Sauf qu’elle m’avait déposé dans une autre école. Lorsque je rentré en pleurant, elle m’a dit que c’était bien fait pour moi, que je n’avais qu’à être plus attentif. »
Les étudiants ouvrirent grands les yeux.
« La deuxième fois, elle m’a tendue un verre de sa propre urine et elle m’a dit : « Tiens, c’est du jus de pomme ». Et j’ai bu. »
…
« J’ai mis du temps à me méfier d’elle… Naïvement, j’avais confiance en elle. Et un soir, au dîner, alors que j’étais en train de manger ce que je croyais être un bifteck, je lui ai demandé : « Maman ? C’est qui mon papa ? ». Elle m’a simplement répondu que c’était « un homme beau, avec des yeux bleus… comme toi… une sorte de sosie de Mel Gibson, mais qui jouait de la guitare ». Le lendemain, au-dessus de mon lit, il y avait cette photo… »
« Alors oui… longtemps… très longtemps… j’ai cru que mon père, c’était Monsieur Philippe Hinschberger. »
Plusieurs élèves lâchèrent des « ohh ! » d’étonnements.
« J’ai mis du temps à m’en rendre compte… Beaucoup plus de temps que je n’aurais dû… J’avoue avoir tout fait pour essayer de le rencontrer… J’avoue avoir réussi lorsqu’il a enfin répondu à mes centaines de lettres lui demandant de reconnaître sa paternité… J’avoue m’être confondu en excuses, rouge de honte, lorsqu’il est venu chez nous pour confirmer devant ma mère que non, ce n’était pas lui mon père, mais en réalité le petit gros qui tondait la pelouse au stade… J’étais naïf de l’avoir cru. Surtout que je n’avais même pas les yeux bleus… »
Le professeur Legrasaully grimaça, et avala une pilule verte opale avec un peu d’eau.
« Et au final, tout ça, c’est marrant, parce que c’est un peu comme ce match contre Grenoble, que l’on peut résumer en trois points, n’est-ce pas ? Numéro un : c’était LE match qui, si on le gagnait, aurait pu officiellement nous envoyer en Ligue 1. Naïvement, on y a cru. On a acheté notre billet, avec notre famille, prêt à faire la fête. Numéro deux : On a fait un honorable match nul. Et du coup, pour le numéro trois : NOS joueurs se sont faits huer par NOS supporters à la fin du match. »
« Bon, le numéro un, c’est un fait, et presque anecdotique en soit, car comme vous le savez, le FC Metz a bien fini par officialiser sa montée en Ligue 1, et même plus tard le titre de… **tousse, tousse** ».
Une quinte de toux s’empara soudainement du professeur. Après avoir bu une gorgée d’eau, il reprit :
« Passons donc tout de suite au numéro deux. Lorsque je dis que le match était honorable, je sais parfaitement que certains ne seront pas d’accord. Mais bon, pour faciliter la grille de lecture, disons simplement que ces gens-là, ne sont tous qu’une belle grosse bande de crottes de pigeons… Oui, vous pouvez l’écrire, j’assume. Parce que bon…. gagner un match de foot n’a rien d’évident ! Ce n’est pas parce que vous construisez la meilleure équipe qui soit avec un plan de jeu parfait qu’en face, l’ennemi n’a pas fait pareil. Et là, j’ai vu des grenoblois dangereux, qui ont su nous bouger. On était les plus dangereux, clairement, mais les deux trois contre-attaques que l’on s’est pris ne nous ont pas rassuré derrière. Donc forcément, on ne pouvait pas jouer en avançant comme on le fait souvent, étouffant petit à petit l’adversaire. »
Un élève au premier rang leva la main afin de demander au professeur de ralentir, celui-ci ralentit et répéta sa phrase pour qu’il puisse avoir le temps de recopier.
« Hinschberger… reste pour moi un excellent coach de Ligue 2, et du fait de sa bonne connaissance des joueurs messins, son plan de jeu a réussi à nous faire douter et même relâcher un peu la possession que l’on avait jusque-là. A partir de ce moment-là, il était inconcevable de « tout donner pour l’attaque » comme certaines « crotte de pigeon » l’ont suggéré. Parce qu’à défaut de ne pas gagner ce match, on aurait pu aussi le perdre ! Et quand bien même cela, j’ai vu un Vincent Hognon tout tenter pour remporter le match. En effet, il a quand même fait rentrer coup sur coup Diallo et Riviere. C’est-à-dire, faire jouer, en même temps : Niane, Diallo, Riviere, Nguette et Gakpa. Soit pas moins de cinq joueurs offensifs, dont trois attaquants. Alors oui on n’a pas marqué, oui Niane a croqué, mais est-ce que… »
Le même élève leva la main, le professeur Legrasaully commença à défaire les lacets de sa chaussure gauche. L’étudiant pris aussitôt la fuite. Mais pas assez vite…
« J’ai horreur que l’on me coupe dans une phrase de transition… Alors oui, je sais bien que vous étiez tous trop jeune pour avoir vécu ce moment, mais certains de vos parents ont dû être présent lors de ce match. Et certains d’entre eux ont même dû les huer. Et pourquoi ? Pour la fameuse raison numéro un évoqué précédemment, bien sûr… »
La voix du professeur Legrasaully prit tout à coup une tonalité inquiétante de colère froide…
« C’est bien cette raison qui explique la huée de nos joueurs à la fin du match… n’est ce pas ? »
Le ton soudainement inquiétant du professeur Legrasaully produisit instantanément un silence craintif de la part de tous les élèves…
« Parce que c’est ça, hein ? Le vrai fond de l’histoire ? … Je me trompe ? … La raison de ces huées… Ce fameux rêve de faire la fête à domicile… Ce doux « rêve » qui sent le jus de pomme de voir le FC Metz sacré officiellement en Ligue 1 au cours de ce match, hein ? Et là, bim : Match nul ! Quelle déception, hein ?
…
ET BIEN VOUS POUVEZ TOUS ALLER CREVER BANDE DE BALTRINGUES DEBILES ! »
Les élèves sursautèrent soudainement face au rugissement de leur professeur.
« Éduquer… Toujours… Moi j’ai « appris » à me méfier ! J’ai eu une mère suffisamment aimante pour m’enseigner ce qu’était le discernement – faire le tri entre ce que je voulais et la réalité. Et j’en arrive donc à la raison qui m’a poussé à vous faire cette confession au début de mon cours : Arrêtez de prendre vos vessies pour des lanternes ! Arrêter de prétendre que vos désirs vont devenir réalité ! Parce que ce n’est pas le cas ! Parce que ce n’est jamais le cas ! Parce que tout ne va pas se passer exactement comme vous le voulez sous prétexte que c’est en accord avec vos désirs ! Et si ce n’était que ça, ça irait encore… Mais en plus : vous ne savez pas gérer votre déception ! »
Le professeur allait et venait le long de son pupitre, visiblement énervé.
« Je vous jure, vous allez tous crever comme de putains d’enfants naïfs, si vous n’êtes pas capables de comprendre que ce n’est pas parce que votre mère vous dépose devant une école : que c’est forcément la bonne ! Que ce n’est pas parce qu’elle vous tend du jus de pomme : que cela en est forcément ! Et que ce n’est pas parce que vous désirez voir votre FC Metz s’installer officiellement en Ligue 1 : que cela va devenir vrai ! Si vous êtes candide, résignez-vous, mais n’allez pas huer la réalité parce qu’elle diffère de votre vision égocentrique et enfantine du monde ! »
Le professeur Legrasaully, avec de la fureur dans le regard, s’arrêta pour regarder chaque étudiant dans les yeux.
« Qu’est-ce que ça veut dire, ça hein ? On vous « doit » quelque chose ? On vous avait « promis » une victoire ? Allez tous bien vous faire foutre avec vos principes à la con ! Et je sais que vous étiez trop jeune pour assister à ce match contre Grenoble, mais je suis sûr que parmi vous, des parents à vous ont dû aller au stade ce jour-là ! Achetant des places pour l’ensemble de votre crétine de famille dans l’espoir d’un sacre, d’une fête – et qui face au score, ont commencés à huer nos joueurs ! Et ça… Cette vanité, cette outrecuidance, cette crâne suffisance de vos aïeux et de vous aussi, je le sais, je ne la pardonne pas ! Elle me met hors de moi ! Il suffit juste que j’imagine la sale tête de clébard suffisant de vos chers père, mères, oncles et tantes en train d’arborer cette fichue arrogance sur leurs visages alors qu’ils sont en train de huer cette équipe du FC Metz… Et là, la colère monte en moi, la rage vient me prendre, fait pulser mon cœur et refermer mes poings me donnant l’envie de tous vous cogner dessus jusqu’au dernier ! »
Les élèves se recroquevillaient de peur sur leurs chaises. La haine de leur professeur était pratiquement palpable.
« Parce que ce qui me tue, ce n’est pas tellement les huées. C’est juste que j’ai parfaitement saisi le pourquoi de ces cris d’abrutis : c’est cette fameuse prétention imbécile et crédule ! Celle contre laquelle ma mère m’a élevé toute ma vie ! Une mère comme la mienne que vos parents auraient dû avoir ! Celles que vous auriez TOUS dû avoir ! Et je sais que vos parents ne l’ont pas eu… Je sais que VOUS non plus, ne l’avez pas eu… Alors voilà pourquoi c’était un devoir pour moi de vous apprendre cette leçon…
…
Le cours est terminé ! »
Au début, en lisant ce que vous a fait subir votre maman, je me suis dit qu’elle devait être originaire de Nancy… jusqu’à ce que je comprenne qu’en fait, elle avait de vraies valeurs (malgré une façon bien à elle de les transmettre). Félicitations pour la montée, mon cher. Impatient de vous retrouver parmi l’élite.
Vous êtes des gens bien à Bordeaux. Coeur sur vous.