Contexte

Il n’est d’ordinaire pas nécessaire d’empiler les enjeux pour faire dire à un lyonnais qu’un derby à Geoffroy-Guichard est parmi les matches les plus importants de la saison. De par son historique, sa dimension symbolique, cette affrontation nourrit tous les fantasmes, et permet de clore, au moins jusqu’au match retour, la question suivante : quelle ville, footballistiquement parlant, est la banlieue de l’autre.

Pourtant, cette année, le derby ne se limitait pas à cela. Depuis le début de saison, les trajectoires des deux équipes sont relativement opposées, et ce sont bien les lyonnais qui sont les victimes de la comparaison. Alors que l’ASSE se prend à rêver à des jours meilleurs malgré le départ d’Aubameyang, l’OL aligne consciencieusement les piteuses prestations, jusqu’à devenir la risée d’une France qui le voit déjà en Ligue 2. Le fond, que l’on avait l’impression de creuser de nos petits doigts boudinés, c’est à la Mosson que l’OL l’atteindra. A partir de ce match anti-référence, le supporter voudra voir dans son malheur des signes d’amélioration, tantôt dans une victoire contre des Pink Floyd croates, tantôt dans la défaite méritante face à un promu. Partout, le même espoir : un groupe conscient de la situation, déterminé à regagner la fierté qu’ils ont dilapidé aux 4 coins de la France. Avoir des couilles, quoi. Et par la même, réaliser un objectif éternel, primaire, presque instinctif : venir les poser délicatement sur le front des voisins stéphanois.

Consciente que le match s’annonce particulièrement tendu, notamment en raison des affrontements croissants entre ultras des deux camps ces derniers mois, la préfecture de la Loire décide de ne prendre aucun risque, et interdit les lyonnais de déplacement. Une décision malheureusement prévisible et qui, malgré les gesticulations médiatiques et judiciaires d’Aulas, restera effective. Peut-être était-ce mieux si le préfet se sentait incapable de gérer une rencontre entre les deux camps qui s’annonçait explosive, mais pour les supporters lyonnais, le geste de prévention est perçu comme une sanction : emmener un Olympique convalescent dans un duel qui s’annonce à couteaux tirés semble injuste pour les supporters, qui le font savoir à plusieurs reprises dans les jours précédant la rencontre. Rien n’y fera : si ce soutien touche les Gones et leur président, la décision administrative ne bougera pas d’un pouce. En ce dimanche, c’est seul que le bus lyonnais fera cap au Sud. Et en le voyant partir, les lyonnais comprennent que si toutes les conditions sont propices à la défaite, la victoire n’en sera que plus belle.

 

Composition

Qui sont donc les heureux élus pour ce match match ô combien symbolique ? Dans les buts, le terme est bien choisi puisque c’est bien un improbable concours de circonstances qui catapulte Mathieu Gorgelin pour une première titularisation en L1 où ses nerfs seront mis à rude épreuve, peut-être plus que ses qualités de portier. En défense, Miguel Lopes est préféré à Dabo, qui a pourtant une belle capacité de motivation lors des derbys.

Dabo

Un moment d’histoire. Alors Kurt, il touche le ballon, donc faute ou pas ?

En défense centrale, une charnière Bisevac-Umtiti retrouvée, et dont on attend de voir si elle saura se montrer à la hauteur de l’événement. A gauche, évidemment, c’est Henri Bedimo, qui peut définitivement confirmer son statut de meilleur lyonnais du début de saison. Au milieu de terrain, on retrouve le losange, très à la mode en ce moment : chauffé à blanc ces derniers jours, c’est Gonalons qui sera chargé du poste de sentinelle, avec Fofana et Malbranque devant lui. Au poste de milieu offensif, Clément Grenier a l’occasion de faire oublier toutes les saletés dites sur lui, et de prolonger sa gloire au CFC et dans l’Equipe. Pour une fois, on le lui souhaite. En attaque, pas trop de surprise : Lacazette-Gomis. Comme prévu, le turn-over a été énorme par rapport au match de jeudi, seuls Gorgelin et Lopes ayant repris leur place. Sur le banc, le contingent rennais composé de Briand et Gourcuff attend son heure. Elle viendra.

Compo Derby

 

Le match

Exceptionnellement, le match du dimanche soir aura commencé quelques semaines en avance. Le CFC bat son plein quand Joël Bats décide d’ajouter un petit bonus à l’entraînement de son gardien : alors que 10.000 stéphanois surexcités lui font face, Joël sort une écharpe des Bad Gones et l’accroche aux filets du but comme si c’était un vulgaire grigri. En l’absence des supporters lyonnais, et en regardant dans les yeux cette tribune qui lui voue tant de haine, le geste est évidemment symbolique à l’extrême. Une dizaine de Verts se précipitent même en dehors de la tribune. Mollement repoussés par la sécurité, ils parviennent jusqu’à l’écharpe. L’un d’eux essaie d’enlever l’objet, mais au lieu de la dénouer, il tente de l’arracher et offre un numéro comique aux yeux des caméras face à la résistance du tissu, qui finira par céder. Dans les yeux des supporters, la haine, dans les yeux de Gorgelin, la peur, et dans ceux de Bats, la satisfaction d’avoir réussi un joli coup. D’aucuns déploreront l’irresponsabilité du lyonnais, mais nul doute que l’image restera longtemps dans l’histoire de cette rivalité.

 Bats

Coup Bats.

Dans le match, le vrai, ce sont les stéphanois qui frappent les premiers, deux fois par François Clerc. Le premier avertissement intervient après un centre de Mollo repoussé par Gorgelin dans les pieds du défenseur, qui rate sa frappe. Son deuxième coup d’éclat, lui, est techniquement parfait : un tacle ciseau magnifique qui vient couper Bedimo en pleine course, et lui faire émettre des petits couinements un peu embarassants. Le stéphanois s’en sort avec un carton jaune, mais si j’étais lui, je réserverais dès maintenant mes billets TGV pour Paris, car la commission devrait lui envoyer des mots doux sous peu. Pourtant, sans ce tacle de barbare, la mi-temps aurait été bien longue à passer, car le niveau technique est exceptionnellement pauvre, les deux équipes préférant se mettre des taquets physiques, pour le plus grand plaisir des supporters, submergés par leurs instincts belliqueux. A la mi-temps, Gonalons se justifie par un « C’est très tactique », et nous, on fait semblant de le croire. Au fond, on sait que toute la France s’ennuie au point de jeter des coups d’oeil à Avatar sur France 2, mais on s’en fout. Devant son écran, le lyonnais trépigne, s’emballe à chaque embryon d’action, et emmerde le culte du beau jeu. Là où l’hexagone voit un énième match pourri, le rhônalpin voit un vrai derby.

Et la deuxième mi-temps lui donnera encore plus d’émotion. 48e minute : à la suite d’une action où les imprécisions techniques succèdent aux pertes de balle évitées de peu, Bedimo est trouvé sur l’aile. D’un très bon centre, il trouve la tête de Gomis, que Ruffier repousse d’une très bonne claquette. Bayal Sall, sûrement en train de songer à la tête victorieuse qu’il rêve de mettre, manque de réactivité sur ce ballon remis en jeu et laisse Lacazette fusiller son gardien, et par la même occasion les 40.000 spectateurs. En l’absence de lyonnais, le son sur le but est particulier : un râle de déception, puis silence de mort. L’OL mène 1-0, et c’est tout une ville qui ne pense plus qu’à un mot : encore…

Pourtant, les joueurs au « Rapid’Croq » sur le postérieur vont réagir, et pas qu’un peu. Pendant 15-20 minutes, les lyonnais ne voient plus le ballon, pas plus que la moitié de terrain adverse. Tétanisés par l’enjeu, peut-être, incapables de savoir quoi faire une fois ce premier but marqué, les Gones se recroquevillent en défense, et le but d’Hamouma arrive logiquement. Derrière mon ordinateur, un souvenir funeste m’arrive soudain : celui d’un Griezmann qui marque un but acrobatique face à un OL qui ne s’en relèvera pas. Quand Perrin écrase une tête sur la transversale de Gorgelin, on croit bien la dernière heure de l’OL arrivée.

La dernière heure, nous y sommes. C’est l’ultime possession, et elle est pour l’OL. Le ballon navigue jusqu’à Dabo, puis Fofana, qui adresse une bonne passe à Gourcuff sur son aile gauche. Passements de jambe contre Gradel, contre favorable, ça passe. Le lyonnais se crispe, serre le poing, il reste quelques secondes. Le ballon va sortir… Non, c’est bon, Gourcuff l’a. Il centre, le lyonnais se lève. Lacazette est trop court, mais derrière, un joueur va l’avoir. C’est Briand, la tête est parfaite, et c’est but. Dans le stade, le même grognement de déception, puis un silence de mort, car c’est bien de cela dont il s’agit pour les espoirs stéphanois. Le lyonnais, lui, explose. Les concepts de mérite, de hold-up, de tout ce que vous voulez, ils sont loin en ce moment. La joie est intense, honnête, irrépressible.

Aulas

Comme un gamin.

En temps normal, ce but serait passé inaperçu, mais à ce moment, dans ce contexte, il vaut tellement plus que 3 points. De mémoire de (jeune) lyonnais, les buts avec un tel impact émotionnel se comptent sur les doigts d’une main. Le début de bagarre dans le couloir juste après le match, la supposée patate de Ruffier dans le dos d’un Aulas incandescent au moment de distribuer les rafales au micro de Canal n’auront que peu d’importance : la victoire y est, tout le reste n’est qu’accessoire. Et la nuit sera longue.

Tola Vologe

Tola Vologe, 1h du matin.

Les notes

 Gorgelin (3/5) : Après le but stéphanois, on a tous été un peu découragés. On s’est demandés si Bisevac n’avait pas un peu raison, si Gorgelin n’avait pas pu nous faire une sortie genoux en avant pour éviter cette désillusion. Mais vu ce que fait Bats avant le match, vu le contexte, et vu les quelques arrêts qu’il nous sort, on peut parler d’un match réussi.

Miguel Lopes (2/5) : Il y a différentes façons de se mettre au niveau d’un derby. Miguel, lui, a décidé : c’est l’extrême fébrilité technique de ce derby qu’il adoptera, et avec talent. Remplacé par Dabo à la 85e, ce qui aura été trop juste pour prendre son carton rouge. Et c’est pas plus mal.

Bisevac (3/5) : A force de balancer ses #BisevacStyle à peine moins guerriers que la Marseillaise, il fallait bien que Bisevac nous sorte un match de soldat. Ce fut ce dimanche soir, où il enchaîne les interventions rageuses et les regards plein de colère, tant à l’encontre de ses adversaires que de ses coéquipiers. Peut-être un peu trop : -1 point pour avoir gueulé sur Gorgelin après le but. Milan, assez.

Umtiti (4/5) : Quand il sera parti de l’OL pour un grand club, il marchera sur des petites équipes qui auront eu le malheur de se trouver sur leur route. En attendant cette gloire future, Samuel se prépare, et récite ses gammes. Manque de pot pour l’ASSE : ça tombe toujours contre eux. Mention spéciale pour ce « chut » adressé aux supporters qu’on condamne pour faire bien, mais qui nous fait tellement plaisir au fond.

Bedimo (4/5) : Impossible de prétendre être le meilleur joueur d’une saison lyonnaise sans faire la part du travail dans un Derby. Henri reste donc en course, après avoir fait du couloir gauche son territoire pendant tout le match, et ce malgré la tentative d’amputation de Clerc. Dommage pour ces petits couinements sur l’impact qui cassent le mythe.

BedimoBedimo, à l’aise dans la célébration.

 Gonalons (3/5) : On aurait aimé le voir plus souvent dans le match, voire même marquer le but vainqueur, pour le symbole. Mais dans un match tendu comme celui-ci, notamment l’intimidation physique en 1e mi-temps, avoir un vrai Gone motivé sur le terrain a forcément fait du bien. Et puis ce « C’est très tactique » à la mi-temps, c’est à montrer dans toutes les écoles d’hypocrisie.

 Malbranque (2/5) : C’est dommage, là aussi la symbolique aurait été magnifique avec lui. Elle l’aurait été avec trop de joueurs, malheureusement, et tous ne peuvent pas se montrer à la hauteur. Tant pis : le simple fait qu’il soit là, de blanc vêtu, constitue un sacré pied de nez en soi. Remplacé par Gourcuff, plutôt nul jusqu’à… enfin, vous connaissez la suite.

Fofana (2,5/5) : Dans un milieu de terrain physique, dans un match physique, il aurait pu s’en donner à cœur joie. Au final, un match mitigé, entre moments d’absence et très belle passe pour Gourcuff sur l’ultime banderille, c’est la moyenne.

Grenier (1/5) : 35 ballons perdus, moins de 60% de passes réussies. En temps normal, selon le fameux théorème greniesque Match Pourri = But Exceptionnel, Grenier aurait marqué un ciseau acrobatique depuis sa propre moitié de terrain. Exceptionnellement, ce soir, ça aurait pu nous suffir pour passer l’éponge.

Gomis (2/5) : Une quasi passe décisive sur le but de Lacazette, mais c’est tout. En dehors de cette belle tête, le plus beau geste de Gomis sera d’avoir laissé sa place à Briand à la 72e, qui vient de gagner plusieurs mois de crédit auprès des supporters, une belle cérémonie de départ en mai/juin, et une demande de parrainage de mon futur gamin.

Lacazette (3/5) : Dans son coup de fusil à la 48e, on sent la rage du joueur qui sait ce qu’il vient de faire. Sixième but d’une saison pourtant mal commencée, peut-être celui qui vaut le plus : le droit d’aller chambrer les stéphanois, pour un garçon qui connaît le poids de ce match.

Note bonus : Garde (5/5) : Pas la peine de se demander combien d’entraîneurs de Ligue 1 se seraient pointés dans ce derby avec une écharpe et des chaussures aux couleurs des Bad Gones (d’ailleurs, j’espère qu’adidas va les proposer à la vente, mais passons). Avant même que le match ne commence, Garde avait déjà tout gagné. En faisant rentrer Gourcuff et Briand à la 72e minute, il s’offre une place de choix dans l’histoire de ce match, car c’est bien de cela dont nous parlons. Les jours où j’avais peur qu’il démissionne, éreinté par la situation décourageante, sont loin maintenant : on le Garde.

garde

Allez, sans rancune et à l’année prochaine.

Gérard Côlon

12 thoughts on “ASSE – OL (1-2) : La Gones Académie note le Derby

  1. La photo de groupe avec Bédimo est magique, elle vient du site officiel ?

    L’acad est belle, elle m’a fait revivre mes moments de frénésie de dimanche soir. Courage les cousins campagnards, y’aura d’autres occasions !

    Merde j’ai encore une érection.

  2. Putain, elle est bien écrite cette acad’… J’aurai bien aimé avoir l’occasion d’en écrire une comme ça.

    Bref, on va arrêter de se sucer la bite, n’oublions pas qu’on se déteste : bande de fripons, vous ne l’emporterez pas au Paradis. La prochaine fois, on vous tapera sur les doigts avec une règle, vous vous en souviendrez.

    Voilà, j’ai mis autant d’agressivité dans cette tirade qu’un Max-Alain Gradel au marquage de Gourcuff sur la dernière action.

    A l’année prochaine… Enfin, façon de parler puisqu’on ne pourra pas venir chez vous non plus.

  3. Pour la photo, c’est Plea qui l’a tweetée juste après le match. Il l’a vite supprimée, se rendant compte de l’erreur, mais Internet n’oublie jamais rien.

  4. Ah ouais, t’écris bien en fait Schweisbat, ce fut agréable. Plaisir de revivre ce moment.

    Sinon, je viens de remarquer sur la photo d’Aulas qu’un noeud de corde pend sur la rambarde, comme un symbole des pensées noires des stéphanois au moment du but.

  5. Une erreur impardonnable dans ton sujet mon cher Gérard : Avatar était sur TF1.

    En tout cas très bonne académie même si je te trouve trop sévère dans les notes avec Malbranque et Fofana. Certes ils ont eu du déchet technique mais il y a eu un abattage de fou qui explique cela et il faut rappeler qu’ils ont toujours proposé des solutions aux porteurs du ballon. Un match utile des deux joueurs qui depuis la mise en place du losange sont les 2 véritables poumons de l’équipe. Et Umtiti je lui aurais mis 5 ! Il a muselé Brandao et c’est la clef du match, empêchant les verts de jouer haut en jouant sur leur tour de contrôle brésilienne

  6. acad qui fait hisser le drapeau, comme le match, et la tof de Bedimo + le gif final, cimer, j’vais pouvoir me le péter au taf en les faisant tourner :p

  7. Oh bon dieu que c’est bon… tu m’as mis une demi molle avec ton contexte de match en me remémorant la Mosson et ma passion qui s’effilochait…
    Heureusement que la photo de Pléa permet de remonter l’indice « Bonhomme » de l’ami Bedimo : ces petits cris de soprano m’avaient bien fait marrer.
    Par contre les bourses, je préfère quand elles sont posées sur le nez des cousins(et non pas sur le front, qui a mon avis garde un côté trop poétique…)
    Petit bonus :
    http://minilien.fr/a0mcg0

  8. D’ailleurs je crois que la dernière fois que j’ai gueulé comme ça c’était pour le but de Pjanic à Bernabeu.

  9. Pour les groles de Garde, tu peux déjà les faire toi même sur le site de la marque, il suffit de prendre un modèle personnalisable. Bonne acad, on peut finir en D2 sans rougir si on remet le coup vert au match retour.

  10. Payou dit : 09/11/2013 à 01:13

    Sinon le 5-1 à La Mosson, il n’y aura pas d’article? ^^

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