Les Bleus, la presse et la FFF : une longue histoire d’amour

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Routourne vers le futur, 5e épisode

On les a sentis déçus. Battus par l’Allemagne dans un quart de finale aussi « normal » que frustrant, nos Bleus sont rentrés au pays. Mais le gratin médiatique semble rester sur sa faim. Autant il y a quatre ans, on avait de quoi vendre du papier sur les Bleus pendant des mois sans se fatiguer à décortiquer le jeu. Mais là rien. La France a tenu son rang, ni plus ni moins. Même pas l’ombre d’une petite polémique. Certes Riolo nous a rappelé, à nous les pauvres mortels qui n’y connaissons rien, qu’il y avait un problème avec cette équipe, qu’il l’avait toujours dit… Et le chroniqueur d’enfoncer le clou. Pour lui, tant que la France s’en remettra à un Valbuena, elle ne fera rien. (Ah. J’avais naïvement cru que les Brésiliens l’avaient surnommé Baixinho, soit le même surnom qu’un certain Romario. Mais le Roi Daniel doit penser qu’il s’agit d’une racaille surcotée…).
On le sent pourtant, qu’ils n’attendent qu’une occasion pour verser leur fiel. Qu’un faux pas pour accabler Deschamps. A la fédération aussi, on s’emmerde. Pas de tribunal inquisitorial à mettre en place pour suspendre les « fautifs », rien. Comment en est-on arrivé là ? Difficile à dire. Par contre, ces débats ne sont pas nouveaux. Embarquez dans ma 4L et voyez comment à chaque sortie de l’équipe de France, le psychodrame n’est jamais loin.

 

1950 : Courage, fuyons !

Après une petite parenthèse de douze ans (je reviendrai plus tard sur « l’édition 42 ») sous le prétexte fallacieux d’un conflit mondial, la Coupe du Monde reprend ses droits. Au Brésil, qui plus est. Pour se qualifier, les Bleus doivent battre la Yougoslavie. Nos gars ramènent le nul de Belgrade. Au retour à Colombes, Henri Baillot ouvre le score dès la 9e minute, mais Bobek égalise à la 44e. Nouveau match nul. Un match d’appui sur terrain neutre (à Florence) doit se disputer. En donnant l’avantage (2-1) à la France à sept minutes de la fin, Jean Luciano pense bien offrir la qualification aux Bleus. Sauf que dans la minute qui suit, Zeljko Cajkovski égalise. Prolongations. Mihajlovic marque. C’est fini. La France est éliminée. Du moins, le croit-on.
Devant l’abondance de forfaits (Ecosse, Turquie, Argentine…), la fédération brésilienne propose de repêcher la France. Un projet de calendrier est même arrêté.
Les Bleus doivent affronter l’Uruguay le 25 juin à Porto Alegre et la Bolivie le 29 juin à Recife. En apprenant cela, la FFF adresse à M. Barassi, du Comité d’Organisation, une note où elle s’insurge contre le calendrier et demande une modification avant le 5 juin, date à laquelle doit se réunir le bureau fédéral. Or, le 5 juin à 20h, à l’heure de ladite réunion, aucune réponse officielle n’est arrivée. A l’unanimité, le bureau fédéral décide donc purement et simplement… De déclarer forfait ! Ni plus ni moins.
La raison invoquée : deux matches à quatre jours d’intervalle, à 3500km de distance, sous des climats différents. Rappelons qu’en 1938, en France, le Brésil avait dû jouer dans quatre villes différentes, et ce tous les deux jours hein. La vraie raison ? Deux défaites contre l’Ecosse (0-1) et en Belgique (4-1). Sachant qu’on devait commencer contre l’Uruguay, futur champion du monde, la peur de se faire poutrer avec du gravier a été trop forte. Mais les joueurs, les principaux concernés donc, ainsi que leurs clubs, voulaient tous y aller ! Roger Marche résumé la pensée de l’équipe : « Le calendrier ne nous était pas favorable […] mais de là à déclarer forfait, il y a un océan ! ». Un océan que les Bleus ne franchiront pas, grâce à cette décision courageuse et totalement conforme à l’esprit sportif de la FFF.
En dépit des protestations énergiques des Bleus, l’Equipe n’oublie pas de rappeler que ces derniers sont les « vrais fautifs » et qu’ils ont du toupet de critiquer la décision de la FFF. Le quotidien affirme même que c’est leur « absence de foi, d’enthousiasme, d’amour de leur métier » qui a forcé la main de la fédération, avant d’ajouter : « on dirait qu’ils ne jouent plus que pour remplir un paragraphe de leur contrat. Leur âme est absente des stades ». Toute ressemblance avec des faits ayant eu lieu il y a peu n’est absolument pas fortuite.

 

1954 : « Comme des coqs en pâte »

Qualifiée sans trembler aux dépens de l’Irlande et du Luxembourg, la France se rend en Suisse pleine d’espoir. Leur groupe comprend le Brésil, la Yougoslavie (tiens donc) et le Mexique. Mais le système de « têtes de série » en vigueur à l’époque permet à la France de ne pas affronter le vice-champion du monde en titre (c’est quand même plus pratique que le classement FIFA).
C’est donc face à la Yougoslavie que les Français débutent leur Coupe du Monde. Et ça commence mal. Ce match ressemble à s’y méprendre à notre quart contre les Teutons. Un but d’entrée de Milos Milutinovic (le frère de Bora) puis des Bleus qui poussent timidement sans parvenir à arracher l’égalisation. La France débute sa Coupe du Monde par une défaite. Le duo Kopa-Glovacki est montré du doigt. Ah ces plombiers polonais tout ça…
Pour espérer une qualification, il faut battre le Mexique lors du deuxième match, avant de disputer un match d’appui contre le perdant de Brésil-Yougoslavie. Vincent et Cardenas, auteur d’un magnifique CSC, donnent deux buts d’avance à la France dès le retour des vestiaires. Mais nos gars se déconcentrent et laissent revenir les chicanos, bien aidés par quelques beaux arrêts d’Antonio Carbajal, l’homme aux cinq Coupes du Monde disputées (oui Matthaus aussi mais bref). Un pénalty de Raymond Kopa à deux minutes de la fin donne la victoire aux nôtres.
Sans avoir vraiment brillé, les Français attendent le résultat de Brésil – Yougoslavie. Mais 28 ans avant le match de la honte, les deux équipes se séparent sur un score nul, sans vraiment avoir forcé. Et ce malgré la prolongation (Car oui à l’époque, on était des hommes, des vrais, en cas d’égalité dans le temps réglementaire, même au 1er tour, on jouait une prolongation).
Avec le sens de la mesure qui le caractérise, notre fameux quotidien-sportif-en-situation-de-monopole-mais-qui-malgré-tout-est-en-chute-libre réalise une double page intitulée « comme des coqs en pâte » et critique de façon acerbe l’état d’esprit de nos représentants. Le cadre du château de Dully est supposé avoir été plus propice au repos qu’à la préparation, photos de Mahjoub et Ben Tifour dans un transat ou de Vincent jouant au minigolf à l’appui. Un des membres du staff révèle d’ailleurs que « les joueurs n’écoutaient pas nos conseils et préféraient la pétanque ». Nos joueurs sont présentés comme des joyeux branleurs qui ont perdu par manque d’envie, d’amour du maillot… Là encore, toute ressemblance avec des événements ayant eu lieu il n’y a pas si longtemps est tout sauf fortuite. Bon le contexte de défaite en Indochine (Mendès France négociait d’ailleurs à quelques kilomètres de là avec des représentants du Viet Minh et Molotov sur ce qu’on appellera les accords de Genève) et un léger sentiment nationaliste bafoué n’ont pas dû aider, cela dit.

 

1966 : Béton or not Béton, there is the question

Après huit ans hors du Mondial, nos Bleus sont de retour après avoir écarté en qualifications la Norvège, le Luxembourg et surtout notre bête noire yougoslave. Pour la World Cup anglaise, nos gars se retrouvent dans le groupe du pays hôte, de l’Uruguay, qualifié facilement mais absent en CDM depuis douze ans et du Mexique. Pas un groupe facile, mais compte tenu de la saison des Nantais, et surtout celle de Philippe Gondet (36 buts !), on se dit que ça devrait passer. Mais l’équipe de France tombe dans le piège mexicain et ne prend qu’un point (1-1), après que Gérard Hausser manque la balle de match, avant de s’incliner sans gloire contre l’Uruguay (1-2). Perdu pour perdu, la France donne tout contre les Rosbeefs mais se fait blesser rapidement Herbin et Simon, merci Norbert Stiles (pas de changement possible à l’époque) et encaisse deux buts étranges (notamment le 2e, inscrit juste après l’agression sur Simon). Un sursaut d’orgueil malheureusement beaucoup trop tardif.
Dans le genre « Mondial foiré », celui-ci est en bonne place, tant le décalage entre les espoirs et les résultats fut important. La préparation dans un manoir à Peebles, en Ecosse, l’absence de rencontre avec des grosses équipes avant le début du tournoi et l’engagement de l’équipe sont pointés du doigt. Surtout, plus que l’attitude des joueurs, c’est le système de jeu voulu par le trio Guérin – Jasseron – Domergue, qui a causé la perte des Bleus. Demander de jouer le Béton (un 4-3-3 plutôt physique) à des Nantais évoluant toute la saison dans un 4-2-4 offensif, c’est une hérésie. C’est un peu comme affronter les Iles Féroé avec deux milieux défensifs. Encore une fois, notre quotidien préféré insiste bien là-dessus en titrant « Guérin ne peut fuir son procès ». Puis, voyant que le sélectionneur en chef n’est pas disposé à partir, « Guérin inconscient ou masochiste ». Le coup de grâce est asséné par une interview du président de la FFF, Chiarisoli, par Jacques Ferrand. Chiarisoli explique au journaliste que les coaches ont eu tout ce qu’ils voulaient, que la fédération leur a toujours fait confiance, sous-entendant que cette confiance a été trahie.
Encore une fois, incapables de se dire que si on a perdu, c’est comme ça, médias et officiels de la fédération font de cette élimination un véritable psychodrame. Toute ressemblance avec des événements récents bla bla bla.

Il y a d’autres exemples (comme le magnifique retournement de veste entre avant la compétition en 1958 et les « héros » Bleus peu de temps après, 1993, la campagne anti-Jacquet…) mais ceux-ci m’ont paru suffisamment marquants et méconnus pour illustrer cette chronique. Si d’autres histoires vous reviennent, je suis preneur. Tout ça pour vous montrer que si on a l’impression que les médias et la FFF en font trop autour du moindre faux-pas de nos Bleus, c’est tout sauf une nouveauté. A quand cela remonte-t-il ? Avant la guerre, notre image de perdants magnifiques semblait correspondre à ce que voulait l’Auto, enfin jusqu’à la Coupe du Monde chez nous en 1998. Là, quelque chose a changé, on a semblé attendre de nos gars qu’ils triomphent alors que bon, taper les Italiens dès les quarts, c’était pas l’idéal… Les caricaturistes de l’Auto s’en donnent d’ailleurs à cœur joie (« Allez vous rhabiller ! »). Comme si seule une victoire finale de la France pouvait trouver grâce à leurs yeux. Quoique. Demandez à Jérôme Bureau

 

Johny Kreuz

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