Churchill écrivait dans ses mémoires : « Le succès n’est pas final. L’échec n’est pas fatal.
C’est le courage de continuer qui compte »
Et du courage, il n’en manque pas Pietro.

Il y a des destins extraordinaires, des histoires fabuleuses qui semblent avoir été inventées et scénarisées pour vendre des livres ou pour remplir les colonnes des journaux. Nous nous intéressons aujourd’hui à une de ces histoires, à une légende du football Italien, à un défenseur à l’ancienne à la longévité exceptionnelle, au capitaine de route, à un homme de principe et de valeurs morales. Pourtant, avec le temps, son nom semble s’effacer petit à petit des mémoires. On se rappelle bien davantage de Franco Baresi, d’Alessandro Costacurta ou encore de Bergomi. Pourtant Pietro Vierchowod a une vie et un parcours hors du commun. Permettez-nous de vous raconter son histoire.

Un Soviétique à Bergame

L’histoire commence en Europe de l’Est. Ivan Luchianovic Vierchowod travaille dans une fonderie collectiviste dans la banlieue de Kiev. L’Ukraine est souvent présentée comme le grenier de l’Union Soviétique mais on oublie souvent de préciser son importance essentielle dans l’industrie sidérurgique. Ivan Luchianovic travaille pour l’Etat et pour le parti mais il sait bien que son labeur nourrit avant tout les oligarques communistes. Il vit à Ricovo dans des immeubles construits par le régime, dans une petite boite parmi les petites boites, dans la misère et le dénuement le plus total.

En 1940, l’Union Soviétique entre en guerre par la force des choses. Hitler rompt le pacte de non-agression. Ivan Luchianovic se trouve alors incorporé sur le front slave et italien. En 1943, son unité est défaite sur le front italien. Il est fait prisonnier et envoyé puis promené dans des prisons d’État en Italie à Bolzano, Pise ou Modène. Il sera libéré après la chute de Mussolini. Sa décision est prise, les prisons italiennes valent mieux que sa banlieue tristounette. Il restera. Il refuse de repartir et rejoindre sa famille en Ukraine.

Il s’installe à Spirano, une petite bourgade à quelques kilomètres de Bergame. Il parvient toujours à dénicher des petits boulots comme concierge ou vendeur de légumes sur les marchés. Le jeune homme accepte tout. Pour faire simple, Ivan est un débrouillard. Il ne connaissait pas tous les mots, toutes les subtilités de l’italien, il peinait parfois à se faire comprendre mais le garçon sait y faire et l’amour est sans frontière.  Il rencontre une jolie Italienne du cru. Le couple se marie et ce qui devait arriver arriva, nos jeunes tourtereaux attendent rapidement un heureux évènement. Ivan décide alors de s’installer pour de bon. Le couple et le jeune bambin (il s’agit de Pietro pour les andouilles qui n’ont pas encore compris) quittent Bergame pour un poste de mécanicien dans l’usine de Rimi, à quelques kilomètres du lago di garda. Le jeune Pietro va y grandir et s’y épanouir. Mais Pietro ne réussit pas très bien à l’école. Son père décide de le mettre au boulot. On ne glandouille pas chez les Vierchowod.  A seize ans, Pietro devient ouvrier. Avec l’aide de son paternel, Il entre à l’usine comme mécanicien. C’est bien le football mais ça ne nourrit pas son homme.

Les étoiles dans le Como

Pourtant, à tout juste seize ans, Pietro Vierchowod tape déjà dans l’œil des recruteurs de toute la Lombardie. Il part même faire un essai au Milan AC. Il ne sera finalement pas retenu parmi les chanceux. Il évolue encore à Romanese en catégorie de jeunes. Quand il a le temps, il évolue avec l’équipe première en Serie D. A chaque fois qu’il entre en jeu, le gamin écœure des pères de famille et les stars locales avec un aplomb impressionnant. Dur sur l’homme, Pietro sait aussi se débrouiller avec le ballon. Forcément, ça ne passe pas inaperçu. En juin 1976, Como lui propose un contrat et l’espoir d’une carrière loin de l’usine. Pietro quitte un lac pour un autre. Il intègre dans un premier temps la Primavera. Il n’y restera pas longtemps. Il lui suffira d’une seule année pour convaincre le staff de l’équipe première. Como vit une saison galère, la descente en série C1 est inéluctable. Notre gamin en profite pour s’installer dans le cœur de la défense. Sa seule présence rassure. I Lariani remontent aussitôt en Serie B avant de retrouver l’élite à la surprise générale dès la saison suivante. La Sampdoria de Gênes flaire la bonne affaire. Malgré une situation sportive compliquée, les Génois parviennent à faire signer Pietro. Mais la Sampdoria est empêtrée dans le scandale et le doute, la Serie B leur tend les bras. Le défenseur préfère rester une saison de plus dans le lario. Il aura tout le temps de découvrir le port de Gênes.

Nous sommes en 1980, Pietro Vierchowod découvre la Serie A, l’élite de l’élite, la crème de la crème. Le garçon a tout juste vingt ans. Il ne le sait pas encore, mais Pietro ne quittera jamais plus l’élite. L’histoire est en marche.

La coupe du Monde 82, l’envol du Tsar

Son ascension est exceptionnelle. Même s’il ne peut pas empêcher la descente de son équipe en Serie B, Pietro s’est fait un nom. On s’interroge sur ce drôle de patronyme qui ne sonne pas tellement Italien. Et petit à petit, sa réputation dépasse le cadre reposant du lac de Côme et de ses séjours balnéaires. En décembre 1980, Enzo Bearzot le sélectionne pour une compétition amicale disputée en Uruguay. Le Mundialito rassemble les six meilleures nations du moment, l’occasion de célébrer le demi-siècle des coupes du Monde. Le technicien italien en profite surtout pour faire une large revue d’effectif. Mais l’essentiel est ailleurs. Vierchowod, le fils d’un ouvrier soviétique, d’un soldat de l’armée rouge est désormais un international italien à part entière.

Son histoire avec la Samp’ a décidément bien du mal à commencer. Les Génois ne parviennent pas à remonter dans l’élite. Ils conservent malgré tout Pietro. Mais ils doivent se résoudre à le prêter. En 1981, notre fils d’immigré soviétique débarque à la Fiorentina. La Viola terminera deuxième, juste derrière la Juventus. Vierchowod signe une nouvelle fois une saison parfaitement accomplie. Bearzot le convoque pour la Coupe du Monde en Espagne. Malheureusement, le jeune Pietro vivra la victoire sur le banc, gêné par une blessure tenace à la cheville. Mais le garçon est champion du monde tout de même. Ça se note dans un curriculum vitae.

Le Lionel Charbonnier Italien

 Après cette coupe du monde 1982, la Sampdoria ne parvient toujours pas à remonter, il est alors une nouvelle fois prêté, cette fois-ci à la Roma, celle de la légende Liedholm. Le technicien suédois le marquera à tout jamais. Pietro se souvient de son intelligence, de sa finesse. Nils Liedholm était pourtant un superstitieux patenté : « Sur les maillots par exemple, on ne pouvait pas y toucher. Un jour, j’y ai touché par erreur. Il m’a dit : Si quelque chose se passe, ça sera de ta faute. Ne le fais plus jamais, tu comprends ? Une autre fois, j’ai accidentellement mis son manteau : il y avait de tout dans les poches. Mais à peu près de tout : du sel, des pendentifs, des amulettes, des flacons, et même des croissants. C’était un homme fin et ironique mais il croyait en ces choses ». Alors forcément, avec tous les gri-gri dans les poches de son coach,  la Roma gagne et remporte le Scudetto. Il s’agit du premier grand titre remporté par Pietro Vierchowod sur le terrain. Cette équipe de 1982/1983 marquera à jamais la Roma et ses tifosis. Malgré le succès sportif, le prêt se termine, la Roma ne parvient pas à convaincre les dirigeants génois. L’histoire aurait pu être différente si la Sampdoria n’était pas montée en Serie A la même année. On ne le saura jamais.

La légende Nils Liedholm

Vierchowod et le pacte d’honneur

Trois ans après avoir signé pour I Doria, Pietro Vierchowod va enfin pouvoir honorer son contrat et ses couleurs. Il ne le regrettera pas. Le défenseur Italien va y côtoyer Vialli et Mancini. Ensemble, ils vont signer un pacte d’honneur. Ils ne quitteront Gênes seulement après avoir remporté le Scudetto. Le président Montovani est plusieurs fois tenté de conclure un transfert, alléché par la possibilité de toucher quelques grasses commissions. Mais les trois compères tiennent leur promesse. La Sampdoria remportera finalement le titre en 1991. Pietro s’en souvient avec émotion : « C’était une équipe d’amis et nous formions un groupe merveilleux et irremplaçable. J’ai gagné là-bas, c’était fantastique ».

C’est cadeau, ne nous remerciez pas.

La saison suivante, le trio continue ses exploits. Ils visent désormais le toit de l’Europe. Le 20 Mai 1992, la Sampdoria affronte Barcelone en finale. Il s’agit du véritable tournant dans l’histoire de la Sampdoria. Vialli, Mancini et Vierchowod échouent. Barcelone l’emporte sur un coup franc de l’inévitable Ronald Koeman à la 112e minute. La Sampdoria ne remportera pas la Coupe des Champions. Malgré tout, Vierchowod a presque tout gagné avec I Doria : le scudetto, la coupe d’Italie et la Coupe des Coupes mais il a remporté bien plus encore. Il a tenu sa parole et ses engagements. Jamais il n’a cédé pour gagner plus ailleurs. Il est resté droit et fidèle. Pietro est devenu définitivement Vierchowod, le dernier Tsar.

Le pacte d’honneur victorieux

En parallèle, son histoire avec la Squadra Azzura est nettement moins romantique. Il participe à la coupe du Monde 86 au Mexique. C’est un fiasco absolu. Il n’apprécie guère les critiques, ni les remarques. Vierchowod quitte la sélection jusqu’en 1990 et le Mondial à la maison. Azeglio Vicini le laisse sur le banc, il préfère aligner Bergomi. Le défenseur de la Sampdoria vivra douloureusement cette coupe du monde, il regardera du banc de touche la terrible élimination contre une sélection argentine surmotivée. Pourtant, il ne renonce pas complètement à la Nazionale. Il portera le maillot de la Squadra Azzura jusqu’en 1993. Il jouera jusqu’au jour où il refusera d’être le remplaçant d’Alexandre Courte-Cote. Il ne disputera pas la World Cup. L’histoire se termine ainsi, dans la confusion et la polémique.

« Pietro a été un de mes plus féroces adversaires », adoubé par Diego, ça vous place un Homme.

La Juve, la C1 et la fin de l’Histoire

En 1995, Pietro est encore un vaillant défenseur, en bien meilleure forme que son club de toujours. La Sampdoria retombe dans l’anonymat. Le vieux président Montovani meurt. Son fils le remplace. Le fiston veut changer les choses, réduire la voilure et enterrer l’héritage du paternel. Il faut faire des choix et des sacrifices. On expédie alors le vieux Vierchowod, le Zar déchu, à la Juventus. A trente-six, Pietro retrouve des couleurs. Il remporte la Coupe des Champions en 1996 en jouant un rôle considérable dans l’obtention du titre. Sa carrière était déjà formidable, comment rêver d’une meilleure fin ? Merde, ça claque de disputer la finale de la C1 pour son jubilé. Mais le vieux Pietro n’a pas encore envie et décider de s’arrêter.

Le Tsar se prépare alors à signer son dernier contrat. Perugia lui offre une place en défense. Son expérience doit aider le promu, la mission parait délicate mais le bonhomme a la carrure pour réussir. Pietro va vite déchanter. Le club fleure bon l’amateurisme, les infrastructures ne sont clairement pas au niveau. Vierchowod est un homme de paroles mais il ne faut pas lui faire à l’envers. Le vétéran se sent trompé. Il quitte immédiatement Pérouse. On l’imagine prendre sa retraite, un peu par la force des choses.

Le sort en décide autrement. Franco Baresi se blesse, le Milan a besoin d’un remplaçant. Vingt ans après son essai manqué, Vierchowood débarque à Milan. L’histoire aurait pu être belle. Elle ne le sera pas. Son passage est un échec. Pietro arrive trop vieux, trop fatigué pour répondre aux exigences d’un club comme le Milan. Le tsar ne veut pas s’arrêter ainsi. Il veut honorer un dernier défi.

Il finira sa carrière de joueur à Plaisance (qui porte assez bien son nom pour le coup). Il aura joué 562 matchs de Série A, remporté deux Scudetti, une Coupe des Coupes et une Coupe des Champions, il aura porté le maillot de la Roma, de la Fiorentina, de la Sampdoria, de la Juventus et du Milan. C’est plutôt honnête pour un gars qui se destinait à faire une carrière de mécanicien hydraulique.

A soixante-douze ans, Pietro défend avec ses armes contre le grand Ronaldo. Il finit par prendre un rouge amplement mérité.

Pietro Vierchowod, le coach

Pietro a beau avoir raccroché les crampons, il n’en a pas encore complètement fini avec le football. Il veut s’essayer à la carrière d’entraineur. Faut dire que le garçon avait un tel charisme et une telle présence sur le terrain qu’il était tout à fait naturel de le voir s’assoir sur le banc. Mais il n’est pas donné à tout le monde de devenir un grand entraineur. A chaque expérience, à chaque fois, le Tsar échoue lamentablement. Il démissionne ou il se fait virer au bout de deux mois. Il fut un joueur à la longévité exceptionnelle, il est devenu un entraineur avec une date de péremption plus courte qu’un vieux yaourt de supermarché. La Fiorentina dépose le bilan et repart en Serie C2, en bon samaritain, Pietro accourt pour donner un coup de main. Il le regrettera amèrement. A ses proches, Pietro avoue sa déception et sa peine. Quand on a toujours réussi, l’échec est vécu comme un traumatisme. Pietro se débrouille comme d’habitude, comme son père, comme un Vierchowod. Il se trouve une place comme consultant et commentateur sur la Rai. On le croit définitivement rangé en 2012 quand, à la surprise générale, il se présente à la mairie de Como sur une liste indépendante et civique « I Faro per Como ». Mais sa carrière politique ne sera guère plus brillante que son expérience sur un banc de touche. Il obtient 1 100 voix (2,25%) et dit adieu à une hypothétique carrière politique.

Il faro per 2,25%

Après dix ans d’inactivité, il tente une dernière fois sa chance en Hongrie au Honved Budapest. Une nouvelle fois, c’est la catastrophe absolue. Deux mois après son arrivée, il est renvoyé manu militari. Il est temps de faire un deuil définitif sur sa carrière de manager, il est temps d’oublier le football Pietro. tu as joué pour deux Pietro, tu as affronté Platoche, Sheva, Batistuta, Rummenigge, El Pibe Del Oro, Jocelyn Blanchard et Zidane. Tu as disputé trois coupes du Monde Pietro. Tu as tout gagné Pietro. Il est temps de raccrocher Pietro, de laisser tes crampons au vestiaire, pour toujours.

Le Tsar est un mordu. S’il a abandonné l’espoir de devenir un grand manager, il n’a pas complètement abandonné le terrain. En 2018, il accepte d’entrainer Kamza, un club de l’élite albanaise. Vous vous doutez de l’issue de cette aventure. A ce jour, Pietro a de nouveau raccroché, mais jusqu’à quand ?

Il serait sur les tablettes u club de la principauté pour remplacer Kamil Glik.

Notre deuxième Antipasti se termine ainsi, nous espérons vous avoir appris des trucs. Nous vous retrouvons la semaine prochaine pour reprendre nos bonnes vieilles habitudes. En attendant, perdez vous sur horsjeu.net et si le cœur vous en dit, proposez vos services. A bientôt les Ragazzi.

9 thoughts on “Pietro Vierchowod, le dernier Tsar (Antipasti 2)

  1. Franchement, quand je me suis dit que ça serait une bonne idée de faire un papier sur lui, je me doutais pas que je trouverai autant de trucs !!!

    1. Les belles histoires du foot ont ça de beau qu’elles ne parlent pas que de foot justement. L’histoire du Tsar est géniale parce qu’elle commence avant lui, et tu la racontes à merveille.

  2. Très intéressant, je me rappelais de ce joueur mais je n’avais aucune idée de son histoire.
    Je vais pouvoir placer une ou deux anecdotes à son sujet lors d’un prochain apéro avec les copains.
    Merci bcp

Répondre à Kiki Musampala Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.