Evidemment que personne ne l’a vu, pensé, imaginé, subodoré. Le monde noyé dans l’alcool et le strass s’est contenté de vivre le moment présent comme il venait, de le subir passivement comme le bon consommateur qu’il est. Que vous êtes aussi. Vous vous plaignez du jeu, des joueurs, de l’organisation, de l’arbitrage, du résultat, de tout en pensant pouvoir avoir une petite influence sur le cours de l’histoire qui vous est inaccessible. Et vous êtes jaloux. De ceux qui ont le vrai pouvoir de changer les choses, de faire en sorte que la logique ne soit pas respectée, quitte à être injuste, bien que la notion de justice soit très relative et dépende exclusivement du point de vue. Un exemple, revenons un peu en arrière, au match Brésil-Croatie et voyons comment l’arbitre a sauvé ce monde.

L’équipe du Brésil a perdu ce match d’ouverture, l’arbitre n’a accordé aucun passe-droit aux locaux et la Croatie a remporté une victoire de prestige au même titre que le Cameroun en 1990 ou le Sénégal en 2002. Mais le contexte n’est ni italien, ni coréen. Les instances brésiliennes ont gagné de haute lutte la course contre-la-montre, du moins assez pour permettre la tenue des premiers matchs à l’heure dite. A quel prix ? Celui d’un ordre quasi-militaire dans les bastions contestataires du pays. Cette défaite scelle à jamais la perte de la dignité en mondovision, celle de la honte, en plus de celle de la pauvreté. La sélection auriverde a failli et c’est le dernier maillon de fierté qui saute.

Au coup de sifflet final, il n’était pas illogique de voir des supporters brésiliens dans la rue par tristesse de voir son équipe, la propriété du peuple, au moins le croit-il encore, ne pas respecter un pacte tacite : le gouvernement les a saignés pour ce mondial et continuera encore quelques années à payer sans percevoir le moindre dividende dans son quotidien ; la FIFA leur a promis une belle fête au meilleur pays du football du XXè siècle qui est le seul multi vainqueur de l’épreuve à ne pas avoir gagné la coupe du monde chez lui. Cette coupe, c’est la leur, c’est une revanche historique, c’est une contrepartie à l’organisation coûteuse et chaotique. L’erreur n’est pas permise, le peuple ne passera pas pour un perdant en plus d’être pauvre. Les incidents éclatent donc et le pays s’embrasent en une nuit. De la tristesse de la défaite naît une rancœur plus forte, sous-jacente depuis tellement d’années. Le miracle économique n’est pas pour la grande majorité. Les laissés pour compte réclament leur dû. Les appels au calme de Dilma Roussef n’ont fait qu’ajouter de la colère : les Brésiliens ne veulent plus se laisser faire. La peur a rapidement envahi la fragile planète foot pour se propager au politique. Les équipes étrangères se sont donc rapidement réfugiées dans leurs ambassades respectives en attendant un couloir sanitaire pour être évacuées. La Coupe du monde n’aura pas lieu.

Il ne manquait que cette nouvelle à Sepp Blatter qui meurt brusquement d’une crise cardiaque diplomatique opportune puisqu’il restera comme une victime collatérale de la folie et de la violence d’une plèbe qui ne respecte pas les trêves des événements sportifs. L’exemple des Ukrainiens en début d’année aura dû lui servir de leçon. Sa mégalomanie l’a depuis longtemps coupé de la réalité et surtout de l’expérience à prendre en compte chez les autres. Le CIO n’est pourtant pas très loin de la FIFA. Michel Platini est apparu dès lors comme l’homme providentiel. Lui le fils de communiste, de mineur, d’étranger, l’ami des petites fédérations sur lesquelles il s’est appuyé de tout son ventre d’homme de réseau pour être élu lors de sa première victoire à l’UEFA. Ses appels au calme, son aura de légende vivante du football ne suffisent plus. L’état d’insurrection est déclaré.

Livré à la vindicte populaire, à l’effet de foule, le pays est à la dérive et la présence de tous les médias mondiaux a un effet d’accélérateur incroyable. Les Brésiliens se savent être vus de la planète entière en direct. Les journalistes les plus réactionnaires ont leur coupable idéal : depuis des dizaines d’années, le football est responsable de morts, de guerres, de tricherie sur et en dehors du terrain, d’injustice, le football n’a jamais été le miroir de notre société mondialisée enferrée dans les affaires, il en a été le moteur. Il explose sous nos yeux.

Les Brésiliens ont tellement de raisons de se venger qu’il est difficile de savoir quelle en est la première. La colonisation, l’esclavagisme, la mondialisation, les crises provoquées par les pays plus riches, la sur-exploitation de la forêt amazonienne, le traitement réservé depuis 400 ans aux Indiens… La défaite de la Croatie paraît tellement dérisoire depuis le début des heurts. On se demande même comment l’équilibre a pu tenir si longtemps, comment ont-ils réussi à les maintenir dans cette léthargie mortelle, comment n’a-t-on pas vu ? Les Brésiliens se sont réveillés et nul doute que ce mouvement va se répandre comme une traînée de poudre. Les conflits sont contagieux depuis quelques années, le printemps arabe en est la preuve. Le réveil a sonné et la gueule de bois est pour les dirigeants. Ils vont tomber.

Quand NTM criait « Mais qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? », Edmond Rostand répondait « Que ceux qui ne veulent pas mourir lève le doigt ». Mon majeur est déjà haut.

Voilà ce que M. Nishimura a évité, que cela ne vous empêche d’y penser.

 

Frantz-Christophe Van Dustgroski

4 thoughts on “« L’état d’insurrection est déclaré.»

  1. Ah, la cocaïne que les parisiens s’envoient dans le pif entre deux discussions sur leurs fantasmes révolutionnaires et le cinéma d’auteur iranien. Ca me manque presque…

  2. « Aucune révolution sociale ne viendra d’un peuple aussi absorbé par le football et le cricket »

    L.T Hobhouse, 1904

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