21 mai 2015, 22h24. La Ghelamco Arena explose. En battant le Standard de Liège 2-0, l’Association Athlétique La Gantoise (AA) décroche le titre de champion de Belgique, son premier depuis la création d’une division football en 1900. Si le retour de Gand dans le top 6 n’a rien d’inattendu après deux saisons ratées, le voir au sommet dès la première saison de Hein Vanhaezebrouck sur le banc de touche l’est beaucoup plus.

Au bord de la faillite en 2000 après des années de mauvaise gestion financière, le KAA Gent, club belge historique en sa qualité d’un des membres fondateurs de l’Union Belge des Sociétés de Sports Athlétiques (UBSSA), voit ici le résultat de 15 ans d’efforts du président Ivan De Witte et du directeur sportif Michel Louwagie.

Le foot à Gand

Si l’AA La Gantoise est une des fondatrices de l’UBSSA (qui comprend 9 sports, dont le football) en 1895, le ballon rond n’est pas encore utilisé au sein du club, qui existe depuis une trentaine d’années et qui privilégie d’autres sports (tennis, escrime, hockey, cyclisme, athlétisme, etc…). Le football organisé vient en fait tout juste d’apparaître dans la ville avec la création de l’Union Pédestre Gantois, suivie deux ans plus tard par le Football Club Gantois et l’Athletic Club Gantois. Les trois clubs fusionnent en 1899 sous le nom de Racing Club de Gand (aujourd’hui KRC Gent-Zeehaven, en 3ème division en 2014/2015).

L’année suivante, l’AA La Gantoise crée à son tour une section football à la demande d’étudiants de la ville de Melle, limitrophe de Gand. C’est dans cette commune, dit-on, que fut apporté le premier ballon de football sur le continent européen en 1863[1].

Les supporters du club doivent d’ailleurs leur surnom à des étudiants. En septembre 1906, William Cody, plus connu sous le nom de Buffalo Bill, est en tournée en Belgique avec son Wild West Show. Amusés par les cris « Buffalo ! Buffalo ! » des Indiens, les étudiants, les ont repris pour encourager leur équipe favorite. Le blason rappelle d’ailleurs encore aujourd’hui cet épisode.

Comme bon nombre de clubs flamands dans les années 1960 et 1970, La Gantoise va se flamandiser. C’est le résultat de l’émergence du nationalisme flamand, qui a notamment vu la création de la frontière linguistique en 1962-63 et la Volksunie représenter 11% des députés lors de l’élection de 1971. Les communes, généralement propriétaires des stades, exigeaient cette vervlaamsing en mettant en avant le ‘geen vlaams, geen senten’ (pas de flamand, pas d’argent). L’ARA La Gantoise (le R s’explique par l’octroi du titre de société Royale) devint ainsi le Koninklijke Atletiek Associatie Gent (KAAG, le K flamand étant la traduction du R français) en 1971, imitant ainsi son rival gantois mais aussi les deux clubs de Bruges, Courtrai ou encore Malines.

Sur le terrain

Côté sportif, le premier cinquantenaire du club est plutôt calme : le seul titre est décroché en 1913 en deuxième division. Les deux places sur le podium, obtenues en 1940 et 1945, ne sont dues qu’à l’arrêt du championnat en raison des combats.

Les années 1950 sont bien meilleures, puisque l’équipe termine quatre fois sur le podium et obtient le meilleur classement de son histoire en 1954-55 (2ème).

En 1963-64, motivée par la création de la Coupe des Coupes, l’Union Belge relance la Coupe de Belgique, dont seules trois éditions avaient eu lieu depuis 1935. En la remportant, La Gantoise devient donc le premier participant belge à la C2. Elle est éliminée dès le premier tour par West Ham, futur vainqueur de la compétition. La fin de la décennie est toutefois beaucoup moins reluisante, puisque La Gantoise retrouve la D2 en 1967.

Au milieu des années 1970, alors que le football belge découvre le professionnalisme, La Gantoise plonge en D3. Revenue en D2, elle est présidée par Albert De Meester, un milliardaire qui ne connait rien au football. Un jour, devant un match du FC Barcelone, il tombe sous le charme de Cruyff et de Neeskens et se met en tête de les ramener à Gand pour que le club retrouve la D1. Le retour à la réalité fut difficile[2]. Se rabattant sur des joueurs plus modestes, mais en investissant néanmoins des sommes importantes pour l’époque, La Gantoise retrouve la D1 en 1980 et obtient 4 qualifications européennes, notamment grâce à une nouvelle victoire en Coupe de Belgique en 1984, jusqu’à un nouveau passage en D2 en 1988-89.

Après être passé très proche du titre en 1991 (le club terminera finalement 3ème), le KAAG vit quatre saisons compliquées (3 fois 14ème, 1 fois 15ème) avant de s’enfoncer dans une grave crise financière malgré de meilleures résultats sportifs : en 1998, l’entraîneur Johan Boskamp dénonce le montant des dettes. Le club aurait accumulé 450 millions de francs belges (12M€) depuis 1978. En cause, la construction de 2 nouvelles tribunes en 1986 et 1992 pour 320M FB, d’un centre administratif et de formation pour 150M, des intérêts à rembourser autour de 50M et enfin une amende, comme beaucoup d’autres clubs belges, concernant l’existence d’une caisse noire, exonérée d’impôts. Cette affaire Bellemans fut notamment à l’origine du scandale Standard/Waterschei et eut une grande influence sur le flop de l’Euro 84[3]. L’ambition démesurée du club, notable également par le recrutement, conduit le club à assainir au plus vite les finances, d’autant que le premier audit conclut finalement à une dette de 680M FB (17M€).

L’ère De Witte (1989 – …)

À son arrivée à la présidence de La Gantoise, Ivan De Witte effectue un deuxième audit, qui met en évidence une dette de 920M FB (23M€). Comme ce montant augmente à chaque nouvelle analyse financière, il décide de ne plus en faire et propose un plan en 4 objectifs : réduire la dette, avoir un budget équilibré, rester ambitieux et construire un nouveau stade.

La ville soutient De Witte et s’implique également dans ce vaste chantier : elle rachète le vieillissant stade Jules-Otten pour 3,7M€, le rénove pour être aux normes européennes et s’engage à chercher un emplacement approprié pour la prochaine enceinte.

Sur le terrain, les années 2000 sont une vraie réussite : le club commence la décennie avec une 3ème place et la termine avec une 2ème place et une victoire en Coupe de Belgique. Entre temps, le KAA n’a jamais quitté la première moitié du tableau.

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La politique de formation et de recrutement de jeunes joueurs talentueux (initiée par Michel Louwagie) porte ses fruits et permet, à la vente de ces mêmes joueurs, de récolter près de 45M€ et de ne plus avoir aucune dette dès 2010.

Principaux transferts entre 2000 et 2010 (source : Transfermarkt.de)

Quant au stade, le lieu est trouvé en 2003. Annoncé pour 2006-2007, le stade ne voit pourtant sa première pierre posée qu’en septembre 2008. Les travaux s’arrêtent en 2009 et reprennent en décembre 2010 après un accord sur le financement : le club paiera 17M€, la ville 28M€ (ces 46M€ correspondent aux coûts relatifs au football) et les 40M€ restants (relatifs aux autres événements, magasins, etc…) sont à la charge du promoteur, Ghelamco, qui obtient le nom du stade.

Le stade de 20 000 places est finalement inauguré en 2013[4]. Intelligemment exploité et conçu aussi bien pour les partenaires financiers que pour les supporters (ce que les dirigeants appellent le « retour social sur investissement public »[5]), le stade semble être une réussite totale. Alors que le club espérait que son apport permette de combler l’écart avec le Big 4 (Anderlecht, Bruges, Standard, Genk) après 5 ans, il n’en aura fallu que deux pour décrocher le titre national suprême.

Outre son rôle de président des Buffalos, il a également été à la tête de la Ligue Professionnelle. Il est ainsi l’instigateur des playoffs tel qu’on les connait, mais aussi à l’origine de différentes propositions de réformes de ceux-ci, telles que l’abandon de la division des points par 2 pour une multiplication par 2/3[6], ou le passage de 34 à 24 clubs professionnels[7].

La saison 2014-2015

Après une piteuse 12ème place en 2012-2013 puis une décevante 7ème place en 2013-2014, La Gantoise souhaite retrouver les PO1 en 2015 et engage Hein Vanhaezebrouck comme entraîneur. Ce dernier a ramené Courtrai en D1 en 2008 après deux saisons en poste et l’a emmené à la 4ème place en 2012. Cette place avait déjà été atteinte en 2009-2010 avec un groupe construit par Vanhaezebrouck, mais il n’en était pas l’entraîneur, ayant tenté sa chance avec Genk, d’où il fut viré à la mi-saison. Il était revenu à Courtrai à l’été 2010.

Si le personnage peut parfois paraître hautain et égocentrique, sa maîtrise de la défense à 3 ou 4 lui offre un avantage certain sur la plupart de ses confrères.

Avec des moyens plus importants qu’à Courtrai, Vanhaezebrouck modifie son effectif en acquérant David Pollet (ce qui reste une énigme), Laurent Depoitre (Ostende) et Rami Gershon (qu’il avait déjà dirigé à Courtrai), puis quatre joueurs venus d’Europe de l’Est lors du mercato hivernal. Du côté des départs, on notera ceux de Habib Habibou (2,5M€, encore merci au Stade Rennais) et Hervé Kagé (pour 800K€ à Genk). La balance des transferts n’est ainsi négative que de 1,2M€.

Equipe-type de La Gantoise 2014/2015

Convaincante dans le jeu mais avec quelques coups de mou réguliers (à la trêve, les Buffalos sont 5èmes avec 9 victoires, 7 nuls et 5 défaites), La Gantoise va profiter de ses arrivées hivernales, et particulièrement de celle de Moses Simon (AS Trencin, Slovaquie), pour se relancer. Le Nigérian de 19 ans a commencé à un niveau ahurissant (6 buts, 2 passes décisives en 500 minutes) avant de marquer le pas. Avec 8 victoires, 2 nuls et aucune défaite lors des dix derniers matchs de la saison régulière, La Gantoise est la meilleure équipe du début d’année 2015.

Tout le collectif gantois va se sublimer au fil des semaines. Dans les buts, Matz Sels enchaine les bonnes prestations. Arrivé l’été dernier, il ne serait pas étonnant de le voir à moyen-terme en sélection, derrière Courtois et Mignolet. En défense centrale, Gershon est d’une régularité épatante et est un des tout meilleurs à son poste cette saison. Au milieu, il est difficile de mettre en avant un joueur en particulier, tant tous ont été convaincants cette saison. Si Dejaegere ou Kums ont été performants toute la saison, Milicevic est monté en puissance lors des PO1. Devant, tandis que Depoitre (13 buts, 1m91, 91kg) pèse énormément sur les défenses, Vanhaezebrouck lui a offert à ses côtés un joueur très vif : si Simon a marqué les esprits depuis janvier, il ne faut pas oublier Benito Raman et qui continue de progresser de manière linéaire (8 buts cette saison, deux fois plus que la saison passée). Les deux poids plume ont même été parfois alignés ensemble sans Depoitre, comme la semaine dernière lors de l’exceptionnelle victoire sur le terrain de Bruges, invaincu depuis 1 an à domicile, ou hier pour le match du titre. Enfin, n’oublions pas quelques bons éléments sur le banc : malgré sa très longue blessure, Pedersen a su être utile en marquant à 3 reprises en à peine 300mn. Rafina a su dépanner lorsque Foket était moins convaincant. Enfin, Van der Bruggen est probablement un des joueurs les plus sous-estimés du championnat.

Cette deuxième partie de saison présente une progression majeure : la concrétisation de la domination, la maturité. Désormais, La Gantoise sait battre les gros de ce championnat. Alors qu’elle n’avait pris que 9 points contre les autres membres du Top 8 la saison dernière (1/21 à domicile, 8/21 à l’extérieur), elle a eu un déclic en battant le Club Brugge fin février : depuis, après s’être offerts le scalpe d’Anderlecht (30ème journée), les Buffalos sont la meilleure équipe des PO1, mini-championnat réunissant les six meilleures équipes de la saison. Avec à la clé, le titre de champion et une participation assurée à la phase de poules de la prochaine Ligue des Champions.

 

[1] Kroniek van het Belgisch Voetball, Fraiponts & Willcox, 2003

[2] https://m.facebook.com/126231514056980/posts/413692245310904/

[3] http://horsjeu.net/fil-info/la-jup-le-scandale-standard-waterschei-et-leuro-84/

[4] http://www.kaagent.be/stadion/

[5] http://www.kaagent.be/buffalo/nieuws/10-02-2014/communitywerking-in-de-ghelamco-arena/

[6] http://sportmagazine.levif.be/sport/foot-national/play-offs-ivan-de-witte-l-arroseur-arrose/article-normal-245769.html

[7] Proposition acceptée : la D1 restera à 16 clubs mais la D2 passera prochainement de 18 à 8 clubs. Initialement, De Witte souhaitait 14 équipes en D1 et 10 en D2.

Jean-Marie Pfouff

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3 thoughts on “La Jup’ : La Gantoise, championne de Belgique 2015

  1. Bien content pour Gent, qui m’a l’air d’être un club sympa. Et au moins, Anderlecht (dont les supporters sont amis avec les lyonnais, si j’en crois les vidéos de « Stadion » dans les acad récentes) n’aura pas le titre.

    La D2 à 8 clubs ? Ça va être du joli pour remodeler le système de tranches.

  2. Merci à vous deux !

    Concernant la D2 à 8, on en saura plus dans les semaines à venir. Mais ce qui a filtré semble être la solution la plus « raisonnable » : toutes les équipes s’affrontent 4 fois (donc 28 journées). Le championnat est divisé en 2 tranches de 14 journées. En fin de saison, les vainqueurs de tranches s’affrontent pour la montée.

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