L’apprenti footballologue analyse Naples-Juventus (3-0)

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Le gamin est arrivé à pied par la Chine.

La polyvalence n’est pas une lubie d’entraîneurs ne voulant pas doubler les postes par l’achat de joueurs. La polyvalence est un élément clé du jeu. Capacité à s’adapter à des circonstances de match, un adversaire, ou tout simplement une phase de jeu, celle-ci fait parfois la différence entre un bon footballeur inutile et un footballeur moyen utile. A condition de savoir bien s’appuyer sur cette force cachée.

Contrairement à la majorité des autres sports d’équipe, où les changements sont autorisés de manière multiple, le football n’en autorise que trois. La faculté d’un joueur à assumer plusieurs postes aux spécificités bien distinctes est donc relativement peu utile. Là où le basketteur des Lakers Magic Johnson pouvait passer de meneur à pivot dans le même match, en fonction de son opposant direct et de la propension de ses coéquipiers à éviter les fautes, rares sont les opportunités pour un Lassana Diarra de basculer de milieu défensif à latéral droit. La vraie polyvalence étant de pouvoir assumer un rôle plus offensif, de meneur de jeu –ou du moins de relayeur- c’est-à-dire faire évoluer son jeu sans nécessairement modifier sa position sur le terrain. Seuls les exemples de défenseurs montant aux avant-postes en fin de match, de manière ponctuelle comme Van Buyten ou Fabbri, ou définitive comme Zerka ou Rambo, sortent de ces considérations générales.

La faculté qu’ont certains défenseurs modernes à assurer des tâches défensives et offensives est la clé de voûte de certains dispositifs tactiques. Le Napoli, et son système à trois défenseurs centraux, repose en grande partie sur ses deux pistons des ailes. Leurs noms : Maggio et Dossena. Dossena, sorte d’Eboué italien, a des lacunes et des forces, toutes exacerbées. Une fébrilité défensive parfois grotesque, mais aussi une capacité à assurer offensivement dans les fondamentaux à la passe et à la finition. De l’autre côté, Maggio est l’un des meilleurs joueurs de couloir en Europe, dans un style tout en sobriété et en kilomètres parcourus.

Là où la Juventus propose un système de jeu cohérent avec deux purs ailiers, Krasic et Pepe, et deux pointes supposées dominer dans les airs, Toni et Amauri, Naples joue une autre carte : celle des ailiers tout terrain et de la menace permanente. La menace permanente pourrait être personnifiée par David Trezeguet. Dans l’esprit de l’entraîneur adverse, il y a des joueurs qu’il ne faut jamais laisser seul, un statut que les footballeurs acquièrent avec leurs performances, et qui leur permet indirectement de faire briller leurs coéquipiers. Ici, la menace permanente est composée du trident Hamsik-Cavani-Lavezzi.

Contrairement à la croyance très répandue, ces joueurs ne construisent pas le jeu, tout juste servent-ils de relai dans une formation où les postes s’échangent mais l’idée de bloc reste directrice. Hamsik, ce milieu de terrain présenté comme un meneur de jeu, est en réalité l’un des maillons d’une chaîne, ce qui explique son incapacité à prendre en main sa sélection nationale. De même, Lavezzi n’est pas un détonateur, c’est un joueur offensif qui profite de situations pour faire parler des qualités de dribble et d’explosivité. La position des deux offensifs autour de Cavani ne vise pas à faire de différence immédiate, ce qui explique l’importance des deux latéraux.

La Juventus a encaissé trois buts, mais le match doit surtout s’analyser sur la première mi-temps. Les deux buts sont symptomatiques : un débordement et centre parfait de Maggio puis Dossena, des défenseurs centraux attirés par le ballon et préoccupés par les leurres, ces spécialistes des deuxièmes ballons que sont Hamsik et Lavezzi, et Cavani se retrouve seul dans la surface, puis au duel avec le peu physique Armand Traoré. Là où on attendait Krasic et Pepe, on a eu Maggio et Dossena. Pas de capacités particulières à faire la différence en dribble, simplement une capacité à accélérer et centrer de manière précise.

Imaginez simplement : en phase offensive, la Juventus peut mobiliser des joueurs au profil uniquement offensif, deux ailiers et deux attaquants, et pourquoi pas espérer voir Marchisio ou Aquilani participer. En face, Dossena et Maggio se replient pour bloquer les ailes, trois défenseurs physiques sont prêts à en découdre avec les deux bûcherons de la Juve, et le chien de garde Gargano peut toujours couvrir la montée d’un milieu. Cinq contre quatre, le surnombre est au Napoli.

Inversion des rôles, comme sur les deux premiers buts. Maggio et Dossena deviennent milieux offensifs, et les trois attaquants enchaînent les fausses pistes et se démarquent un peu partout sur le terrain. Krasic et Pepe n’ont aucun talent défensif, et laissent donc Traoré et Grygera s’occuper de l’ailier. Restent trois attaquants pour deux centraux, surnombre une nouvelle fois au Napoli. Quand, en plus, le marquage est déficient, la sentence tombe, sans qu’il n’y ait grand-chose à redire.

Pour s’en sortir, la Juventus aurait dû dominer un secteur de jeu, or les duels ont été soit équilibrés, soit à l’avantage des locaux. Aquilani et Marchisio n’ont pas su prendre l’ascendant sur Gargano et Pazienza, Toni n’a gagné que peu de ballons aériens, et deux joueurs napolitains ont fait plus que quatre Turinois sur les ailes. A trop spécifier, on enferme la créativité dans un carcan. Quand on veut créer une machine aux forces et faiblesses immuables, on s’expose à la création d’un contre-modèle. Kraftwerk contre David Guetta, ou quand le résultat est plus impressionnant que le mode de production.

3 thoughts on “L’apprenti footballologue analyse Naples-Juventus (3-0)

  1. Magnifique. Tout est finement analysé, c’est agréable à lire. Rien à y redire : bravo.

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