Superacad, ép. 16 : Le plan de bataille. Les révélations. La dépression.

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Ce n’est pas le Messie, c’est juste un pauvre con.

Résumé des épisodes précédents : Superacad et Sophie mettent à profit le trajet de retour à Paris pour se découvrir, et planifier la suite des événements. Manquant de justesse de commettre l’irréparable sur son amie, Superacad parvient finalement à rallier le HorsJeu Building.

C’était donc lui, Jérémie Lattayollah… Il avait déserté les bureaux du Horsjeu Building bien avant que je n’y émerge, mais son ombre tutélaire semblait planer sur de chacun de mes camarades académiciens. L’Alterfoot… personne n’avait jamais su expliquer ce dont il s’agissait mais une seule chose était certaine : Jérémie en était la conscience. Biberonné à la satire, il avait fini par déployer ses ailes d’intellectuel loin au-dessus de nos blagues de bite. Certains y avaient vu un reniement. D’autres, les plus nombreux, se réjouissait de voir la Cause gagner grappiller des parts d’audience.

De fait, en tant que contradicteur rassurant, le quinquagénaire avait su gagner son ticket d’entrée dans les publications respectables : une sorte de vitrine politique de nos valeurs, pendant que je m’occupais d’animer le canal clandestin en enculant à tour de bras. Sa présence ici ne laisse pas de me surprendre, semblant marquer pour le moins une certaine inflexion stratégique de l’Editeur. J’ai cependant d’autres urgences en tête :

Oui, bonjour, content d’enfin te rencontrer, expédié-je l’invité avant de me tourner vers le patron. Bon, Eddy, je vais la faire courte : on a les flics qui débarquent dans 5 minutes maximum et ils ont ce qu’il leur faut pour nous mettre en taule à vie.

Ses traits prennent en un instant la dureté sereine du chef d’entreprise. Action-réaction, comme il a coutume de dire dans ses team-meetings :

– OK. Jérémie, tu prends la sortie secrète n°8 et tu pars à l’émission. Toi, tu me suis dans la panic room.


Tandis que Lattayollah s’éclipse sans plus de cérémonie, Eddy se lance dans les couloirs. Deux minutes de petites foulées nous conduisent à travers les méandres du Horsjeu Building jusqu’à cette salle de crise. Deux minutes de trop pour moi, en manque dramatique de bière et sortant juste d’une course à travers Paris. Je m’agenouille pour reprendre mon souffle, avant de relever les yeux. Je m’étais promis de ne plus m’étonner de rien, mais ce diable d’Editeur parviendra encore et toujours à me surprendre : c’est le laboratoire qui nous fait face, cette fameuse pièce hermétique depuis le départ de son occupant, le professeur Roazh.

Le patron met un terme à mon étonnement en tirant une 8.6 de sa poche, qu’il fait rouler dans le couloir. Avide, je me jette sur la canette que j’ingurgite d’un trait, boîte métallique comprise. Une demi-seconde pour me désaltérer, suffisant pour que l’Editeur ouvre à mon insu cette porte que tout le monde croyait inviolable jusqu’à la fin des temps. Un mage. Convaincu depuis toujours que cette pièce recelait la clé de mon histoire, voici que je me tiens comme un gland devant l’ouverture béante. Un coup de pied au derche me précipite à l’intérieur du labo, avant que l’Editeur ne referme et nous isole du monde.

Voilà. Garantie infranchissable. Deux personnes au monde savaient comment entrer : Roazh et moi.

– Bah… on m’a toujours dit que tu t’étais escrimé des jours sur la porte sans savoir l’ouvrir ?


L’Editeur me retourne un regard mi-bienveillant mi-navré, le même qu’une Maman constatant que son fils vient de découvrir à 12 ans l’inexistence du Père Noël. Soit. J’espère en tout cas que les révélations ne s’arrêteront pas en si bon chemin. Le laboratoire est une pièce d’une cinquantaine de mètres carrés, sans doute elle-même dotée d’autres recoins secrets. Une demi-douzaine d’ordinateurs et d’écrans d’un côté, une paillasse et quelques armoires riches d’ustensiles et produits divers, des étagères pleines d’archives, un frigo à bière et quelques doubles-pages détachées de magazines porno punaisées au mur, tel était donc l’antre du Professeur Roazh. Je déambule, m’approchant des étagères chargées jusqu’à la gueule de dossiers et  paperasses divers, tandis que le chef s’affale sur une vieille chaise. Il est toujours muet, et pas décidé à entamer la conversation.

Et donc, Eddy, ce soir c’est le grand soir ?, hasardé-je.

– Ouais. Marre d’attendre. T’as attiré tous les flics du pays avec tes joyeusetés, on va plus pouvoir tenir.

– Hein ? Comment ça, J’AI attiré ? Mais c’est toi qui m’as…

– La ferme. J’ai congédié tous les académiciens, enfin tous ceux qui ne se sont pas enfuis d’eux-mêmes. Ya plus personne dans les locaux. T’es rentré de Marseille je sais même pas comment et t’es une loque qui pue la merde. J’ai même pas de nouvelles de Sophie.

– Ah bah, heu, c’est-à-dire que Sophie, heu…

– J’ai pas fini. J’en ai marre de ces conneries. J’ai passé 35 ans et qu’est-ce que je fais de ma vie ? Pipi-caca-prout et enculade de méchants. Ca fait des années qu’on se fait passer pour des punks alors qu’on n’a jamais franchi le niveau « moyenne section de maternelle ». Marre. Et pendant ce temps, l’autre con de Menesis, il prospère comme jamais. Donc je tente le tout pour le tout.

– Avec Lattayollah ?

– Ben oui. Il a déjà ferraillé avec eux, et surtout il a des arguments qui s’élèvent au-dessus du trou du cul, lui.

– Non mais attends, t’as toujours dit qu’il était incapable de convaincre n’importe quel auditeur à plus de 800 mètres d’un bar à smoothies.

– T’inquiète. J’ai récupéré tous les stéroïdes que j’ai trouvés dans le labo et j’ai passé la matinée à les lui injecter dans le fion, ça lui donnera de la force. Après manger, on a révisé la bible des reparties, celle qu’on remet à chaque académicien à son arrivée. Il a passé deux heures à répéter des vannes à base de « ta mère » et de « dans ton cul », ça l’aidera enfin à toucher les bacs moins 12.

– Mouais…


À deux doigts de m’engager dans une violente discussion quant à la pertinence ou non d’envoyer au front l’éditorialiste sacré, je m’abstiens en prenant conscience d’un fait essentiel : je me tape complètement de savoir qui est le plus apte à défier Menesis. Je suis juste jaloux. Jaloux et inquiet, surtout, puisqu’en laissant Superacad sur la touche, c’est toute mon existence qui se trouve dépourvue de sens.

– Et Superacad, dans tout ça ?

– Bah j’en sais rien. Honnêtement, j’en sais rien.

– Comment ça, t’en sais rien ?

– J’en sais rien ! Voilà ! Tu fais chier, merde !, me crie-t-il, au bord des larmes.


Naguère si triomphant en toutes circonstances, voici que l’Éditeur me fait sa petite déprime au moment où ça m’arrange le moins. De tous les contre-pieds qu’il m’a fait endurer, celui-ci s’avère de loin le moins supportable.

– Non mais ho, tu me fais quoi, là ? Tu te fous de ma gueule ? Tu crois que c’est le moment de me faire ta crise existentielle, là. Gnagnagna, je suis un raté, j’aurais voulu être un artiste… et mes couilles, aussi, non ? Qu’est-ce que je devrais dire, moi ? D’accord, je fais chier. D’accord, je devais sauver ta connerie d’Alterfoot et du jour au lendemain je sers plus à rien. OK. T’es pas à un revirement près. Mais merde, tu me dois un peu plus que ça, non ? Et pourquoi tu m’as emmené dans ce labo et pas ailleurs ? Il y a une soixantaine d’autres pièces cachées dans l’immeuble, non ? T’as un truc à me dire ?

Il me désigne d’un air las l’étagère des archives. Je me mets à la recherche du document sacré, n’hésitant pas à expédier à terre des monceaux de papiers arrachés des rayonnages. Une chemise rouge, remplie à en craquer, m’aguiche de son étiquette « Superacad ». Nous y voici.


M’asseyant à côté de l’Éditeur, j’entreprends la découverte de mes origines. Un élastique cède, répandant au sol tout le contenu de la pochette. Articles de presse, photos de mauvaise qualité, tableaux chiffrés, schémas d’expériences inconnues… le foutoir. Eddy ramasse un article du Parisien daté d’il y a trois ans. « Étudiant disparu : un simple chagrin d’amour ». Une grande photo d’illustration montre la devanture du Cork & Cavan, le pub où j’ai commis mes premiers exploits superacadiens ; en plus petit, une autre photo ; ma photo.

« Retournement de situation dans la disparition inquiétante de Brian D. Dans un courrier parvenu à son ex-petite amie, l’étudiant déclare avoir fui volontairement et appelle son entourage à ne pas s’inquiéter. »

C’est quoi ces âneries ?, m’enquiers-je à la lecture de ce chapô.

Oui, bon, on n’a rien trouvé de mieux sur le coup. Mais c’est passé.

– Mais quoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu vas me le dire où je vais devoir fouiller tout ce tas de papier pour toujours comprendre que dalle ?

Un long soupir l’aide à prendre son élan.


– OK. Au départ c’était un accident. Juste un putain d’accident. Des stagiaires comme toi, on en a emmené des vingtaines au pub avant toi. On les a fait picoler comme toi, on a eu des comas éthyliques, des accidents, une agression sexuelle, je crois. On a même eu deux fois des plaintes de la famille. Mais là je sais pas ce qui s’est passé. Je sais plus le match qu’on avait regardé, de la Ligue des Champions je crois. Tu faisais ta première semaine de stage chez nous, et on avait bu comme des trous pour fêter ça. Je sais pas, peut-être que t’étais plus fragile que les autres… ou non, c’est vrai, c’est Grolyonnet qui avait amené en douce un alcool de chez lui. C’est pour ça qu’on était tous plus fracassés que d’habitude. Dès qu’on est sortis du pub, t’as fait un gros vomi et tu t’es écroulé dedans. Et je sais pas pourquoi, ça a déclenché la gerbe à tout le monde. On a tous vidé nos estomacs sur toi, qui étais en train de ramper sur le quai. J’ai jamais dégueulé comme ça, putain, et les copains, pareil, on n’a rien compris. La dernière chose dont je me souvienne, c’est de t’avoir vu entièrement recouvert, ça faisait comme un tas de vomi qui se tortillait.

Un haut-le-cœur me saisit. Je regarde machinalement mes mains, persuadé de sentir la bile chaude sur ma peau. En tout cas, je n’ai aucun souvenir de ce qu’il raconte.

Et après ?

– Après… ben en ce qui nous concerne, le trou noir. De ce qu’on nous a dit, c’est les gars du bar qui ont appelé le SAMU en voyant qu’on comatait sur le trottoir, on s’est tous réveillé à l’hôpital après un lavement gastrique.

– Et moi ?

– Aucune idée sur le coup, on était tellement paf qu’on avait même oublié que t’existais. C’est deux jours après que ton ex a appelé au bureau en demandant où t’étais. Ton ex ou ta copine, je savais pas bien, vous étiez pas en super termes à l’époque. En tout cas c’est là qu’on s’est souvenus de toi, ya Cifert qui a fait « meeeerde, le stagiaire, c’est vrai », en se tapant le front.

– J’avais une copine, moi ?

– Oui, bon, au ton qu’elle avait en appelant, si c’était encore ta copine yen avait plus pour longtemps. Elle était même pas inquiète d’ailleurs, elle pensait juste que tu te planquais. C’est ce qui nous a donné l’idée du courrier.

– Du courrier ?

– Bah ouais. Je sais pas ce que tu lui avais fait mais elle voulait vraiment te choper, c’est pour ça qu’elle a quand même été voir les flics et le Parisien pour ta « disparition inquiétante ». Pour pas être emmerdés, on s’est servis de l’équipement que les communistes nous avaient laissés ici pour pondre un faux courrier et rassurer tout le monde.

– Sans blague. Et un truc aussi gros, ça a marché comme ça, sans que personne ne pose de questions ?

– Sans anicroche. Désolé de te le dire comme ça, mais t’intéressais pas grand monde, en fait. Quand ils ont été mis au parfum des événements du bar, les condés ont fait sonder le canal pour chercher ton corps, sans succès. Faut dire que d’après les calculs de Roazh, si t’étais tombé au fond de l’eau, le vomi aurait précipité dans un genre de truc gluant et dégueu… le truc qui ressemblait à tout sauf à un cadavre humain. Les plongeurs ont dû passer devant sans le remarquer.  On a juste dit aux flics qu’on était sans nouvelles de toi depuis ce soir-là. Ils nous ont engueulés de ne pas les avoir prévenus avant mais ça s’est arrêté là.

– Bah et ma copine ?

– Pareil. On lui a envoyé le courrier, on l’a plus revue. Ca l’a peut-être fait chier sur le coup, mais elle t’a oublié, comme tout le monde.

– Comme vous aussi ?

– Ouais, je te confirme. J’en ai jamais rien eu à branler des stagiaires, j’allais pas commencer avec toi. Sauf que Roazh, lui il t’a pas oublié, dès qu’on était sorti de l’hôpital je l’ai vu tripoter des trucs et des machins, passer des nuits dans son labo. Il est venu me voir une semaine plus tard en me disant « tu sais, le stagiaire… il est peut-être pas mort, et ça peut être intéressant pour toi ».

– Tu veux dire que j’ai passé tout ce temps au fond du canal et que le vomi m’a protégé comme un… un sarcophage ? C’est n’importe quoi !

– Écoute, c’est pas moi le scientifique, hein, c’était le prof. Et il déconnait pas totalement, puisque t’es là aujourd’hui. Je savais pas, mais au fond du canal, il y a vraiment un tas de saloperies incroyables, des produits chimiques, des métaux lourds, je sais pas quoi d’autre… Et Roazh s’est mis à aller discrètement devant le pub et à verser des trucs en plus… je sais pas quoi, des résidus qui dataient dans les armoires, ça devait venir du KGB à l’époque des anciens proprios…

– Mais pourquoi faire ?

– Il voulait vérifier une théorie, un de ses trucs tordus selon lequel le mélange des bons produits pouvait produire des effets sur le corps humain, et tout. Il m’a dit qu’en te repêchant, on avait une toute petite chance de faire de toi quelqu’un d’assez fort pour éradiquer Menesis.

– Ben pourquoi vous m’avez pas repêché alors ? Trois ans que je suis resté au fond de la flotte, c’est ça ?

– Dis, oh, c’est pas la première fois qu’on a une idée géniale et qu’on passe à autre chose sans la finir, hein. On a vaguement cherché comment ça se passait pour des engins de levage, on s’est un peu demandé comment faire pour te sortir discrètement, puis comme on en a eu ras le cul, on a laissé tomber.

– Attends, genre je suis l’Elu, tout ça, celui que vous attendiez tous pour triompher, et vous m’avez laissé mariner 3 ans dans la vase et la gerbe juste parce que vous aviez la flemme ? Et quand vous sortiez du pub, vous pissiez dans le canal au-dessus de moi, tant que vous y êtes ?

– Ah oui, ça c’est un rituel, confirma l’Editeur.


Putain, je le giflerais. Je ne suis rien maintenant, et je n’ai même plus la consolation d’avoir été quelqu’un dans ma vie d’avant. Et le pire, c’est que je m’appelais donc Brian. Quelle misère.

Ah, il y a un truc que je ne t’ai pas dit, achève l’Editeur. Un truc assez moche.

– Quoi encore ? Je faisais de la danse de salon ? J’étais supporter de Chelsea ?

– Tu sais, on avait des stagiaires venus de tous les horizons. Certains à la rédaction, d’autres au développement commercial, d’autre au juridique. On dirait pas, mais ça brassait, chez nous.

– Oui, et ?

– Eh bien toi, tu venais de… d’une …

– Oh non. Non, ne dis pas ça.

– … tu étais étudiant en école de commerce, oui.

– NOOOOOOOOOOOOOOOOON !


***

Enfin vautrée sur son fauteuil, Sophie Taillandier savoura ce trop rare instant de calme. Le divisionnaire, qui lui promettait pourtant une soufflante mémorable, s’était instantanément liquéfié en la voyant arriver à l’hôtel de police hors d’haleine, à l’état de serpillère. Elle s’était effondrée aux pieds des plantons, dont un l’avait heureusement reconnue et menée au chef. Comme l’avait prévu Guy, son aspect suffit à leur faire avaler tout le scénario prévu. Le lieutenant Taillandier avait donc été séquestrée par cette pourriture dénommée « Superacad », à laquelle elle avait fini par échapper en manquant de justesse de se faire violer.

Imprévue dans le script initial, cette dernière anecdote avait le mérite de la véracité et avait fini par convaincre le divisionnaire Durand. Celui-ci avait tout de même pris soin de demander à Sophie si elle avait besoin qu’on l’emmène à l’hôpital. Sa subordonnée avait décliné : elle voulait juste être seule, et son bureau ferait bien l’affaire. Le patron ne se l’était pas fait dire deux fois et avait aussitôt pris son téléphone : « Fiori ! Vous embarquez toute votre cavalerie et qui vous savez, on file chez Horsjeu Média. Sophie vient de revenir, elle m’a tout expliqué, on a de quoi les coffrer pour de bon. A tout de suite. »


Il l’avait plantée là avant de partir à l’assaut du Horsjeu Building. Sophie ne savait plus bien ce qu’elle devait souhaiter à Guy. Tendre et attentionné comme personne avec elle, il ne l’avait plus reconnue une fois transformé en Superacad. Voire ! après tout, ne l’avait-il pas épargnée in extremis, en envoyant le capybara d’un demi-quintal fracasser la porte du camion au lieu de dévaster son anus ? Ce qui la contrariait le plus était de le savoir très probablement en compagnie de l’Editeur, à cette heure. Soit Fiori et ses bourrins ne parvenaient pas à mettre la main sur les deux compères, ce qui était le plus probable, et Eddy continuerait librement à manipuler Guy vers on ne sait quel but. Soit ses collègues parvenaient à les agrafer, et « le violeur foot » serait bon pour fréquenter les geôles françaises jusqu’à un âge avancé. Quoi qu’il en soit, tout ce qui se passerait désormais n’était plus de son ressort.

L’enchaînement des événements avait conduit Sophie à perdre la notion du temps. Elle se souvint que l’on était dimanche. « Jour de match », pensa-t-elle par réflexe, presque nostalgique de ses instants passés comme rédactrice infiltrée. Par curiosité, elle sortit à la machine à café du couloir, où elle savait qu’une bonne âme déposait quotidiennement l’Equipe. Un bon derby des familles était promis pour ce soir, Lyon-Saint-Etienne. Mais ce qui attira son attention fut cet entrefilet, annonçant l’invité du traditionnel talk-show qui encadrait la diffusion du match : Jérémie Lattayollah.


Son repos trop court n’empêcha pas Sophie de faire remonter aussitôt ses neurones dans le rouge : Lattayollah était le mentor des rédacteurs de Horsjeu Média, plus enclin à proclamer ses idéaux dans des publications haut-de-gamme qu’à les défendre dans la fange du prime-time. De ce qu’elle en avait entendu dire, il avait assurément l’égo nécessaire pour se croire de taille à combattre Menesis sur son terrain. Mais de là à aller réellement au carton, et précisément aujourd’hui… Qu’il s’agisse ou non d’une nouvelle entourloupe fomentée par l’Editeur, le duel promettait dans tous les cas ce genre d’étincelles propice à la venue du monstre gris sodomite. Pas si tôt, pas déjà…

Sophie trouva la force de rentrer chez elle et de prendre une douche. Elle s’habilla, puis ouvrit le coffre où dormaient sa carte de police et son arme de service. Elle allait retrouver Guy, ou au moins Superacad, bien plus vite que prévu.


***

C’est maintenant l’Éditeur qui se tient debout au-dessus de moi, sa main paternelle posée sur l’épave que je suis, prostré sur sa chaise la tête entre les mains. Me démolir semble lui avoir redonné des forces, à ce pervers. Lui et ses potes m’ont tué, ils m’ont ressorti de l’eau pour mieux m’anéantir.

– Au fait Eddy, moi aussi j’ai un truc à t’apprendre, lui dis-je de but en blanc dans une tentative pathétique de me montrer aussi sadique que lui. Sur Sophie.

– Ah ouais ? Raconte.

– Elle est flic, elle était chargée de nous infiltrer. Et on sort ensemble. Et elle a tout balancé aux condés, qui vont venir nous cueillir d’un instant à l’autre.

– Ah. Et donc, ces révélations sur Sophie ?

– Beuh… Elle est flic.

– Oui, et vous êtes amoureux. C’est mignon. Tu veux quoi, elle t’a dit de me demander pour un plan à trois ? Je suis pas contre.

– Euh non, mais… euh… la trahison, tout ça, ça ne t’ébranle pas un peu ?

– Ecoute, du temps où elle était là, elle a écrit de bons articles, et en plus elle suce divinement bien. Ca valait le coup. Et pour les flics, qu’est-ce que tu veux qu’il se passe. De toute façon, Sophie ou pas, ils foutent la pression sur le groupe quasiment depuis le début de l’affaire. Ils arrivent et cette fois ils ont des preuves ? Qu’est-ce qu’on s’en branle. Comment tu veux qu’ils nous trouvent ?


Un « bip » interrompt la discussion. La porte s’ouvre. J’ai à peine le temps de jeter un œil  interrogateur à Eddy, qui n’a pas davantage l’air d’y comprendre quoi que ce soit, avant qu’une douzaine d’hommes en noir ne se ruent dans la pièce pour nous plaquer au sol.

POLICE ! Bougez pas espèces d’enculés.

– ‘mmmandant Fiori, mpfait mplaisir de mfvous revoir, parvient à marmonner l’Editeur, une rangers pointure 45 écrasée sur sa mâchoire.

En deux dixièmes de secondes, nous voici à plat ventre et menottés les mains dans le dos, surplombés par un flic tout sourire.

Ah vous faites moins les malins, bande de petites putes, hein. On sait tout. Et toi… toi, dit-il en me désignant, c’est même pas la peine d’essayer d’enculer quelqu’un. On a composé la brigade spécialement pour toi, il n’y a pas un seul de mes gars qui s’intéresse au foot, qui a un avis sur le foot, qui sait que le foot existe. Ils sont niqués, tes superpouvoirs, conclut-il.

Une brigade composée exprès pour moi ? Même si Sophie s’est empressée d’aller leur balancer toutes ses infos comme convenu, le délai paraît un peu juste. Si l’on ajoute la porte supposée inviolable qui vient de s’ouvrir comme par magie, la police est décidément pourvue de connaissances surprenantes. De fait, derrière un type en gabardine qui doit être le grand chef de l’opération, la confirmation émerge. S’il a conservé son air narquois, son visage s’est durci jusqu’à prendre un air franchement mauvais. L’Editeur brise la glace :

Roazh !? T’as tout donné aux flics ? Mais putain, qu’est-ce que t’as foutu ?

– Fallait pas enculer mon chien.


***

L’Éditeur et Superacad vont-ils tomber en dépression nerveuse ? Les stéroïdes suffiront-ils à Jérémie Lattayollah pour sauver l’Alterfoot?  Va-t-on enfin retrouver un peu d’action et d’enculades, ou bien cette histoire va-t-elle virer au film d’auteur français ? Vous le saurez en retrouvant le prochain épisode de Superacad contre Menesis.


Rappel des épisodes précédents : prologue (l’infirmier)ép. 1 (le pub et la vidéo)ép. 2 (les flics et les clowns)ép. 3 (le lieutenant Taillandier et le chien)ép. 4 (Horsjeu Média, l’Editeur, les gnomes numériques) ép. 5 (Les Gnomes, le Cérébranle, le premier combat avec l’Ennemi)ép. 6 (l’institut médico-légal) – ép. 7 (l’interrogatoire et les scientifiques)ép.8 (le flash-back par les agents du nettoiement)ép.9 (l’infiltration de Sophie et la tragédie de Pieryvandré) – ép.10 (les soupçons de Louis Cifert, la relation entre Sophie et l’Editeur) – ép.11 (Noirmoutier à vélo et le cuistre du Super U) – ép.12 (La route et l’incident radiophonique) – ép.13 (La mission marseillaise) ép.14 (Marcelo Bielsa et le retour au zoo) ép.15 (Le retour à Paris dans la camionnette à capybaras).

5 thoughts on “Superacad, ép. 16 : Le plan de bataille. Les révélations. La dépression.

  1. Terrible trahison, mais c’est dur d’en vouloir à Roazh. J’adore les bêtes (je parle du chien hein).

  2. Bordel… La chute !
    Faire un L.A.T.A. pour abréger nos souffrances, c’est malin.

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