La Balkans Académie au pays de Hristo, Emil, Trifon et Yordan
France et Bulgarie, toute une histoire
Le Balkans Tour continue sur HorsJeu.net avec une nouvelle étape qui nous amène en Bulgarie.
La Bulgarie, c’est bien entendu la superbe Sofia mais également un délicieux contraste entre paysages montagneux et mer Noire à l’extrême Est du pays. Le pays de Sylvie Vartan reste également la dernière étape avant la Turquie et l’Orient.
La cathédrale Alexandre Nevski de Sofia (crédits photo : découvrirlabulgarie.fr)
Un championnat moyen et gangréné de l’intérieur
Radoslav Stoikov de Sportal.bg est notre hôte pour parler de football bulgare. Il dépeint une situation peu enviable pour du football de son pays : « le championnat ‘A Grupa’ s’affaiblit chaque année, du fait du manque d’argent, de la corruption et des affluences qui baissent dans les stades. Comparé à nos voisins, notre championnat est au-dessus de celui de Macédoine mais en retrait par rapport à la Serbie, la Roumanie, la Grèce ou la Turquie. »
Georgi Milanov, le crack du championnat
Stoikov attribue ce faible niveau à des manques au niveau de la formation en Bulgarie : « Le meilleur joueur de la saison est Georgi Milanov (milieu offensif de 21 ans) de Litex Lovech, entraîné par Hristo Stoichkov. Il devrait partir à l’étranger cet été. Après lui, ceux qui ont reçu le plus de votes sont Emil Gargorov (capitaine de Ludogorets et ancien Strasbourgeois, 32 ans) et Ivan Tsvetkov (capitaine de Botev Plovdiv) qui aura 34 ans en août. Milanov est l’arbre qui cache la forêt, il n’y a pas de jeunes talents en Bulgarie. Le fait est que le travail avec les jeunes lors de ces 20 dernières années dans les académies est bien moins efficace qu’il ne l’était avant la chute du régime communiste en Bulgarie en 1989. »
Bien entendu, tout le monde a entendu parler de l’histoire des signes et chants nazis des supporters du Levski Sofia1. Radoslav reconnaît que le racisme est un problème récurrent du championnat bulgare, bien difficile à éradiquer : « les cris de singes à l’encontre de joueurs noirs sont monnaie courante dans nos stades et personne ne reçoit de sanction ». En début de saison, Basile de Carvalho qui venait de signer au Levski Sofia a été reçu par des cris de singes et des bananes alors qu’il voulait célébrer une victoire avec « ses supporters »2.
Cependant venir jouer en Bulgarie n’est pas un mauvais choix pour tout le monde comme nous l’explique Romain Elie, ancien défenseur de Boulogne, Gueugnon et Arles-Avignon, actuellement au Levski Sofia : « Ça a été un bon choix de signer en Bulgarie. J’ai découvert l’Europa League et les exigences d’un club de haut niveau. J’ai beaucoup plus appris ici que si j’étais resté en France en L2. » Il ajoute que le style de jeu est plaisant pour les joueurs : « Tout est basé sur la technique et la possession de balle, on travaille très peu le physique. On cherche vraiment à jouer au football et non pas jeter de longs ballons et aller au duel. C’est un football plus technique qu’en L2 française et c’est très plaisant. »
Un championnat fort de ses derbys
Le championnat bulgare compte de nombreux clubs à Sofia, avec en fers de lance le Levski et le CSKA. « On peut les comparer à Red Star/Partizan ou Boca/River. Il y a ces deux grands clubs et puis les autres. Bien entendu, ces dernières années, des clubs comme Litex, Ludogorets ou Lokomotiv Plovdiv ont réussi à décrocher un titre mais aucun ne s’est installé sur la durée. Il ne fait aucun doute que dans un an ou deux, un des deux grands de Sofia sera à nouveau champion. Il y a d’autres clubs à Sofia, mais la situation est la même qu’à Belgrade – deux clubs très populaires puis d’autres avec un petit noyau de supporters », nous explique le journaliste bulgare.
Romain Elie, défenseur du Levski Sofia
Romain Elie a également ressenti cette pression populaire : « le Levski est le plus grand club de Bulgarie. On sent une attente énorme des gens qui nous entourent. Le match contre le CSKA est le plus important de l’année, surtout pour les fans. D’ailleurs, avant le match, ils ont donné à chaque joueur une lettre traduite dans nos langues d’origine pour nous parler de l’importance de ce match. C’est comme OM-PSG. L’ambiance3 est électrique, ce genre de match restera dans ma mémoire. Le stade est plein et c’est à 100% des supporters déchaînés et non des spectateurs. C’est beaucoup plus chaud qu’en France. Les fumigènes et autres bombes ajoutent quelque chose de particulier qu’on ne retrouve pas en France car c’est interdit. »
Radoslav va également dans ce sens pour parler du plus grand derby de Bulgarie mais il met aussi malheureusement l’accent sur les bagarres régulières entre hooligans et police pour ces matchs, ce qui amène le spectateur lambda à délaisser ce genre d’affiche.
Le journaliste décrit également le derby de Plovdiv entre le Botev et le Lokomotiv comme très intéressant. « Plovdiv est la deuxième ville de Bulgarie. Le Botev prend de l’importance avec un des hommes les plus riches de Bulgarie à sa tête – Tsvetan Vassilev, un banquier. La saison dernière, le club est revenu en première division et a terminé 4è. Le coach est Stanimir Stoilov, qui était entraîneur du Levski, quand l’équipe a atteint les quarts de finale d’Europa League en 2006 et est parvenue à se qualifier pour les groupes de Ligue des Champions la même année. »
Une fin de championnat à suspense et la surprise Ludogorets
Cette saison a été très intéressante au niveau du suspense, principalement entre le Levski Sofia et le Ludogorets Razgrad.
A deux journées de la fin, Ludogorets était en tête avec deux points d’avance sur le Levski. Lors de ce match au sommet, le Levski l’emporta avec un but à la dernière minute4, scellant probablement l’issue du championnat. Mais c’était sans compter sur l’acharnement du champion en titre : Ludogorets. Lors de la dernière journée de championnat, le Lesvki recevait le Slavia Sofia alors que Ludogorets se déplaçait à Montana. De manière inexplicable, le Levski fit nul 1-1 à domicile alors que Ludogorets gagna 3-0, raflant un second titre d’affilée. La désillusion fut grande pour Romain Elie et ses coéquipiers : « On avait le match en main et malheureusement on se fait égaliser sur un CSC. C’est rageant car dans ce match ils ont dû avoir un tir cadré et nous avons manqué plusieurs fois le but du KO. Il nous a manqué le brin de réussite qu’on avait eu ces derniers temps. »
Le club de Ludogorets Razgrad est une surprise depuis deux saisons. Surnommé le Man City de Bulgarie, Radoslav nous explique mieux d’où vient ce club : « l’argent provient de Kiril Domuschiev et Georgi Domuschiev, frères et présidents. Ce sont des hommes d’affaires aux business variés – pharmaceutique, chantiers navals, compagnies de BTP, etc. Kiril est considéré comme le grand patron, il a acheté le club en 2010, alors en deuxième division. Durant l’hiver 2010, il a acheté quelques bons joueurs et recruté un jeune coach Ivaylo Petev (37 ans aujourd’hui), qui n’avait quasiment aucune expérience. L’équipe était alors à la 7è place en D2 mais a réussi à obtenir la montée après un printemps fantastique. Petev gagna encore plus de liberté et pu recruter quelques joueurs (NDLBA : les défenseurs Alexandre Barthe, Guilherme Choco et Lubomir Guldan ainsi que les milieux Stanislav Genchev, Mihail Aleksandrov, Marcelinho Nascimento da Costa et Emil Gargorov). A la surprise générale, l’équipe commença excellemment et proposa une qualité de football qu’on n’avait pas vu depuis de nombreuses années en Bulgarie. C’était un grand plaisir de les voir évoluer. Personne attendait cette équipe à ce niveau et même le boss Domuschiev n’espérait pas pouvoir gagner le titre.»
Pour cette première saison en D1, Ludogorets gagna le championnat, la coupe ainsi que la supercoupe, réalisant un exploit sans précèdent pour un promu. Cette saison, Ludogorets, malgré un niveau de jeu plus faible, a donc réussi à glaner un second titre d’affilée. Mais selon Radoslav, cela n’est pas un bon signe pour le football bulgare de les voir réussir à se hisser en haut du championnat après juste un an, mettant en exergue la faiblesse de l’adversité.
France et Bulgarie : échanges de bons procédés
Depuis quelques années, de nombreux joueurs passés par la France ont évolué en Bulgarie : Cédric Bardon, Garra Dembelé, Maxime Josse, Basile de Carvalho, Alexandre Barthe ou bien encore Raïs M’Bohli.
Romain Elie explique que « jouer le haut de tableau dans une D1 et jouer l’Europe est intéressant car il est difficile de percer en France en L1. Cela permet de se montrer et pourquoi pas de revenir en L1 par la suite. Economiquement, les pays de l’Est sont aussi intéressants, vu le faible taux d’imposition. »
Radoslav Stoikov évoque les francophones passés par la « A Grupa » : « Bardon a fait une belle carrière ici. Après être parti à la retraite, il a proposé ses services pour devenir entraîneur du Levski. Les fans du club l’adorent et un jour, il deviendra probablement l’entraîneur du club. Garra Dembelé5 était un fantastique buteur, du moins selon nos standards bulgares. Il était impressionnant. De Carvalho est aussi une machine à marquer (NDLBA : meilleur buteur cette saison avec 19 buts). Cependant, tous ces joueurs sont arrivés en Bulgarie en tant que joueurs libres. Un joueur qui n’est pas désiré en France vient ici et devient un des meilleurs du championnat aisément. C’est la grande différence entre nos pays ! Les clubs bulgares apprécient les joueurs français pour leur professionnalisme (ce qui n’était pas le cas de Dembelé, adepte des sorties nocturnes et des breuvages alcoolisés). »
Alex Barthe
Alexandre Barthe est un bon exemple de la réussite des Français en Bulgarie. Depuis son arrivée en Bulgarie en 2008, en provenance de Rodez, le défenseur a gagné 3 titres de champion, avec le Litex puis avec Ludogorets. Il a été évoqué la possibilité pour lui de prendre la nationalité bulgare et d’évoluer en équipe nationale. Cependant, Radoslav apporte peu de crédit à cette hypothèse, ajoutant que « les supporters bulgares ne sont pas tolérants envers les étrangers qui veulent jouer pour notre équipe nationale. Il y a eu quelques tentatives avec des Serbes mais toutes se sont soldées par des échecs. »
Kostadinov, Ivanov, Letchkov et compagnie…
Bien entendu, comment écrire un papier sur le football bulgare et les relations avec la France sans évoquer ce soir de novembre 1993 ? Radoslav décrit la victoire au Parc « comme un des plus grands exploits de l’équipe de Bulgarie. J’avais 13 ans à l’époque mais je me rappelle de la joie dans les rues. Ce 17 novembre 1993 sera toujours hautement considéré dans l’histoire du football bulgare. Paradoxalement cette victoire fut aussi le début de la fin pour notre équipe. En 1994, à la World Cup, nous avons fini quatrièmes6 mais depuis notre football ne cesse de s’appauvrir – équipe nationale de plus en plus faible, pas de jeunes espoirs, etc. La France a su tourner la page de cette sombre soirée pour se reconstruire alors que la Bulgarie n’a pas su capitaliser sur ce succès pour se construire un futur. »
Debouts, de gauche à droite : Nasko Sirakov, Trifon Ivanov, Yordan Letchkov, Borislav Mihaylov, Zlatko Yankov, Emil Kostadinov
Accroupis, de gauche à droite : Peter Hubchev, Krasimir Balakov, Hristo Stoichkov, Emil Kremenliev, Tzanko Tzvetanov
La génération de 1994 est bien entendue la plus belle que la Bulgarie ait jamais connue. Mais les héros d’hier n’ont pas tous connu des lendemains dorés :
« Borislav Mihaylov, qui était le gardien et le capitaine de l’équipe, est président de la fédération de football de Bulgarie. Il est l’un des hommes les plus haïs du pays, étant considéré comme responsable des pauvres conditions de notre football. Il ne va même plus dans les stades, les supporters l’insultant.
Hristo Stoichkov a échoué en tant que sélectionneur et les fans l’ont pris en grippe. Depuis un peu plus d’un an, il fait du bon travail en tant qu’entraîneur de Litex Lovech, mais il est en conflit avec Mihaylov. Hristo se plaint des arbitres et accuse Mihaylov de choisir certains arbitres pour les matchs du Litex. Il a même déclaré qu’il frapperait Mihaylov s’il le croisait.
Yordan Letchkov7 est devenu maire de sa ville Sliven. Malheureusement la population n’était pas heureuse et il n’a pas été réélu. Il pourrait même aller en prison car il y a actuellement des poursuites légales à son encontre concernant son activité de maire. Il est également vice-président de la fédération. Letchkov fut aussi président du club de Sliven, qui a dû se retirer du championnat à cause de problèmes financiers.
Balakov essaye toujours d’avoir une carrière en tant qu’entraîneur, principalement à l’étranger.
Trifon Ivanov s’est lancé dans les affaires mais cela n’a pas été un succès. D’autres entraînent dans des petits clubs.
Il n’y a quasiment aucun héros de la World Cup 1994 qui est heureux aujourd’hui. »
Stiliyan Petrov
La génération actuelle menée par « Georgi Milanov, le capitaine Ivelin Popov (Kuban Krasnodar), le gardien Nikolay Mihaylov (Twente, fils de Borislav Mihaylov), Ivan Ivanov (Partizan Belgrade) et entraînée par Luboslav Penev » offre quelques motifs d’espoir pour le futur avec sa deuxième place actuelle dans son groupe de qualifications. Mais comme l’explique Radoslav, « ils sont bien loin du niveau de nos glorieux anciens. En plus Berbatov ne veut plus jouer en équipe nationale, ce qui est un grand handicap. »
Il aurait fallu plus de mots pour évoquer Berbatov mais pour conclure, je souhaitais plutôt rendre hommage à l’élégant Stiliyan Petrov, une des perles du football bulgare de la décennie passée qui a notamment évolué au Celtic et à Aston Villa. Aujourd’hui atteint d’une leucémie qui l’a poussé à mettre un terme à sa carrière, ce bel homme restera un des plus beaux ambassadeurs que la Bulgarie ait connu, au moins sur le sol britannique.
Tristan Trasca
Merci à Romain Elie (son site Internet) et Radoslav Stoikov de Sportal.bg pour leurs témoignages sur le football bulgare.
1 Les supporters du Levski ont mis en exergue des drapeaux nazis et des signes à la gloire d’Hitler lors d’un match en avril dernier http://www.101greatgoals.com/blog/disgusting-levski-sofia-fans-parade-nazi-banners-signs-the-celebrate-adolf-hitlers-birthday/
3 Le dernier derby Levski – CSKA en vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=jpyzC81GE84
4 Le dernier Levski – Ludogorets en vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=MQEcZcz7k6w
5 Lors de son unique saison au Levski Sofia, Garra Dembelé aura inscrit 36 buts en 39 matchs toutes compétitions confondues.
6 Après avoir sorti le Mexique et l’Allemagne, la Bulgarie tomba contre l’Italie (doublé de Roberto Baggio). Stoichkov marqua 6 buts lors de cette Coupe du Monde, terminant meilleur buteur avec Oleg Salenko (qui avait claqué 5 fois en un match).
7 Ayant brièvement joué à l’OM, Letchkov est surtout connu pour son but sublime contre l’Allemagne en 1994 : http://www.youtube.com/watch?v=zT299bOCy3c
Il parait que c’est un beau pays à visiter. En tout cas niveau foot c’est vrai qu’on entend plus trop parler d’eux. Et si même leur « meilleur » attaquant refuse la séléction c’est qu’il y a un vrai problème. Et les trucs de cris de singes par les supps de sa propre équipe c’est quand même gravos (mais ça se passe aussi ailleurs). Sur une note plus legère j’ai aimé avoir l’autre vision de la qualif de 93. On était tellement obnubilé par Ginola,Houiller,drame natianal etc qu’on en à oublié qu’il y avait une bonne équipe en face à l’époque.
Et merci pour l’acad.
Merci pour tous ces très bons articles. Du très bon travail. Ca me rend nostalgique de mon séjour au pays de la rakia et de l’haltérophilie.
Merci. Je vais m’attaquer aux restes du monde cet été.