L’apprenti footballologue analyse Chelsea-Liverpool
En attendant la Ligue des Champions
Un match de football est un ensemble d’éléments liés les uns aux autres, une sorte de grande symphonie où la moindre fausse note peut tout gâcher, ou au contraire donner une touche inattendue qui viendra relever l’ensemble. Il est facile d’isoler des moments, des instants plus importants que d’autres pour différentes raisons, mais les dynamiques parlent beaucoup plus que leurs conséquences. Si une même cause ne produira pas toujours les mêmes effets, le lien est parfois tellement évident que tout se passe comme prévu.
Résumer cette finale de Cup est assez simple, et donc compliqué à mettre en valeur. Si tous les matches donnent lieu à des batailles tactiques, certaines sont parfois tellement prévisibles que même Maradona pourrait les anticiper, et savoir comment les gagner. Au moment de faire le bilan, bonnes et mauvaises idées apparaissent clairement.
Mauvaises idées
– Isoler Suarez sur le front de l’attaque : L’Uruguayen est parfaitement capable d’évoluer en numéro neuf dans un système à une seule pointe, avec un joueur tournant autour de lui ou deux ailiers dans une position avancée. Sauf que sa capacité à faire la différence repose plus sur ses partenaires que sur lui puisqu’il est incapable de gagner le moindre duel aérien de conservation de balle, à la différence de joueurs comme Drogba ou Carroll pour ne citer que des protagonistes de la finale. Son jeu de remises ne passe que par le sol, et il doit être trouvé en zone offensive avec des équipiers proposant solutions et fausses pistes, pour lui permettre d’orienter le jeu ou de tenter de faire la différence. Soutenu par Bellamy, âme errante sur un terrain qui ne gardera aucun souvenir de son passage, il a vaguement tenté de descendre chercher les ballons plus bas, ce qui n’est pas vraiment l’idéal quand personne ne permute. Le bloc est donc descendu d’un cran et Liverpool n’a jamais pu avoir la possession en phase offensive, seule chance de marquer hors coups de pieds arrêtés quand l’adversaire domine sans se livrer et n’ouvre pas de possibilités de contre-attaque.
– Faire jouer Bellamy de la sorte : Difficile de savoir qui blâmer, mais le golfeur gallois n’étant pas un adepte du dézonage anelkien, il est probable que sa position au cœur du jeu était une volonté de Dalglish. Seul souci, le patient rouge était bien faible, et mettre un pacemaker sans pile n’a pas vraiment accéléré le rythme cardiaque. En plus de ne pas être le meilleur joueur au monde, Bellamy s’est retrouvé coincé entre Mikel, Lampard et Terry. Dominé physiquement et techniquement, ce n’est définitivement pas tactiquement, avec le soutien des amis Henderson et Johnson, qu’il a pu sortir la tête de l’eau. Fausse bonne idée, bâtarde puisqu’offensive mais pas trop, défensive mais pas trop non plus, cette titularisation a vu Bellamy le détonateur être un mou passant (et ce n’était pourtant pas commenté par Stéphane Guy).
– Reculer après le but de Carroll : Ce coup-ci, c’est de Chelsea qu’il s’agit, mais ce n’est finalement pas un énorme reproche. Que faire pour contrer des longues balles aériennes ? La situation offensive se résume à deux hommes, celui qui fait la passe et celui qui la reçoit, avec pour axe décisif le gain ou non du duel aérien. En entrant en jeu, le pilier de comptoir a changé le style de jeu, et obligé Terry et Ivanovic à venir ferrailler dans les airs. La plupart des passes venant directement des pieds de joueurs très reculés, difficile de reprocher quoi que ce soit aux milieux de Chelsea. C’est vrai, mais en partie seulement. Le propre de ces joueurs pivots est de gagner la plupart des balles, mais elles ne sont pas jouées de la même manière selon la position. A l’entrée de la surface, ce sera souvent des déviations plus ou moins hasardeuses de la tête. Dix mètres plus bas, on pourra voir des contrôles de la poitrine amenant des déviations. Et c’est là que les Blues, Mikel notamment, ont mal joué le coup. En ne coupant pas toutes les transmissions post-duels, ils ont permis à Liverpool d’évoluer très haut. Tout comme on peut faire le choix d’abandonner la possession, on peut laisser un joueur récupérer les longues balles à une certaine distance de son but. Mais il faut que les hommes non consommés dans la lutte aérienne coupent les transmissions. Chelsea n’a pas choisi entre la bataille et l’abandon et a failli le payer cher.
Bonnes idées
– L’entrée de Carroll : Pourquoi a-t-elle été si tardive ? La peur de prendre des risques probablement, mais le plus grand des risques est de ne pas en prendre. Inutile d’écrire un mémoire sur le rôle de l’Anglais, il a excellé dans son rôle de tour de contrôle aérienne, parvenant même à inscrire un but demandant technique et sang froid. C’est d’ailleurs ce qui fait la différence entre lui et des gens comme Gerald Green ou Leonel Marshall, qui seraient sans doute durs à contrer s’ils apprenaient à faire des têtes. En plus d’attirer du monde, Carroll a su bien remplir sa mission et faire remonter toute son équipe d’un cran, et maintenu Chelsea dans une position défensive difficile à quitter dans la dernière demi-heure quand le scénario est ainsi fait. Au-delà de ce changement, c’est la sortie de Spearing qui doit être félicitée. Comme Henderson et Bellamy, celui-ci avait bien du mal à exister, loin des fulgurances d’un Stewart Downing qui a alterné avec brio centres dans le vide et passes en retrait quand il y avait un adversaire dans le coin.
– Ramires avec du champ libre : Chelsea n’a rien fait d’extraordinaire, un but assez précoce et ensuite un contrôle des opérations jusqu’à la mi-temps, puis un deuxième but et une stratégie hérisson jusqu’au coup de sifflet. Pas de quoi fouetter un suricate donc, même si l’utilisation de Ramires a été un facteur décisif. Là aussi, ce n’est pas une première, mais cela a amené le but qui a changé la physionomie de la partie. A côté de Mikel et Lampard, le Brésilien avait le champ libre pour se faire plaisir et courir jusqu’au but adverse. Avec Mata pour attirer quelques défenseurs au centre, il a pu faire quelques chevauchées qui ont perturbé l’ami Enrique, aussi banal en attaque qu’en défense, et un Gerrard déjà bien occupé à bosser pour cinq.
très juste, cher apprenti.
Je rajouterais que la tactique du « je balance sur l’armoire à glace devant », ne marche que si les 2èmes ballons sont plus ou moins exploitables. Et donc de la bataille des milieux de terrains post duel. Et dans ce domaine là, Mikel+lampard+ eventuellement le second stoppeur, c’est costaud à bouger. Ptet que le coach de liverpool a eu peur de perdre ce match là et a utilisé cette cartouche que (trop) tardivement.
Ca me rappelle un 1/4 aller de C1, entre Chelsea et Bayern (en 2005), il y avait eu 4-1, pendant trente minutes, Lampard avoinait devant comme un sourd et Drogba prenait tout. C’était à la fois moche mais incroyablement efficace et impressionnant.
Du coup j’en arrive à la question : tu as abandonné les analyses des matchs ESPN ?
Bravo et merci pour cette analyse. Pour suivre attentivement Liverpool, je me permets néanmoins quelques précisions.
– Isoler Suarez sur le front de l’attaque : Ce n’était pas prévu. Gerrard était censé jouer juste derrière lui. La prestation catastrophique de Spearing et Henderson a obligé Stevie a descendre bien plus bas que prévu. Incapable de prendre des risques, Liverpool a joué trop bas et Suarez a touché le ballon trop loin des buts.
– Faire jouer Bellamy de la sorte : Assez d’accord. Bellamy a baissé pavillon face à Ashley Cole. Les Blues ne sont pas nés de la dernière pluie et l’ont empêché de prendre de la vitesse.
– Reculer après le but de Carroll : Ah ça, c’est tout ce que produit l’adrénaline du football anglais, dès que la confiance change de camp.
– L’entrée de Carroll : Une entrée tardive à la 55′ ? L’association Suarez/Carroll n’a pas marchée une seule fois cette année. La bonne entrée de Carroll est une vraie surprises pour les Reds, personne n’attendait ça de lui.
– Ramires avec du champ libre : Tout à fait d’accord, c’est un manque de rigueur tactique assez commun aux équipes trop typées « British ». Ca n’arrivait pas sous l’ère Benitez.
J’avais tapé un très long message, mais il est apparemment disparu. Je le retente quand j’aurais vidé ma frustration.
Bon, je m’y remet en condensé.
Merci et tout le bordel. Tyrone, je bosse le week-end donc pour voir des trucs entiers je dois télécharger. Ca me permet d’éviter les purges vu que je connais le résultat. Là c’était une exception, d’habitude ça se limite à des mi-temps des matches diffusés sur MCS (j’ai pas C+). Ok pour les milieux.
Just, c’est du posteriori. Si y’a pas 2-0 juste avant l’entrée en jeu c’est du bon timing, là ça tombe un peu à plat. Mon oeil neuf me disait quand même que foutre Carroll face à une équipe comme Chelsea, surtout quand on a un milieu inutile, ça se tentait. Pour Gerrard je me doutais un peu, on voyait qu’il se cassait le cul à compenser l’absence de ses potes. Mais c’était malheureusement à prévoir que Spearing et Henderson se fassent dominer par Mikel et ses potes.
Oui oui, de toute façon, tactiquement, comme tu le dis, il n’y avait pas grand chose à analyser. Chelsea a bien géré son match je trouve, et a converti sans forcer sa maîtrise du jeu.
Apprenti, si c’est le temps de téléchargement qui te pose souci, je t’invite à demander mon adresse mail à Roazh Takouer (si tu le souhaites hein), et je tenverrais ma liste de matchs vintage et t’auras qu’à choisir.
J’aime bien l’idée de revisiter les vieux matchs comme ça et tu as excellé dans cet exercice l’autre fois.
tchao !
C’est l’absence de liens crédibles qui m’emmerde (pour les vieux matches). Pour les actuels c’est le manque de temps. Je dois avoir un 100Mo de connexion assez sympa, mais les vintages ont disparus presque en totalité avec megaupload. J’aimerais bien en refaire, j’ai d’ailleurs toujours un Milan-Ajax sur l’ordi, mais il faut la motivation. C’est des heures de boulot pour un article qui risque de passer un peu inaperçu, or j’avoue humblement aimer voir mon travail reconnu.