Prishtina – Trepca89 (1-0), la Balkans Acad’ y était

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Exclusivité horsjeu.net by Tristan Trasca

Soyons clairs dès le début, ceux qui veulent un résumé de match, passez votre chemin. On ne va pas voir un Prishtina – Trepca89 pour ce qui se passe sur le terrain mais pour l’atmosphère qui l’entoure. Si vous êtes encore en train de lire, c’est parti…

Un match symbolique au Kosovo

Il est facile d’identifier les semaines de matchs importants à Prishtina: sur beaucoup de facades de magasins ou d’arbres, on peut voir les tracts des supporters de Prishtina qui s’affichent un peu partout, exhortant chacun à aller au stade. Et ce Prishtina – Trepca89 est un match important, c’est le clasico du championnat du Kosovo. Mais c’est bien plus qu’un simple match de football, c’est l’affrontement entre deux grandes villes du pays : la nouvelle capitale Prishtina et l’ancienne grande ville yougoslave Mitrovica. Prishtina a pris une énorme importance depuis la fin de la guerre en devenant la capitale du Kosovo alors que Mitrovica a perdu de sa superbe, subissant de plein fouet les effets de la guerre. Ainsi, la ville de Mitrovica est aujourd’hui coupée en deux avec une partie sud, occupée majoritairement par des Albanais et une partie nord, occupée majoritairement par des Serbes. Ces deux entités, séparées simplement par quelques ponts, sont symboliques de la nature actuelle du Kosovo avec une partie nord du pays, qui reste sous très haute influence de Belgrade et où les lois de Prishtina n’ont pas toujours cours.

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Le FC Prishtina, c’est le grand club actuel du football kosovar, sacré champion les deux dernières saisons. Le club a connu ses heures de gloire dans les années 80 en squattant la première division yougoslave avec comme joueurs phares le grand Fadil Vokrri (président actuel de la Fédération de Football du Kosovo et ancien joueur du Partizan, de Nîmes, Bourges et Montluçon mais surtout un des rares Albanais à avoir été international yougoslave) et le père de Lorik Cana, Agim.

Trepca89, c’est le deuxième club de Mitrovica après Trepca. Que veut dire Trepca ? Tout simplement c’est le nom du complexe minier de Mitrovica. Dans les années 80, ce complexe minier employait 20 000 personnes et offrait 70% des ressources minières de la Yougoslavie. Aujourd’hui encore, alors que les mines tournent au ralenti, ce complexe fait la fierté de la population de Mitrovica et demeure indissociable de l’identité de la ville. Fondé en 1989, le club de Trepca89 est actuellement le grand rival de Prishtina sur fond d’affrontement entre la capitale surpuissante et les provinces insoumises, en forme de PSG-OM.

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Fin de l’introduction et direction le stade. Vers 16h30, nous nous retrouvons au stade où quelques dizaines de supporters de Liverpool, vêtus d’écharpes et de maillots, sont venus terminer leur après-midi radieuse. L’entrée coûte 2€, gratuit pour la gente féminine et les enfants. Deux types se baladent autour du stade en vendant les places, et l’entrée est tenue par des anciens du club, de moyenne d’âge de 70 ans. Le contrôle à l’entrée est très limité pour notre tribune (pas besoin de jeter bouteilles en plastique et tutti quanti ici), alors que les forces policières se concentrent sur les deux tribunes dédiées aux ultras de Prishtina aka Plisat (le nom du chapeau traditionnel albanais) et ceux de Mitrovica aka Torcida Trepca.

Un match de DH, une ambiance de folie

En effet, ce sont 4 bus et 10 voitures de supporters qui se sont déplacés depuis Mitrovica pour venir soutenir l’équipe de Trepca89. Quelques secondes avant le coup d’envoi, les supporters tous vêtus de noir et vert entrent dans la tribune principale où ils sont cantonnés à l’extrême gauche avec une poignée de policiers pour les entourer.

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La Torcida encadrée par les policiers

Dès leur entrée, les ultras de la Torcida se font entendre et le duel sera tendu dans les tribunes pendant 90 minutes avec leurs homologues de Plisat. Le match débute vers 17h et les premiers ballons n’augurent rien de bon ; les joueurs voulant simplement impressionner leurs adversaires avec des duels physiques souvent à la limite.

Mais au bout de dix minutes, premier incident : on voit tous les supporters de Trepca courir vers le haut de leur tribune et même sortir de leur pré-carré pour se diriger vers la tribune principale. Personne ne sait réellement ce qui se passe avant que nos yeux et gorges soient pris également par les effets nocifs des gaz lacrymo.  On comprend assez vite le fin mot de l’histoire : un supporter de Plisat est venu balancer des lacrymos près des supporters de Trepca. Le match est arrêté, des dizaines de personnes dans la tribune principale ont changé de place alors que quelques enfants souffrent réellement.

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Plisat en action

La pause dure 10 minutes pendant lesquelles les supporters de Plisat semblent assez contents de leur forfait. Des dirigeants de Trepca89 donnent de l’eau aux supporters. Le match reprend. On ne voit pas vraiment de spectacle sur le terrain. Le seul à sortir un peu du lot est le n°8 et avant-centre de Trepca89. On se retrouve avec un match de DH devant nos yeux mais une ambiance superbe dans les tribunes.

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La Torcida donne de la voix (photos : Elvir Behrami)

La mi-temps est sifflée à 18h sur un score de 0-0 très logique, alors qu’il n’y a eu qu’une réelle occasion en première mi-temps. Prishtina revient un peu plus fort en seconde mi-temps et met à contribution le gardien de Trepca89. Vers l’heure de jeu, un milieu de Trepca89 prend deux jaunes à 5 minutes d’intervalle pour avoir poussé deux fois le ballon après deux fautes. Un peu dur l’arbitrage maison… Prishtina accélère et ouvre le score quelques minutes plus tard sur une belle tête croisée à la suite d’un superbe centre. Les fumigènes sont de sortie des deux côtés et cette odeur si particulière enivre les supporters qui reprennent de plus belle. Pour répondre au but encaissé, les supporters de Mitrovica exhibent une écharpe de Plisat, qu’ils brûlent.

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Que serait un match sans fumigènes ?

Les insultes fusent entre les deux tribunes. Une gamine de 15 ans, bientôt soutenue par un petit groupe de jeunots, vient exhiber son écharpe de Plisat à une trentaine de mètres de la Torcida Trepca. Bien entendu, les supporters de Trepca89 sont chauds et ne demandent qu’à en découdre. Finalement les policiers sortent la demoiselle et ses amis mais c’est alors qu’un autre groupe plus âgé décide de donner de la voix pour Plisat, à quelques mètres de la Torcida. Bizarrement c’est à ce moment-là que les quelques Robocops, vétus de casques, matraques, etc. quittent la tribune et se dirigent vers le terrain, laissant leurs collègues en polos contenir les supporters des deux camps. Au moment où cela aurait vraiment pu péter… De notre côté, on garde un œil sur les supporters et un sur le terrain pour les derniers instants.

La fin de match est accrochée mais Trepca89 n’a plus vraiment l’énergie pour revenir au score, malgré le soutien continu de leurs supporters. Prishtina gagne ce match 1-0 alors qu’un match nul aurait été plus logique. A la fin du match, les joueurs de Trepca89 et ceux de Prishtina viennent saluer leurs supporters, qui les remercient chaleureusement. Avant de quitter le stade, on longe la pelouse où les arbitres restent de longues minutes, escortés par deux policiers. Quelques dirigeants de Trepca89 viennent leur demander des comptes pour le carton rouge alors qu’au fond du stade, une scène qui semble hallucinante dans ce contexte se déroule: un après-match à la BeIn Sport se met en place avec une plantureuse journaliste, quelques consultants et l’entraîneur de Mitrovica qui refont le match. Difficile d’imaginer ce qu’ils peuvent décrypter…

Un enthousiasme des supporters irrationnel par rapport au niveau sportif

L’intérêt principal dans le fait d’assister à ce genre de rencontres demeure dans la passion aisément palpable des ultras des deux camps. La culture « supporters » au Kosovo est réelle et a du sens. Ils ne supportent pas seulement leur équipe de foot mais sont aussi les garants de l’image de leur ville, qu’ils soutiennent au-delà de la bienséance bien souvent

Cette culture se retrouve à Prishtina, à Mitrovica mais aussi à Peja* et dans d’autres villes du Kosovo. Plisat supporte le FC Prishtina mais également toutes les équipes qui représentent la ville en allant du handball féminin (les fumis en salles pour un tour préliminaire de coupe d’Europe, belle expérience) au basket masculin. C’est la même chose pour la Torcida Trepca qui est derrière tous les clubs de Mitrovica et soutient donc également les deux clubs de football de la ville : Trepca et Trepca89.

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Le très respecté leader de la Torcida Trepca (photos : Elvir Behrami)

Pour une population coupée du monde entier – les Kosovars ont besoin de visas pour aller dans quasiment tous les pays du monde, hormis une poignée de voisins géographiques ; cette appartenance à une ville et l’attachement à son identité n’ont pas de limite. Bien entendu, ils savent pertinemment que le niveau du football local est faible (le niveau du basket est plus respectable) mais cela reste le seul football duquel ils peuvent être acteurs.

Alors certes, ces supporters sont parfois bas du front, surtout quand ils se retrouvent à proximité de leurs « ennemis » mais leur passion est réellement admirable et nul doute que certains clubs français seraient heureux d’avoir de tels supporters attachés à leurs couleurs et prêts à tout pour les défendre avec ferveur.

Tristan Trasca

*Peja, ville dont est originaire la première championne du monde kosovare de l’histoire de ce pays : la jeune Majlinda Kelmendi sacrée aux Mondiaux de Judo à Rio

9 thoughts on “Prishtina – Trepca89 (1-0), la Balkans Acad’ y était

  1. Enormissime! J’étais là-bas y a un mois, j’aurais aimé voir un match de ce style!
    Mais par contre, il est où leur stade? Ils ne jouent pas au grand stade national quand même?

    Bref, dans tous les cas, super acad’, c’est de la vraie culture footballistique que tu nous offres!

  2. Bordel, qu’est-ce que tu foutais à Prishtina ? Faut prévenir quand vous venez ici les gars !

    Ils jouent en effet dans le grand stade, le seul à ma connaissance à Prishtina.

    Content que ça soit plaisant à lire. Je ferai sûrement un autre reportage avec un des deux groupes de supporters sur un déplacement.

  3. Bah, j’ai des amiEs à Prishtina! Donc je suis parti visiter, c’était bieng. Enfin, je suis pas resté que sur place quand même.
    Bref, si je m’étais rappelé que c’était là-bas ta base, j’aurais effectivement prévenu.

    En tout cas, maintenant que tu m’as confirmé que c’est bien le grand stade (j’avoue ne pas en avoir vraiment vu d’autre non plus), ça fait presque peur, il a l’air encore plus campagnard de dedans que de dehors, ce qui n’est pas peu dire. Mais y a un bar sympa pas loin (pour ainsi dire, il fait partie de la structure extérieure même du stade). Et ça c’est cool.

  4. Vraiment super à lire. Je ne m’intéresse absolument pas au football des Balkans, et j’ai adoré lire ton texte. Et je lirai les suivants. Merci !

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