Vous voyez fleurir dans la presse tout une brochette d’avis bien-pensants qui trouvent que la Coupe du monde dans un pays musulman, c’est mal. Sous couvert de respect des droits de l’homme, personne ne s’est encore étonné : c’est à l’occasion de la première Coupe du monde dans un pays à majorité musulmane que les critiques sont les plus fortes. S’il fallait vous convaincre que le monde est raciste, je viens de le faire. Non c’est faux. Les humains sont bien racistes seulement en raison du nombre d’étrangers croissants (rien à voir) dans le monde (merci Luis Rego), mais en l’occurrence, reprenons nos esprits.

Depuis 10 ans, cet événement sent alternativement la merde, le sang et toutes les nuances de la décomposition avancée de notre monde. Cette Coupe du monde est mal née. Arrangement entre mafieux et corruption ont permis ce vote et la France a tenu un rôle qu’aucun autre pays n’a su tenir avec Platini et Sarkozy à la manœuvre et le plus drôle, le PSG comme corbeille de la mariée. Quand on se retournera sur les 50 dernières années du football français, il ne faudra pas s’étonner de considérer Aulas comme le dirigeant le plus intègre.

A l’heure donc de la bonne conscience généralisée et à l’indignation reine, il ne sera pas dit que je ne prendrai pas la parole pour y ajouter un brin de mauvaise foi, un soupçon de solidarité et une poignée de colère. La Coupe du monde au Qatar est un scandale à de multiples titres et vous trouverez partout des gens plus intelligents pour mieux le dire que moi. La Coupe du monde au Qatar ne mérite pas notre habituelle impatience naïve à quelques semaines d’un des plus grands moments de camaraderie entre passionnés que nous sommes. La Coupe du monde au Qatar ne mérite que mépris, colère et tristesse. La résignation à regarder ailleurs s’impose. Je m’y tiendrai et ce n’est pas Eric the King qui m’a fait pencher. C’est ma famille. Avec cette question : jusqu’où ma passion peut me faire regarder ailleurs ? Est-ce que ce sport et ces sportifs que j’aime et j’admire tant, mais pour qui je ne suis pas grand-chose, méritent que je trahisse certains idéaux qui vont bien au-delà de ces trois semaines ?

Surtout, ne serait-il pas plus judicieux de montrer à ce sport et à ces sportifs que j’aime tant qu’ils valent mieux que ces trois semaines ? Une partie de moi a grandi grâce aux valeurs incarnées par ce sport, admirant des performances sportives inatteignables, des intelligences individuelles et collectives s’articulant avec brio et bien évidemment ce collectif qui se meut dans des chorégraphies toujours plus complexes et toujours plus improvisées. Une partie de moi a également grandi avec les débordements de ce sport et de ces sportifs : tricherie, dopage, corruption, argent roi, instances omnipotentes s’engraissant indument avec toujours plus de malignité et de vulgarité. Sous prétexte de ne voir que ce qu’il se passe sur le terrain, j’ai contourné longtemps et avec malhonnêteté cette tendance toujours plus exagérée.

En Russie, j’aurais voulu ne pas regarder, l’histoire m’aurait donné raison. Au Qatar, difficile de faire semblant, difficile de s’arrêter à ce qu’il se passe uniquement sur le terrain, difficile de conserver ce bonheur naïf de voir les meilleurs dans un tournoi planétaire. Je me rassure en disant qu’en plus d’être exemplaire sur le plan humain, je serai exemplaire sur le plan environnemental en participant activement à la sobriété énergétique de rigueur cet hiver. Je me désespère en pensant qu’en 2022, notre si magnifique modèle capitaliste nous pousse à ces extrêmes, mais tout le monde s’en tape. Au moins, ma télé éteinte permettra au Qatar de climatiser ses stades en première mi-temps et de la chauffer en seconde.

Le football est arrivé dans une impasse inconfortable où il n’est plus seulement question d’enrichissement à outrance ou de ce fameux décalage entre stars et péquenauds du quotidien, autrement dit dans les médias, « le caractère hors-sol entre une jeunesse dorée et les contingences mondiales actuelles ». Il est de bon ton de mettre comme atout maître le nombre de morts pour la construction des stades, arrêtons, la bonne conscience ne peut pas s’appuyer sur des illuminations tardives. La tendance à la boucherie est connue depuis des années. Je me souviens d’articles évoquant 800 morts. Nous en sommes à presque 10 fois plus, c’est autant de morts que nous aurions pu éviter si vraiment la volonté d’agir pour le bien commun était un argument, mais même pas. Il faut en conclure quoi ? Qu’il y a un seuil de nombre de morts que nous pouvons accepter pour boire de la bière en se marrant pendant un mois ? Je n’ai pas de réponse.

La Coupe du monde au Qatar a cet avantage incroyable de cumuler tous les abus inacceptables de notre époque : esclavagisme, corruption, déni environnemental, enrichissement à outrance d’une minorité au détriment du plus grand nombre, assassinats institutionnalisés et absence totale d’aspérité avec ce sport (contrairement aux autres récente coupes du monde organisées de manière douteuses). La Coupe du monde au Qatar est une abjection de notre temps, convergeant avec tout ce qu’il ne faut pas faire, illustrant tout ce qu’il ne peut plus être fait. La légère houle qui naît actuellement est une vraie première, elle vient aussi des passionnés et est extérieure à une opposition à un régime. Cette contestation est encore timide et pourrait finalement ne pas concerner que la Coupe du monde au Qatar mais il est trop tôt pour prophétiser. Ce boycott, car c’en est un, sera une première pour moi et plusieurs de mes camarades de Horsjeu. Il me permettra de jauger mes priorités et ce qu’il conviendra d’appeler, les manifestations inacceptables à l’avenir, mettant en lumière un paradoxe douloureux : ces compétitions censées nous réunir vont maintenant diviser le monde en deux catégories, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. J’estime être le mieux armé.

4 thoughts on “Chers bâtards

  1. marrant cette levée de bouclier contre le Qatar..elle était où lors du mondial en Russie?
    elle était où lorsqu’au même moment les avions de Putin bombardaient les civils en Syrie?
    elle était où lorsque ce même Putin aidait et continuer à aider le criminel de guerre Assad a tuer les syriens?
    d’ailleurs sans cette aide le dictateur sanguinaire serait déjà tombé, et on aurait pas eu les centaines de milliers de morts, de disparus , on aurait pas eu en Syrie Daesh, le Hezbollah et autres assassins et celle chose qui vous affecte vous, les millions de réfugiés.
    la Crimée (signe avant coureur de l’invasion de l’Ukraine) était déjà occupée et l’attaque contre la Géorgie, le génocide en Tchétchénie pas si lointains que ça)
    et les droits de l’homme en Russie on en parle?
    la situation catastrophique des homosexuelles?
    c’est vrai que c’est beaucoup plus facile de taper sur un petit pays comme le Qatar que sur la Russie de Putin (sachant qu’il a déjà dans sa poche vos leaders chéris tel que Mélenchon et Marine

    1. Alors détrompez-vous, il y a eu tout une série d’articles en 2016 et 2017 avec le logo Boycott Russie dans les éditrolls. Je sais, je les ai écrits. Et pour être sincère, je ne suis pas moi-même été au bout de la démarche du boycott, parce que devant l’événement, j’ai été faible, parce que j’aime ce sport et voir des matchs. Ce qui se joue en ce moment, pour ma part, est l’accumulation des 2 CdM de suite, l’absence de remise en question des instances et le fait d’avoir laissé se créer un monstre. Et le pire viendra sans doute encore après.

  2. Le foot est à l’agonie depuis des décennies, gangrené par ce cancer nommé professionnalisation. Il ne guérira que lorsque toute les ramifications de ce cancer seront vaincues. Le foot est amateur ou n’est pas.

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