L’apprenti Footballologue analyse Inter-Juventus (1-2)
Il en vaut bien sept milliards.
La croyance populaire pourrait laisser penser que pour gagner, il suffirait de faire mieux que son adversaire. De faire bien, comme si l’on était dans une compétition de bras de fer, en entrant dans un duel pour voir qui est le plus fort. Les sports d’opposition laissent pourtant la possibilité au plus faible de s’imposer, à condition de faire différemment, de choisir soi-même les règles du jeu. On y voit aussi la limite de la notion de mérite, chaque équipe tentant de faire prévaloir sa stratégie, celle-ci pouvant être volontairement négative si elle est perçue comme la plus efficace a priori.
Sans être basée sur le refus, la volonté de la Juventus a été celle du contre. Laisser venir l’autre pour mieux le prendre à revers. Et si les Turinois sont doués à ce jeu là, celui-ci n’est pas nécessairement le seul qu’ils peuvent pratiquer, ni celui le plus naturel pour eux. Avec des techniciens comme Pirlo, Vidal et Marchisio au milieu, ils ont la possibilité de jouer au plus fort, en essayant de prendre le contrôle du match. Sauf que trois mots les ont incité à ne pas le faire : Lille, Meazza et ailes.
Lille, car c’est l’exemple typique de ce qui ne fonctionne pas contre l’Inter, c’est à dire la tentative de déstabilisation sur attaques placées. Provoquer un déséquilibre en basant son jeu sur des permutations, des dribbles sur des duels en un contre un, et des centres et autres coups de pieds arrêtés, cela n’a pas marché pour les Lillois. Meazza, tout simplement parce que cette notion de match à domicile reste prépondérante dans le scénario des rencontres, a fortiori quand celles-ci impliquent une grande équipe. En quête de rachat face à ses supporters, il paraissait logique de voir Milan vouloir prendre le contrôle du jeu. Ailes enfin, car c’est le principal défaut des Interistes en défense, à condition de ne pas attendre le replacement des offensifs Nagamoto et Maicon.
Le jeu sur les côtés, c’est ce qui amène le premier but. Alors que l’Inter était en phase offensive et vient de perdre le ballon, Nagamoto oublie totalement qu’il est latéral gauche, et se retrouve en position de défenseur central. Lichtsteiner a donc un boulevard et son centre finit dans les pieds de Matri puis de Vucinic qui conclut. Quelques secondes plus tard, Matri part dans le dos de Maicon et se retrouve seul face au but, même s’il ne conclut pas. Ces actions parties du centre existent pour plusieurs raisons, toutes liées au même fait : le positionnement offensif de l’Inter. Celui-ci entraîne donc la montée des latéraux, et/ou leur replacement plus ou moins hasardeux, une charnière centrale loin de sa surface, et un Cambiasso juste derrière Sneijder voire à ses côtés.
On le voit sur les images illustrant les dispositifs tactiques, là où Pirlo, organisateur et récupérateur axial, se trouve proche de ses défenseurs et derrière le duo Vidal-Marchisio, Cambiasso est lui la pointe du trident au sein desquels se trouvent également Obi et Zanetti. Son positionnement trop avancé l’empêche d’être sur la trajectoire des balles en profondeur distillées par Pirlo, et donc de jouer tout rôle défensif, en témoigne aussi sa position 3m derrière Vucinic quand le Monténégrin ouvre le score. Même s’il rectifiera le tir au fur et à mesure du match, ses errements auraient déjà pu tuer tout suspense.
L’axe Chivu-Lucio aura lui aussi vécu son lot de déboires. Si l’époque Mourinho aura fait oublier beaucoup des griefs qui pouvaient être adressés aux deux joueurs, ils ne sont définitivement pas deux purs défenseurs centraux. Entre Chivu, trimballé entre défense et milieu défensif selon les besoins, et Lucio qui est le spécialiste des raids offensifs improbables, on n’a pas le duo le plus costaud du monde. Et face à Matri, sa conservation de balle et son jeu en déviation superbes, ils n’ont jamais pu réellement se positionner. Le but de Marchisio, en relais avec Matri, met en lumière les lacunes du duo où Lucio fait plot et Chivu cherche le meilleur endroit où se placer.
La volonté d’attaquer des locaux n’est néanmoins pas à blâmer aveuglément. Sans elle, Maicon n’aurait sans doute jamais égalisé, et plusieurs situations chaudes liées à un surnombre dans les trente derniers mètres n’auraient peut-être jamais eu lieu non plus. L’opposition de style s’est d’ailleurs caractérisée de manière très intéressante par une lutte entre un pressing tout terrain et une volonté de relancer en passes courtes. Au-delà de l’idée d’Antonio Conte selon laquelle il faut proposer un minimum de jeu, idée corroborée par le profil de ses joueurs, ce jeu court face à un adversaire qui évolue très haut est un risque contraire à l’inaction que certains voudraient accoler au championnat italien. Quand ça marche, c’est à dire quand les passes arrivent jusqu’au milieu du terrain, on se trouve dans une situation avec beaucoup d’espace, parfois avec du surnombre. A l’inverse, chaque perte de balle peut être immédiatement sanctionnée. Si une individualité peut tout annihiler, c’est le collectif qui permet de s’en sortir. Sur ce match, les deux phases auront coexisté, avec un Pirlo battu à deux reprises sur des dribbles devant sa surface, mais aussi formidable chef d’orchestre aux côtés d’un Marchisio trop haut pour influer sur le jeu. Quoiqu’il arrive, il se passe quelque chose.
Pirlo justement, est l’une des vraies réussites tactiques de Conte. Là où le physique décline avec les années, le toucher de balle reste souvent jusqu’au crépuscule des carrières. Et s’il faut avoir une dimension physique pour pouvoir s’exprimer à haut niveau, Pirlo a été placé dans un rôle où il peut s’épargner de longues courses d’avant en arrière, pour se concentrer sur ce qu’il sait faire de mieux : des passes millimétrées qui fluidifient le jeu et créent le danger. Même s’il a frisé la correctionnelle ça et là, il a réussi sa mission, être décisif.
La Juventus peut surtout se satisfaire d’un scénario de match qui lui a été favorable, avec une ouverture du score relativement rapide. Extrapoler sur ce qui se serait passer si l’Inter avait scoré en premier est vain, mais force est de constater qu’en n’ayant jamais eu à courir après le score, les Turniois se sont toujours trouvés face à un adversaire décidé à attaquer. La fin de rencontre, où la Juventus a fait tourner en attendant que l’affaire se termine, même si Matri était sorti, montre à quel point la situation de monopole du ballon n’était pas nécessairement prévue. Et si la dernière occasion chaude de l’Inter provient d’une perte de balle de Del Piero, c’est tout sauf anodin. Là où toutes les attaques précédentes reposaient sur une projection rapide vers l’avant, ici on était dans le cadre d’une attaque placée, avec donc un bloc positionné plus haut, et la possibilité de se faire contrer à son tour. En résumé, au plus les Interistes ont fait tourner devant le but turinois, au plus ils ont été amenés à se mettre dans une position les exposant à un retour de flamme. Miser sur le jeu offensif de l’autre permet de préparer la riposte.Viens à la volée, mon passing croisé t’attend.
L’Apprenti Footballologue.


Superbe!! Merci.
Très bon resumé.
C’est clair que si la tête sur la barre de Pazzini serait rentrer le match aurait été different.