Rendez-vous en terrains connus… le Kosovo

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On reconnaît les vrais.

Le football au Kosovo : une fédération en quête de reconnaissance dans un pays en quête d’identité

 

Le 18 décembre, lors de son sommet de Tokyo, la FIFA faisait un premier pas vers la reconnaissance internationale de la fédération de football du Kosovo : les jeunes, les féminines et les clubs étaient autorisés à jouer des matchs amicaux internationaux. Cependant, cela sonne comme une demie-mesure pour un vrai pays de football.

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Petit retour il y a une quinzaine d’années en arrière. L’armée de libération du Kosovo UCK, à dominante albanaise, mène une guerre sans relâche face aux institutions serbes du Kosovo, alors région de la Serbie. Cette guerre, qui dura 15 mois et prit fin en juin 1999, sera un des derniers grands conflits connus sur le continent européen. Des deux côtés, les crimes ethniques ont été nombreux et le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie a eu bien du travail ces dernières années pour condamner les chefs de guerre des deux côtés, jusqu’à la récente clémence envers Haradinaj, ancien dirigeant de l’UCK ; qui laisse entendre que les salauds n’étaient que d’un côté lors de cette guerre, comme l’a souligné l’OSCE et bien d’autres organisations à la suite de ces délibérations.

Aujourd’hui, le Kosovo est un pays libre depuis 2008 et la proclamation de son « indépendance ». La fin de son « indépendance supervisée » il y a de cela quelques mois devait aller dans le sens d’une plus grande autonomie du pouvoir kosovar. Dans les faits, les institutions internationales restent très nombreuses (OSCE, Eulex, UN et bien d’autres) et une grande partie des décisions politiques et économiques semble encore venir de l’extérieur dans ce pays où la vox populi explique que leur présidente a été intronisée suite à un choix de l’ambassadeur des Etats-Unis, sans qu’elle ait ni l’expérience, ni les qualités, ni l’aura nécessaires.

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Statue de Bill Clinton à Pristina

Dans ce pays à forte majorité albanaise (environ 90% de la population*), on compte encore aujourd’hui de nombreuses communautés présentes : Bosniaques, Roms, Ashkalis, Turcs, Goranis et bien entendu Serbes (sans même parler de la partie nord du Kosovo sous le joug des institutions parallèles serbes et sous haute tension perpétuelle). Ce jeune pays (50% de la population a moins de 30 ans) est donc aujourd’hui morcelé et en quête d’identité.

C’est également le cas de son football. Vivre une soirée de football international à Prishtina est un réel voyage en Europe. Les Bosniaques suivent les exploits des Pjanic, Spahic et autre Dzeko, tout en ayant un œil sur les performances de Zlatan alors que les Turcs suivent leurs représentants. Les Albanais sont eux divisés et scrutent les résultats de la « mère patrie » albanaise mais aussi de la Suisse, voire de la Macédoine dont de nombreux joueurs sont d’origine albanaise. A quelques kilomètres de là, à Gracanica et sous les nombreux drapeaux serbes qui vous accueillent, les bars ne font écho qu’aux matchs de la sélection de Markovic et Bisevac. Et bien entendu, les nombreux expatriés suivent les matchs de leurs sélections respectives.

Ces divisions reflètent le manque d’identité commune au Kosovo, logique vu l’âge du pays mais aussi du fait de l’amalgame difficile des populations (faut-il rappeler que les enfants albanais, serbes, bosniaques, turcs étudient chacun dans leur langue et selon des curricula différents?). Il est aussi vrai que la FFK n’est pas totalement reconnue internationalement. Cette décision très politique de la FIFA revêt en effet de nombreuses dimensions. Tout d’abord, la dimension serbe : si l’UEFA ou la FIFA donnent le droit à une équipe nationale du Kosovo de participer à leurs compétitions officielles et de fait reconnaissent l’existence du Kosovo, elle prend singulièrement partie pour le Kosovo politiquement, face à la Serbie. Bien entendu, la Serbie est soutenue par l’Espagne mais aussi la Russie dans cette dynamique, eux aussi peu enclins à l’émancipation de cette région pour des raisons de politique intérieure. Deuxièmement, certaines sélections craignent d’être déplumées si le Kosovo est amené à former une sélection en seniors et en premier lieu la Suisse et l’Albanie.

Le 11 novembre dernier, à Lucerne, un match opposait la Suisse et l’Albanie en qualifications pour la prochaine coupe du monde au Brésil ; sur la pelouse : 8 joueurs d’origine kosovare. Bien entendu, les plus connus étaient Xherdan Shaqiri du Bayern Munich, Granit Xhaka du Borussia Gladbach, Lorik Cana ou encore Valon Behrami du Napoli.

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Les pompes de Shaqiri avec les drapeaux suisse, kosovar et albanais.

Car c’est bien là que se situe la force du Kosovo aujourd’hui, ses joueurs évoluent sur tous les terrains d’Europe et de bien des sélections. On peut aisément en citer une dizaine : Kosovare Asllani du PSG, Fatmire Bajramaj, Valon Berisha, Emir Bajrami de l’AS Monaco, Endogan Adili des Grasshoppers, Pajtim Kasami de Palerme, Frédéric Veseli de Man Utd… La plupart de ces joueurs ont été formés footballistiquement à l’étranger, à la suite de l’exode forcé de leurs parents en temps de guerre. D’ailleurs, 4 d’entre eux (Behrami, Cana, Xhaka et Shaqiri) avaient il y a quelques mois signé une pétition soutenant la procédure du Kosovo pour avoir la possibilité de jouer des matchs amicaux internationaux.

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Supporters de Gjakova lors d’un match à Pristina

La fédération sous la houlette de Fadil Vokrri (ancien joueur pro notamment passé par Nîmes et Bourges et ancienne terreur du KF Pristina du temps de la ligue yougoslave) travaille dans le sens de cette reconnaissance internationale. Mais le chemin est encore long, d’autant plus que localement, les structures sont quasiment inexistantes. Les stades au pays sont dans un état lamentable, appartenant bien souvent à des personnes privées. La Liga I Raiffeisen est plus intéressante par le spectacle dans les tribunes (notamment les groupes de supporters de Pristina Plisat et de Mitrovica Trepca) que sur le terrain où le niveau oscille entre bas de L2 et CFA2 selon les rencontres.

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Supporters de Plisat Pristina lors d’un déplacement à Peja

Cependant le football est une pratique très commune au Kosovo et on ne peut parcourir 10 kilomètres sans voir sur le bord des routes ces bulles de plastique qui cachent des terrains en synthétique dédiés à la pratique des 6 contre 6.

Aujourd’hui, tout est à construire au Kosovo au niveau du football, notamment au niveau des infrastructures mais aussi au niveau de l’organisation des clubs. Les entraîneurs ne peuvent bien souvent pas passer les diplômes UEFA (le Kosovo n’étant pas reconnu) et la fédération travaille notamment avec son homologue allemand pour développer des cursus similaires pour les coachs locaux. Avec cette population très jeune, les clubs étrangers essayent également de flairer le bon coup : le Milan AC a déjà organisé des camps de détection, alors que d’autres clubs comme l’Empoli ont un recruteur pour le pays.

La reconnaissance de la fédération et la possibilité pour une équipe senior du Kosovo de jouer des matchs amicaux seraient surtout des réussites symboliques mais il parait impossible que les dirigeants du football local s’exonèrent de développer la base au pays, qui dépend surtout aujourd’hui d’initiatives individuelles*. Cependant, il apparait que le football pourrait aussi être un terreau fertile pour construire une culture commune à un peuple qui cherche ses repères, ses racines et surtout une dynamique commune et une identité propre.

*Fin 2012, la célébration des 100 ans de l’Albanie a été une démonstration de force dans tout le Kosovo du patriotisme de la communauté albanaise. Toutes les maisons, toutes les rues étaient décorées de drapeaux albanais. Une grande partie de la population du Kosovo espère se rallier à l’Albanie et construire une « grande Albanie ».

*Par exemple, le club de Kacanik (sud du pays, près de la frontière macédonienne) a  créé une équipe de jeunes filles qui évolue dans le championnat national et est également allée représenter le pays dans divers tournois internationaux, notamment en Scandinavie grâce à son coach Fatos Vishi

 

Tristan Trasca de la Tuicacadémie

13 thoughts on “Rendez-vous en terrains connus… le Kosovo

  1. BRA-VO!!!

    Juste une petite remarque, on dit plutôt Bosnien que Bosniaque (population bosnienne musulmane).

    Concernant la région, pour avoir fait de nombreux voyages en Macédoine, la menace d’une réunification de la soit-disant grande Albanie, qui n’a vécu en fait que quelques années dans l’histoire, fait peser une menace territoriale sur l’Ouest et qui conduit à une guerre froide de réligion dans la région entre les musulmans kosovars et albanais qui vivent en Macédoine et les Macédoniens, fervents catholiques et défendu par aucune instance internationale.

    Bref, c’est un gros bordel qui fait encore de cette région une réserve à poudre.

  2. Merci.

    En l’occurrence, on m’a expliqué que Bosnien faisait référence à la population qui vit actuellement en Bosnie et Bosniaque à l’ethnicité qui, à la base, est issue de Bosnie. Les Bosniaques qui vivent aujourd’hui au Kosovo ont souvent du mal à aller dans le pays de leurs ancêtres car la nationalité kosovare n’est pas reconnue.

    D’ailleurs je n’en ai pas parlé mais les Kosovars ne peuvent actuellement voyager que dans très peu de pays sans visas : l’Albanie, le Montenegro et la Turquie.

    Pour la Macédoine, on en avait parlé brièvement lors du récit d’un Macédoine – Serbie mais il est vrai que surtout vers Tetovo, c’est un beau bordel. Les Albanais vivant en Macédoine se sentant également fortement discriminés dans la vie quotidienne.

  3. Merci de nous rappeler la honte de l’Europe pour la guerre de 99. Vivement que des musulmans viennent en masse dans une de nos régions et en demandent l’indépendance, qu’on puisse se marrer !

  4. Article très intéressant. J’ai particulièrement apprécié le début.

    Par contre, la fin me laisse très sceptique. Je ne suis pas persuadé que le foot puisse créer une quelconque dynamique commune entre les différentes communautés.

    @The Spooner : les Macédoniens sont orthodoxes et non pas catholiques.

    Il y a quelques mois, Fadil Vokrri avait jeté un pavé dans la mare en déclarant vouloir proposer à Bisevac et Krasic (joueur de Fenerbahce, ex-Juventus), deux joueurs originaires de Mitrovica, de jouer pour la sélection du Kosovo.

  5. A priori, une sélection du Kosovo ne comprendrait de tte façon jamais de joueur serbe, d’autant plus que Mitrovica reste aujourd’hui une ville contestée. Mais il ne m’apparait pas illusoire de voir une équipe composée d’Albanais, Turcs, Bosniaques, Goranis, Roms portant les couleurs du Kosovo.

    Je travaille au Kosovo et usite le sport au quotidien comme terrain de rassemblement entre les communautés. Voici pourquoi j’émets cette hypothèse qui parait certes naïve mais pourrait certainement se produire dans une dizaine d’années.

    Aujourd’hui, le sport et la culture sont les deux terrains sur lesquels des difficiles dynamiques de rassemblement essayent de se créer.

  6. Tristan Trasca dit :
    31/12/2012 à 13:50
    En l’occurrence, on m’a expliqué que Bosnien faisait référence à la population qui vit actuellement en Bosnie et Bosniaque à l’ethnicité qui, à la base, est issue de Bosnie.
    —-

    Je ne sais pas qui t’a expliqué cela, mais c’est faux (en plus de ne pas être très clair) – the spooner a raison. Les bosniens sont tous les ressortissants de la Bosnie-Herzégovine quelle que soit leur appartenance (croates, serbes, musulmans, pingouins, etc.) tandis que les bosniaques sont ceux des ressortissants de la Bosnie-Herzégovine qui sont de confession musulmane.

    Sinon, très bien, l’article!

  7. Merci Sarajevo. Je suis moins con dorénavant.

    Est-ce que tu peux me dire un peu comment la Bosnie voit le Kosovo ?

  8. @ Tristan Trasca : une hypothétique sélection nationale du Kosovo composée d’Albanais et d’autres joueurs issus des minorités mas sans Serbes serait un peu une victoire à la Pyrrhus.
    En même temps quand je vois Saqiri faire le salut militaire après la libération, plus que controversée, de Gotovina, je peux comprendre que les Serbes n’aient pas envie d’en faire partie.

  9. Faut pas se voiler la face, l’hypothétique joueur kosovar d’origine serbe qui ferait partie d’une telle sélection serait vu comme un traitre par la Serbie.

  10. Tristan Trasca dit :
    02/01/2013 à 12:29

    Est-ce que tu peux me dire un peu comment la Bosnie voit le Kosovo ?

    Ca n’intéresse personne en Bosnie, ils ont déjà plein de problèmes chez eux…Sauf éventuellement une petite satisfaction de voir ce qu’est devenue la « Grande Serbie » territorialement. En Republika Srpska, ils ont une vision très « le Kosovo est à nous », limite plus radicale que Belgrade. M’enfin c’est un autre débat.

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