Au courrier des lecteurs… Morlino et Morale

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Une recherche profonde et historique pour une personne qui le mérite.

Morlino et morale

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Essai d’interprétation

Commençons tout d’abord par un petit aperçu étymologique qui donne sans avoir l’air d’y toucher toute sa dimension au sujet qui nous occupe aujourd’hui : la parenté phonétique entre les deux maîtres-mots de notre étude n’est pas un hasard.

Si l’on remonte au latin, « Morlino » provient en effet de « moralina », petite morale ; le « a » est tombé vers le IIème siècle en latin vulgaire, selon les auteurs les plus autorisés, pour donner « morlina », qui par extension a pris le sens de « jeune fille prude » dans tous les traités de bonne conduite des premiers siècles du christianisme (citons notamment Euthanaclase d’Epiclophon, Denys le Gypaète ou encore le philosophe alexandrin Césure de l’Hémistiche) ; ce même mot, par extension toujours, a ensuite qualifié les petits traités eux-mêmes ; on compilait au Moyen-Age toutes les règles de bienséance à l’égard des jeunes filles dans des recueils qu’on appelait Morlinae. Le terme a enfin été masculinisé pour s’appliquer aux auteurs de ces ouvrages. On trouve ainsi un Morlino l’Ancien, qui sévissait dans l’arrière-pays niçois au XVIIème siècle, et qui pourrait être l’ancêtre du nôtre. Une légende raconte que ce Morlino l’Ancien a malheureusement succombé lors de la bataille qu’il avait engagée contre la dissolution des mœurs des filles de la Promenade du port de Nice, et qu’il finit par brûler son livre, hélas ! et filer à l’anglaise avec une certaine Mado la Blonde, ce qui aurait donné son nom à ladite promenade.
Autant dire que notre Morlino sait de quoi il parle.

Une erreur est fréquente lorsqu’on aborde son œuvre : c’est, dans l’antagonisme sans cesse répété entre le Manchester de Ferguson et l’Arsenal de Wenger – véritable leitmotiv morlinien s’il en est -, de ne voir qu’une simple rivalité sportive. Il s’agit au contraire de la clef de voûte de tout son système, et je vais m’attacher à le montrer.

Pourquoi notre cher Bernard, à chaque fois qu’il veut chanter les louanges de son club de cœur, d’un de ses joueurs ou de son entraîneur, s’acharne-t-il à flétrir en écho le club londonien et ceux qui y travaillent ? Est-ce seulement une obsession monomaniaque, comme on le croit trop souvent ?

Le simple fait qu’il ait été couronné chevalier des arts et des lettres, comme Manu Katché, Nikos Aliagas ou l’immortelle Marion Cotillard nous suffirait à répondre par la négative : les voies d’un chevalier ne sont pas aussi pénétrables que celles d’un quelconque badaud (surtout celles de Marion). Mais je répugne à ces arguments d’autorité et j’entends démontrer mon point de vue en toute bonne logique aristotélicienne.

Prenons en effet un article de Morlino le Jeune qui traite d’un tout autre sujet, par exemple celui du 22 mai 2011, à l’occasion du sacre de Lille : il commence en faisant l’éloge de Florent Balmont, conclut sur le LOSC : « Lille a toujours été un grand club dans l’Histoire du football français », et enchaîne sans plus attendre : « Son président, Michel Seydoux, est bien plus sympathique que son homologue lyonnais. Et si loin des pleurnicheries du pt de Lens qui est toujours en train de faire de la com […] Le grand club du Nord s’appelle Lille. Ce n’est en aucun cas Lens ». On commence à toucher le point sensible de la morale morlinienne : le bon ne se définit que par rapport au mauvais. A Michel Seydoux il faut opposer « son homologue lyonnais » pour qu’il devienne réellement un bon président ; à Lille il faut opposer ces pauvres lensois, relégués en Ligue 2, et il apparaît clair que la meilleure manière de glorifier Lille est d’abaisser Lens, selon la célèbre tactique rhétorique du « tir sur l’ambulance ».

Remarquons cependant que Morlino sait l’inconstance du monde dans lequel il vit, et l’incertain de ses valeurs : rien n’est acquis. Pour preuve ce nouvel article, posté une heure et trente-sept minutes avant le précédent : « Sur le plan de la C1, l’OM et l’OL sont de meilleurs compétiteurs que le LOSC qui va sûrement être vite balayé ». Encore une fois, la technique de l’opposition, mais cette fois à la défaveur des valeureux Dogues.

Qu’en conclure ? Schématiquement, l’homme morlinien se compose de deux entités : son Fergie intérieur, qui est sa part dominatrice, pragmatique, honnête et sûre d’elle ; c’est la constance dans la réussite ; et son Wengie intérieur, tous ses travers, ses peurs, ses rodomontades ; son côté vaincu par avance. Tout le reste est incertain ; les mêmes faits seront pesés différemment selon qu’il viennent du Fergie ou du Wengie (et de cela, Morlino seul en est juge). Le fait de jouer dur, par exemple, sera à l’avantage de MU dont les joueurs jouent comme des hommes, et pas comme des pleureuses ; ce sera une manière de descendre Arsenal (leurs 66 cartons jaunes et 7 rouges durant la saison 2010-2011 ont été soulignés à de nombreuses reprises).
Ainsi Morlino inaugure un nouveau manichéisme : le bon a besoin du mauvais pour être bon. Le monde immédiat ne se voit que « par miroir et en énigme », comme dit Saint Paul ; seul Morlino peut voir le Mal « face à face » et le combattre comme il mérite de l’être. Car le Mal ne se contente pas d’être Mal : il cherche à se faire passer pour le Bien, et à faire passer le Fergie pour le Wengie.

Le complot wengerien est partout : c’est à cause de lui qu’on ne parle que d’Arsenal sur les ondes françaises, ce club qui ne gagne jamais rien, et que tout ce qui touche à MU est marqué au front par la flétrissure des media. Guerre économique, rappelle Morlino : l’argent est londonien, les medias aussi. La dernière affaire en date – l’adultère de Giggs – le prouve bien, et a permis à Bernard de déployer toute l’envergure de sa nouvelle casuistique : pourquoi s’acharne-t-on sur le Gallois (qui finalement n’a fait que de donner un peu de Fergie à une pauvre fille perdue, et qui devrait être remercié) au lieu de parler des autres histoires de coucherie qui secouent le monde à l’heure actuelle ? Et la verve polémique de notre moraliste n’a jamais été si virevoltante et légère que dans ces graves circonstances : « Je vous le dis tout net: Ryan Giggs n’a pas frappé une femme de chambre pour lui balancer son sperme en pleine bouche pour faire comme qui vous savez, je parle bien sûr du porc politichien à la conduite de SS. Ryan Giggs n’a pas plus tirer une pute mineure comme le balafré de Bavière, non Ryan Giggs n’a rien fait de tout ça ».

Le raisonnement est limpide, même s’il peut être un peu rapide pour les non-initiés ; décomposons-le donc : l’argent est londonien, or DSK a de l’argent, donc DSK est londonien ; le londonien est mené par son Wengie intérieur, et qui plus que les Nazis étaient menés par leurs Wengies intérieurs, eux qui n’ont été titrés que durant une dizaine d’années avant d’être relégués dans le ventre mou de la géopolitique internationale, comme un vulgaire Arsenal après l’âge d’or du début des années 2000 ? (on peut toutefois noter qu’Hitler, contrairement à Wenger, a eu la décence de démissionner de son poste de coach après les premiers revers). Donc DSK est Nazi ; or les Nazis sont Allemands, or Ribéry joue en Allemagne et Wenger est Alsacien, donc DSK est Ribéry qui est Wenger ; ergo, Giggs est innocent. Si ce n’est pas une démonstration, je ne sais pas ce que c’est.

Nous voilà fixés sur la morale morlinienne, où je vous ai montré que l’éloge est dépendante du blâme, où le paradis mancunien est le miroir inversé de l’enfer wengerien, et où nous sommes tous dans le purgatoire où la médiocrité règne ; si vous êtes sages, je suis prêt à vous donner d’autres cours d’éthique sur d’autres grands écrivains que vous me soumettrez.

Cascarinho

24 thoughts on “Au courrier des lecteurs… Morlino et Morale

  1. C’est une analyse tout à fait admirable.

    Mais l’auteur ne serait-il pas lui même tiraillé entre la culture de l’alcoolisme irlandais et les passements de jambes d’une otarie ?

    Peu importe finalement.

  2. « …Et je vous ai démontré que l’éloge est dépendant du blâme, mais si le roi le désire, je pourrais tout aussi bien démontrer le contraire ! »

  3. Mais si je vous suit bien. L’OM est meilleur que Lille car en ayant marché fière de ses ambitions la chute olympienne s’est faite avec honneur alors que Lille et ses déclarations pisse froid voit sa gloire entaché de couardise et petitesse d’esprit digne d’un Wengie.

    Oh Mon dieu!!!!!! J’ai le fluideeeeeeee!!!!!!!

  4. Superbement mené. L’intro est excellente, le corps rondement développé et la conclusion est jouissive. On a décoré des personnes du titre de Chevalier de l’Art et des Lettres pour moins que ça !

  5. -Excellentissime l’irlandais ! Quelle analyse pleine de justesse , de pro.. « Ah non c’est nul à chier « .
    – Ta gueule Wengie! Viens pas gacher l

  6. Superbe argumentation de Cascarinho qui nous rappelle nos plus belles heures de philosophie, quand la prof ne ratait pas le train ou son suicide.

    Quelques modestes arguments pour appuyer l’auteur qui n’en a pas besoin :
    – Ben Laden (le centre de l’Axe du mal) est fan d’Arsenal (petit a)
    – Quand on tape Lars Von Trier Manchester United sur Google on obtient : « Cantona Vs Lars Von Trier » (CQFD)

  7. Comme tout devient soudain clair et limpide.
    Wenger ne démissionnera pas tant qu’il n’aura pas trouvé la solution finale.

    Merci

  8. Grandiose !
    Je n’avais jamais vu Morlino sous cet angle. Est-il possible d’avoir la même analyse pour Pascal Praud et ses « Wooooooooolééééé !! Il est bon ce Zaldan Abramovitch », ou encore pourquoi Luisse transforme le son « -« eur » en « -or » (jouor, entrainor) ?

  9. Luis est comme ça. »J’ai eu l’occasion de voir (nom d’equipe)-(nom d’equipe), on sent que(nom de jouor) a un certain talent, une certaine envie, et que moi je te dit mon petit Florient (Genton) que son entrainor devrait le faire jouer plus souvent un petit peu.

  10. @ Mohigrib : « c’est qui Morlino ? ».

    Mord-lino sur HJ, c’est comme une virgule sur le mur des toilettes.

  11. Superbe !
    Tu pourrais développer le thème « Morlino et mollard », pour la prochaine fois ? Merci.

  12. Moké aussi a joué dans Taxi et n’a pas été couronné chevalier. vdm.

    The yes need the no to win against the no. Freud serait décédé en lisant Morlino.

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