NANCY – METZ (1-0) : LA METZ QUE UN CLUB ACADÉMIE DONNE SON DERNIER COURS

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Il était huit heures précisément dans l’amphithéâtre CARLO MOLINARI. Les élèves, avides de savoirs et de connaissances, étaient déjà tous installés depuis dix minutes. Silencieux comme des prêtres, attentifs tels des fidèles, et inquiets comme des enfants de chœur. Tous venaient ici écouter religieusement la sainte parole de leur maître : le professeur Legrasaully. Célèbre éminence grise à l’entre jambe bien remplie qui possédait une réputation et une sagesse qui n’étaient plus à faire. Et justement, le voici qui venait d’entrer…

Il poussait devant lui un vieil homme en fauteuil roulant. Il était chauve, avec une belle barbe blanche, et une couette sur les genoux. Il était penché en avant comme si la gravité elle-même voulait lui indiquer le chemin de sa dernière demeure. Le fauteuil s’arrêta juste devant le bureau, bien en évidence sur l’estrade. Tous les élèves étaient fascinés par l’invité hors du commun.

Le professeur Legrasaully s’était installé derrière son bureau. Il prépara ses affaires, récupérant la télécommande afin d’allumer l’énorme rétroprojecteur, et totalement indifférent à la centaine de regards vissés sur la vieille chose flétrie dans le fauteuil, il commença son cours :

« Ce cours… sera différent de tout ce que j’ai pu vous proposer jusque-là, puisque l’on va parler d’une rencontre… moins historique, que pathétique… plus anecdotique, que sympathique, et basée sur une rivalité unique en France : n’en déplaise à ces fainéants d’Auvergne-Rhône-Alpes. Alors vous l’aurez compris, on va se faire un derby. Pour l’occaz’ on sort la belle nappe et on la déplie, car aujourd’hui, on va analyser ce fameux match entre le FC Metz et cette équipe de coton crade de Nancy ! »


« C’est un derby ? C’est vraiment un derby ? Allons, est-ce vraiment toujours un derby ? »

Une pause pour l’effet dramatique.

« Les réponses à ces questions sont : « oui », « non », et « mais quand même encore un peu ». Je m’explique… Oui, parce que je veux bien que l’on considère ce match comme un « derby », avec toute cette rivalité/haine sportive qui se propage en partant du club pour aller aux habitants, passant par les villes, les projets urbains, l’ambiance, les meilleures happy hour jusqu’à la qualité mammaire de ses femelles. Mais soyons honnête : cela faisait quand même deux ans que le FC METZ et l’ASNL ne jouaient plus au même sport… »

« En effet, d’un côté, on avait un club qui rêvait de grandeur, pendant que l’autre vivotait totalement dans la peur. Le premier avait des joueurs lorgnés par tous, alors que le second était bien content de se faire prêter des joueurs sans aucune option d’achat avec des contrats en mousse… L’équipe de Metz donnait envie d’y foutre sa langue jusqu’au gosier, alors que celle de Nancy avait le cul sale et l’arrière train amoché. A l’heure où se sont affrontées ces deux équipes, le FC Metz avait fini son aventure, concrétisant une saison au sommet depuis la première journée, ivre d’alcool et d’endorphine depuis une semaine… alors que l’ASNL avait encore une bouée à aller chercher après une saison plus crade que leur ville-cuvette. Donc non, objectivement, ce n’était plus un derby. »

Le professeur Legrasaully se passa la main dans les cheveux, visiblement contrarié… Ignorant toujours et simplement devant lui l’espèce de vieille patate fripée chauve qui penchait dangereusement vers le sol.

« Mais tout ça… soyons honnête : ce sont des excuses ! Avouons-le franchement ! Parce qu’aussi brillante que fut cette saison (et elle le fut !), personnellement, j’aurais volontiers accepté de céder la première place à Brest en échange d’en en coller 8 à Nancy lors du même match ! Alors… Pour tout ça… Oui, on peut dire que c’est encore un derby. Un tout petit certes. Peut être le dernier même… Et le pire pour moi : c’est qu’on n’a même pas pu le fêter ensemble… »

« Tout un symbole… Et c’est pour tout ce que représente ce derby, pour nous, et visiblement pas du tout pour tous ces préfets qui se moquent ouvertement de notre passion… que je n’ai pas « simplement » envie de vous raconter des faits de jeu de manière stylisé juste pour que vous puissiez gausser tels des poules toutes grasses à vos apéros dînatoires qui puent l’autosatisfaction crasse et le chambrage fadasse. Non, non ! Là, je veux que l’on sente la bière, la testostérone et le bout du zgeg mal torché au pipi ! C’est pourquoi j’ai décidé que, pour ce cours, pour ce derby : j’allais vous dépoussiérer le champ lexical du divin et vous coller la présence de mon papy Legrasaully… Papy Legrasaully… Ce vieil être lubrique et facétieux… Celui-là même qui fait semblant de jouer au mort depuis qu’on est entré… Alors pépère ? Qu’est-ce que t’en dis de cet intro ?
UN BAIL QUE JE N’AVAIS PAS BANDE DUR COMME ÇA !! »

Tous les élèves sursautèrent d’un même mouvement ! A présent, le petit vieux avait relevé la tête et souriait de toutes ses gencives en se moquant des personnes au premier rang. Dans son regard, on ressentait la même froideur que l’on retrouvait au fond des pupilles de son petit-fils…

« Vous l’aurez compris, le pépère Legrasaully, c’est un spécimen en soit…
– … Héhé ! Vise-moi un peu ce mignon au premier rang avec son blazer saumon. Matte comme il est tout bien rasé ! Dis, mon petit : c’est ta maman qui te choisit tes chaussettes le matin ?
– Et je dois vous confesser qu’il a malheureusement beaucoup déteint sur moi…
– Pour sûr ! Tu peux être convaincu que tu es bien de mon sang et de mes couilles !
– … Bien plus que je ne l’admettrais moi-même… Bon, Pépère ! Je te rappelle qu’on est en cours là ! Et que je suis leur professeur ! Alors peux-tu, s’il-te plait, essayer de ne pas évoquer tes gonades râpeuses devant mes étudiants ? »

Le vieux hocha la tête afin de montrer son consentement. Le professeur reprit :

« L’Asnl… L’Asnl… Que dire de ce club… Notez bien sûr qu’à partir de ce moment « précisément » : plus rien de ce qui va suivre ne sera objectif bien sûr… C’est parti ! »


Tout à coup, des haut-parleurs de l’amphi, s’élevèrent les premières notes du thème de la musique de Rocky.

« – T’es bien là, Papy ?
– J’ai des vers qui me bouffent le cul et le cœur, alors tu en penses quoi ?
Qu’il te reste toujours un cul et un cœur…
– Bien dit ça. Bien dit.
– Alors t’es prêt ?
Prêt !

– Si je te dit Nancy, tu me réponds ?
AsAnaL !

– Logo ?
Une bite.


– Stade ?
Moins haut que mon rez-de-chaussée.

– Président ?
Jacques… L’homme-qui-ne-sera-jamais-président-de-la-LFP… Rousselot.

– Sagacité des supporters ?
Ils ont décerné le titre 2014 de « chardon de l’année » à … Jeff LOUIS !!
– MOUHAHAHAHA !!
– MOUHAHAHAHAHA !! »


« -MOUHAHAHAHA !!
– Pause ! Pause ! MOUHAHAHAHA !! IL FAUT QUE JE FASSE UNE PAUSE !!
»

Petit-fils et grand-père durent arrêter le questionnaire quelques minutes. Grand-père Legrasaully riait si fort qu’il devait se claquer les cuisses pour faire redescendre son sang.

« – Pfiou… Allez, on reprend… Si je te dis fondateur ?
Claude Cuny. Parfait pour cette équipe de petite chatte.

– Entraîneur célèbre ?
Pablo-gare-le-bus-Correa.

– Joueur célèbre ?
Michel Platini, ça va, on l’entend suffisamment dire qu’il n’a pas été pris à Metz. J’ai l’impression que c’est son seul fait d’arme.

– Sagacité des supporters ?
Ils ont décernés le titre 2012 de « chardon de l’année » à … YOHAN MOLLO !!
– MOUHAHAHA !!
MOUHAHAHAHAHAHA !!


MOUHAHAHAHAHAHA !!
– MOUHAHAHAHA !! Arrête-moi ! HAHAHA !! Sinon !!! HAHAHA !! JE VAIS SUINTER DE LA RAIE !! HAHAHA !! 
»

Les élèves restaient mi-amusés, mi-abasourdis devant ce spectacle ahurissant… C’était la fin de l’année, et certes le relâchement était palpable, mais là cela faisait presque une minute entière que grand-père et professeur Legrasaully riaient sans pouvoir s’arrêter. Puis, enfin, petit à petit, le professeur retrouva un peu de son sérieux.

« Merci grand-père… Pfiou… Bon, maintenant que nous sommes un peu mieux au fait de l’adversaire, nous pouvons parler du match. Mais me voilà bien embêté, parce que, franchement, je dois avouer que je n’ai pas grand-chose à dire. Et oui, c’est dur de qualifier une « confrontation » lorsque seulement « une seule des deux équipes » a joué… En effet, Cohade par exemple, qui d’habitude distribue le jeu messin, tel un berger guiderait son troupeau, avait, au cours de ce match, des velléités de paresse. Thomas Delaine a été complètement effacé en première mi-temps, pour au final totalement disparaître une fois que Gautier Hein est rentré sur le terrain. Un match qui m’a fait me dire que deux chiens fous et zéro berger ne faisaient pas avancer les moutons vers la victoire… »

(Je dois avouer que j’aime particulièrement cette dernière phrase).

« Pour le reste de l’équipe, et afin de poursuivre ma métaphore, on peut dire qu’elle s’est contentée d’attendre. Un peu à l’image de notre Diallo qui, vraiment, PENDANT TOUT LE MATCH, s’est contenté de patienter que le but lui tombe dessus. J’avais espéré qu’il ait envie de finir meilleur buteur de Ligue 2, mais non. Les seuls à avoir un peu sorti leurs testicules sur le gazon sont Angban et Oukidja. Ce dernier d’ailleurs, véritable homme du match, malgré une dizaine de relances au pied foireuses, nous a quand même gratifiés de nombre d’arrêts décisifs. J’ai tout particulièrement adoré le voir monter sur le dernier corner tel un gardien en phase éliminatoire de la Coupe du monde. Avec ce regard, cette mentalité qui signifiait que si l’on ne marquait pas… cela allait être le déluge. Je pense que c’est le seul qui avait compris l’enjeu de ce derby. Alors, pour tout ça, Alexandre, j’oublie ton passé Alsacien, et je te déclare officiellement : fils du Graouly, homme de l’Est, le véritable Est, et vénérable défenseur de la ville de Metz. Alexandre, le peuple grenat te salue ! »

Papy Legrasaully mis une main à son cœur. Voyant cela, les élèves l’imitèrent aussitôt. Ce fut une minute de silence totalement imprévue et surprenante. L’émotion était forte dans l’amphithéâtre. On sentait une atmosphère fraternelle envelopper le cœur de chacune des personnes présentes.

Le professeur reprit :

« Merci Papy, et à vous tous, pour ce moment… C’est drôle d’ailleurs, parce que cela fait parfaitement la transition avec l’objet du cours d’aujourd’hui… En effet, au cours de ma longue carrière dans la recherche, j’ai pu finalement observer, qu’à Metz, on communique beaucoup avec le divin. »



« A Metz… On se regroupe dans un sanctuaire qui porte le nom d’un saint : Symphorien. On porte fièrement comme emblème l’allégorie dragonne de l’obscurantisme préchrétienne couplé à la croix de Lorraine, symbole de la religion catholique. Lors de nos « réunions », on chante des chants, entourés de fidèles. On invoque le nom du seigneur chaque fois qu’une de nos frappes passent trop près du cadre sans y entrer. Comme cette tête de Diallo sur cette « serpillère humaine de N’dy Assembé », vous pouvez noter la dernière phrase, elle n’est pas de moi mais d’un supporter au cours de ce match. »

« A Metz, on n’est pas du genre croyant. On excommunie aussi facilement nos joueurs qu’on les adule. On n’est pas dans ce soutien aveugle et pieu. On récompense simplement et justement le prix de l’effort et de la sueur versée ! Si on t’aime, c’est parce que tu le mérites ! Et si on te déteste, c’est parce que tu l’as sûrement mérité aussi ! Le reste est entre tes mains, fils. On conchie cette ferveur décadente du supporteurisme débile qui doit absolument féliciter chacun des « prouts » de nos joueurs ! On sera toujours là ! Comme on l’a prouvé en National. Mais en échange : on se gardera toujours le droit de TOUS vous critiquer ! Un peu comme Opa… Oh Opa… Opa-opa-opa-papa-oh ! Le joueur qui symbolisera au mieux cette ambivalence tout à fait messine poussant les gens à huer autant qu’aduler. Je sais que tu vas partir. Pour tout ce que tu as fait de bien dans le club : je te remercie, du fond du cœur. Pour le reste, comme dans toutes les religions, il y a toujours une place pour le pardon. »





« A Metz, vous l’aurez compris, la seule divinité qui est dans notre cœur, celle qui nous pousse à chanter, hurler, insulter, vibrer, et j’en passe, c’est « Saint Paradoxe » : le grand patron des âmes torturées. »

« On lui dit « Je t’aime ! » autant de fois qu’on lui répète : « Je t’emmerde ! ». Un peu comme dans ce match, j’ai dû souhaiter la béatification de Gakpa et Boulaya autant de fois que j’ai demandé qu’on les attache au Golgotha. »

« Alors… FC Metz… Je t’emmerde pour tes deux dernières épopées en Ligue 1 où on est rentré comme des pestiférés en Domino’s Ligue 2. DOMINO’S LIGUE 2 PUTAIN ! Je t’emmerde pour ta défaite dans la course au titre contre Lens afin de chopper le titre. Je t’emmerde pour le 4-0 contre Nancy avec le SEUL but de Pedretti sous les couleurs de Nancy. Je t’emmerde pour ta gestion du cas Ismaïla Sarr, toujours en travers celle-ci. Pour la longue saison sans une Horda en Est Basse. D’ailleurs j’emmerde aussi tous les ultras débiles qui pensent que leurs capacités cérébrales s’arrêtent au stade. Les gars : il y a le cri du cœur que l’on ne peut pas réprimer, et les actes d’un homme que l’on peut toujours contrôler. Alors oui, je vous emmerde aussi pour cette image que vous avez donnée de nous autant que l’amour que j’éprouve pour vous lorsque je chante à l’unisson à vos côtés. Saint Paradoxe encore. Saint paradoxe toujours. Saint Paradoxe, grand patron des messins.

Mais comme je l’ai dit, ce n’est pas aussi simple. Si je tiens à garder le droit de te vouer au pilori à chaque fois que tu me brises le cœur, c’est avant tout parce que je t’aime putain…

FC Metz, je t’aime pour les sensations que tu provoques en moi. Cette décharge d’adrénaline qui explose chacune des fibres de mon être. Qui propulse mon cœur au niveau de ma gorge et qui me permet de faire retentir les chants liturgiques balancé en ode pour toi. Je t’aime parce que tu me permets de me rassembler avec d’autres fidèles, des êtres humains, un peu comme si nous venions tous de renaître ensemble juste pour ce moment. Si je t’aime, c’est pour cette première place depuis la deuxième journée. C’est pour ta capacité offensive, ta stratégie, ton instinct à produire certains des meilleurs joueurs du monde, ta couleur grenat, ton dragon, ton stade, ta ville… TA VILLE, putain ! … tes ultras, souvent maltraités, mais toujours présents qui font bondir nos couilles à chaque coup de tambour. Je vous aime vraiment les gars. Je t’aime FC METZ, pour tout ça, pour tout ce que tu provoques en moi lorsque tu dévisses Monaco ou taille en pièce les nancéiens. Pour tout ça, FC Metz : Je t’aime !

Saluons ensemble… Ô Saint Paradoxe ! Ô grand patron des âmes messines torturées ! Ô grande idole de cette bonne terre grenat : je te salue ! »


Les élèves, cette fois-ci, se levèrent tous pour rendre un hommage vibrant à ce montage Paint moisi… Profitant de ce moment, le professeur Legrasaully qui n’aimaient pas les adieux, se dirigea vers le fauteuil de son grand-père et commença à le pousser vers la sortie. Comme à chaque fin de cycle, il se sentait triste, morose à l’idée d’abandonner ses élèves, ses « presqu’enfants », comme il le disait. S’il était si dur avec eux, c’est parce qu’ils étaient, certes, vraiment stupides… mais aussi parce qu’il désirait vraiment le meilleur pour eux. Leur apporter ce qu’ils méritaient vraiment… Et il savait qu’il y avait encore tant de choses qu’il aurait aimé leur dire… Mais c’était la fin… Et il n’aimait pas les fins… C’est pourquoi il partait ainsi… Sans un bruit… Sans un au revoir…

Près de la porte, le professeur Legrasaully se retourna pour sortir en premier tout en tirant le fauteuil, sans même lever les yeux vers l’amphitéâtre. De peur de croiser le regard de ses élèves… Ses presqu’enfants » …

Papy Legrasaully connaissait parfaitement son petit-fils. Il comprit donc aussitôt pourquoi celui-ci avait décidé de le sortir ainsi à reculons. Relevant alors la tête, il sourit de tout ce qu’il avait encore de vivant en lui et regardant chaque « presqu’p’titenfant » dans les yeux, leur lança :


« Le cours est terminée mes petites lucioles… A l’année prochaine en Ligue 1. »

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