Le stagiaire live a rencontré Toulalan

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« Vous n’êtes pas Robert de Niro mais Jérémy Toulalan ! » Les devoirs de vacances du Stagiaire Live

« Vous n’êtes pas Robert de Niro mais Jérémy Toulalan ! »
Les devoirs de vacances du Stagiaire Live

Sa récente suspension, sa non-sélection, les propos durs de Laurent Blanc à son égard, son début de saison tâtonnant placent la « Toule » dans la tourmente médiatique ; mais seul le Stagiaire Live est allé à la source de la dépression estivale du footballeur le moins glamour de France et nouveau capitaine de l’OL.

Vous avez pu lire ici et là que Jean-Michel Aulas et Bernard Lacombe avaient persuadé Jérémy de poursuivre sa carrière. Il n’en est rien. Le principal instigateur de cette décision, c’est moi. Voici le récit de cet épisode.

Il y a quelques semaines, de retour de mon stage UCPA tir à l’arc/escalade/balle aux prisonniers en Espagne, je m’apprêtais à prendre un taxi pour rentrer de l’aéroport Charles de Gaulle à mon domicile de Verrières-le-Buisson. Au dépose-minute, une voiture s’avança, la vitre passager s’abaissa et le taximan fit un signe de la tête en direction de la banquette arrière.

Je demeurai un instant incrédule devant l’incongruité de cette rencontre. « Cet homme au menton carré, au regard fuyant, ne serait-ce pas… mais, mais si… je le reconnais ! C’est le numéro 28 de Lyon, le numéro hmm… le joueur de l’équipe de France, Jérémy Toulalan ! »

Je jetais mon sac dans la voiture et sautais dans le véhicule, l’air de rien. Mon impression fut tout de suite confirmée. « Toule » est formellement identifiable par ses cheveux grisonnants sur les côtés, sa barbe de trois jours et son style vestimentaire caractéristique fait de polos rayés en été et de pulls en laine en hiver, dans la plus pure tradition Guy Lacombienne. Il chausse des lunettes de soleil sportives qui ne parviennent pas à cacher le manque de sommeil dont souffre le bonhomme. Attendant que la voie se libère, il regarde fixement la route, certainement absorbé dans une rêverie, insensible au spectacle pourtant savoureux du cortège des voyageurs qui avancent péniblement sous le poids de leurs bagages. Je devine à sa façon de se mordiller les lèvres frénétiquement qu’il est également sujet à des angoisses diurnes.

« Je suis le Stagiaire Live, actionnez la sécurité enfant je vous prie. » lui lançai-je avec le mépris qu’on aime avoir pour les chauffeurs de taxi. « Et ne prenez pas la peine de vous présenter, cher Taxi driver, vous n’êtes pas Robert de Niro mais bien Jérémy Toulalan ! » ajoutai-je, fier de ma formule.

Mon chauffeur leva enfin les yeux ; il peina à m’apercevoir dans le rétroviseur intérieur du fait de ma petite taille. Je devinai de la surprise chez lui. Après un instant de silence, Jérémy baissa la tête et murmura : « Oui, c’est bien moi. Et je sais qui vous êtes : vous êtes le Stagiaire Live. » « Oui, mais moi je vous l’ai dit », répliquai-je, oubliant peut-être que je parlais à un footballeur professionnel.

Nous prenons la route dans sa Ford Mondeo édition Fun Radio achetée en 2002, « sièges en cuir depuis 2005 ». « Un break, pour les gosses. ». Il y a des miettes de croissants à l’arrière, un lion en peluche OL et des portions de Vache qui rit écrasées. Le lecteur CD susurre des mélodies langoureuses au saxophone qui me sont familières. « Je dois m’efforcer de maintenir un dialogue si je veux percer le mystère de cette rencontre. Que fait-il là, au milieu de l’été, quand ses collègues sont à Ibiza, Saint-Tropez et Miami en bonne compagnie ? Est-ce un passe-temps ? Est-ce un job d’été ? »

Jérémy semble soulagé de pouvoir parler à quelqu’un. Depuis son retour d’Afrique du Sud, il traîne sa mélancolie en Ile-de-France, errant la nuit dans les villes-nouvelles du Val-de-Marne et de l’Essonne comme un banal violeur récidiviste. Comme Robert de Niro, il rentre défait, las des efforts vains, meurtri par les horreurs vues et vécues sur d’autres rivages. L’homme devient même bavard : il vit mal le désamour, le vent de contestation chez les jeunes et moins jeunes (Sortez vous les doigts du cul, Tous derrière Putix) qui relance la protest song chez nous français, et qui n’est qu’une expression de la lassitude qu’engendrent les images d’un combat mené bien trop longtemps dans l’illusion de l’aboutissement. Ces similitudes troublantes me plongent à mon tour dans une rêverie… mais le souvenir sanglant du dénouement du film interrompt brusquement mes pensées : « Ca ne va pas finir dans un bain de sang Jérémy ! Ah ça non ! » L’homme fait claquer sa langue en regardant fixement le feu rouge ; il hausse à peine les épaules.

Puis il reprend : il a pensé à se faire une crête iroquoise sur la tête, « pour effrayer les clients malhonnêtes » ; redoute le moment où il annoncera à Jean-Michel Aulas et Bernard Lacombe qu’il souhaite raccrocher les crampons… C’est pour cela qu’il s’entraîne à lancer des « Talking to me ? » à vous glacer le sang, dans son rétroviseur.

Je défais ma ceinture et passe la tête entre les deux sièges-avant : « Qu’est-ce qu’il se passe mon vieux Jérémy ? Vous ne devriez pas penser à votre carrière, à cette saison qui vous attend avec l’OL, à… »

« Mon bon stagiaire, soupire-t-il en poussant son clignotant et vérifiant l’angle mort, tu m’as pourtant bien raillé cette saison, tu devrais le savoir mieux que quiconque… Je ne suis plus bon à rien, il faut se rendre à l’évidence. Je suis dépassé par Gonalons et Makoun à mon poste de prédilection et j’ai pris la relève de Boumsong en défense centrale : autrement dit je ne suis pas vraiment mauvais, mais plus vraiment bon non plus. Sans compter que je souffre d’une baisse de l’acuité auditive, après 3 ans sous les vociférations de Claude Puel. Mon médecin traitant souhaite déjà me prescrire un sonotone mais par coquetterie, je repousse sans arrêt l’échéance. Ah ce Claude Puel, je ne le supporterai plus une saison de plus ! »

« C’est la présence de Grégoire Puel à l’OL qui vous déprime, vous désespère sur le népotisme en vogue dans le pays ? Prenez Jean Sarkozy : c’est pareil partout… On n’y peut pas grand-chose. »

« Jeune homme, on ne critique pas Sarko, pas dans mon break Ford en tout cas. » lança Toule en me jetant un regard perçant de ses petits yeux noirs à travers le rétro. Je me rassis à l’arrière, comprenant qu’il ne fallait pas vanner la Toule sur son côté «  mec de droite. »

Nous étions à présent sur le périph’ et le temps commençait à presser si je voulais tirer cette affaire au clair.

N’osant pas aborder le sujet Knysna, je fus soulagé quand il s’y décida enfin :

« Et que dire de la Coupe du Monde avec l’équipe de France ? J’ai participé à la lettre de la honte, j’ai procuré la plume et l’esprit qui manquaient aux idiots du bus. Quand j’ai appris que Greg’ Coupet, mon guide, mon héros, ce modèle de persévérance, serait descendu du bus, j’ai eu envie de tout balancer. Pire, j’ai également trahi Raymond, qui a tant fait pour moi, et je suis rongé par le remords ; j’ai agi comme un vulgaire président de syndicat : j’ai honte. »

« Je comprends, bien que vous ayez eu tort de vous opposer à Raymond et Bob Duverne, d’aussi grands professionnels et hommes d’expérience. Vous avez agi comme quelqu’un d’autre dans la moiteur du bus ; ce comportement de déserteur ne vous ressemble pas : je pense que vous vivez mal vos propres contradictions et c’est normal : le remords fait du passé une éternité ; mais à présent il faut recommencer à vous entraîner… Laurent Blanc fera peut-être appel à vous ! »

« J’en doute… Je crois même que je resterai dans l’histoire comme le symbole des années Domenech. » Je bondis de mon siège-enfant : « Mais Raymond est grand, la postérité s’en rendra compte ! Vous devez évacuer la déception et retrouver votre grinta. Des guerriers de votre rang ne peuvent rendre les armes ainsi… pas sur une défaite ! Allons Jérémy, qui va retenir par le maillot les adversaires de Lyon en Ligue des champions, lever les bras en direction de l’arbitre, encourager les gars dans le tunnel ? Et ne me parlez pas de vos 3% de transversales réussies… les statistiques veulent mentir, mais vous avez votre utilité ! Comment vais-je expliquer votre décision à Vincent Duluc, votre plus grand admirateur ? Et aux milliers de gosses, supporters lyonnais de moins de 13 ans qui vous considèrent comme le meilleur milieu défensif d’Europe après Essien, hein ? »

A cet argument de l’exemple-pour-la-jeunesse, si simple mais si efficace, que n’ont cessé de brandir contre lui Rama Yade, Roselyne Bachelot, et d’autres, Jérémy ne tint plus et se mit à sangloter. Il faut dire qu’il sortait de la bouche d’un enfant, cette fois-ci, et il fit l’effet d’une bombe. A ce moment, je compris qu’il avait cédé et que sa fuite prenait fin ici. En regardant par la fenêtre je me rendis compte que nous étions arrivés à Verrières-le-Buisson. Je lui dis de faire taire ce saxophone qui ne faisait qu’ajouter à son spleen. Sélectionnant le disque 2, je découvrais sans grande surprise un best-of de Michel Sardou. Nous sommes restés dans la voiture, juste devant chez moi. Je lui ai raconté l’histoire des échafaudages sur ma maison. Sur les Lacs du Connemara, j’ai tenu sa main pendant qu’il pleurait à chaudes larmes. « Là-bas, au Connemara, on sait tout le prix de la guerre… » répétait-il, comme s’il avait voulu qu’il en fût de même ici.

« Curieuse histoire que celle de Jérémy Toulalan, bouleversé par la misère des townships, soucieux des générations futures… Gréviste scrupuleux, mais profondément humaniste et solidaire : c’est peut-être un tournant dans sa propre idéologie qu’il vient de vivre.» me disais-je à moi-même.

Je l’ai mis dans le train pour Lyon, où il s’est endormi avant même qu’il ne puisse me faire au-revoir derrière la vitre. Sa voiture est toujours devant chez moi. Il viendra certainement la récupérer un jour, mais je devrais le prévenir avant qu’elle soit couverte de crottes de pigeon. La batterie est à plat, mais je ne sais pas par quel prodige, le compteur continue de tourner. Selon la loi française, je lui dois une course de 7500 euros environ. Mais je suis certain qu’il ne me réclamera pas cet argent ; il me doit bien ça.

Retrouvez le stagiaire live sur facebook.

7 thoughts on “Le stagiaire live a rencontré Toulalan

  1. Entre éclat de rire et presque larme aux yeux face à l’émotion dégagée dans les écrits. Monsieur le Stagiaire, vous êtes sincèrement un excellent auteur. Vivement le roman.

  2. Monsieur Live, vous avez fini de nous anéantir la toule.
    Arrivera-t-il désormais à relever la tête aussi haut qu’il baisse son centre de gravité sur le terrain ?

  3. C’est juste excellent. Maintenant on voudrait savoir comment s’est passé le stage UCPA

  4. Prochain épisode : Toulalan quitte finalement le football pour se mettre à la boxe…
    – Did you fuck my wife ?
    – How do you ask me that? I’m the stagiaire live and you ask me that?

  5. à chaque fois meilleur ce stagiaire…vous devriez commencer à le rétribuer quand même…il a fait ses preuves.

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