Depuis quelques années, ceux qui regardent avec attention les compétitions internationales de jeunes ne peuvent être passés à côté d’un pays qui émerge : l’Ouzbékistan. En 2011, au Mexique, les U17 ont atteint les quarts de finale de la compétition alors que cette année, les U17 sont sortis en 8è et leurs ainés ont été battus par la France en quart de finale de la Coupe du Monde U20.

En Ouzbékistan, le football est soumis ces dernières années à un développement exponentiel. Le championnat a accueilli des Scolari, Zico ou Rivaldo mais surtout les bourses et autres programmes de développement pour les clubs et les jeunes fleurissent. Du coup, j’ai voulu comprendre un peu mieux quelle était la politique de formation dans ce pays de 30 millions d’habitants et j’ai donc posé quelques questions à Sandar Rizayev qui bosse à la Fédération de Football d’Ouzbékistan.

uzb1Les U20, quart de finaliste de la CM en 2013 (source : fifa.com)

« Est-ce que le football est le sport n°1 en Ouzbékistan ?

Oui, tout à fait. C’est le sport le plus pratiqué et le plus populaire en Ouzbékistan. Les Ouzbeks vont soit à la salle de sport, soit à la piscine ou alors sur les terrains de football après les heures de travail. Parfois, pendant l’été, tous les terrains de football sont occupés jusqu’au petit matin, car la nuit est la meilleure période pour jouer pendant l’été, à cause des très chaudes journées.

Depuis quelques années, les sélections de jeunes font de belles performances en Coupes du Monde. Est-ce lié à une politique de formation décidée par la Fédération ?

C’est notamment grâce au président de la Fédération de Football d’Ouzbékistan – Mirabror Usmanov, grand spécialiste du sport, économiste expérimenté et très bon politicien. Quand il a été élu président en janvier 2006, il a tout d’abord décidé d’investir sur les jeunes et la formation. Aujourd’hui, le monde est témoin des résultats de ce travail et des efforts entrepris.

D’où est venue l’idée ? Est-ce que vous avez essayé de reproduire un modèle venant de l’étranger ?

Je mentirais si je disais que l’idée est la nôtre. La nôtre en partie, mais reproduite. Il y a un système pour développer le sport pour les jeunes en Ouzbékistan et l’idée est venue du président de la République. Il s’agit de grands évènements sportifs: les écoles participent aux Jeux « Umid Nihollari » (Les branches de l’espoir), les lycées aux Jeux « Barkamol Avlod » (Génération saine) et les universités aux « Universiada ». Il s’agit de jeux olympiques républicains en quelque sorte.

Voyant cela, la Fédération de Football d’Ouzbékistan a développé un programme de formation des jeunes et a construit des académies de football, des écoles de football dans toutes les régions du pays. Les écoles, jadis affiliées à diverses structures gouvernementales, ont été mises dans le giron de la Fédération puis ces écoles ont été rattachées aux clubs de football professionnel. Aujourd’hui, chaque club professionnel a son école de football ou son académie.

La Fédération de Football d’Ouzbékistan soutient aussi les programmes de formateurs pour les catégories de jeunes et a délivré des bourses annuelles pour de jeunes joueurs, des entraîneurs et des clubs. Tout ceci fut possible grâce au soutien du Président de l’Ouzbékistan Islam Karimov. C’est un vrai passionné de football. Il a signé plusieurs décrets gouvernementaux en faveur de la formation des jeunes joueurs et du développement du football pour les jeunes, qui nous ont servi pour développer nos programmes. Sans ceux-ci, nous n’aurions pas autant de succès dans le monde du football.

Est-ce que la FIFA a joué un rôle important dans le développement du football en Ouzbékistan après 1991 ?

Oui, la FIFA soutient toujours les programmes de développement en Ouzbékistan. Ainsi, nous avons terminé les projets GOAL 1, GOAL 2 et GOAL 3 avec des officiers de développement de la FIFA. Joseph Blatter visite régulièrement l’Ouzbékistan. Le dernier voyage date de l’automne 2012 où il a pu voir le développement des infrastructures liées au football.

uzb2Blatter lors de son dernier voyage en Ouzbékistan en 2012 (source : fifa.com)

Comment est-ce que les centres de formation sont organisés en Ouzbékistan ? Est-ce qu’il y a un centre national pour les jeunes joueurs ?

Il y a les lycées « National Olympic Reserves » dans les régions pour les jeunes joueurs et beaucoup de joueurs internationaux sont issus de ces institutions. De plus, le FC Pakhtakor, FC Nasaf, FC Mashal et FC Bunyodkor ont leurs propres centres de formation qui servent la Fédération de Football d’Ouzbékistan comme des « usines à joueurs ». En complément, tous les clubs pros ont leurs propres écoles de football et cela fait quelque temps qu’elles fonctionnent. Nous avons besoin d’un peu de temps pour avoir de meilleurs résultats cependant.

Comment les clubs sont intégrés dans cette politique ?

Ce sont surtout les clubs de Tashkent – FC Pakhtakor, FC Bunyodkor, FC Lokomotiv – et quelques clubs d’autres villes comme le FC Nasaf et le FC Mashal qui sont bien intégrés dans cette politique de formation. Les joueurs proviennent de toutes les régions d’Ouzbékistan, mais les meilleurs finissent dans les clubs de Tashkent. Tashkent est plus développé au niveau des systèmes de formation. Les autres clubs ont besoin de plus de temps pour arriver à leur niveau.

Est-ce qu’il y a des entraîneurs étrangers qui s’occupent de la formation ?

Depuis 2005, seuls des coaches ouzbeks participent au développement de la formation.

Est-ce que les infrastructures sont très développées ?

On construit et cela s’améliore. Je ne dirais pas que l’on a les meilleures installations d’Asie mais on se dirige vers cela.

Quelles sont les qualités prioritaires chez un joueur pour les entraîneurs nationaux ?

Les coaches ouzbeks sont intéressés par les capacités de réflexion et de vision du jeu chez les jeunes joueurs ainsi que leurs capacités avec le ballon. Si le joueur a 12 ans ou moins, alors sa capacité de réflexion est prioritaire, s’il a plus de 12 ans, à côté de sa réflexion et sa vision du jeu, son sens tactique et son positionnement deviennent plus importants. Après 14 ans, il faut y ajouter les capacités physiques.

Quel est le style de jeu prôné par la fédération ouzbek à travers ses équipes ?

Il n’y a pas de style de jeu spécifique. Chaque entraîneur a son propre style. Mais les sélectionneurs d’équipes de jeunes se rencontrent une fois par mois pour discuter.

Quels sont les joueurs les plus prometteurs en Ouzbékistan ?

Il y a quelques très bons joueurs en U20 – Jamshid Iskanderov (Pakhtakor), Abbos Makhstaliev (Pakhtakor), Sardor Rakhmanov (Lokomotiv Tashkent),  et en U17 – Jamshid Boltaboyev et Javokhir Siddiqov (Pakhtakor), Sarvar Karimov (Lokomotiv Tashkent). Ce sont les joueurs les plus prometteurs et beaucoup de supporters les voient comme les joueurs importants de l’équipe A dans le futur.

Quand est-ce que l’équipe seniors va pouvoir bénéficier des fruits de cette politique de formation ?

Si nous continuons comme cela tout en apprenant de nos erreurs, nous espérons que notre équipe nationale se qualifiera pour la Coupe du Monde 2018. »

 

L’ŒIL DE PADLS

L’excellent Padls viendra de temps en temps donner son point de vue sur différents sujets et il débute avec le football en Ouzbékistan.

ouzb1

 

Pour compléter ces propos, j’ai aussi demandé au rédacteur en chef de Goal.com India, Rahul Bali, de nous expliquer comment l’Ouzbékistan et sa politique de formation étaient perçus en Asie.

« Est-ce que l’Ouzbékistan est vu comme une nouvelle place forte du football asiatique avec les performances de ses équipes de jeunes ?

Plus qu’une place forte, l’Ouzbékistan est vu comme une force émergeante du football asiatique avec un énorme potentiel. Leurs sélections de jeunes ont montré beaucoup de promesses et cela devrait se concrétiser pour l’équipe A dans les années à venir. Les U16 sont champions d’Asie alors que les U17 ont réalisé une belle coupe du monde en 2011 et même cette année. Il n’y a aucun doute sur le fait que l’Ouzbékistan a le potentiel pour devenir une nation incontournable du football asiatique.

Comment est-ce que la politique de formation ouzbek est perçue en Asie ?

La politique de formation de ce pays a été très impressionnante. Les investissements dans les infrastructures pour la formation commencent à porter leurs fruits. Ils ont clairement fait savoir qu’ils étaient décidés à promouvoir les jeunes talents et pour chaque nation qui veut se développer, se concentrer sur les prochaines générations de footballeurs est absolument essentiel, plutôt que de dépenser de l’argent sur des projets médiatiques et sans portée à long terme. Promouvoir les jeunes est un long processus et les résultats ne se font jamais voir à court terme, mais c’est une politique efficace si l’on veut accroître le niveau de jeu dans un pays et l’Ouzbékistan est un vrai exemple actuellement.

Quelle est votre opinion sur le développement du football en Ouzbékistan, en comparaison des autres pays du continent ?

Dans les dernières années, la Fédération de Football d’Ouzbékistan a créé quelques centres d’excellence et des terrains de football dans le but de développer la pratique du football dans le pays. Dans les années 1990, la Fédération a établi de nombreux instituts de formation pour prendre soin des nombreux jeunes footballeurs, car ces instituts n’étaient pas assez nombreux, en comparaison de nombre de jeunes footballeurs. Cette attention pour la formation ne s’est pas arrêtée là. Ils ont reconnu  le besoin de développer le football dans la région et ont pris leur responsabilité dans cette nouvelle dynamique.

Ces 4 dernières années, l’Ouzbékistan a accueilli le Festival de Football d’Asie centrale de l’Asian Football Confederation qui fait se rencontrer les U14 d’Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizstan et Turkménistan. Chaque année, la fédération ouzbek finance et organise ce tournoi, mettant en exergue sa volonté de développer le football en Asie centrale.

Est-ce qu’il y a, selon vous, quelque chose qui caractérise ou singularise le football en Asie et en Ouzbékistan ?

Quand on évoque le football en Asie, les infrastructures doivent être la priorité numéro 1 sur tout le continent. Chaque pays peut développer sa propre identité avec le respect de son propre style de jeu et sa philosophie mais de meilleures infrastructures doivent être le dénominateur commun du développement de la pratique sur le continent. Des pays comme le Japon ou la Corée du Sud ont excellemment renforcé leurs fondations et ils ont pu réussir au niveau international grâce à cela. L’Ouzbékistan essaye aussi de travailler avec cet état d’esprit et il n’est pas étonnant qu’ils soient déjà la 4è nation d’Asie, d’après le classement FIFA, derrière le Japon, la Corée du Sud et l’Australie. Il est temps que les autres pays d’Asie suivent ces exemples. »

Si les résultats de l’équipe seniors n’ont pas encore permis à l’Ouzbékistan de participer à une grande compétition internationale, il ne fait aucun doute que ce pays va compter parmi les grands d’Asie dans un futur proche et viendra jouer contre les grandes nations du monde dans les prochaines Coupes du Monde. Ces performances permettront sans doute de mettre en exergue un pays exemplaire dans le domaine de la politique de formation des jeunes joueurs et du football plus généralement.

Un grand merci à Sandar Rizayev et Rahul Bali pour leurs éclairages très intéressants.

Tristan Trasca & Padls

8 thoughts on “La formation en Ouzbékistan : la naissance d’un géant d’Asie ?

  1. Islam Karimov est un bon Président bien républicain qui aime le foot et investit pour la jeunesse ? Je pensais plutôt qu’il était du genre gros con de dictateur oligarque.

    En tout cas, merci pour le point scouting. Ca fait toujours du bien de savoir que dans les plaines de Tartarie, y a aussi des patates qui vont en lucarne.

  2. Intéressant comme d’habitude.
    @ toufik: justement, quand on est dictateur on essaye de se mettre les jeunes dans la poche et de glorifier son règne par le sport.

  3. très intéressant, mais est ce que ce qui est dit est vraiment respecté ?

    Le fait que le physique n’entre en compte qu’à partir de 14ans etc… ?

    Le point fort étant de garder des entraîneurs locaux, en espérant qu’ils ne deviennent pas consanguins comme les Français…

    et +1 avec KikiBrestois, c’est à mon avis un très bon calcul.

    Cela dit je déteste l’Ouzbekistan et je leur souhaite tous de mourir depuis le vol de Teddy Riner par Abdullo Tangriev en demi finale des Jeux Olympiques, Teddy a gagné le combat, les arbitres en ont décidés autrement.

  4. Merci messieurs et merci Padls pour le dessin.

    @Toufik: certes, il y a un peu de promotion du président dans le propos mais c’est pour cela que j’ai essayé d’avoir un autre avis d’une personne qui n’était pas partie prenante sur le sujet. Mais ce président a l’air de vraiment mettre en place une politique qui promeut le sport et la jeunesse. Comme Tito le faisait d’ailleurs.

    @Mech: honnêtement difficile de te répondre. J’ai laissé parce que je pensais que c’était intéressant comme raisonnement. Après, j’attends de trouver un taf en Asie Centrale ou dans le Caucase pour aller vérifier !

  5. En tout cas, je suis toujours fan de tes articles.

    Pour les présidents qui promeuvent le sport et la jeunesse, c’était le cas dans tous les régimes autoritaires déjà. C’est absolument pas nouveau. Et je doute que la Fédé ouzbek ait une totale liberté de parole, donc forcément tu peux pas être critique envers le régime…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.