Résumé des épisodes précédents : Lors des Horsjeuïades de Noirmoutier, Sophie Taillandier réussit enfin à déjouer la vigilance de l’éditeur et Louis Cifert pour se trouver seule à seule avec Guy Môquet. Sous ses yeux et par la faute d’un cuistre local, notre héros trahit alors sa vraie nature de Superacad, entrant en furie au beau milieu d’un rayon primeurs.

« Je n’ai jamais voulu ça ». Dans son appartement parisien, Sophie se répéta une énième fois la phrase qui venait de hanter sa nuit blanche. Enfin elle tenait l’identité de ce furieux violeur foot, ce Guy Môquet qu’elle soupçonnait depuis le début. Ce diable n’avait rien d’humain, et pourtant, pourtant, le garçon dont elle avait réellement fait connaissance le jour même était avenant, humble, décontracté. L’espace d’un instant, il lui avait même paru l’être humain le plus sain d’esprit, dans cet asile que pouvait représenter le groupe HorsJeu Média.

« Je n’ai jamais voulu ça »… tout en la personne de Guy Môquet semblait sincère, et cette phrase encore davantage. La policière ne se résolvait pas à livrer à ses pairs un innocent, fût-il capable de se muter en ogre sodomite. Pire, son dilemme moral s’aggravait lorsque ses pensées venaient à lui suggérer que, toute notion pénale mise à part, les victimes avaient toutes plus ou moins cherché ce qui leur arrivait.

Trois coups énergiques à sa porte interrompirent enfin son cerveau en roue libre. Le divisionnaire, accompagné de son collègue Fiori, lui firent face puis entrèrent sans lui demander la permission.

– Taillandier, vous avez cinq secondes pour m’expliquer pourquoi vous ne m’avez pas appelé hier.

En robe de chambre, encore tremblante des événements de la veille, le lieutenant Taillandier n’était pas de taille à encaisser la soufflante. Elle se mit à sangloter, ce qui ne manqua pas de désarçonner son supérieur.

Euh, Taillandier… ça va, au moins ?

– Ho, Sophie, on se réveille !, hurla un Fiori que le chef avait emmené avec lui justement pour se prémunir de tout excès d’empathie. C’est quoi le coup que tu nous as fait, là ? T’es avec eux ou avec nous ?

– Je… laissez-moi, c’était… c’était affreux, je… je…

– C’est qui alors ? C’est ton Guy Môquet qui a fait ça ? C’est lui qui a défoncé l’anus de Paul Protte et saccagé le Super U ?

– L’anus de qui ?

– Paul Protte, précisa le commissaire, le célèbre chroniqueur télé. C’est lui que vous avez… enfin, que le violeur a agressé à Noirmoutier. C’était bien votre Guy Môquet alors.

– Je… heu… oui mais non, enfin…

Bon, Taillandier, je veux bien vous aider à sortir de ce merdier où vous vous êtes mise, mais pour ça il va falloir nous donner quelques billes. Alors. Est-ce que le violeur est Guy Môquet ?

– Oui mais…

– Bien. On lance la totale : mandat d’arrêt, nouvelle perquiz chez HorsJeu, avis de recherche, contrôles…  et puisqu’on le voit sur les bandes vidéo, je n’ai même pas besoin de vous demander son portrait-robot. Elle est pas belle, la vie ?

Pour toute réponse, elle pleura de plus belle.

– Allez, mais qu’est-ce qui vous arrive ? C’est votre Editeur chéri qui est complice ? Allons, vous vous en foutez qu’on le serre, vous m’avez dit vous-même que ce n’est qu’un plan cul. Pensez à votre carrière….

– Et avant ça, pensez un peu à ne pas nous donner envie de vous foutre en g.à.v vous aussi, tant qu’à faire, ajouta Fiori.

– Ca va, ça va. Taillandier, voilà ce qu’on va faire. Nous, on fonce chez Horsjeu Média et on coffre tout le monde, y compris et surtout ce Guy Môquet. Vous, vous prétextez le traumatisme d’hier, ça ne devrait pas vous être trop difficile, et vous évitez de vous pointer au bureau avant après-demain. Et si les gardes à vue de vos copains ne nous donnent rien, vous reprenez votre infiltration comme si de rien n’était. Avec ces zouaves, m’est avis qu’on n’a pas fini d’avoir besoin de vos infos, ma petite Sophie. OK ?

En perdition, elle ne put qu’acquiescer d’un reniflement. Son supérieur poursuivit :

Mais il y a un « mais », Taillandier, un gros « mais ». J’ai été très indulgent avec vous, parce que sans vous on n’aurait jamais identifié ce salopard. Mais laissez-moi soupçonner un seul instant que vous me cachez quelque chose, que vous menez double jeu, bref, faites quoi que ce soit qui me laisse à penser que j’ai eu tort de vous faire confiance, et je vous fais coller au trou pour de bon, compris ?

***

« Tu restes planqué là : il y a tellement de passages secrets que les flics ne te trouveront jamais. Ils vont très certainement débouler dans l’immeuble d’une minute à l’autre, donc voici ce qui va se passer : nous, on va faire nos deux jours en cellule, et puis on reviendra tranquillement. Y a rien à craindre ». C’étaient les derniers mots de l’Editeur avant de m’abandonner dans les entrailles du Horsjeu Building. Me voici donc, deux jours plus tard, sorti de ma cachette, errant dans les couloirs en attendant que mes camarades aient quitté les geôles de la Criminelle.

Mes pas m’amènent régulièrement devant la porte du professeur Roazh, désormais close à jamais sur ses secrets. L’arrivée de Sophie vient me tirer de mes ruminations. Cernes sous les yeux et teint hâve, elle a tout de celle qui vient de passer de très mauvais instants. Je m’étonne de la voir libérée avant nos camarades.

Non, mais moi  je n’étais pas en garde à vue, corrige-t-elle. Ils m’ont juste posé deux-trois questions avant-hier, c’est tout.

– T’es sûre que ça va ?

– Oui, oui… après tout, je t’ai seulement vu te transformer en monstre hideux et sodomiser un chroniqueur sportif avec tout le rayon primeurs du Super U, il n’y a pas de quoi être bouleversée.

– Je… je suis désolé, c’est plus fort que moi.

– Je sais. Tu me l’as dit. Mais ça rime à quoi, tout ça ? Tu viens d’où, comment ça t’a pris ?

– J’en ai aucune idée, Sophie. Je me suis réveillé dans une chambre d’hôpital avec des superpouvoirs, c’est tout. Je ne sais rien de ce que j’étais avant.

– Et l’Editeur, il t’a expliqué pourquoi il t’a recueilli ? Il sait quelque chose ?

– Non. Enfin, je sais pas. Je sais rien. Nous sommes toujours devant le labo, dont la porte semble me narguer plus que jamais. Sophie reprend, l’air sincèrement inquiète :

Et t’as jamais songé à arrêter tout ça ? A quitter ce foutoir et essayer de reprendre une vie normale ? Loin du foot, même, si ça te met dans un tel état ?

– Je sais pas (j’ai l’impression de ne plus être capable de dire autre chose). Le peu d’identité que j’ai, c’est le foot. Le foot, et ce pouvoir d’en châtier les nuisibles. Il me reste quoi, si je le perds ?

Long silence. Sophie pose sa main sur mon poignet.

Reste pas seul, Guy. Ca va mal se terminer, si tu continues dans cette voie.

– Et toi, pourquoi ça te préoccupe autant, mon sort ? T’es arrivée chez Horsjeu Média presque en même temps que moi. Des fois je deviens parano, je me dis que tu fais partie du plan, que tu es là juste pour moi… Louis a des soupçons aussi. Je veux bien te faire confiance, mais si tu as des choses à me dire, il faut me les dire, Sophie.

Je veux t’aider, Guy. Sincèrement. Ca me fait mal de te voir comme ça. Mais c’est mieux que tu me laisses faire, je t’assure.

Si sûre d’elle d’habitude, la voici qui essuie une larme. C’est bien joli, toutes ces paroles, mais ça ne m’avance pas beaucoup plus. Je devrais peut-être la menacer, mais je n’ai pas envie de rajouter de la violence à mes sévices footballistiques ordinaires. Il ne me reste plus qu’à la prendre dans mes bras, comme si elle avait besoin davantage que moi d’être consolée.

Une joyeuse rumeur se fait entendre au bout du couloir : visiblement, la rédaction vient d’être relâchée. Le groupe d’académiciens rigole, se congratule, et l’Editeur accompagné de Louis Cifert viennent vers nous tout sourire.

Et voilà, deux jours de pause offertes par la Police nationale, et on est de retour frais et dispos ! Eh ben Sophie, t’as bien les yeux rouges ? Fallait pas t’inquiéter pour moi tu sais, ils ont eu beau nous cuisiner, ils ont trouvé que dalle contre nous. On avait eu le temps de nettoyer toutes nos archives : officiellement, rien ne nous relie à Superacad !

– Superacad ?

– Le nom de scène de notre Guy, bien sûr, annonce l’Editeur en me gratifiant d’une bourrade virile. D’ailleurs, vous allez monter avec moi, on doit quand même se faire une petite cellule de crise.

Peu après dans le bureau de l’Editeur, Louis, Sophie et moi écoutons le chef détailler la suite des opérations.

Donc Sophie, par la force des choses, tu es désormais dans le coup. C’était ça ou on te coulait dans un pilier en béton, rigole-t-il. Guy, donc, c’est Superacad. C’est l’Elu qui, grâce à ses superpouvoirs, anéantit tous ceux qui nous cassent les couilles et qui permettra ainsi le triomphe de l’Alterfoot.

– C’est quoi, l’Alterfoot ?, hasarde-t-elle.

Superacad, donc, a juste été un peu vite en besogne en massacrant Paul Protte plus tôt que prévu. C’est ma faute, je ne pensais pas qu’il fréquentait Noirmoutier avant les beaux jours. A partir de maintenant, c’est une course de vitesse contre les flics d’une part, et Menesis d’autre part.

– C’est qui, Menesis ?

– Bon, là, même si on a été relâchés, on va avoir la volaille au derche pendant un moment, donc Superacad, je pense qu’il va falloir te mettre au vert.

– Me mettre aux Verts, m’étonné-je. Je veux bien que ce soit la honte du football ces jours-ci, mais je ne vais pas aller enculer tout Geoffroy-Guichard juste parce qu’ils jouent comme des merdes ?

L’Editeur interrompt enfin sa tirade pour se pincer le haut du nez. Le pire c’est que je n’ai même pas fait exprès ; je crois que j’ai en effet bien besoin de repos.

En tout cas, ça ne va pas être pour te tourner les pouces, reprend-il. Tu vas juste aller faire un tour à Marseille ; là, tu verras Carmelus Baasz qui te donnera ta mission. Ca mettra un peu de distance entre toi et nous, ça ne sera pas plus mal pour la sécurité de l’entreprise.

– Ah. Des missions, maintenant. Et pendant combien de temps cette vadrouille ?

– Aussi longtemps qu’il le faut. C’est pas la tâche qui manque.

Je prends un temps pour digérer l’information.

Je pars avec lui, annonce alors Sophie. Louis Cifert et moi manifestons un étonnement immédiat, à la différence de l’Editeur qui semble s’en branler absolument.

Bah ouais, t’as tout deviné, tu pars avec lui, confirme-t-il. Il lui faut quelqu’un pour le contrôler, or moi j’ai pas que ça a foutre et Louis encore moins, il a un site à faire tourner. Il ne reste que toi. Evidemment vous allez pas prendre le TGV. La 106 est au garage, voilà les clés. Allez, hop, faites-moi de l’air.

***

Derrière le rail de sécurité, Sophie et moi attendons que le dépanneur accroche notre Peugeot à son camion. La fumée qui s’est mise à sortir de notre capot peu avant Lyon a fourni une heureuse diversion au silence qui nous accompagnait depuis 400 km. Sophie a rapidement compris que je n’étais pas décidé à refuser cette mission ; ce n’est pas que la chose m’enchante, mais sans Superacad je ne suis plus rien : autant aller au bout de mon destin. De mon côté, j’ai tout autant intégré le fait qu’elle ne m’aiderait en rien à en savoir plus sur mon histoire, du moins tant qu’elle restera à ce point secouée par les derniers événements. Peu décidés à échanger des banalités, nous avons donc laissé jusqu’à cette panne le chevrotement de notre vénérable voiture fournir l’ambiance sonore du voyage.

Tout change lorsque, une fois la 106 arrimée, le dépanneur nous fait signe de monter. Le jeune homme est discret et porte bien – je devine un honnête maillot de la Juve sous la veste de son garage. La cacophonie qui s’échappe de l’autoradio révèle alors son plus gros défaut : il écoute RTC. Et comme à chaque heure sur la première radio info et sport de France et de mes couilles, c’est un débat sur le football qui est au programme. Le fait qu’aucun match notable ne se soit joué depuis deux jours n’empêche visiblement pas les « experts » invités de ratiociner sur un sujet difficile à identifier.

Sentant une certaine crispation me saisir, Sophie pose la main sur la mienne. « Pense à la mission, tu sodomiseras plus important une fois à Marseille. », me susurre-t-elle. De fait, aussi insupportables  soient les goûts radiophoniques de notre secouriste, mes super-capteurs ne détectent aucune raison de lui faire subir quelqu’outrage. Je prends la situation comme un exercice de self-control et endure l’émission en silence :

Et donc, je vous pose la question, est-ce que Mbappé  est le meilleur attaquant français ? Wilfried Tacos et Jean-Pierre Brougno, votre avis ?

– Mmmmmmais, évidemment, ya qu’à voir ce qu’il fait au PSG et…

– Meuh non allons… mais non… meilleur attaquant français du moment, c’est même pas certain.

– Ah ouais, tu mets qui, toi ?

– Griezmann, évidemment !

– Griezmann, non mais enfin…

– Non mais attends, Griezmann c’est 10 buts, 8 passes décisives, c’est incontestable, dans une équipe qui a du mal.

– Oui mais Mbappé, c’est le PSG, il flambe dans une équipe qui surnage sur la ligue 1, c’est un joueur spécial

– Oui mais Griezmann

– Laisse-moi finir !  Mbappé, d’ailleurs on a demandé à Eden Hazard qui il voyait pour succéder au Ballon d’or à Cristiano Ronaldo, eh bien il a dit « pour moi, Mbappé, il est promis au ballon d’or. ». Tout le monde le reconnaît, Mbappé est exceptionnel à son âge.

– Oui mais on ne se rend pas compte de ce qu’est en train d’accomplir Griezmann en Espagne, sans doute parce qu’il est parti de France assez tôt mais c’est formidable tout ce qu’il fait. Après, lui et Mbappé ne jouent pas exactement au même poste, c’est même peut-être un peu idiot de vouloir les comparer.

– Alors je vous interromps car nous allons écouter un auditeur – qui nous a appelés au 3637 – un auditeur qui va nous donner son point de vue sur la comparaison entre Grizemann et Mbappé. Alors Medhi, pour toi, c’est qui le meilleur attaquant français ?

– Ben pour moi c’est Benzema. Il est dévoué pour l’équipe, il fait le boulot, il est parfait, pour moi c’est Benzema.

– Et il a marqué combien de buts ?

– Non mais d’accord, mais il a gagné 5 titres en étant titulaire à chaque fois, ya rien d’autre à dire.

– Oui mais ce que je veux dire

– Non mais les rythmes des équipes sont pas les mêmes

– Oui non mais non mais

– Alors figurez-vous qu’on a notre expert du foot espagnol avec nous, Frédéric Gamelle, alors pour vous Benzema ?

– C’est un attaquant complet dans le plus grand club du monde, qui fait le travail de l’équipe, qui marque des buts

– Ouais ben Grizemann le fait mieux

– Et en ce qui concerne la mentalité de Benzema – toujours sur le plan footballistique je veux dire, est-ce que

– Alors nous allons faire une pause publicitaire, n’oubliez surtout pas de répondre à notre sondage sur le site rtc.com et à nous appeler pour donner votre avis au 3637, à tout à l’heure.

S’ensuit la publicité qui, bien qu’augmentant d’un cran le volume sonore et le débit de parole, apporte une coupure salutaire à ce néant assourdissant. Le souffle court, je regarde mes mains qui ont à peine pâli. Pas peu fier de mon self control, je souris à Sophie, dont la main n’avait pas quitté la mienne. Elle aussi semble mesurer la portée de l’exploit. D’humeur soudain légère, j’engage la discussion avec notre chauffeur :

Je me suis toujours demandé comment vous faisiez pour supporter ces émissions, c’est incroyable comme ça brasse du vide.

– Ah vous trouvez ?, s’étonne le dépanneur. Moi j’aime bien, on n’a pas trop de vraies émissions de foot à la radio.

– Mais est-ce que c’est nécessaire, justement ? Est-ce que parfois il ne vaudrait mieux pas alléger la grille plutôt que de débattre sur du rien ? Quel est le meilleur entre Griezmann et Mbappé, qu’est-ce qu’on s’en tape, sincèrement.

– Ah, j’ai pas trop d’idée, moi. C’est pour passer le temps en écoutant du foot. Ah, tiens, c’est l’heure de Flavien Gazé.

Il monte le volume de l’auto-radio : c’est l’heure de la pastille humoristique, avec l’intervention de l’imitateur maison. En l’occurrence, ses talents semblent consister principalement à ne pas changer sa voix naturelle, à l’exception d’un ton légèrement plus nasillard.

Ah ben je crois que du point de vue taquetique commeu tequenique, c’est pas facile de choisir entre Grillèzeumaneu et Hemmebappé, c’est pour ça que je préfère jouer avec Momo Sissoko.

A cette saillie, notre dépanneur laisse échapper un hoquet de rire qui expédie illico mes efforts de paix intérieure au cimetière des bonnes intentions. Sophie me lâche aussitôt pour s’enfouir le visage dans les paumes, en attendant l’irréparable. Ma main bleuissante coupe la radio.

Donc, ça c’était drôle ?, interrogé-je le dépanneur.

Boh, oui, un peu mais… mais qu’est-ce qui vous arrive, vous devenez gris… mais c’est de vous qu’ils ont parlé aux infos hier, vous êtes le violeur foot !

– Appelle-moi Superacad. Et regarde la route, tant qu’à faire.

– Ne me faites pas de mal ! J’ai rien fait, moi, c’est les gars de la radio qu’il vous faut violer à mort, moi je fais qu’écouter.

– Tu leur fais de l’audience. Des millions de gens comme toi trouvent qu’au moins la moitié des intervenants sont des cons, mais vous continuez à les écouter. Ce sont les pécores comme toi qui les nourrissent, tu es aussi fautif qu’eux.

– Pitié !

– Mais rassure-toi, eux aussi vont avoir leur sanction. Et grâce à toi.

– Comment çaaaaAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Mon corps enfle jusqu’à faire sauter la ceinture de sécurité. J’arrache le chauffeur de son siège et, d’une main, le jette par le pare-brise avec un joli effet-rétro qui l’envoie sur la plate-forme de sa dépanneuse. Alors que le camion roule toujours à 110 km/h, je sors à mon tour par l’avant et grimpe sur le toit pour aller rejoindre ma proie, tandis que Sophie se jette sur le volant pour maintenir tant bien que mal la trajectoire. En atterrissant, le garagiste s’est assommé ; tant mieux, je l’aimais bien, et cela m’aurait ennuyé de le voir conscient pour ce que j’avais à lui faire. Je le saisis et l’empale sur le treuil, puis rejoins Sophie dans la cabine.

– Qu’est-ce que tu en as fait ?

– Il me fallait une plus grosse antenne, réponds-je en saisissant mon portable. Mon corps toujours difforme ne peut composer le numéro, aussi tends-je l’appareil à ma coéquipière.

Fais le 3637.

Craignant ne serait-ce que de poser une question de trop, Sophie s’exécute sans sourciller et me met en relation avec le standard de la radio RTC.

Allô bonjour, vous êtes en relation avec le Footogolo show de RTC.

– Fais-moi passer dans l’émission, tout de suite, grognasse.

– Je vous fais passer dans l’émission tout de suite.

Comme quoi, la Force qui m’anime doit être apparentée à celle de Star Wars. J’aime bien, ça évite de perdre son temps en palabres. L’animateur de l’émission, Nordine Durageux, lance mon intervention :

Et nous avons donc un nouvel auditeur qui va nous donner son point de vue sur le sujet du soir : Griezmann/Benzema, faux raciste ou vraie racaille, et André-Pierre Gignac mérite-t-il de revenir en équipe de France ?  Alors tout d’abord pardon, je n’ai pas bien compris ton prénom.

– Je suis Superacad. Je suis la voix du silence. La voix du football qui n’en peut plus de vos aigreurs, de vos déblatérations, de vos emportements sans intérêt, je suis la voix du football par le football et pour le football, je suis l’Alterfoot. J’ai empalé sur le treuil de mon camion un innocent seulement coupable de s’être laissé pourrir le cerveau par votre vacuité, et son anus sera l’instrument de ma haine toute entière tournée contre vous.

Sans cesser de conduire, Sophie m’observe d’un air interloqué, sans doute étonnée de me voir capable de telles tirades. Et encore, elle n’a pas assisté au bouquet final. Je lui fais un petit clin d’œil avant de monter le son à fond, et pose ma main sur l’auto-radio. Je me concentre, me laissant pénétrer par ces ondes qui ne font qu’attiser ma colère. Repensant au Cérébranle du Professeur Roazh, je sais que je suis capable de châtier ces nuisibles à distance. Mon corps s’illumine faiblement, des éclairs commencent à le parcourir, avant qu’une décharge soudaine n’enveloppe notre camion puis, se concentrant dans le supplicié arrimé par le fondement au treuil de sa propre dépanneuse, s’envole et se perde dans les nuages.

Ah, Je crois que nous avons perdu la liaison avec notre auditeur ? Tu es toujours là ? Tu… mais qu’est-ce que… AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH

A la radio, un grésillement définitif suit ce hurlement de l’animateur-vedette. Mon corps dégonfle, reprend sa coloration normale, et je peux me renfoncer dans le siège, apaisé. Sophie ose enfin demander des explications :

Tu leur as fait quoi, là ?

– Si mes calculs sont exacts, la rédaction a dû être saisie d’un ténesme aussi intense que fulgurant. Ils en ont pour une bonne semaine à se remettre, je crois. Tu sais ce que c’est, le ténesme ?

– J’ai appris récemment, oui. Juste, tu sais que présentement, on est sur l’A6 dans une dépanneuse qui lance des éclairs avec un mec empalé à l’arrière ? On n’était pas censés être discrets, à la base ?

– Arrête-toi à cette aire, on va se débrouiller.

Sophie s’engage dans ce qui semble le lieu le plus reculé du parking, et je saute du camion. Sans hésiter, j’avise une Clio noire on ne peut plus anonyme, à l’exception d’un petit autocollant des Bad Gones apposé au-dessus de la plaque. Je fracasse la vitre avant et m’engouffre dans l’habitacle. Sophie me rejoint et stoppe mes pathétiques tentatives de démarrer aux fils. Je me glisse côté passager pendant qu’en un tournemain, elle fait ronronner le moteur. Optimiste, j’esquisse la suite du voyage :

Voilà, vite fait bien fait. On n’a plus qu’à finir par la nationale et on devrait arriver à Marseille sans trop se faire emmerder.

On a quand même chouré sa voiture à un mec qui n’y est pour rien, nuance Sophie. Tu vas me dire que c’est une punition footballistique, ça aussi ?

– Regarde plutôt dans la boîte à gants s’il n’y a pas des CD, j’en ai marre de la radio.

– Attends voir… ah non, pas de CD dans la boîte à gants. Par contre j’ai des tracts du Bloc identitaire, si tu veux.

– Bah voilà, tu l’as, ta réponse.

***

Superacad parviendra-t-il à maîtriser encore davantage ses pouvoirs ? Sophie réussira-t-elle à l’arracher à son destin ? Quelle est donc cette mystérieuse mission marseillaise ? Vous le saurez en retrouvant le prochain épisode de Superacad contre Menesis.

Rappel des épisodes précédents : prologue (l’infirmier)ép. 1 (le pub et la vidéo)ép. 2 (les flics et les clowns)ép. 3 (le lieutenant Taillandier et le chien)ép. 4 (Horsjeu Média, l’Editeur, les gnomes numériques) ép. 5 (Les Gnomes, le Cérébranle, le premier combat avec l’Ennemi)ép. 6 (l’institut médico-légal) – ép. 7 (l’interrogatoire et les scientifiques)ép.8 (le flash-back par les agents du nettoiement)ép.9 (l’infiltration de Sophie et la tragédie de Pieryvandré) – ép.10 (les soupçons de Louis Cifert, la relation entre Sophie et l’Editeur) – ép.11 (Noirmoutier à vélo et le cuistre du Super U).

6 thoughts on “Superacad, ép. 12 : L’étau. La route. La radio.

  1. Ça veut dire que l’équipe du replay et les Gros membres vont subir ce genre de sévices car ils les écoutent et regardent pour les combattre????

  2. Exellent. Mais j’aurais aimer que super akad, super akardise un bad gones enculé de merde.
    La bises

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